Problème des formules faisant intervenir la pression
Le principal problème des formulations de la force faisant intervenir la pression (au premier rang desquelles on trouve bien entendu l’estimation pariétale de la force, équation (2.3)) est le caractère global de celle-ci, i.e. la non-localité de cette grandeur. On a déjà évoqué les effets de frictions décrits par le tenseur des contraintes visqueuses, qui permettent de relier relativement facilement les structures touchant l’obstacle et les forces visqueuses intégrées sur la surface à l’endroit du contact. Au contraire, la pression est quant à elle influencée par tout l’écoulement et toutes les structures présentes dans celui-ci. On observe dans l’écoulement pour ce nombre de Reynolds la création de deux couches limites qui se déstabilisent en aval pour produire un lâcher tourbillonnaire périodique. On peut distinguer trois structures principales dans l’environnement proche du cylindre : deux couches limites et un tourbillon. Pourtant la distribution de pression ne permet pas de dissocier clairement ces trois structures : la zone de dépression est complètement reliée autour du cylindre, et on ne peut savoir avec certitude si la dépression à un endroit du cylindre est due à un décollement ou à un tourbillon. On ne peut donc pas intégrer la contribution en pression de chaque structure.
Tentatives de formulation de la force via les structures cohérentes
Le terme « structure cohérente », défini plus précisément dans la partie 2.4, désigne une zone de l’écoulement dont les particules fluides ont une dynamique de vorticité similaire (ou cohérente). Une des premières tentatives pour exprimer la force en fonction des structures cohérentes présentes dans l’écoulement est celle de Kirchhoff [46] qui propose un modèle repris par Rayleigh [77] quelques années plus tard et utilisant la théorie de Helmholtz [36] sur la « ligne de courant libre ». Ce modèle consiste à séparer le fluide autour d’un corps en deux parties : l’écoulement externe et le sillage, au moyen de deux lignes de courant. Cette interface présente des discontinuités (sauts) de vitesse tangentielle donnant naissance à deux nappes de vorticité (les structures cohérentes modélisées du problème). Le sillage derrière le corps (zone morte) est considéré stationnaire et s’étend à l’infini ; la pression y est constante et vaut p∞. L’écoulement externe est potentiel. On peut illustrer cette théorie dans les cas d’un cylindre à section circulaire (figure 2.7) ou d’une plaque plane perpendiculaire à l’écoulement (figure 2.8). En revanche si l’on considère une séparation de l’écoulement à l’arrière du cylindre avec la génération de deux nappes de vorticité représentant les structures cohérentes, on peut calculer la traînée à l’aide de la théorie de la ligne de courant libre (figure 2.7(b)). La solution de Kirchhoff-Helmholtz donne un coefficient de traînée CD = 0.5 ; pourtant le coefficient de traînée mesuré expérimentalement s’approche plutôt de CD ≈ 1.2. Ce problème est très général, dans le cas de la plaque plane perpendiculaire à l’écoulement (figure 2.8(a)) la solution de Kirchhoff-Helmholtz donne un coefficient de traînée CD = 0.88 (solution présentée en détails par Batchelor [7]) tandis que le coefficient de traînée mesuré expérimentalement est plutôt de l’ordre de CD = 2. La raison de ces différences réside dans la modélisation proposée par la théorie de la ligne de courant libre. Le choix de la pression p∞ dans la zone morte implique que la séparation s’étende à l’infini ; hors dans la réalité cette zone se referme (on appelle alors la zone morte : zone de recirculation) et la pression du sillage dépendant de la taille de la zone de recirculation n’est plus égale à p∞. Les structures cohérentes seules ne suffisent pas à déterminer la force, il faut également faire intervenir dans le problème une modélisation de la pression en aval. De plus la séparation n’est pas le seul phénomène à intervenir tant dans le cas du cylindre circulaire que dans celui de la plaque plane ; on peut en effet observer la déstabilisation des nappes de vorticité et la formation de tourbillons à l’arrière de l’obstacle (figure 2.8(b) et figure 2.5(a) dans le cas visqueux). Ces tourbillons engendrent eux aussi des dépressions à l’arrière et il est difficile de dissocier les dépressions dues aux tourbillons de celle due à la seule séparation. Enfin ces tourbillons peuvent être responsables d’une fermeture anticipée de la zone de recirculation, modifiant alors la dépression créée par la séparation.
Définitions des structures cohérentes
Afin d’étudier un écoulement et les structures qui le composent, il faut donner une définition à la fois générique et mathématique d’une structure cohérente. Il existe de nombreuses définitions des structures cohérentes et des tourbillons en particulier, aucune n’arrivant à prendre le pas sur les autres (Lugt [57], Volmers et al. [91], Jeong & Hussain [41], Cucitore et al. [21], Adrian et al. [1], Haller [35]). Cela tient en partie au fait que les grandeurs intensivesIX du fluide (pression, vitesse et ses dérivées spatiales) ne permettent pas aisément la séparation des structures qui le composent. Si l’on s’en tient à l’exemple de la pression, on a affaire à une grandeur globale ; ainsi la modification d’une partie de l’écoulement (apparition d’un décollement par exemple) va non seulement influencer la pression à l’endroit de la modification, mais également dans le reste de l’écoulement (Kida & Miura [45]). On s’en tiendra donc dans tout le manuscrit à cette définition des structures cohérentes, assez large mais objective, donnée par Hussain [40] : « A coherent structure is a connected turbulent fluid mass with instantaneously phase-correlated vorticity over its spatial extent. » Il donne en outre cette précision un peu plus loin : « We choose to designate the instantaneouslly space- and phase-correlated vorticity as coherent vorticity. Thus coherent vorticity is the primary identifier of coherent structures. » Les cas traités dans ce manuscrit ne relèvent pas de la turbulence pleinement développée ; il s’agit plutôt d’écoulements dans lesquels la dynamique de la vorticité tient lieu de moteur des phénomènes (par exemple le sillage de von Kármán, figure 2.12), avec de plus des résultats pour la plupart numériques. En ce sens il n’est souvent pas nécessaire de faire des moyennes de phase. En revanche le marqueur principal des structures reste bien la vorticité, et c’est le premier critère qui nous permettra d’observer voire de détecter systématiquement des structures cohérentes.
Champs de vitesse et de vorticité
Les champs de vitesse et de vorticité moyennés dans le temps sont présentés pour le cas naturel (figure 3.12) et pour le cas contrôlé (figure 3.13). Afin de limiter au maximum les ombres du corps et du cylindre on effectue pour le cas contrôlé deux expériences, une avec le cylindre dans la couche cisaillée supérieure et une autre avec le cylindre dans la couche cisaillée inférieure. Les résultats des deux expériences sont ensuite moyennés et recombinés. On observe les champs moyens typiques d’un sillage avec lâchers tourbillonnaires alternés pour le corps sans contrôle : la vitesse longitudinale montre une bulle de recirculation (en rouge dans la figure 3.13(a)) ; la vorticité se concentre dans la zone proche paroi et à l’arrière du culot là où les tourbillons s’enroulent, puis décroît rapidement dans le sillage (figure 3.13(c)). Lorsque l’on ajoute le cylindre de contrôle dans le sillage, les phénomènes sont globalement les mêmes mais l’enroulement s’effectue plus loin en aval. On remarque un allongement de la bulle de recirculation à l’arrière du corps (figure 3.13(a)) dû à l’augmentation de quantité de mouvement dans la couche cisaillée retardant l’enroulement ; d’autre part on peut observer un effet de « jet » vers l’intérieur de la bulle de recirculation (figure 3.13(b)) ; enfin les nappes de vorticité moyenne sont moins intenses et plus allongées que dans le cas naturel (figure 3.13(c)).
Fermeture utilisée et conditions aux limites
Afin de bien définir la topologie de l’écoulement, il faut choisir soigneusement la fermeture utilisée pour le tenseur de Reynolds. Il a été montré (Bardina et al. [6]) que le modèle k-omega est plus adapté à la région proche paroi que le modèle k-epsilon ; en particulier le premier modèle permet de faire apparaître des décollements à la paroi, ce qui n’est pas possible avec le second. En revanche le modèle k-epsilon donne de meilleurs résultat en ce qui concerne la transition entre la couche limite et l’écoulement extérieur. Nous avons donc opté pour une modélisation « k-omega SST » permettant de combiner les deux modèles k-omega à la paroi puis k-epsilon lorsque l’on s’éloigne de la paroi. Cette modélisation est décrite de manière détaillée par Menter [59]. Les conditions aux limites utilisées ont été choisies à partir des méthodologies utilisées à PSA Peugeot Citroën. La face amont est une entrée de vitesse (Velocity inlet), la face aval une sortie de pression (Pressure outlet) et les faces latérales des murs (Wall) avec une condition de glissement, plus stable qu’une condition de symétrie pour représenter les parois d’une soufflerie. La limite inférieure de la veine a été modélisée par un « mur sans frottement » afin d’éviter la production d’une couche limite et de vorticité au sol, préjudiciable pour une bonne analyse de la force à partir de la formulation diffusiveV. La condition sur le corps est également une condition de type nonglissement (Wall).
Conclusion sur la mise en oeuvre industrielle
La formulation diffusive est facilement implémentable en trois dimensions, et doit permettre à partir d’une définition des structures présentes dans un écoulement de quantifier leur poids sur la force fluide. La présence du laplacien de vorticité dans cette formulation nécessite une très bonne définition spatiale de l’écoulement qui s’approche (et dépasse pour les cas plus compliqués) les limites numériques actuelles. Le cas d’un écoulement autour d’un véhicule, réel ou simplifié, entre la catégorie des écoulements trop complexes pour la quantification de la force fluide à partir de la formulation diffusive. Les préconisations en matière de maillage et de simulation au sein du groupe PSA Peugeot Citroën ne permettent pas d’obtenir à la fois un écoulement fidèle à la réalité et une bonne définition de la densité de force. De même la résolution complète de la couche limite implique soit des maillages trop lourds, soit des problèmes de bruit numérique au niveau de la vorticité proche paroi, bruit amplifié par le calcul des dérivées secondes de la vorticité. On peut pourtant constater en dépit de ces problèmes numériques que la formulation met bien en relation les sources de vorticité et la densité de force. Nous avons donc démarré une étude avec une équipe de développeurs de FLUENT afin de tenter de remédier aux problèmes numériques rencontrés. Une étude sur un maillage cartésien régulier est en cours, de même qu’une réflexion sur le filtrage des champs de vorticité proche paroi pour atténuer le bruit. Des pistes d’amélioration sur le calcul des gradients par FLUENT sont également à l’étude. Enfin nous cherchons à appliquer cette formulation sur des résultats académiques autour de corps plus simples (cube posé sur une surface plane) mais avec une meilleure définition de la vorticité dans l’écoulement (résolution v-omega, proche de la résolution psi-omega utilisée dans le chapitre 4).
|
Table des matières
1 Introduction générale
2 Concepts de base
2.1 Notations
2.2 Formulations générales
2.2.1 Calcul pariétal de la force
2.2.2 Bilan de quantité de mouvement
2.3 Efforts et structures cohérentes
2.3.1 Problème des formules faisant intervenir la pression
2.3.2 Tentatives de formulation de la force via les structures cohérentes
2.3.3 Méthode de projection
2.3.4 Équation de l’impulsion hydrodynamique et « Derivative-Moment Transformations »
2.3.5 Questions ouvertes et discussion
2.4 Topologie des écoulements et structures cohérentes
2.4.1 Définitions des structures cohérentes
2.4.2 Critères de détection
2.4.3 Conclusion
3 Étude de la formulation advective en deux dimensions
3.1 Étude de la contribution des différents termes à la force
3.1.1 Simulation numérique
3.1.2 Schémas aux différences finies utilisés
3.1.3 Étude du sillage
3.1.4 Calcul des contributions des différents termes à la force
3.1.5 Conclusion
3.2 Application de la formulation advective à une expérience de contrôle passif
3.2.1 Expériences
3.2.2 Détermination de la traînée moyenne à partir de la formulation advective
3.2.3 Conclusion sur l’application expérimentale de la méthode
3.3 Conclusion sur la formulation advective
4 Étude de la formulation diffusive en deux dimensions
4.1 Simulation numérique
4.1.1 Présentation du code numérique utilisé
4.1.2 Résultats pour différents nombres de Reynolds
4.2 Étude de la contribution des termes de la formulation diffusive
4.2.1 Écriture bi-dimensionnelle
4.2.2 Intégrande IDV −µ∆ω x⊥
4.2.3 Intégrandes de contour
4.2.4 Analyse dynamique des contributions
4.2.5 Conclusion sur l’utilisation de la formulation diffusive
4.3 Contributions des différentes structures cohérentes
4.3.1 Séparation de structures
4.3.2 Analyse des contributions séparées
4.4 Validation de l’approche pour FLUENT
4.5 Conclusion
5 Tentatives de calcul de la densité de force pour une simulation RANS 3D
5.1 Le corps d’Ahmed
5.1.1 Géométrie du corps
5.1.2 Topologie de l’écoulement
5.2 Mise en oeuvre numérique
5.2.1 Modélisation de la turbulence
5.2.2 Fermeture utilisée et conditions aux limites
5.2.3 Maillage du corps d’Ahmed
5.2.4 Résultats numériques
5.3 Densités volumiques de force
5.4 Calcul de la force avec la formulation diffusive
5.5 Problème du calcul de la vorticité et de son laplacien avec FLUENT
5.6 Conclusion sur la mise en oeuvre industrielle
6 Conclusions et perspectives
Annexes
A Établissement de la formulation advective
B Équivalence des formulations advectives et diffusive
C Invariance selon l’origine du repère
D Topologie du laplacien de vorticité pour des structures cohérentes de référence
Références bibliographiques
Télécharger le rapport complet