Caractérisation des leucémies aigues humaines générées in vivo
L’Hématopoïèse
L’hématopoïèse est un processus physiologique hiérarchique qui assure un remplacement continu et régulier des cellules sanguines. Pour un adulte en santé, c’est environ 1012 cellules qui sont quotidiennement remplacées [1]. Au cours du développement fœtal, elle a d’abord lieu dans le sac vitellin, la région AGM (Aorte – Gonade – Mésonéphros) puis le foie et enfin la rate. C’est seulement au 5ème mois de la vie fœtale que la moelle osseuse va commencer à produire des leucocytes et des plaquettes, et plus tardivement des globules rouges. La moelle osseuse devient le siège principal de l’hématopoïèse à la naissance. Le besoin de l’hématopoïèse est accru au cours des premières années de développement, presque tous les os sont donc impliqués. A l’âge adulte, seule la moelle des vertèbres, des côtes, du crâne, du bassin et la partie proximale des fémurs est hématopoïétique. Le besoin est tout juste satisfait. Cependant, en cas de maladies empêchant la moelle osseuse de produire suffisamment de cellules sanguines, la rate et le foie sont capables de retrouver une activité hématopoïétique : on parle alors d’hématopoïèse extra-médullaire .
Les cellules souches hématopoïétiques (CSH) résident donc dans la moelle osseuse, site primaire de l’hématopoïèse. Dans certain cas, les cellules vont migrer vers d’autres organes hématopoïétiques. C’est le cas des cellules T qui vont terminer leur maturation dans le thymus. Généralement, on distingue les organes lymphoïdes primaires et secondaires. Les lymphocytes sont produits, se développent et sont sélectionnés dans les organes lymphoïdes primaires (moelle osseuse et thymus), et ils sont activés pour exercer leurs fonctions effectrices dans les organes lymphoïdes secondaires (rate et ganglions lymphatiques) .
La grande majorité des cellules sanguines ont une durée de vie limitée. Cela peut aller de 8 à 10 jours pour les plaquettes, 1 à 3 jours pour les neutrophiles, 120 jours pour les globules rouges, et de quelques mois à plusieurs années pour les lymphocytes. Le remplacement de ces cellules est donc crucial pour la survie d’un individu car elles assurent des fonctions vitales comme le transport de l’oxygène (érythrocytes), la coagulation (mégacaryocytes/thrombocytes), et la défense immunitaire contre des pathogènes (leucocytes) [7]. Les cellules matures proviennent de deux grandes lignées hématopoïétiques : la lignée lymphoïde et la lignée myéloïde. Toutes ces cellules aux fonctions très diverses sont issues d’une même cellule : la CSH .
Les cellules souches hématopoïétiques (CSH)
Les CSH ont été mises en évidence dans les années 1960 [8-10]. Aujourd’hui, même si leurs rôles et leurs propriétés fonctionnelles sont clairement définis, la recherche sur les CSH est encore très active. Les CSH ont été initialement étudiées dans le but de répondre à des besoins cliniques comme par exemple protéger un individu ayant été exposé à une dose d’irradiation ou de chimiothérapie, ou encore traiter un individu atteint d’un cancer ou bien d’une déficience immunitaire [11, 12]. Aujourd’hui, de nombreuses recherches sur les CSH ont pour but l’amélioration des thérapies nécessitant des greffes de CSH.
Les CSH constituent une rare population des cellules hématopoïétiques capables de produire toutes les cellules matures du sang [13]. Elles représentent seulement une infime fraction des cellules de la moelle (entre 0.01% et 0.05%). L’interaction dynamique et réciproque des CSH avec son microenvironnement gouverne en grande partie leur survie et leur prolifération [14]. Deux caractéristiques sont spécifiques aux cellules souches hématopoïétiques : la différenciation et l’auto-renouvellement. La différenciation confère à la CSH le potentiel de générer n’importe quelle lignée spécialisée du sang. L’autorenouvellement se caractérise par un type de division où l’une des cellules filles générées va garder l’identité de la mère. Cette caractéristique est cruciale pour la CSH car elle assure la production suffisante des cellules souches tout au long de la vie. Ce type de division peut être symétrique, ce qui va augmenter le nombre de cellules souches, ou bien asymétrique, ce qui préserve alors un nombre constant de ces cellules (Figure 2). Dans certaines pathologies, des anomalies de divisions peuvent être observées. C’est le cas des leucémies aigues où la succession trop importante de divisions symétriques entraine l’accumulation de blastes leucémiques. Au contraire, en cas d’anémie aplasique, une déplétion progressive des CSH est observée. La CSH possède également un haut potentiel prolifératif ainsi que la capacité d’entrer en quiescence, état dans lequel se trouve majoritairement la CSH .
Les CSH se classent en deux catégories : les CSH à long terme (CSH-LT) et les CSH à court terme (CSH-CT). Ce sont les CSH-LT qui sont les plus primitives et qui vont se différencier en CSH-CT. Ces dernières vont ensuite donner naissance aux progéniteurs multipotents (MPP) qui, à chaque division, vont restreindre leur potentiel de différenciation pour aboutir une cellule mature et spécialisée .
Au cours de cette différenciation, les CSH perdent rapidement leur potentiel d’autorenouvellement. En effet, les CSH-CT et MPP ne peuvent s’auto-renouveler uniquement durant quelques semaines avant de s’épuiser [15]. En contrepartie, ces cellules vont rentrer dans une phase de prolifération rapide afin d’augmenter leur nombre [16]. L’étude des CSH est rendu difficile en raison du nombre très restreint de ces cellules dans la moelle osseuse. La cytométrie en flux est aujourd’hui couramment utilisé pour isoler les cellules souches et les progéniteurs, et ce grâce à leurs marqueurs de surface. CD34 est le premier marqueur de surface à avoir été identifié et permet d’enrichir une population en CSH [17]. Il permet cependant d’isoler aussi bien les CSH que les progéniteurs plus ou moins différenciés. Plus tard, CD90 (ou Thy1), en combinaison avec CD34, a permis de mettre en évidence une population de cellules capables de recréer différentes lignées cellulaires [18]. D’autres marqueurs de surface comme CD117 (ou cKit) sont aussi ciblés afin d’isoler les CSH. L’absence des marqueurs de lignée CD3, B220, CD11b, Gr1, Ter19 (Lin-), ou bien de marqueurs de progéniteurs plus différenciés tels que CD45RA ou CD38 est aussi un moyen d’isoler les CSH .
Les marqueurs des cellules hématopoïétiques humaines
Différents marqueurs de surface définissent le type cellulaire, l’appartenance à une lignée, ainsi que le niveau de maturation dans la lignée. Le CD45 est le marqueur spécifique des cellules hématopoïétiques humaines. Le marqueur principal des CSH est le CD34+. De plus, l’absence du marqueur CD38 (CD38-) ainsi que des marqueurs de lignées (Lin-) est aussi un moyen de caractériser les CSH. Il est également possible d’identifier une lignée cellulaire en fonction de l’expression de certains marqueurs de surface. Par exemple, la lignée myéloïde est caractérisée par le marqueur CD33 alors que la lignée lymphoïde B est caractérisée par le marqueur CD19.
Certains marqueurs sont spécifiques à une lignée et vont permettre d’identifier le niveau de maturation d’une cellule dans une lignée. Par exemple, lors de la différenciation terminale des cellules B, différents marqueurs vont être exprimés à la surface de la cellule au fur et à mesure de la maturation .
Régulation de l’hématopoïèse
De nombreux acteurs qui interagissent avec les CSH vont réguler leur maintien en agissant sur divers états cellulaires tels que la prolifération, la différenciation, l’auto-renouvellement ou bien la quiescence. Tous ces phénomènes vont se dérouler au sein de la niche hématopoïétique qui joue un rôle essentiel dans le développement des CSH, leur fournissant un environnement permissif et sélectif.
Le microenvironnement
La niche hématopoïétique constitue le microenvironnement médullaire qui participe à l’organisation générale de la moelle. Il va permettre aux CSH d’acquérir la bonne conformation et d’interagir avec les autres types cellulaires, assurant ainsi l’hématopoïèse. Il existe donc un contact très étroit entre les cellules hématopoïétiques et les cellules stromales (fibroblastes, cellules endothéliales, macrophages, cellules épithéliales et adipocytes). Ce microenvironnement fournit en grande partie les molécules nécessaires à la différenciation et à la prolifération des cellules hématopoïétiques. C’est d’ailleurs l’étude du stroma médullaire dans la régulation de l’hématopoïèse qui a révélé l’existence de niche pour les CSH capable de contrôler leur auto-renouvellement et leur engagement dans une lignée spécifique .
Cytokines et facteurs de transcription
Les CSH sont sensibles à leur environnement. Ainsi, plusieurs cytokines jouent un rôle clé dans leur régulation. Il a été démontré chez la souris que les cytokines telles que l’IL-3 (interleukine 3), IL-6, IL-11, le SCF (Stem Cell Factor), le ligand FLT-3 (FLT3-L), l’EPO (érythropoïétine) et la TPO (thrombopoïétine) sont des régulateurs clés des CSH et des progéniteurs capables d’influencer la survie, la prolifération et la différenciation [22-31].Les cellules hématopoïétiques expriment donc les récepteurs d’un grand nombre de cytokines qui contrôlent des voies de différenciation distinctes et permettent l’engagement des cellules dans une voie définie selon les cytokines présentes (figure 4). Tous ces facteurs n’agissent pas au même niveau. Certains comme le SCF, IL-3, IL-6, FLT3-L vont agir au niveau des progéniteurs primitifs, alors que d’autres comme les facteurs stimulant les colonies (CSF) agiront sur des progéniteurs plus tardifs et auront un rôle plus spécifique à une lignée [32]. Par exemple, le G-CSF (Granulocyte Colony Stimulating Factor) va agir sur des précurseurs granulocytes pour induire la formation de neutrophiles.
In vitro, de nombreuses équipes ont tenté d’induire l’expansion des CSH. Dans la majorité des cas, on observe une différenciation des cellules souches et donc une perte de la capacité d’auto-renouvellement. Ces observations suggèrent que ces cytokines jouent un rôle prépondérant sur la différenciation des CSH et non sur l’auto-renouvellement, ce qui conduit à leur épuisement [26, 33-35]. Cependant, l’environnement des cellules étant modifié lors d’expérimentation in vitro, cela pourrait aussi être dû à l’absence de stroma, tissu de soutien essentiel au maintien des CSH. La difficulté de maintenir des CSH en culture avec un cocktail de cytokines suggère qu’un contrôle intrinsèque aux cellules hématopoïétiques est également impliqué. En effet, un large répertoire de molécules ainsi que des facteurs de transcription jouent un rôle dans la régulation intrinsèque des cellules hématopoïétiques et interviennent dans les voies de signalisation de développement.
Plusieurs facteurs de transcription jouent un rôle dans le maintien des CSH, leur différenciation et leur engagement dans les différentes lignées. Comme les cytokines, tous ces facteurs n’interviennent pas au même moment. Certains facteurs agissent au niveau des cellules souches fœtales mais ne sont pas requis pour le maintien des cellules souches adultes. Le profil transcriptionnel varie donc selon le stade de développement. Par exemple, RUNX1 et TAL1 sont deux facteurs essentiels durant le développement embryonnaire des CSH [36] mais l’inactivation de ces facteurs n’a aucun effet sur les CSH adultes [37-40]. Certains facteurs ont un rôle essentiel dans l’auto-renouvellement et la survie des CSH adultes. C’est le cas de GATA3, c-MYC, c-MYB, GFI-1 et ETV6. Lorsque ces facteurs sont absents, on observe une altération des fonctions intrinsèques des CSH.
Conclusion
Les modèles in vivo de leucémies humaines permettent aujourd’hui de mieux comprendre le processus leucémogénique. Dans ce mémoire, le modèle de souris immunodéficientes utilisé permet d’étudier la transformation de cellules hématopoïétiques souches et progénitrices humaines en cellules leucémiques capables d’induire des leucémies humaines in vivo. Ainsi, nous avons pu étudier plus particulièrement les leucémies MLL. Pour cela, quatre gènes de fusion MLL (MLL-AF9, MLL-ENL, MLL-ELL et MLL-AF4) ont été testés afin d’évaluer leur potentiel leucémique et ainsi comparer ces fusions dans un même contexte.
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Table des matières
I. Introduction
1. L’Hématopoïèse
a) Définition
b) Les cellules souches hématopoïétiques (CSH)
c) Les marqueurs des cellules hématopoïétiques humaines
d) Régulation de l’hématopoïèse
2. Les leucémies aigues
a) Leucémogénèse
b) Classification des leucémies
c) Incidence
3. Le gène MLL
a) Le gène MLL dans l’hématopoïèse
b) Les réarrangements chromosomiques impliquant MLL
4. Les leucémies MLL
a) Les gènes de fusion MLL dans les leucémies aigues
b) L’origine prénatale des leucémies
5. Modèles in vivo de leucémies MLL
6. Le séquençage à haut débit
a) Principe
b) Son apport et ses limites
7. Objectifs du projet de recherche
II. Matériel et méthodes
1. Purification des cellules souches et progénitrices issues de sang de cordon par
sélection positive
2. Production d’ADN
3. Production des rétrovirus et titration
4. Infections des cellules CD34+ purifiées par les rétrovirus
5. Le modèle murin xénogénique
a) Les souris NSG
b) Irradiation sublétale des souris et injection intra-fémorale
c) Analyses
6. Cytométrie en flux
7. Culture cellulaire
a) Culture cellulaire in vitro
b) Culture cellulaire ex vivo
III. Résultats et discussion
1. Capacité des différentes fusions MLL à induire le processus leucémogénique
a) Variation du taux de transfert de gène selon la fusion
b) Culture in vitro
c) Caractérisation des leucémies aigues humaines générées in vivo
d) Culture ex-vivo
e) Discussion et perspectives
2. Leucémies myéloïdes MLL-AF9 : absence d’évènements secondaires et
identification de biomarqueurs
a) Modèle de leucémies aigues MLL-AF9 générées à partir de sang de cordon
unique : caractéristiques et avantages
b) Leucémies MLL-AF9 : oncogène suffisant au développement de la maladie
c) Comparaison des différents tissus et identification de biomarqueurs
d) RET : gène candidat potentiel comme biomarqueur des leucémies myéloïdes
aigues MLL-AF9
e) Discussion et perspectives
V. Conclusion
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