Faisabilité du traçage Bleu Brillant de différents types d’écoulements d’eau
Le traceur Bleu Brillant (BB, E133 classification européenne), colorant alimentaire, est l’un des traceurs le plus utilisé en science du sol, la formule brute est : C37H34N2Na2O9–S3, de masse molaire est de 792,9g.mol-1 (index de couleur 42090). C’est un traceur peu toxique et assez visible (avec une faible absorption par le sol). Il est très stable pour de grandes plages de pH et de force ionique (Persoon et al. 2005b, et Kasteel et al. 2007).
Nobles et al. (2010) a comparé le BB à l’ion Br-, qui est considéré comme un traceur « parfait » de l’eau de par sa taille moléculaire (18.10-11m), en les appliquant in situ dans plusieurs points spécifiques d’une toposéquence. Ils ont constatés que le BB réagit avec certains composants du sol tel que les ions calcium (Ca2+) et que sa mobilité en est alors diminuée. Weiler et al. (2004) démontrent la faisabilité du traçage des types d’écoulements au BB et défini 5 types d’écoulements, trois représentent des flux d’écoulement à dominante macroporeuse et les deux autres représentent les flux d’écoulement principalement dans la matrice du sol.
Méthodologie du traçage au Bleu Brillant
Il n’existe pas de méthode standardisée de traçage au BB. L’application, par différents auteurs, a été faite par simulation de pluie (d’intensité « réaliste ») avec une concentration en BB variant entre 3 et 5 g.L-1 (Mooney et al. 2008, Kasteel et al. 2013, Persoon et al. 2005, Flury et al. 1994).
Les images sont réalisées 24 h après la simulation (Mooney et al., 2008). L’étude verticale de la couverture colorée permet de voir la succession des types d’écoulement, alors que l’étude horizontale permet de détailler les interactions entre les macropores et la matrice du sol (Weiler et al. 2004). Par ailleurs, ces auteurs se basent sur une analyse par méthode stéréologique qui suppose l’isotropie de la couverture colorée du sol (i.e. l’analyse d’une coupe unique de sol). Bogner et al. (2013) considérant que les mouvements d’eau dans le sol ont des propriétés d’anisotropie avec des orientations préférentielles verticales et horizontales (écoulement selon la plus grande pente sur une surface plus imperméable), proposent un échantillonnage fait à intervalle régulier et parallèle entre eux. C’est cette dernière option que nous avons retenue. Nous avons opté pour une découpe horizontale à intervalle régulier des colonnes, perpendiculaire au flux d’eau appliqué.
La prise de vue de découpe de sol a été très étudiée par Weiler et al. (2004) et Persoon et al. (2005) qui définissent les recommandations essentielles de réalisation des images : une lumière et une distance objectif – sol constantes et l’utilisation des échelles Kodak (gris et couleur).
Sur la base de ces recommandations générales, nous avons effectué des tests préliminaires de faisabilité afin de déterminer notamment la durée optimale entre la fin du traçage et la découpe.
Les tests ont été réalisés avec une concentration égale à 4 g.L-1 (concentration moyenne indiquée dans la littérature) et une pluie de 20 mm.h-1. Les colonnes utilisées pour ces tests sont issues d’un horizon E d’un luvisol prélevé au lieu-dit « La Pilotière » (Ruillé-sur-Loir, 72) et présentent des caractéristiques pédologiques très proches des précédentes (Quénard, 2011).
Afin d’avoir des conditions de prise de vue constantes, l’ensemble découpe-prise de vue a été réalisé dans une salle de type « laboratoire photo » (sans lumière extérieure naturelle). Une table de découpe a été confectionnée de façon à pouvoir maintenir la distance surface du sol – appareil photo constante, l’appareil étant fixé à la table de découpe par un bras.
L’éclairage, aussi constant, est réalisé par 4 spots fixés également à la table. La table de découpe permet de « pousser » le sol hors de l’enveloppe PVC à l’aide d’un cric hydraulique.
La remontée de la colonne est mesurée. La colonne de sol, posée sur le cric, est maintenue droite par les supports autour de l’enveloppe PVC. Le plateau de la table est percé et avec un couteau fin et tranchant, la surface du sol est découpée par tranches de 0,5 cm. Pour corriger les distorsions d’images, une mire de calibration est au préalable photographiée avec des variations d’inclinaison dans les directions x, y et z de l’espace au minimum une vingtaine de fois. Plus le jeu de vues est important, meilleure sera la correction. Sur chaque prise de vue une échelle de gris et de couleur (type Kodak) est positionnée afin de pouvoir corriger des variations de couleurs éventuelles .
Analyse d’image pour le traçage Bleu Brillant
Corrections des images et prétraitements
Les photographies sont prises en format RAW, effectuant très peu de traitements préliminaires (i.e. fait à l’enregistrement par l’appareil). Avant toute analyse d’image, il est nécessaire de corriger les photographies des défauts géométriques et de calibrer les couleurs.
Ces corrections visent à produire des images exploitables par la suite. Bogner et al. (2014) propose la procédure de correction suivante. Premièrement, il faut étalonner les couleurs de l’image à l’aide de l’échelle Kodak comportant le « gris neutre » . Le logiciel, RawTherapee 4.1.1, permet, à partir de cette couleur, de définir la balance des blancs et d’appliquer une correction/étalonnage des couleurs de l’image. Ensuite, le second prétraitement vise à corriger la distorsion géométrique produite par l’appareil photo (déformation des lignes droites sur l’image). Elle se fait à l’aide du logiciel, Halcon 11® et des photographies de la mire de calibration. Le programme reconnait la mire, l’oriente (bord interne, ronds noirs, coin tronqué, axes x et y) et calcule la distorsion géométrique sur l’ensemble des photos de calibration. Il génère des paramètres de correction qui permettent de les « redresser » afin que la géométrie de la mire sur l’image soit égale à la géométrie « réelle » (établie lors de l’impression de la mire). Ces paramètres, appliqués ensuite aux photos de sol, permettent de réaliser la correction. A la fin de la procédure, le logiciel quantifie l’erreur faite en pixel. Pour l’ensemble des tests calibration, l’erreur est comprise entre 0,4 et 0,7 pixel.
Traitement des images
Afin de déterminer la présence/absence de colorant, ou l’intensité d’imprégnation du sol par celui-ci, plusieurs méthodologies sont proposées dans la littérature. Weiler et al. (2004) développe une analyse de l’intensité de BB par une méthode de seuillage des niveaux de gris de zones colorées et non colorées. Pour ce faire, ils transforment leurs images RGB (Red Green Blue) dans le repère colorimétrique HSV (Hue, Saturation, Value) pour lequel le bleu et le marron du sol sont bien discriminés. Ils obtiennent ainsi des histogrammes bimodaux pour lesquels ils définissent comme seuil, la valeur minimale séparant les deux maxima de l’histogramme. Il leur est possible d’établir une relation entre H et V et le logarithme de la concentration de colorant.
Forrer et al. (2000) propose une relation entre la couleur des images et une calibration de la concentration en BB dans le sol après extraction de celui-ci dans une solution eau-acétone et dosage au spectrophotomètre (630 nm longueur d’onde visible) pour des concentrations connues de BB. A partir d’une analyse statistique par régression, ils établissent un modèle prédictif du logarithmique de la concentration du colorant par une équation polynomiale de deuxième ordre de la couleur de l’image (avec un ajustement non linéaire par la méthode des moindres carrés). Le modèle prévoit assez bien les valeurs de concentration dans la partie supérieure du sol et pour une large gamme de couleur, mais pour les zones peu ou pas colorées la modélisation est de moindre qualité.
D’autres auteurs, Wang et al. (2009) et Bogner et al. (2013) par exemple, proposent un système d’encodage des images de sol avec le colorant (binarisation), où le sol teinté a pour valeur 1 et le sol non teinté 0. Cette dernière méthode est la plus simple et la plus rapide. Elle permet d’accéder facilement à la présence – absence d’écoulement dans le sol et a été retenue dans cette étude après transformation des images dans le repère HSV comme préconisé par Weiler et al. (2004).
Imagerie tomographie Rayons X
Principe de la tomographie d’absorption des rayons X
La tomographie d’absorption des rayons X est une technique d’imagerie 3D, non destructive, non invasive, qui donne accès à la structure interne d’un objet (cartographie de la densité apparente) sous la forme d’un empilement de sections reconstruites. La reconstruction est réalisée par rétroprojection filtrée d’un ensemble de projections de l’objet (ou radiographies) prises sous des angles d’incidences multiples. Une radiographie est une image (2D) obtenue après transmission du flux de photons traversant l’objet. L’atténuation suit deux grands processus d’interactions photons – matières : l’effet photoélectrique (pour des énergies initiales inférieures à 100 keV) et la diffusion Compton1 (pour des énergies comprises entre 100keV et 1 MeV).
Il existe plusieurs types de tomographes, le scanner médical et les tomographes industriels avec tube à rayons X ou à partir du rayonnement synchrotron. Le scanner médical est, du fait de son mode d’acquisition hélicoïdal, le seul qui permette d’obtenir des acquisitions rapides (temps d’acquisition de quelques secondes à quelques dizaines de secondes) d’images 3D de nos colonnes de sol. Le principe de l’acquisition hélicoïdale est que l’ensemble tube – détecteur tourne à grande vitesse dans un anneau pendant que l’échantillon posé sur la table du scanner traverse cet anneau. Le détecteur enregistre une hélice d’atténuation à partir de laquelle sont interpolées les vues et les sections reconstruites. Pour plus de détails voir par exemple Kalender (2005).
Plusieurs revues ont été publiées sur les applications de l’imagerie par scanner médical à l’étude des milieux poreux artificiels ou naturels notamment, Ketcham et Carlson (2001), Wildenschild et al. (2002), Wildenschild et al. (2013). Leur étude a permis de fournir des recommandations générales sur l’utilisation de cette technique par la comparaison d’images obtenues avec trois appareils.
Acquisition et traitements des images
Le scanner médical utilisé est celui de l’INRA Val de Loire (37, Siemens). Les caractéristiques techniques des acquisitions réalisées sont : une tension d’accélération de 140 kV ; intensité du courant de 500 mA ; un champ de vue 170 mm qui conduit à une résolution spatiale dans la coupe de 332 µm (taille du voxel) ; un pitch3 de 0,35 qui permet d’améliorer la qualité des images par recouvrement. La durée des acquisitions pour ce réglage est de 15 s environ. Lors de chaque simulation de pluie au scanner, une première image complète de la colonne est faite avant afin d’avoir une référence hydrique et structurale (t0) ensuite des images sont faites à différents intervalles de temps pendant la pluie et les phases de drainage et de ressuyage de la colonne. Une fois les images 3D acquises, la partie concernant leur traitement est relativement longue et suit 3 grandes étapes suivantes :
Mise en forme des données :L’imagerie par scanner médical produit des coupes sériées verticales de l’objet étudié, il est nécessaire dans un premier temps de les transformer en coupe horizontales de section circulaire constante . Ce prétraitement est fait sur le logiciel libre ImageJ ®. Certaines images présentant un décalage selon les trois axes x, y, z, une procédure de recalage a été appliquée. En effet, la pluie créant une flaque en surface augmente la masse de la colonne. Cette dernière étant posée sur deux balances, il résulte un décalage en fonction de l’axe z. Cette procédure de recalage a pour principe de soustraire l’ensemble des images du volume acquis au temps t et celles du volume de référence (à chaque coupe), puis de trouver les meilleurs paramètres x, y et z à appliquer afin que l’évolution du minimum de la variance permettent que les images correspondent au mieux. Les images sont ensuite découpées selon deux ROIs (Region Of Interest). Tout d’abord en éliminant le PVC de la colonne mais en conservant les 512 coupes (dont la flaque formée en surface, Figure 5-A). La seconde reprend le même diamètre mais, ôte la partie supérieure et inférieure (suppression de la flaque en surface et du PVC de bas de colonne). Les images prétraitées sont ensuite seuillées pour extraire d’une part des caractéristiques de la macroporosité sur l’image de référence et d’autre part la présence d’eau ou d’air dans cette macroporosité à chaque temps t acquit.
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Table des matières
Introduction
Matériels et méthodes
I – Colonnes étudiées
II – Simulations de pluies
III – Traçage au Bleu Brillant
A – Faisabilité du traçage Bleu Brillant de différents types d’écoulements d’eau
B – Méthodologie du traçage au Bleu Brillant
C – Analyse d’image pour le traçage Bleu Brillant
IV – Imagerie tomographie Rayons X
A – Principe de la tomographie d’absorption des rayons X
B – Acquisition et traitements des images
Résultats
I – Bilan hydrique des colonnes
II – Traçage au Bleu Brillant
III – Suivi dynamique par tomographie d’absorption des rayons X
A – Difficultés expérimentales et prétraitements
B – Caractérisation de la macroporosité des colonnes L20-1 et L6-4
C – Caractérisation de l’eau dans le sol
Discussion
I – Comparaison des deux techniques
II – Apport des techniques de traçage à la compréhension du fonctionnement hydrique des
colonnes étudiées
Conclusion
Bibliographie
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