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Les membranes polymères
Les matériaux :
Des polymères, comme la cellulose, le polyamide, le polyethersulfone (PES, (C12H8O3S)n), le polyacrylonitrile (PAN, CH2-CHCN) ou le polyfluorure de vinylidène (PVDF), peuvent composer des membranes dites organiques (MO). Elles sont les plus employées du marché étant donné leur bas coût, leur compacité (grande surface dans un volume limité), et la disponibilité d’une large gamme de tailles de pores et de géométries (planes, tubulaires, spiralées et fibres creuses)10. Il existe aussi des membranes minérales constituées d’un support de céramique ou de carbone graphite sur lequel est déposée une couche filtrante d’oxydes de titane, de zirconium ou d’aluminium4. Bien qu’elles présentent des caractéristiques de résistance chimique et thermique plus importante que les membranes organiques (MO) (pH des solutions traitables de 0 à 14 contre 2 à 12 pour la plupart des MO, température maximum 300°C contre 50°C et une grande compatibilité avec les solvants organiques, leur conférant une durée de vie plus importante), ces membranes occupent une plus grande surface pour une même surface filtrante et sont beaucoup plus chères. Les membranes organiques présentent des caractéristiques adaptées à la filtration de grand volume (exemple : traitement des eaux12) tandis que les membranes minérales sont plus couramment utilisées dans l’industrie agroalimentaire13, mais aussi pharmaceutique par exemple.
Les géométries
Il existe plusieurs géométries de membrane, en fonction de leur application. Par exemple, comme montré dans la figure 1.2, il existe des membranes planes (Fig 2a), tubulaires (Fig 2b), spiralées (Fig 2c) ou à fibres creuses (Fig 2d). Les membranes planes sont couramment utilisées dans les laboratoires via des modules de filtration car elles peuvent être découpées à la taille de ceux-ci. La forme tubulaire, très employée pour les membranes céramiques, permet de faire circuler des solutions d’alimentation à grande vitesse tangentielle ou de traiter des solutions visqueuses. Les modules spiralés sont constitués d’un tube perforé autour duquel plusieurs membranes s’enroulent (forme spiralée), séparées par des espaceurs permettant la circulation du perméat et du rétentat. En raison de leur conditionnement dense, ces modules sont adaptés à la filtration de solutions peu visqueuses. Enfin, les fibres creuses, à simple ou double peau (côté sélectif), sont constituées principalement de polymère. Elles sont compactes, peu coûteuses et adaptées aux fluides de faible viscosité.
La structure de la membrane
Les membranes peuvent présenter une ou plusieurs couches, plus ou moins complexes, assurant des propriétés de sélectivité, perméabilité et de résistance mécanique différente. On parle de membrane symétrique, asymétrique et composite14. Les membranes symétriques sont composées d’une simple couche homogène d’un même matériau. Les membranes asymétriques sont composées d’un seul matériau, mais dont la structure change (par exemple : le passage de pore fin à des pores larges est le plus fréquent). Enfin, les membranes composites présentent des couches constituées de matériaux de natures différentes.
La première couche de la membrane en contact avec le fluide à filtrer, illustrée en figure 1.3, est appelée couche sélective dans le cas des membranes de MF et UF. Elle peut se présenter comme une couche (épaisseur spécifique avec les pores les plus petits et proches de la surface de la membrane) ou bien une peau (couche fine comprenant seulement les pores connectés à la surface de la membrane)14–16 qui assure la sélectivité et la perméabilité de la membrane. Le terme de « couche active » quant à lui est préférentiellement utilisé dans le cas des membranes d’osmose inverse qui ne font pas l’objet de cette étude17.
Les différentes conditions hydrodynamiques de filtration
Il existe trois conditions hydrodynamiques de filtration principales, illustrées dans la figure 1.4 : la filtration frontale (dite « dead-end filtration »), tangentielle (dite « cross-flow filtration ») et dynamique (dit « shear-enhanced filtration »)6. La filtration frontale, où le fluide passe perpendiculairement à travers la membrane, a une seule entrée (alimentation et rétentat) ainsi qu’une sortie séparée (perméat). Elle donne lieu à la formation rapide d’un dépôt à la surface de la membrane et par conséquent à une diminution du flux. La filtration tangentielle permet un écoulement de la solution à filtrer le long de la surface de la membrane (tangentiellement), ce qui limite l’accumulation de matière à la surface de la membrane et stabilise le flux 8. Enfin, la filtration dynamique consiste à faire bouger la membrane ou un disque à sa surface pendant la filtration. Le cisaillement est augmenté/amélioré, induisant la dispersion des solutés et la limitation du colmatage de la membrane.
Les performances de la filtration
Les performances de la membrane sont décrites par plusieurs paramètres : sa perméabilité et sa sélectivité (les deux dépendants de la couche sélective, première couche de la membrane en contact avec le fluide à filtrer), qui dépendent du produit à filtrer, du matériau, mais aussi des conditions opératoires telles que la pression transmembranaire, la température et la vitesse tangentielle utilisées dans le module de filtration.
La perméabilité et la sélectivité
La perméabilité (L) est le débit volumique de perméat qui passe au travers de la membrane par unité de pression (Pa), de surface (m2) et de temps (s). C’est ce qui définit la productivité de la membrane8. Elle est liée à la taille et à la densité des pores de la membrane ainsi qu’à l’épaisseur de sa couche sélective14. Elle= est/Δ définie par l’équation : (Eq.1)
Où J est le flux de perméat traversant la membrane par unité de surface (en L ∙ h-1 ∙ m-2) et ΔP la pression transmembranaire (en bar).
Le flux, J, peut être mesuré à l’échelle du laboratoire et il peut également être estimé dès que les détails structurels de la couche sélective sont connus (taille des pores, densité, tortuosité et épaisseur), à l’aide de modèles simples largement appliqués, tels que l’équation de Hagen-Poiseuille (modèle H-P). Dans ce cas, on suppose un matériau homogène, où les pores sont des cylindres, identiques et complètement ouverts. Le modèle H-P définit le flux par l’équation : (Eq. 2) J = ԑ32d2τ × µ. Py = × . Py
Où δy est l’épaisseur de la couche sélective de la membrane (m), d le diamètre des pores (m), τ leur tortuosité (-), ΔP la pression transmembranaire (Pa), ε la porosité (-), et µ la viscosité (Pa ∙ s). La perméabilité intrinsèque de la couche sélective, K (m2), est définie par l’équation Eq. 3 (Eq.3) K = ԑ32d2τ
Ainsi, ce modèle ne tient pas compte de certaines limites, comme dans le cas de membranes asymétriques réelles présentant une morphologie complexe, où certains des pores peuvent être bloqués, ni du rôle du matériau polymère dans la mouillabilité de la membrane par l’eau.
La sélectivité est la capacité de la membrane à laisser passer ou à retenir un composé. En filtration membranaire avec des membranes poreuses (MF, UF, NF), la sélectivité de la membrane dépend du diamètre des pores à la surface de la couche sélective de la membrane et de l’affinité des biomolécules envers le polymère8,14. Pour les seuils de coupure les plus faibles, la charge superficielle de la membrane intervient également.
L’emploi des procédés de filtration membranaire pour la valorisation des microalgues
L’extraction des molécules d’intérêt provenant des microalgues, comme les lipides par exemple, nécessite plusieurs étapes : (1) la récolte et la concentration des microalgues, (2) La lyse des cellules pour libérer les molécules (par broyage par exemple) et (3) le fractionnement, qui permet de purifier et d’isoler les molécules cibles.4,6 L’ensemble de ces étapes, appelé bioraffinage, représente une cascade de procédés délicate à mettre en œuvre (coût, extraction sans dommage, pureté des composés, etc.), particulièrement à l’échelle industrielle, malgré le fort potentiel des biomolécules issues de microalgues.
La filtration membranaire est un procédé qui a commencé à être appliqué au bioraffinage des microalgues dans les années 200029 et qui a pris de l’ampleur ces dernières années. Elle peut être utilisée pour les trois étapes sus-citées mais elle l’est particulièrement pour la récolte et la concentration des microalgues29–31. Le fractionnement des biomolécules comme les lipides et les protéines par filtration membranaire s’est développé depuis quelques années seulement32. En effet, ces procédés délicats nécessitent des travaux d’approfondissement et d’optimisation.
Dans d’autres secteurs, la filtration membranaire a fait ses preuves pour le fractionnement de solution de protéines et de lipides provenant d’autres sources (par exemple : le traitement d’émulsion33 et la purification d’huile végétale34). C’est donc naturellement que ces procédés ont été appliqués pour le fractionnement des lipides et des protéines extraites de microalgues, à partir de microalgues broyées35,36. Notamment, il a été mis en évidence le potentiel des membranes organiques pour isoler ces molécules d’intérêt (blocage des lipides et passage des protéines et des sucres) d’un mélange complexe ou de surnageant de broyat réel6. Parmi les différents types de membranes polymères intéressantes pour la valorisation des microalgues, nous pouvons citer les membranes d’UF en polyacrylonitrile (PAN) et les membranes de MF en polyéthersulfone (PES). En effet, ces deux types de membranes présentent un intérêt pour le fractionnement des lipides et des protéines37–39 extraits de microalgues. Elles sont disponibles dans le commerce et sont déjà largement utilisées pour d’autres applications. Les membranes en PAN sont bien adaptées à la filtration des lipides grâce à leurs propriétés hydrophiles39 tandis que les membranes en PES sont largement utilisées pour le fractionnement des protéines40. Elles font l’objet de cette étude.
La filtration de mélanges modèles complexes
Définition et intérêts
Pour évaluer les performances de la filtration membranaire pour la valorisation des microalgues, il faut une grande quantité de biomasse. Par exemple, dans le cas d’une étude sur Chlorella vulgaris, 1 litre d’extrait de microalgues concentré à filtrer est obtenu avec ≈ 20 L de culture réalisée pendant plusieurs semaines, sachant qu’elle présente des variabilités de composition6. L’accès à une grande quantité de biomasse de composition stable est donc très difficile. C’est pourquoi, lors des travaux de thèse précédents (Erika Clavijo Rivera (2014- 2017) et Shuli Liu (2017-2021)), des mélanges modèles avec des compositions simplifiées représentant des extraits de microalgues ont été mis au point afin d’approfondir l’étude du procédé membranaire. Ce sont des mélanges stables, avec une composition et des propriétés (conductivité, pH, concentration…) maîtrisées et reproductibles. Or, le travail présenté ici est soumis à des contraintes similaires : si l’on veut mettre en évidence le rôle de chaque composé dans le colmatage des membranes par des caractérisations fines, et réaliser des expériences comparables entre elles, il est indispensable de maîtriser la composition des mélanges filtrés. Les mélanges développés précédemment pourraient donc être utilisés pour permettre une meilleure compréhension de l’impact d’extraits de microalgues, particulièrement les lipides et les protéines, sur les performances de la filtration membranaire4,6,41.
Dans cette partie, sont décrits les différents mélanges modèles de lipides (ii), protéines (iii) et mélanges de lipides et protéines (iv) utilisés dans cette étude. Les autres composants extraits des microalgues, comme les polysaccharides, pigments, sels…, ne sont pas étudiés dans le but de garder une approche simplifiée. Il est à noter que ces éléments devront être pris en compte en cas de caractérisation de mélanges réels.
Les lipides
Dans les microalgues étudiées, les lipides occupent plusieurs rôles comme le stockage d’énergie ou la structure de la membrane cellulaire. Ils peuvent être valorisés, par exemple, comme biocarburant pour remplacer les carburants actuels dérivés du pétrole27, ou comme antioxydants (lipides polyinsaturés). Clavijo et al (2017)41, a caractérisé des extraits de microalgues utilisés pour la production de biocarburants. Ils contiennent deux types de famille de lipides : les lipides neutres (triglycérides) et les lipides polaires (glycolipides et phospholipides). Ces extraits peuvent être assimilés à une émulsion de lipides dans l’eau. Une émulsion est un mélange de deux liquides non miscibles (fines gouttelettes de l’un dans l’autre, ici gouttelettes d’huile dans de l’eau)4. L’émulsion est stable grâce à la présence d’émulsifiants ou de tensioactifs (ici les lipides polaires), qui stabilisent l’interface huile-eau des gouttelettes de lipides6,42. Dans cette étude, une émulsion de lipides constituée d’un mélange d’huile végétale stabilisée avec de la lécithine de soja, dans une phase aqueuse de pH et de conductivité proche de celle d’un milieu de culture d’eau douce, est utilisée pour simuler les lipides extraits de microalgues lors de la filtration membranaire. Les huiles végétales apportent les lipides neutres et la lécithine (émulsifiant) les lipides polaires. Dans les travaux précédents, les conditions de conception de l’émulsion ont été choisies de façon à obtenir le même ordre de grandeur de taille des gouttelettes de lipides (de 0,1 à 300 µm de diamètre), entre le mélange modèle et les extraits de microalgues et une stabilité dans le temps2,4,23. Le travail présenté ici s’appuie sur ce mélange modèle pour la caractérisation des lipides et leur comportement lors de la filtration membranaire.
Les protéines
Deuxième famille de molécules cibles de cette étude, les protéines sont des macromolécules constituées d’un ensemble d’acides aminés assemblés en chaînes qui se replient pour former la structure secondaire, s’organisent en 3 dimensions (structure tertiaire) et forment des agrégats entre elles associées par des liaisons faibles (structures quaternaires). Elles contiennent des acides aminés essentiels, présentent des propriétés antioxydantes ou sont utiles à la régulation du diabète43 et par conséquent présentent beaucoup d’applications possibles dans la pharmacie ou l’agroalimentaire12,24. Ce sont des molécules complexes, qui évoluent dans le temps et en fonction des conditions environnementales (température, pH, concentration…) et elles forment des liaisons hydrogène, des agrégats, ainsi que différentes interactions avec les molécules environnantes44,45.
Dans les précédents travaux, le mélange modèle de protéines a été formulé et caractérisé à partir de protéines de pois (hydratation d’une poudre sèche) dispersées dans une phase aqueuse de pH et de conductivité proche de celle d’un milieu de culture d’eau douce. Le produit à base de protéines de pois a été sélectionné en vue des proportions d’acides aminés similaires avec la microalgue étudiée (Parachlorella kesselri). Des protéines et des agrégats de tailles variables (10 nm à 10 µm) en solution sont obtenus. Les travaux présentés ici s’appuient sur ce mélange modèle pour la caractérisation des protéines et leur comportement lors de la filtration membranaire.
Interaction entre les lipides et les protéines
Dans les précédents travaux, pour se rapprocher des conditions réelles de filtration d’extraits de microalgues, un mélange modèle de lipides et de protéines a été proposé et caractérisé6. Préparés indépendamment, les mélanges modèles de lipides et de protéines ne présentent pas les mêmes organisations ni caractéristiques que lorsqu’ils sont mélangés dans la même solution. Les lipides seuls forment une émulsion. Les protéines seules forment pour partie des agrégats qui ne passent pas à travers la membrane, alors qu’une autre fraction soluble peut passer dans le perméat. Lorsque les protéines et les lipides sont en mélange, une forte réorganisation a lieu, en raison d’interactions entre les biomolécules, engendrant une modification de la suspension à filtrer (taille des gouttelettes et des agrégats par exemple). Les performances de la filtration membranaire sont aussi différentes pour les trois mélanges modèles. La filtration de l’émulsion de lipides seuls présente un meilleur flux que lorsque des protéines sont ajoutées. Il a été conclu que la présence des protéines semble diminuer les performances de la filtration. On peut
supposer par exemple qu’elles bouchent les pores de la membrane4,6 ou qu’elles impliquent une forte rétention des lipides à la surface de la membrane. Mais ces hypothèses n’ont pas pu être vérifiées jusqu’à présent. Ainsi, une meilleure compréhension des interactions entre les lipides et les protéines, ainsi que leur organisation à la surface et dans le milieu poreux est nécessaire
pour comprendre le colmatage de la membrane. Des stratégies pour limiter le colmatage et améliorer1.3 les performancesLecolmatage,duprocédéprincipalpourraientverroualorsêtreduproprocédéosées.
Le colmatage des membranes
Définition et différents types de colmatage
Pendant la filtration de solution contenant les particules ou des molécules, une accumulation de matière à la surface de la membrane et à l’intérieur de ses pores se produit. Ce phénomène inéluctable de la filtration membranaire correspond au colmatage (ou « fouling »)46. C’est le principal verrou de ce procédé du fait qu’il puisse être irréversible 47 et diminue le flux et donc la productivité du procédé. Bien que ce soit le sujet de nombreux travaux dans la littérature, ce phénomène n’a pas encore été complètement élucidé par la communauté scientifique46,48–51. C’est un phénomène multifactoriel et hétérogène spatialement et temporellement. Il peut être dû principalement à des interactions physiques (topographie, rugosité de la surface, structure des pores… 52) ou chimiques entre la membrane et la solution ou entre les molécules elles-mêmes3. Le colmatage de la membrane peut être externe (blocage total ou partiel des pores à la surface, organisation d’une couche externe poreuse appelée gâteau ou « cake »)53 ou interne (réduction du diamètre des pores par accumulation de matière sur les bords par adsorption, ou blocage total ou partiel des pores par la matière). La figure 1.8 présente les différents types de colmatage. Enfin, le caractère réversible du colmatage est lié à la quantité de matière accumulée à la surface et à l’intérieur de la membrane et de la nature des interactions. S’il est réversible, un nettoyage à l’eau ou chimique peut être suffisant pour l’éliminer et retrouver les performances initiales de la membrane19. S’il est irréversible, la membrane a perdu ses caractéristiques de départ (taille de pores, porosité…etc.)4.
Comprendre le colmatage des membranes
Différentes approches ont été menées pour comprendre et identifier les paramètres pouvant influencer le colmatage des membranes pendant la filtration. Comme résumé par Suwal et al (2015)43, dans le cas de la filtration membranaire, le colmatage est dû à trois paramètres principaux : le choix de la membrane, les caractéristiques de la solution à filtrer et les conditions opératoires.
• rôle du matériau membranaire
Les processus par lesquels le colmatage se produit sont complexes et dépendent, concernant la membrane de filtration, de facteurs structuraux tels que la distribution de la taille des pores de la couche sélective19 (qui doit être suffisamment éloignée de la distribution de taille des biomolécules à filtrer), la porosité de la membrane ou encore la tortuosité et la connectivité des pores, comme cela a été prouvé pour le colmatage par des protéines dans les travaux de Ho et Zydney54. De plus, il a été démontré55, en particulier pour les membranes de MF52, que selon la surface spécifique (rapport de la superficie de la surface réelle de la membrane et de la quantité de matière de la membrane) et la structure des pores de la membrane (diamètre, porosité, tortuosité…), il est possible de réduire le colmatage et d’augmenter le flux. Ainsi, bien que la couche sélective soit responsable de l’efficacité du processus de filtration, la morphologie et les paramètres structuraux des pores (porosité, tortuosité, etc.) ont également un rôle à jouer.
Afin d’évaluer les performances de filtration à l’échelle microscopique, il faut prendre en compte seulement les pores traversant la membrane, réellement actifs lors de la filtration. Trois possibilités existent (illustrées en figure 1.9) : i) un pore relié à la surface de la membrane qui traverse le matériau (pore ouvert) ; ii) un pore relié à la surface, mais fermé à son extrémité (pore aveugle ou cul-de-sac) ; iii) un pore non relié à la surface de la membrane (pore fermé). Il convient de noter que les pores ouverts (i) participent au procédé de filtration tandis que les pores aveugles (ii) seront obstrués par des molécules et contribueront à accroître le colmatage. Les pores fermés (iii) ne participeront ni au procédé de filtration ni à l’augmentation du colmatage.
La membrane de filtration présente également une rugosité spécifique à sa surface et il a été montré qu’elle influence l’accumulation des biomolécules56 et donc la formation du colmatage à la surface de la membrane. Au-delà de la structure du matériau, la membrane présente une surface fonctionnalisée qui peut avoir des interactions d’attraction ou de répulsion avec les composés (mise en valeur par exemple par la mesure du potentiel zêta et donc de la charge de surface)57,58. Ces interactions peuvent être de de type électrostatique, mais aussi de type Van der Waals ou des liaisons hydrogène par exemple, entre les molécules et le matériau de la membrane4. La nature chimique de la membrane et son hydrophobicité jouent donc aussi un rôle dans le phénomène de colmatage40,59.
• Les caractéristiques de la solution
Les différentes molécules d’un extrait de microalgues ou d’un mélange complexe peuvent interagir et augmenter le colmatage de la membrane. Plus spécifiquement, le pH, la charge et la taille des particules, la concentration ou la force ionique de la solution peuvent influencer le colmatage43. Dans le cas de mélanges modèles de lipides et de protéines, une forte interaction a été observée36 entre les deux biomolécules (agrégats…etc.), entraînant une augmentation du colmatage de la membrane et une baisse de sa perméabilité.
• Les conditions opératoires
Le colmatage des membranes, et notamment le fait que le colmatage soit interne ou externe, est dépendant des conditions opératoires de la filtration (pression, vitesse, type de filtration…etc.). Notamment, une PTM inférieure ou égale de la pression critique peut être utilisée pour limiter le colmatage des membranes4,6,58. D’après Rouquié et al, 202058, une PTM basse (inférieure à la pression critique) favoriserait un colmatage externe tandis qu’une PTM haute (supérieure à la pression critique) favoriserait un colmatage interne pour les membranes PES de microfiltration. De plus, la filtration frontale implique la formation rapide d’un colmatage sous forme de gâteau à la surface de la membrane tandis que les filtrations tangentielles et dynamiques limitent sa formation (cake d’épaisseur moins importante) et stabilisent le flux4,6. Cependant, elle favorise un possible colmatage interne51.
Conséquences et enjeux
Quels que soient le type de colmatage, les membranes et les mécanismes en cause, ce phénomène modifie les propriétés du matériau (diamètre de pores, porosité, état de surface, etc.) et augmente la résistance au passage du perméat, ce qui provoque une chute de la perméabilité, une modification de la sélectivité et donc des performances du procédé. La consommation d’énergie augmente ainsi que le coût et la fréquence de nettoyage et de remplacement de la membrane43. Par exemple, dans le cadre du développement de procédés innovants de bioraffinage pour la valorisation des extraits de microalgues, le colmatage par les biomolécules peut limiter la récupération des composés d’intérêt dans le perméat et le rétentat, réduisant la possibilité d’une application à grande échelle.
De ce fait, le nombre de travaux de recherche pour caractériser et comprendre le colmatage des membranes ne cesse d’augmenter ces dernières années43,48,49,60. Une meilleure connaissance du processus de colmatage permettrait de mieux comprendre les mécanismes impliqués et, par la suite, de développer de nouvelles membranes et de mieux maîtriser les conditions opératoires pour une séparation efficace des molécules. Pour cela, l’élucidation de la relation structure- performance de la membrane, une caractérisation détaillée des pores et de leur interaction avec les biomolécules, ainsi que la compréhension de l’organisation des biomolécules au sein du colmatage sont nécessaires.
Caractérisation des membranes de filtration par microscopie électronique
Contexte général de l’étude
Dans cette étude, nous nous intéressons particulièrement à la filtration de mélanges complexes, simulant des extraits de microalgues (lipides et protéines végétales), sur des membranes polymères organiques, et au phénomène de colmatage de celles-ci. Le colmatage représente une difficulté majeure pour le développement des procédés membranaires, il est donc nécessaire de mieux le comprendre et le décrire. Parmi les méthodes permettant de caractériser le colmatage, la microscopie électronique est très intéressante car elle permet de caractériser la structure des membranes utilisées, l’organisation des composés au sein du mélange complexe et le colmatage. Dans cette partie nous présentons les possibilités qu’offre la microscopie électronique pour à la caractérisation détaillée en 2D et en 3D de la structure de la membrane seule, en particulier des pores de la couche sélective, ainsi que ses limites.
La microscopie électronique (ME) permet d’observer et d’analyser la membrane à des échelles différentes (du nanomètre au millimètre) (voir le tableau 1.2). Le microscope électronique à balayage (MEB) permet une visualisation directe de la structure du matériau, il donne des images de haute qualité (taille de pixel de quelques nanomètres) avec un large champ de vision (plusieurs dizaines de micromètres) pour des temps d’acquisition courts et une préparation d’échantillon rapide. Il est généralement utilisé pour l’imagerie 2D de la surface ou de la section transversale de la membrane81,82. La microscopie électronique en transmission (MET), de manière complémentaire, permet d’atteindre les détails nanométriques des pores de la membrane et est utilisée pour obtenir des images de haute résolution de sections transversales de membranes62. Les pores, cependant, sont des structures 3D qui nécessitent des méthodes de caractérisation et de quantification 3D pour une description complète. L’analyse MEB d’images 2D de la surface des membranes présente des limites pour quantifier les pores qui participent réellement au processus de filtration, elle ne permet pas par exemple d’identifier les pores aveugles. Les techniques avancées de microscopie électronique en 2D comme le STEM (Scanning Transmission Electron Microscopy) ou en 3D comme le FIB/MEB (focused ion beam/ MEB) nous permettent, à présent, d’atteindre des résolutions inférieures au nanomètre83 et d’obtenir des volumes 3D des structures les plus fines84. De plus, lorsqu’elles sont combinées avec de la spectroscopie (EDX, Energy Dispersive X-rays), on peut simultanément obtenir des informations chimiques.
Hormis pour l’étude en MEB de la surface 2D de membranes43,85,86, la caractérisation des membranes polymère en ME, est peu développée par rapport aux nombreuses études et différents domaines exploitant les procédés membranaires87. Cela peut s’expliquer par le défi que les techniques d’imagerie représentent88. En effet, les membranes polymères sont amorphes, peu contrastées, présentent des pores nanométriques et une forte sensibilité au faisceau d’électrons. Dans une première partie nous présenterons l’analyse des membranes par MEB en 2D et EDX, puis nous présenterons la caractérisation de membranes par couplage du MEB avec le FIB, enfin nous présenterons le MET.
Imagerie MEB et FIB
Préparation d’échantillon
La préparation des échantillons pour le MEB est relativement simple. Les échantillons doivent supporter le vide du microscope (il évite les interactions des électrons avec l’air), ainsi qu’être conducteurs et stables sous le faisceau des électrons pour procéder à leur observation. C’est pourquoi l’échantillon est déshydraté, s’il contient de l’eau, et métallisé d’une fine couche de platine ou de carbone (quelques nanomètres) pour rendre sa surface conductrice50,57. Les échantillons sont enfin transférés dans la chambre MEB via un sas à pression contrôlée (plus de détail dans le chapitre 2). Lorsque cette préparation est appliquée aux membranes de filtration, elle peut avoir un fort impact sur la structure de la membrane : la déshydratation entraîne une modification de la structure des pores et la métallisation peut inclure un biais en remplissant partiellement les pores à la surface de la membrane89,90.
Il est possible d’observer les membranes en surface, mais aussi en coupe transversale. Pour cela, le plus souvent, la membrane est congelée (cryofixée) dans de l’azote liquide (-180°C) et cassée ou coupée avec une lame de rasoir85,86 pour permettre l’observation de la tranche (l’intérieur de la membrane). Ici, cryofixer la membrane permet de limiter le biais de la modification de la morphologie dû à la préparation d’échantillon.
Enfin, dans le but de limiter les dommages, les effets de charges ainsi que la dérive de l’image, la membrane peut être préalablement contrastée à l’aide de métaux lourds (Osmium ou Ruthénium Tetroxyde par exemple)91.
Observation des membranes polymères par MEB et par MEB-EDX combiné, une pratique courante
Rapide et facile, l’analyse par MEB est devenue un outil très utilisé pour caractériser la morphologie de la membrane (surface et coupe transversale). En particulier, beaucoup d’études portent sur l’élaboration, la caractérisation et l’évaluation de la performance des membranes pour des applications spécifiques86,92–95 (voir un exemple avec la figure 1.13). Ainsi, le MEB est utilisé pour contrôler la qualité de la structure membranaire parmi d’autres techniques de caractérisation. Par exemple, Rahimpour et al85 (2007) utilisent le MEB pour mettre en évidence les effets du CAP (cellulose acetate phthalate) sur la morphologie de membranes de MF en polyethersulfone. La figure 1.14 illustre ces travaux avec plusieurs images réalisées en MEB sur des coupes transversales de membranes en PES pour plusieurs concentrations de CAP (cryofixation et coupe de la membrane).
La caractérisation de membranes polymères propres au MEB est une pratique courante, permettant l’étude morphologique (par exemple : estimation de la porosité), mais aussi chimique de l’échantillon. Buonomenna et al93 (2006) utilisent les propriétés des électrons rétrodiffusés (plus de détail en chapitre 2) pour obtenir un contraste chimique des différents matériaux d’une membrane de MF PVDF mélangée à du titane. Ou encore, il est possible de coupler l’utilisation du MEB avec un détecteur EDX (Energy Dispersive X-rays) pour aller plus loin dans l’analyse chimique de l’échantillon. L’article de Kumar et al86 (2016) s’appuie sur cette technique pour comparer les compositions chimiques de différents mélanges de polymères (membrane polysulfone avec différents additifs de bentonite à base de polyvinylpyrrolidone (PVP-g-bentonite)) et déterminer le plus efficace pour une application dans le traitement des eaux usées. Les concentrations en Magnésium (Mg), Aluminium (Al) et Silicium (Si) sont comparées par EDX pour contrôler la présence de bentonite sur les membranes (illustré en figure 1.15).
Bien que le MEB soit une pratique courante dans la caractérisation des membranes de filtration polymères, il ne permet pas, seul, d’observer les structures les plus fines en 3D. Depuis quelques années, des MEB de nouvelle génération ont été développés et couplés à une colonne FIB (focused ion beam), permettant d’imager un échantillon en 3D avec une résolution cubique de quelques nanomètres (taille et épaisseur du pixel de la même taille)96,97.
Utilisation du FIB/MEB
Le couplage d’un faisceau d’ions focalisés ou FIB (focused ion beam) et du MEB permet d’explorer un milieu poreux en 3D. Le FIB permet de creuser l’échantillon grâce à l’énergie des ions (généralement de gallium). L’intérieur de l’échantillon est alors visible et la surface dévoilée peut être imagée avec le faisceau des électrons du MEB. Pour obtenir un volume 3D, le FIB érafle une nouvelle couche de quelques nanomètres d’épaisseur, puis une image est prise au MEB et ainsi de suite. On peut reconstruire le volume en 3D à partir d’un empilement des images 2D (appelé « stack »). D’après Sundaramoorthi et al84 (2016), le FIB/MEB est un bon compromis entre la tomographie à rayons X (résolution de plusieurs micromètres et un volume supérieur à 100 µm3) et la tomographie par MET (résolution inférieure au nanomètre et un volume de 5 µm3 avec une épaisseur d’échantillon de 100 nanomètres) pour la caractérisation de polymères poreux. Son utilisation permet d’obtenir une résolution nanométrique (jusqu’à 3-5 nm en voxel cubique) et un volume de quelques dizaines de micromètres cube. Le volume 3D permet alors de caractériser plusieurs paramètres d’intérêt de la structure, tels que la taille des pores, la porosité ou la connectivité83,84,91,97,98.
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Table des matières
MATIERE
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABBREVIATIONS
Liste des productions scientifiques
Introduction générale
Chapitre 1 : Etat de l’art, contexte général et scientifique :
1.1 Généralité sur la filtration membranaire et les membranes
1.1.1. Définition
1.1.2. Les membranes polymères
1.1.3 Les différentes conditions hydrodynamiques de filtration
1.1.4 Les performances de la filtration
1.2 Application : valorisation des microalgues
1.2.1 Caractéristiques, production et enjeux
1.2.2 L’emploi des procédés de filtration membranaire pour la valorisation des microalgues
1.2.3 La filtration de mélanges modèles complexes
1.3 Le colmatage, principal verrou du procédé
1.3.1 Le colmatage des membranes
1.2.4 La caractérisation du colmatage dans la littérature
1.4 Caractérisation des membranes de filtration par microscopie électronique
1.4.1 Contexte général de l’étude
1.4.2 Imagerie MEB et FIB
1.4.3 Imagerie MET
1.4.4 Conclusion
1.5 Caractérisation du colmatage des membranes par microscopie électronique
1.5.1 Contexte
1.5.2 Marquage des biomolécules dans la littérature
1.5.3 L’usage des cryotechniques pour l’exploration du colmatage en conditions natives
1.5.4 La caractérisation du colmatage des membranes par ME dans la littérature
1.5.5 Conclusion sur la caractérisation du colmatage par ME
1.6 Objectifs de recherche :
Chapitre 2 : Matériel et Méthodes : Procédés de filtration membranaire et développements méthodologiques en (cryo) microscopie électronique.
2.1 Introduction
2.2 Partie 1 : Les expériences de filtration
2.2.1 Matériel
2.2.2 Conditionnement des membranes
2.2.3 Filtration des biomolécules
2.2.4 Marquage des biomolécules pour la MET
2.3 Partie 2 : La Microscopie électronique
2.3.1 Principes généraux de fonctionnement
2.3.2 Utilisation du FIB/MEB
2.3.3 Utilisation du MET
2.3.4 Spectroscopie EDX : utilisation en MET et en MEB
2.3.5 Défis et développements méthodologiques
2.4 Partie 3 : La cryo-microscopie électronique
2.4.1 Principe général
2.4.2 La cryofixation
2.4.3 Cryo FIB/MEB
2.4.4 Cryo MET et QFS pour les échantillons HPF
2.4.5 Défis techniques et développements méthodologiques
2.5 Conclusions
Chapitre 3 : Détermination des facteurs structuraux clés affectant la perméabilité et la sélectivité des membranes de filtration polymères PAN et PES en utilisant le 3D FIB/ MEB à température ambiante
3.1 Introduction
3.2 Matériel & Méthodes
3.2.1 Conditionnement des membranes de filtration PAN et PES
3.2.2 Préparation des membranes pour la microscopie électronique
3.2.3 Acquisition de données 3D FIB/MEB
3.2.4 Reconstruction 3D et analyse
3.3 Résultats :
3.3.1 Visualisation 3D des membranes PAN et PES
3.3.2 Détermination de l’épaisseur de la couche sélective de la membrane PAN
3.3.3 Détermination de l’épaisseur de la couche sélective pour les membranes PES
3.3.4 Estimation des pores aveugles et limites de l’analyse 2D MEB des tailles et du nombre de pores
3.4 Conclusion
Chapitre 4 : Nouvelles méthodes pour l’identification et la différentiation de biomolécules colmatées en utilisant la microscopie électronique conventionnelle
4.1 Introduction
4.2 Matériel & Méthodes
4.2.1 Préparation des solutions de biomolécules
4.2.2 Conditionnement des membranes, filtration membranaire et stockage
4.2.3 Préparation des membranes pour la ME
4.2.4 Caractérisation par (cryo) microscopie électronique et EDX
4.3 Résultat
4.3.1 Identification de colmatage de surface et interne par MEB/EDX
4.3.2 Différenciation des lipides et des protéines dans le colmatage des membranes à l’aide de techniques de marquage des métaux lourds et de cryo- MEB
4.3.3 Accès à l’interface colmatage/membrane à haute résolution par STEM-HAADF et HPF suivi de QFS
4.4 Conclusion
Chapitre 5 : Caractérisation par (cryo) EM de membranes PES colmatées par des biomolécules (lipides et protéines)
5.1 Introduction
5.2 Matériel & Méthodes
5.2.1 Conditionnement des membranes de filtration PES, préparation des mélanges modèles et filtration membranaire
5.2.2 Préparation des membranes pour le cryo-FIB/MEB
5.2.3 Acquisition de données par 3D cryo-FIB/MEB
5.2.4 Reconstruction 3D et analyse
5.3 Résultats
5.3.1 Intérêts des conditions cryogéniques pour l’analyse des membranes de filtration
5.3.2 Caractérisation du colmatage de la membrane PES par cryo-MEB
5.3.3 Caractérisation du colmatage de la membrane PES par 3D cryo FIB/MEB
5.3.4 Estimation des pores aveugles, « internally blocked pore », et impact indirect du colmatage sur la filtration membranaire.
5.4 Conclusion
Conclusion générale et perspectives
Bibliographie
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