Le transistor de puissance à haute mobilité électronique en nitrure de gallium (power-GaN-HEMT, de l’anglais High Electron Mobility Transistor) est apparu dans les années 2010, et a beaucoup évolué cette dernière décennie suscitant l’intérêt de nombreux domaines industriels, notamment le spatial.
Ce composant présente une résistance à l’état passant RDSON très faible et une commutation rapide, limitant ainsi les pertes de conduction et de commutation. La possibilité de piloter ces transistors à haute fréquence de commutation permet de réduire la valeur des composants passifs des convertisseurs de puissance. De ce fait on peut concevoir des convertisseurs plus légers et moins encombrants. De plus, comme les autres matériaux semi-conducteurs à large bande interdite, le nitrure de gallium peut être utilisé à des températures nettement plus élevées que celles limitées par l’utilisation des composants en silicium. Par ailleurs, débarrassé de l’oxyde de grille présente dans la structure MOS, la structure HEMT en GaN présente une meilleure robustesse face aux radiations. Toutes ces caractéristiques font du HEMT de puissance en GaN un candidat très intéressant pour de nombreuses d’applications, et plus particulièrement pour les applications spatiales. Malgré tous les avantages énumérés précédemment, l’utilisation des composants en GaN à grande échelle reste limitée à cause de la méconnaissance de leur fiabilité et des conséquences de leur vieillissement. En effet, les transistors HEMT en GaN présentent des phénomènes physiques impactant leurs performances que l’on n’avait pas à prendre en compte dans les transistors de puissance en silicium (MOSFET, IGBT). Notons par exemple le fait que la résistance à l’état passant (RDSON) n’atteint pas sa valeur nominale immédiatement après la commutation. Ceci pénalise l’augmentation en fréquence car les pertes de conduction deviendraient considérables.
HISTOIRE DU GAN COMME SEMI-CONDUCTEUR
Les premières recherches sur le GaN comme semi-conducteur ont commencé le 1968 [1]. La largeur de bande interdite du GaN, et sa condition de semi-conducteur à gap direct confèrent à ce matériau des propriétés optiques intéressantes pour des longueurs d’onde courtes.
À cette époque, les diodes LED étant limitées aux couleurs rouge et jaune, des recherches, en 1968, ont visé le développement de diodes LED vertes et bleues. La première diode LED bleue en GaN a été réalisée en 1971 [3] par H. P. Maruska et son équipe . Dans les années qui suivent, les recherches se sont focalisées sur la technique de dopage de type-P du GaN en magnésium [4]. Ces recherches ont été très importantes pour le futur, car ce type de dopage est indispensable pour les transistors de puissance en GaN actuels. Par contre, la croissance de cristaux purs en GaN, onéreuse et difficile, reste un verrou technologique jusqu’aux années quatre-vingt-dix.
En 1993 Shuji Nakamura développe plusieurs alliages à base de GaN pour réaliser des LED à haute luminosité dans tout le spectre visible. Ces recherches ont rendu possible la diode blanche, utilisée aujourd’hui pour l’éclairage ; la télévision LED ou les diodes lasers bleues, utilisées pour les lecteurs de disques Blu-ray. Shuji Nakamura a été colauréat du prix Nobel de Physique en 2014 avec Hiroshi Amano et Isamu Akasaki [5] pour ses recherches dans ce domaine. Dans les années quatre-vingt-dix sont apparus aussi les premiers transistors HEMTs normally-on en GaN [6]. Cependant, ces composants ne présentent pas des caractéristiques avantageuses par rapport aux MOSFET en silicium en termes de densité de puissance et vitesse de commutation[7]. En 1999 S.T. Seppard présente un HEMT qui peut commuter à 10 GHz[8]. Néanmoins, la densité de puissance reste trop faible pour faire de la concurrence aux composants en silicium. Dans les années 2000, un saut technologique permet d’augmenter la densité de puissance des transistors GaN grâce à la technologie field-plate [9]. Il s’agit de l’introduction de métallisations qui permettent d’étaler la distribution du champ électrique, ce qui permet d’augmenter la tension maximale du composant. C’est ainsi que ces composants ont pris leur place dans les applications de télécommunications. Cependant, pour l’électronique de puissance les composants normally-on ne sont pas adaptés pour certaines applications, car ils ont besoin d’une polarisation négative pour la grille qui complexifie le design, spécialement dans le spatial. En plus, dans les convertisseurs d’énergie l’utilisation de transistors normallyon est dangereuse, car une défaillance dans le circuit de commande peut générer un court-circuit sur l’entrée. Pour cela, des recherches pour la réalisation de structures normally-off ont commencé vers 2010 [10].
PRINCIPES PHYSIQUES DES HEMT EN GAN
Le nitrure de gallium est un matériau semi-conducteur composé (groupe III / groupe V) qui possède une semi-conductivité intrinsèque. Il s’agit d’un semiconducteur à large bande interdite (3,4 eV). Les principaux avantages du GaN par rapport au silicium sont :
– Champ électrique critique élevé : Ce qui permet, pour une tenue en tension donnée, d’avoir des dimensions plus réduites qu’un composant en silicium. Et par conséquent, on peut aussi acheminer une densité de puissance plus importante à l’état passant.
– Énergie de liaison plus élevée : Ce qui confère à ce matériau une température de fusion plus importante que celle du silicium [11].
– Énergie d’ionisation plus élevée : Le nitrure de gallium est un matériau plus robuste aux radiations (a besoin de plus d’énergie que le silicium pour s’ioniser).[12]
– Faible densité de porteurs intrinsèques : permet de garder la fonctionnalité semi-conductrice à des températures plus élevées que celles du silicium [13].
– Haute vitesse des électrons : les composants en GaN peuvent commuter à des fréquences plus élevées [14].
Il est important de remarquer que dans le tableau précédent, la mobilité des électrons indiquée pour le GaN est celle propre au matériau. Sachant que dans les HEMTs en GaN la mobilité qui compte est celle des électrons dans le gaz bidimensionnel formé au niveau de l’hétérojonction AlGaN/GaN (que nous détaillerons plus loin) qui est plus élevée (2000 cm2V-1s-1). La puissance dissipée par effet Joule doit être évacuée pour limiter la température de jonction. La conductivité thermique est le paramètre physique qui mesure la facilité de cette évacuation. La conductivité thermique du GaN est un peu plus faible que celle du silicium, il présente donc une résistance thermique plus importante que celle d’un composant en silicium avec les mêmes dimensions. Néanmoins, le besoin d’évacuation des calories dépend de la température maximale de fonctionnement du composant. Et comme le GaN peut fonctionner à des températures plus élevées, il compense largement ce qui paraissait comme un inconvénient. Par ailleurs, nous verrons par la suite que comme les composants GaN sont constitués de couches d’autres matériaux (Silicium, AlN…), la résistance thermique globale ne dépend pas que des propriétés thermiques du GaN.
En regardant les propriétés physiques intrinsèques du GaN, on peut déduire qu’a priori les transistors en GaN peuvent travailler à plus haute température, avec une densité de puissance plus élevée et à plus hautes fréquences. Néanmoins, pour étudier en détail les performances qu’un transistor en GaN peut avoir dans un système de puissance, il faut prendre en compte la composition de la structure complète du composant (les différents matériaux utilisés), mais aussi les conditions et l’environnement de fonctionnement.
Polarisation spontanée
On peut trouver le nitrure de gallium sous trois structures cristallines différentes : le zinc blende, le sel gemme et la structure würzite. L’arrangement le plus stable mécaniquement et thermiquement est le type würzite. Cette structure est caractérisée par les paramètres de maille ?, ? et ?, avec ? = ? ⁄ ?, où ? est la longueur de la liaision entre le gallium et l’azote . A température ambiante (300° K) ? = 0,318 ??, ? = 0,518 ?? et ? = ?/? = 0,038 ??[16].
Les atomes s’organisent suivant une structure de type würtzite. Les atomes de gallium (en gris) forment des prismes hexagonaux, et les atomes d’azote (en jaune) forment des tétraèdres dans les prismes. Dans une telle configuration, la distribution des charges positives (les noyaux atomiques) et négatives (les électrons) fait que les barycentres des charges ne coïncident pas. Cela crée un ensemble de dipôles électriques suivant un même axe : le cristal est le siège d’une polarisation macroscopique. Ce phénomène, qui existe même en l’absence de toute contrainte ou excitation extérieure, s’appelle « polarisation spontanée[17] ».
L’hétérojonction AlGaN/GaN
Plusieurs composés chimiques peuvent adopter la structure würzite (AgI, ZnO, CdS, AlN). Exploiter cette propriété de la structure würzite est un autre des intérêts que présente le nitrure de gallium. On peut, donc, obtenir des couches hétéroepitaxiales à base d’alliages d’aluminium ou d’indium. Le transistor HEMT en nitrure de gallium consiste à réaliser un empilement d’une couche AlxGa1-xN sur une couche GaN. La couche d’AlxGa1-xN est un réseau cristallin dans lequel une certaine proportion d’atomes de gallium a été remplacée par des atomes d’aluminium. La valeur de ‘x’ dans la notation d’AlxGa1-xN représente la proportion d’aluminium. Ainsi, pour x=0 la proportion est zéro : il s’agit du GaN. Pour x=1 tous les atomes ont été remplacés par de l’aluminium (AlN). Pour des valeurs comprises entre 0 et 1, on a un réseau cristallin avec des propriétés comprises entre celles du GaN et celles du AlN. Mais toutes les proportions d’aluminium ne sont pas possibles : pour des valeurs supérieures à 0,35 apparaissent des défauts dans le cristal. Les valeurs utilisées pour les transistors de puissance sont comprises entre 0,18 et 0,30.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1. ETAT DE L’ART
1.1. INTRODUCTION
1.2. HISTOIRE DU GAN COMME SEMI-CONDUCTEUR
1.3. PRINCIPES PHYSIQUES DES HEMT EN GAN
1.3.1. Polarisation spontanée
1.3.2. L’hétérojonction AlGaN/GaN
1.3.3. Formation du gaz bidimensionnel d’électrons
1.3.4. Mobilité des électrons
1.4. STRUCTURE DU HEMT EN GAN
1.4.1. Couches du HEMT en GaN
1.4.1.1. Substrat
1.4.1.2. Couches de transition
1.4.1.3. Le buffer en GaN
1.4.1.4. Espaceur AlN
1.4.1.5. La couche barrière
1.4.1.6. Le cap de GaN
1.4.1.7. Les électrodes
1.4.1.8. Field plates
1.5. HEMT NORMALLY-OFF POUR L’ELECTRONIQUE DE PUISSANCE
1.5.1. Intérêt pour l’électronique de puissance
1.5.2. Structures normally-off (enhacement-mode)
1.5.3. Structure cascode
1.5.4. Résumé de structures normally-off
1.6. FABRICANTS DE HEMTS DE PUISSANCE EN GAN
1.6.1. Efficient Power Conversion (EPC)
1.6.2. GaN Systems
1.6.3. Panasonic
1.6.4. Exagan
1.6.5. Récapitulatif du marché actuel des transistors en GaN
1.7. MECANISMES DE DEFAILLANCE IDENTIFIES
1.7.1. Ionisation par impact
1.7.2. TDDB (Time-Dependent Dielectric Breakdown)
1.7.3. Effet piézoélectrique inverse
1.7.4. Punchthrough
1.7.5. Courant de fuite vertical
1.7.6. Modes de défaillance liés aux effets de piégeage
1.7.6.1. Courant de fuite de grille assisté par pièges
1.7.6.2. Surface hopping
1.7.6.3. RDSON dynamique
1.8. METHODES CLASSIQUES DE CARACTERISATION
1.9. CONCLUSION
2. METHODES DE CARACTERISATION DES EFFETS DE PIEGEAGE
2.1. INTRODUCTION
2.2. PREMIERE METHODE : DLTS
2.2.1.1. Mise en place de la C-DLTS
2.3. DEUXIEME METHODE : MESURE DE RDSON DYNAMIQUE
2.4. MESURE C(V) ET SURFACE D’HYSTERESIS
2.4.1. Mise en place de la mesure C(V)
2.4.1.1. Mesures à température contrôlée
2.4.1.2. Mesures à différentes fréquences
2.5. CONCLUSION
3. BANC DE CYCLAGE ACTIF
3.1. INTRODUCTION
3.2. PRESENTATION DU BANC DE CYCLAGE ACTIF
3.3. CONCEPTION DU BANC DE TEST
3.3.1. Mise en place des composants sous test
3.3.2. Conception d’un circuit spécifique de commande
3.3.2.1. Génération des signaux de commande
3.3.2.2. PCB spécifique pour la commande des HEMT
3.3.3. Réalisation finale de la carte
3.3.4. Détermination du protocole de test
3.3.4.1. Discrimination des effets thermomécaniques
3.4. MESURES REALISEES
3.5. CAMPAGNES DE CYCLAGE
3.5.1. Référence_1
3.5.2. Référence_2
3.5.3. Référence_3
3.6. MESURES C(VGS) POUR LE BANC DE CYCLAGE
3.6.1. Analyse des courbes d’hystérésis
3.6.1.1. Point maximum de surface d’hystérésis
3.6.1.2. Pente de dC/dV
3.6.1.3. Modélisation des courbes d’hystérésis
3.6.1.4. Rôle des paramètres sur la surface d’hystérésis
4. EFFET DES RADIATIONS
4.1. INTRODUCTION
4.2. COMPOSANTS SOUS TEST
4.3. METHODOLOGIE
4.4. MISE EN PLACE
4.4.1. Préparation des échantillons
4.4.1.1. Composants Radiationref_1 et Radiationref_2
4.4.1.2. Composants Radiationref_3
4.4.1.3. Composants Radiationref_4
4.4.1.4. Composants Radiationref_5
4.4.1.5. Composants Radiationref_6
4.5. RESULTATS
4.5.1. Résultats Radiationref_1
4.5.2. Résultats Radiationref_2
4.5.3. Résultats Radiationref_3
4.5.4. Résultats Radiationref_4
4.5.5. Résultats Radiationref_5
4.5.6. Résultats Radiationref_6
4.6. CONCLUSION
5. DISCUSSION
CONCLUSION
6. BIBLIOGRAPHIE
7. ANNEXES