Caractérisation des suspensions granulaires

Caractérisation des suspensions granulaires

Propriétés des suspensions granulaires

Une suspension granulaire est composée de grains (matière solide) totalement immergés dans un liquide. Il s’agit donc d’un mélange diphasique à l’échelle microscopique mais pour lequel la communauté scientifique cherche à établir des lois en tant que milieu « uniforme » à une échelle macroscopique.

Les propriétés macroscopiques des suspensions dépendent ainsi fortement des propriétés de chacun de leurs constituants, grains et fluide, ainsi que de la quantité relative de l’un et de l’autre :
– Au niveau des propriétés du fluide, nous pouvons citer la viscosité et le comportement plus ou moins complexe du liquide : rhéofluidication, contrainte seuil d’écoulement, thixotropie, par exemple.
– Pour les grains, leur forme, leur taille et la distribution même de ces deux paramètres peuvent modifier les propriétés de la suspension. La prise en compte de leurs interactions est également très importante.
– Enfin, la densité des constituants, leur écart de densité ainsi que leur proportion relative interviennent également. L’un des éléments clefs dans la compréhension et la caractérisation du comportement des suspensions est la nature des forces éventuellement subies par les grains : poids relatif des grains, forces hydrodynamiques, forces de contacts (friction solide entre grains, interaction physico-chimique…) et agitation thermique, par exemple.

Agrégation

L’agrégation des particules correspond à leur regroupement dans des amas plus ou moins denses. Cette agrégation trouve son origine dans la nature attractive de certaines interactions entre particules. Cela peut être les forces de Van der Waals pour les plus petites particules ou des forces de nature électrostatique ou chimique pour les plus grosses. Ces amas de taille plus importante que celle de particules uniques conduisent à une augmentation effective de la fraction de grains du milieu puisqu’une partie du fluide interstitiel reste coincée à l’intérieur de ces amas. Il en résulte ainsi une augmentation de la viscosité de la suspension, cette dernière augmentant avec la fraction de grains comme nous verrons par la suite. L’agrégation peut finalement conduire au blocage de la suspension.

Sédimentation et ségrégation 

Dû à un contraste de densité entre les grains et le fluide, des effets de sédimentation et de ségrégation peuvent apparaître. Ces effets viennent modifier localement la fraction de grains de la suspension et rendent donc cette dernière inhomogène. La sédimentation est simplement induite par la gravité. La vitesse de sédimentation résulte de l’équilibre entre le poids effectif des grains et le frottement visqueux avec le fluide auquel s’ajoutent l’encombrement et la modification de l’écoulement dus aux autres particules [88]. Dans le cas des particules non-Browniennes sphériques, la vitesse de sédimentation est obtenue par l’équation empirique de Richardson–Zaki (Eq. 3.3). Lors d’écoulement de suspensions, la différence de densité peut également provoquer une migration des particules [95, 96], ce qui aboutit à leur ségrégation, c’est à dire à des zones plus ou moins denses en grains.

Forces hydrodynamiques et forces de contact 

Considérons maintenant le cas des suspensions non-Browniennes et monodisperses de sphères dures de même densité que le fluide. Il s’agit du cas le plus simple existant, puisque les forces détaillées précédemment sont nulles ou négligeables. C’est celui dans lequel se place notre étude. Restent alors en présence les forces véhiculées par le fluide et celles de contact :
– Dans une suspension, la présence d’un grain modifie l’écoulement du fluide autour qui influence à son tour le mouvement d’une autre particule. C’est le principe de l’interaction hydrodynamique. Cette interaction entre particules est indirecte puisque véhiculée par le fluide en écoulement. Elle est donc susceptible d’avoir une influence sur le mouvement des particules et leur répartition comme nous le verrons pour la migration de particules induite par cisaillement.
– Lorsque la fraction de grains devient élevée et avant le contact solide entre grains, il est possible d’avoir un régime dit de lubrification avec des forces concentrées sur les zones de plus forte approche entre les particules. Si la distance inter-particule devient comparable à la rugosité des surfaces, les grains rentrent en contact et ces forces de lubrification laissent la place à des forces de frottement solide [76].
– Des forces de frottement solide entre les grains apparaissent lorsque les particules restent suffisamment longtemps en contact l’une de l’autre, formant alors un réseau de contacts solides. Ce type de forces n’apparaît que pour les fractions de grains φ élevées (pour des sphères monodisperses typiquement vers 55%). Elles sont responsables de phénomènes de blocage et de seuil d’écoulement.

Structuration des écoulements

Nous avons, pour le moment, considéré que les suspensions pouvaient être appréhendées comme des milieux homogènes en étudiant leurs caractéristiques macroscopiques comme la viscosité. Cependant, rien ne justifie que les suspensions, systèmes à la structure microscopique très hétérogène, restent homogènes lorsque soumises à des contraintes extérieures.

Migration de particules induite par cisaillement 

La migration induite par cisaillement est un phénomène résultant de la structure diphasique du milieu. Elle est la conséquence d’interactions irréversibles entre particules. Elle apparaît quand il existe des champs de contrainte ou de cisaillement inhomogènes et tend à faire diffuser les particules dans les zones de faibles cisaillements. La première mise en évidence expérimentale d’un phénomène de migration de particules par cisaillement est due à Gadala-Maria et Acrivos en 1980 [37]. Ces derniers ont ainsi observé la décroissance permanente de viscosité d’une suspension concentrée dans un rhéomètre de Couette. Plus tard, en 1987, Leighton et Acrivos [2, 61, 62] ont montré avec de nouvelles expériences que cette décroissance était due à la migration des particules de l’entrefer vers le réservoir situé en dessous et qui se trouvait donc à un taux de cisaillement beaucoup plus faible. Les auteurs [62] expliquent ainsi ce phénomène par une fréquence d’interaction entre particules et une viscosité effective toutes les deux variables spatialement. Le phénomène de migration de particules due au cisaillement a été, depuis, mis en évidence dans de nombreuses études expérimentales : écoulements de Couette [1, 84], écoulements de Poiseuille en conduite circulaire [6, 43, 44] ou rectangulaire (i.e. cellule de Hele-Shaw) [53, 72], autres géométries [5, 23]. Ces études s’appuient notamment sur des systèmes de visualisation non intrusifs des champs de vitesse et de concentration : vélocimétrie Doppler à l’aide de Laser ou d’ondes acoustiques, Imagerie par Résonance Magnétique…

Localisation d’écoulement 

Un autre phénomène résultant indirectement de la migration de grains et que nous trouvons dans le cas des suspensions granulaires est la localisation de l’écoulement.

Pour les plus faibles vitesses, le profil ne se déploie que sur une partie de l’entrefer, il y a une localisation de l’écoulement. Cette observation est caractéristique du régime frictionnel décrit précédemment : le taux de cisaillement appliqué ne permet pas de mobiliser tout le milieu. Cette mobilisation s’accroît cependant lorsque le taux de cisaillement augmente (i.e. lorsque la vitesse du cylindre interne est augmentée). Au delà d’un taux de cisaillement macroscopique critique γ˙ c tout le milieu est cisaillé. Ce taux de cisaillement est le même que celui caractérisant la transition frictionnelle/visqueuse. Notons également que la fraction de grains dans l’entrefer n’est pas uniforme. Dans leurs conditions expérimentales, Huang et al. [49] ont montré que la fraction locale est indépendante de la vitesse de rotation du cylindre interne et qu’elle croit linéairement avec le rayon d’une valeur proche de 56% à près de 60%. Il s’agit vraisemblablement d’un effet de migration de particules. L’entrefer (1 cm) est en effet du même ordre de grandeur que le rayon moyen de la cellule de Couette (2.5 cm) et le cisaillement ne peut pas y être considéré comme uniforme.

Cellule de Hele-Shaw et instabilité de Saffman– Taylor

L’instabilité de Saffman–Taylor a pour la première fois été étudiée en 1958 par Saffman et Taylor [92] qui lui donnèrent leurs noms. Cette instabilité de Saffman Taylor, ou digitation visqueuse, se produit quand un fluide moins visqueux pousse un fluide plus visqueux dans un canal linéaire mince ou cellule de Hele-Shaw. L’interface entre les deux fluides se déstabilise ce qui mène à la formation de doigts. À vitesse élevée, le doigt tend à occuper la moitié du canal. Le mécanisme de sélection qui mène à cette limite n’avait pas été compris par Saffman et Taylor mais a finalement été élucidé beaucoup plus tard, dans les années 80 [25, 48, 75, 97]. L’instabilité de Saffman–Taylor a été beaucoup étudiée expérimentalement et théoriquement, comme nous pouvons le constater à travers les articles de revue de Saffman [91], de Bensimon et al. [13], de Homsy et al. [47], de Couder [26], de Pelcé [83] ou de Maher et al. [74]. Ces études ont conduit à une très bonne compréhension de l’instabilité pour les fluides simples.

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Table des matières

Introduction
1 Généralités
1.1 Caractérisation des suspensions granulaires
1.1.1 Propriétés des suspensions granulaires
1.1.2 Étude du comportement des suspensions non-Browniennes
1.1.3 Structuration des écoulements
1.2 Cellule de Hele-Shaw et instabilité de Saffman–Taylor
1.2.1 Cellule de Hele-Shaw
1.2.2 Équations du mouvement
1.2.3 Analyse de stabilité linéaire
1.2.4 Évolution non-linéaire
1.2.5 Déstabilisation des doigts
1.2.6 Effets tridimensionnels
1.3 Milieux poreux
1.3.1 Caractérisation des milieux poreux
1.3.2 Écoulement dans les milieux poreux saturés
1.3.3 Modèles de perméabilité
1.3.4 Écoulements diphasiques dans les milieux poreux
1.3.5 Drainage, phénomènes de digitation
1.4 En résumé
2 Effets d’inertie dans la digitation de Saffman–Taylor
2.1 Introduction des effets d’inertie
2.1.1 Petit historique
2.1.2 Corrections de la loi de Darcy dues à l’inertie
2.2 Dispositif expérimental
2.3 Loi de Darcy
2.4 Largeur des doigts
2.4.1 Paramètre de contrôle classique 1/B
2.4.2 Nombre de Reynolds modifié Re∗
2.4.3 Nombre de Weber modifié We∗
2.4.4 Extension à une nouvelle courbe maîtresse
2.5 Quelques éléments théoriques
2.5.1 Profil des doigts
2.5.2 Perturbation de la loi de Darcy
2.5.3 Simulations numériques et comparaison
2.6 Conclusion
3 Digitation dans les suspensions granulaires
3.1 Caractérisation des suspensions
3.1.1 Caractéristiques des grains et du fluide pur
3.1.2 Caractéristiques des suspensions
3.2 Protocole expérimental
3.2.1 Dispositif expérimental
3.2.2 Traitement des données
3.3 Écoulement et loi de Darcy
3.3.1 Résultats expérimentaux
3.3.2 Migration de particules induites par cisaillement
3.3.3 Modèle simple
3.3.4 Modèle de diffusion de particules
3.4 Motifs et stabilité
3.4.1 Motifs observés
3.4.2 Transitions
3.4.3 Interprétation
3.4.4 Comparaison du modèle aux résultats expérimentaux
3.5 Largeur relative des doigts stables
3.5.1 Traitement des données
3.5.2 Analyse des courbes de Saffman–Taylor
3.6 Vers de plus fortes fractions de grains
3.7 Conclusion
4 Déstabilisation d’un milieu granulaire immergé
4.1 Protocole expérimental
4.1.1 Préparation du milieu
4.1.2 Dispositif expérimental
4.2 Déroulement typique d’une expérience
4.3 Traitement des données
4.3.1 Traitement typique d’une image
4.3.2 Mesures effectuées
4.4 Temps d’attente et décompaction du milieu
4.4.1 Modèle théorique de décompaction
4.4.2 Obtention des paramètres du modèle
4.4.3 Mesures expérimentales et comparaison au modèle
4.5 Mobilisation du milieu et phénomène de digitation
4.5.1 Évolution de la compaction
4.5.2 Écoulement du fluide effectif
4.5.3 Modèles d’écoulement
4.5.4 Évolution conjointe de la mobilité et de la compaction
4.5.5 Largeur des structures observées
4.6 Conclusion
Conclusion

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