Caractérisation de l’inertie thermique
Définitions
L’inertie thermique dans les bâtiments est une notion difficile à appréhender et à définir. C’est ce que reconnaissait déjà à la toute fin des années 80 un chercheur de l’école des MINES de Paris dans une publication consacrée à l’inertie thermique [Lefebvre, 1989] :
La prise en compte de cette inertie thermique au cours de la conception d’un bâtiment est loin d’être parfaite car sa caractérisation et son analyse posent encore des problèmes, même chez les chercheurs. La difficulté majeure vient de ce que l’on ne peut définir directement l’inertie ; elle n’est pas observable, seuls ses effets le sont. […] La forte sensibilité de l’inertie thermique à la présence de matériaux lourds à l’intérieur des bâtiments […] a conduit les thermiciens à parfois utiliser le terme de masse thermique. A ce terme est attachée une représentation simpliste de l’inertie qui est un frein à sa prise en compte correcte en phase de conception ou de diagnostic. C’est pourquoi nous proposons de lui substituer définitivement celui d’inertie thermique.
On peut cependant répertorier des tentatives de définitions trouvées dans la littérature professionnelle et scientifique.
En mai 2003, à Montpellier, un colloque intitulé « l’Inertie thermique en climat méditerranéen. Confort et consommations d’énergie » regroupe un certain nombre de professionnels de la thermique du bâtiment. A l’occasion de ce dernier, O.Sidler, l’un des expert en termes de retour d’expérience dans le bâtiment, introduit l’inertie thermique comme suit [Sidler, 2003] :
L’inertie d’un bâtiment est une fonction directe de sa capacité thermique, donc du produit de la masse de tous ses composants par leur chaleur spécifique massique. Cette capacité thermique, pour autant qu’elle soit correctement mise en œuvre (c’est à dire en respectant certaines surfaces d’échange), agit concrètement comme un amortisseur, c’est à dire qu’elle tente de s’opposer à toutes les variations brutales de température. Mais c’est aussi, comme un amortisseur, un grand absorbeur d’énergie.
Lavigne [2006] propose une définition plus générale. Il insiste sur le concept d’inertie, provenant initialement du domaine de la mécanique des solides :
L’inertie se définit comme la résistance à un changement, par exemple et pour ce qui nous intéresse, de la température intérieure d’un bâtiment.
C’est aussi l’analyse d’Izard [2006] qui définit l’inertie thermique comme la propriété d’un bâtiment à s’opposer aux variations de température. L’inertie thermique s’opposerait donc aux effets des sollicitations sur les fonctions d’état de l’ambiance intérieure. Li et Xu [2006] décrivent le concept de « thermal mass», c.a.d. de masse thermique ou d’inertie thermique – on retrouve ici la difficulté à appréhender le concept –, de manière plus technique :
La masse thermique de l’ensemble composé par l’enveloppe du bâtiment, les parois intérieures, les meubles et même l’air intérieur au bâtiment est définie comme la masse pouvant stocker une énergie thermique. Pour stocker de la chaleur dans les bâtiments, les matériaux ont deux propriétés thermiques importantes à considérer, c.a.d. la capacité thermique volumique et le taux de transfert de chaleur. La première propriété détermine la capacité de l’élément à stocker de l’énergie thermique, alors que la seconde détermine la capacité d’un élément à conduire l’énergie thermique. Le coefficient d’échanges superficiels combinant les phénomènes convectifs et radiatifs ainsi que la surface d’échange de la masse thermique déterminent le taux de transfert de chaleur entre la masse thermique de l’élément et l’air.
Cette définition est intéressante car elle replace le concept d’inertie thermique dans un cadre plus global qui est celui de l’échange énergétique entre les parois du bâtiment et les ambiances thermiques adjacentes. Comme le spécifiait aussi O.Sidler, le paramètre essentiel de l’inertie thermique semble donc être la capacité thermique volumique du système. Il s’agit de la quantité d’énergie que peut stocker un volume d’un mètre cube de matériau en s’élevant d’une unité de température. Cette notion est donc quantitative. La seconde propriété que décrivent Li et Xu est plus qualitative. En effet, l’intensité du transfert de chaleur entre la masse inertielle et l’air ambiant est d’autant plus élevée que les coefficients d’échanges convectifs et radiatifs ainsi que la surface d’échange sont importants. Cependant, les deux auteurs ne décrivent pas clairement le rôle de la conductivité thermique des matériaux qui peut être vu comme un paramètre qualitatif complémentaire des deux autres : plus la conductivité d’un matériau est élevée, plus la chaleur pourra être transmise à l’ensemble de son volume et plus sa capacité à absorber de l’énergie thermique sera sollicitée. On propose à présent la définition générale suivante, valable dans le domaine de l’énergétique des bâtiments, associant les notions de système, de sollicitations et d’ambiances thermiques :
L’inertie thermique est une propriété du bâtiment, système défini comme la réunion des parois et du mobilier, résultant de sa capacité à s’opposer aux effets de l’ensemble des sollicitations imposées à ses frontières sur la température de l’ambiance intérieure. Cette propriété induit un comportement thermique dynamique propre au bâtiment.
Le bâtiment est vu comme un ensemble de sous-systèmes majoritairement solides : parois, mobilier et systèmes technologiques installés. D’autres types de matériaux, dits à changement de phase (MCP) ont fait leur apparition depuis une dizaine d’années et sont intégrés depuis peu à des outils de conception [Guiavarch et al., 2008]. Sous certaines conditions, ces matériaux, intégrés dans une plaque ou directement dans la paroi, changent de phase (fusion ou solidification), échangeant ainsi des quantités importantes d’énergie avec l’ambiance intérieure. En choisissant judicieusement les températures auxquelles se produisent ces changements de phases selon des notions de confort thermique, il est théoriquement possible de diminuer l’inconfort en été et/ou de réduire les besoins énergétiques en hiver, ce qui les rend très attractifs. Les effets réels restent cependant limités pour un coût élevé et une mise en œuvre délicate. Ces matériaux ne rentreront donc pas dans le cadre de ces travaux de thèse, qui concernent des produits de construction plus courants.
L’ambiance intérieure représente l’ensemble du volume occupé par l’air à l’intérieur du bâtiment. L’ambiance intérieure est ensuite discrétisée en termes de zones thermiques dans laquelle la température intérieure est considérée comme homogène. Dans les cas d’études de cette thèse, les hauteurs sous plafonds étant conventionnelles – c.a.d. autour de 2,5 mètres –, cette hypothèse est tout à fait recevable. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’hétérogénéité des températures entre les différentes zones thermiques. Le bâtiment peut en effet contenir des pièces, quelquefois proches ou même attenantes, ayant des comportements thermiques dynamiques tout à fait différents. Ceci peut s’expliquer par des différences au niveau des sollicitations, des compositions des parois et surtout de l’utilisation (consignes de chauffage, apports internes, etc.). On peut aussi noter que la température d’air sec n’est pas la fonction d’état la plus adaptée à l’étude de l’inertie thermique. On pourra ainsi s’intéresser à la température opérative, plus représentative du confort thermique ressenti par les occupants car elle intègre les phénomènes d’échanges radiatifs avec les parois et d’échanges convectifs avec l’air. Le bâtiment est soumis à des sollicitations climatiques (température extérieure, ensoleillement, vent, échanges avec le sol) et liées aux usages (chauffage, ventilation, apports internes). L’ensemble de ces sollicitations vont entrainer des transferts de chaleur plus ou moins instantanés entre les ambiances extérieure et intérieure, l’enveloppe du bâtiment étant le système intermédiaire séparant les deux ambiances. Il est très important de concevoir l’inertie comme une propriété ne s’exprimant que lorsque des sollicitations dynamiques, c.a.d. variant dans le , imposent une réaction à l’ambiance intérieure. On ne pourrait donc pas observer les effets de l’inertie thermique si les échanges énergétiques étaient en régime permanent. Partant du constat d’une différence singulière entre les sollicitations extérieures transmises à travers les parois opaques d’une part et les sollicitations intérieures directement absorbées par l’air et la partie superficielle intérieure des parois d’autre part, nombre de professionnels insistent sur la distinction entre deux formes d’inertie thermique [Bernstein et al., 2006; Izard, 2006; Lavigne, 2006] : l’inertie thermique d’absorption et de transmission. Nous avons défini le bâtiment comme un système en contact avec deux ambiances thermiques : les ambiances intérieure et extérieure. Il en résulte deux frontières du système : l’enveloppe externe et interne. Lorsqu’une sollicitation interviendra au niveau de l’enveloppe externe, on parlera d’inertie de transmission. L’inertie du bâtiment contribuera alors à s’opposer à la transmission des sollicitations. En revanche, lorsqu’une sollicitation interviendra au niveau de l’enveloppe interne, on parlera alors d’inertie d’absorption. L’inertie thermique du bâtiment participera à moduler l’absorption des sollicitations. La thèse concerne l’inertie thermique de l’enveloppe du bâtiment mais pas celle des équipements. Le système de chauffage peut par exemple réagir plus ou moins rapidement à une variation de la consigne de température, mais ceci est un autre sujet.
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Table des matières
Introduction
1. Inertie thermique – État de l’art
1.1 Caractérisation de l’inertie thermique
1.1.1 Définitions
1.1.2 Modélisation des phénomènes physiques sous-jacents
1.1.3 Analyse des paramètres directeurs
1.1.4 Conclusions
1.2 Modélisation du comportement thermique d’un bâtiment
1.2.1 Méthodes analytiques
1.2.2 Méthodes numériques
1.2.3 Choix d’une plateforme de modélisation
1.2.4 Conclusions
1.3 Caractérisation des effets de l’inertie thermique
1.3.1 Comment mesurer les effets de l’inertie thermique ?
1.3.2 La performance énergétique des bâtiments
1.3.3 Le confort thermique des bâtiments
1.3.4 La performance environnementale des bâtiments
1.3.5 Conclusions
1.4 Conclusions
2. Modélisation des transferts de chaleur superficiels
2.1 Modélisation des échanges radiatifs GLO intérieurs
2.1.1 Transferts de chaleur radiatifs GLO dans le réseau « simplifié »
2.1.2 Transferts de chaleur radiatifs GLO intérieurs dans le réseau « Flux nets radiatifs »
2.1.3 Transferts de chaleur radiatifs GLO intérieurs dans le réseau « T∗ »
2.1.4 Conclusions
2.2 Modélisation des échanges convectifs intérieurs
2.2.1 Coefficients d’échanges superficiels convectifs constants
2.2.2 Coefficients d’échanges superficiels convectifs variables
2.2.3 Conclusions
2.3 Modélisation de la distribution des apports solaires
2.3.1 Du traitement des apports solaires dans la PSB
2.3.2 Modèle géométrique de suivi de la tache solaire
2.3.3 Conclusions
2.4 Intégration des modèles dans la PSB
2.4.1 Modification de la PSB
2.4.2 Corrections des modèles zonaux
2.4.3 Conclusions
2.5 Conclusions
3. Étude de la fiabilité des modèles détaillés
3.1 Validation des modèles détaillés : méthodologie
3.1.1 Sources d’erreurs
3.1.2 Méthodologie de validation des codes de calculs
3.1.3 Méthodologie sélectionnée
3.1.4 Conclusions
3.2 Validation numérique de certains algorithmes
3.2.1 Évaluation de la matrice de Gebhart
3.2.2 Évaluation des échanges radiatifs GLO
3.2.3 Identification du réseau simplifié à partir du réseau T
3.2.4 Conclusions
3.3 Validation numérique et sensibilité à l’inertie thermique
3.3.1 Présentation des cas d’études du BESTEST sélectionnés
3.3.2 Caractérisation de l’inertie thermique des cas d’études 600 et 900
3.3.3 Résultats des cas d’études du BESTEST sélectionnés
3.3.4 Analyse des résultats
3.3.5 Conclusions
3.4 Conclusions
4. Validation sur une maison passive à forte inertie
4.1 Présentation de la maison passive I-BB
4.1.1 Description de la maison passive I-BB
4.1.2 Protocole expérimental
4.1.3 Hypothèses de modélisation
4.1.4 Conclusions
4.2 Méthodologie d’Analyse de Sensibilité et d’Incertitudes (ASAI)
4.2.1 État de l’art
4.2.2 Criblage : sélection des facteurs d’entrée influents
4.2.3 Propagation des incertitudes par un tirage hypercube latin (LHS)
4.2.4 Analyse de sensibilité globale : indices de Sobol
4.2.5 Conclusions
4.3 Validation empirique de la PSB et de la PST∗Conv
4.3.1 Criblage : sélection des facteurs d’entrée influents
4.3.2 Propagation de l’incertitude associée aux facteurs d’entrée sélectionnés
4.3.3 Analyse de sensibilité globale
4.3.4 Conclusions
4.4 Conclusions
Conclusion
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