Caractérisation de la palmeraie sub-spontanée
SITE D’ETUDE : NIENH, VILLAGE FORESTIER
L’étude de la palmeraie sub-spontanée a été menée dans le village de Nienh, sous-préfecture de Kobela, préfecture de N’Zérékoré dans la région de la Guinée forestière (Annexe 5). Avec son finage à structure auréolaire constitué d’une ceinture d’agroforesterie séparant le village des champs de glacis situés en périphérie, Nienh est représentatif de l’organisation spatiale des villages de Guinée forestière. Outre sa représentativité, le village de Nienh a été choisi, en collaboration avec les chercheurs de l’IRAG de Sérédou et de N’Zérékoré, pour plusieurs raisons. Nienh se situe dans une région où la densité de population, la densité de palmiers naturels et la production d’huile rouge sont élevées. Les modes d’appropriation et de gestion de cette ressource naturelle ont été récemment modifiés.
Dix hectares de palmier sélectionné ont été plantés depuis 2002, les premières plantations entreront en production en 2006. Un diagnostic du village a été réalisé entre 1954 et 1955 (Brasseur, 1956). Plusieurs projets ont été réalisés sur le village mais celui-ci a encore été peu touché par la recherche jusqu’à présent. Les conditions climatiques du site d’étude sont favorables au développement du palmier à huile et à la production de régimes. D’après Olivin (1986), l’alimentation en eau constitue le facteur de production le plus important. Une pluviosité totale annuelle d’au moins 1800 mm, avec une répartition mensuelle régulière, est nécessaire. Or, les précipitations annuelles sont comprises entre 1750 et 2000 mm (GTZ, 2002) et sont interrompues par une saison sèche de courte durée (décembre – janvier). Les températures moyennes sont comprises entre 19 et 31°C, l’idéal étant un maximum moyen des températures compris entre 29° et 32° C et un minimum moyen des températures compris entre 22° et 24° C.
En 2005, le village de Nienh compte 2206 habitants pour une superficie totale d’environ 30 km². Cela correspond à une densité supérieure à 70 habitants/km², la densité moyenne en Guinée forestière étant d’environ 25 habitants/km² (Berthomé et al., 1999). Plus la densité de population est élevée, plus le développement du palmier à huile naturel est favorisé (Vanderyst, 1919), jusqu’à un seuil de 150 habitants/km² au-delà duquel la palmeraie sub-spontanée régresse (Ministère de l’agriculture et des ressources animales, 1989). L’agriculture est l’activité principale. Le territoire du village est quasiment entièrement exploité et l’augmentation de la pression démographique conduit parfois à des conflits territoriaux. Le « plan foncier » rural (Pescay & Meyer, 1989, Pescay 2003), qui visait à clarifier et à sécuriser les droits fonciers des exploitants agricoles n’a pas été appliqué dans la sous-préfecture de Kobela, faute de moyens financiers.
C’est le droit coutumier qui régit l’utilisation des terres. Chacun des 207 chefs de famille de Nienh est responsable de l’attribution des terres cultivables pour les cultivateurs de sa famille. La plantation de plantes pérennes marque la propriété foncière. La production d’huile rouge est une activité très rémunératrice (Bigot et Soumah, 2003, Annexe 22), l’huile rouge étant largement préférée pour ses qualités organoleptiques à l’huile de palmier sélectionné. A Nienh, l’écoulement de la production est facilité par la proximité d’un axe principal de circulation (5 km de piste) et de la préfecture N’Zérékoré (moins de 30 km de route). Chaque vendredi, une demi-douzaine d’acheteurs se déplacent de N’Zérékoré et collectent environ 5000 litres d’huile rouge qui sont ensuite revendus à N’Zérékoré ou commercialisés à Conakry.
DENSITE DE JEUNES PALMIERS
La densité de jeunes palmiers est principalement liée aux pratiques agricoles. Dans les bas-fonds, lors du désherbage annuel, les jeunes plants de palmiers sont éliminés. D’après les agriculteurs, cette élimination systématique vise à éviter la concurrence pour la lumière et la nutrition minérale entre le palmier à huile et le riz. Cependant, les agriculteurs conservent les palmiers raphias qui y poussent et en plantent. Dans les systèmes agroforestiers, les jeunes palmiers sont systématiquement éliminés lors du désherbage qui a lieu une ou deux fois par an. Des graines de palmiers peuvent germer dans ce milieu mais les pratiques agricoles empêchent tout développement de cette régénération spontanée. Les placettes P07 et P22, qui ont été éliminées de l’analyse des caractéristiques des peuplements (3.1), constituent des cas particuliers. Ce sont, parmi les systèmes de culture agroforestiers, les deux seules plantations pour lesquels les agriculteurs ont choisi de ne pas éliminer les jeunes plants de palmier qui se développaient, il y a donc une régénération très importante sur ces placettes.
Ces placettes présentent la même structure que les agroforêts, mis à part un nombre très élevé de palmiers de 0 à 5 m. Ces palmiers de petite taille sont tous de jeunes palmiers non productifs (Annexe 19) et la classe [5-10[ est absente du peuplement. La placette P07 correspond à une plantation de caféiers sur une ancienne forêt sacrée. Le cultivateur a abattu plus d’arbres que pour les plantations récentes de cacaoyers sur ancienne forêt sacrée, ce qui a entraîné une ouverture plus importante du couvert forestier (60% de couvert contre 80%). Suite à cette ouverture du couvert, de nombreuses plantules de palmiers se sont développées et ont atteint le stade de jeune palmier car le cultivateur a choisi de les conserver. Les plantules peuvent donc se développer jusqu’au stade de jeune plant dans les systèmes agroforestiers. Cependant, dans les placettes P07 et P15 qui correspondent à d’anciennes forêts sacrées laissées à l’abandon pendant respectivement 70 ans et plus de 100 ans, il n’y a pas de palmiers inférieurs à respectivement 15 et 20 m. Il n’y a pas eu de développement de la régénération dans ces parcelles. Dans les systèmes de culture sur glacis, les jeunes palmiers sont conservés lors des défrichements et résistent très bien au feu d’après les agriculteurs. Leur nombre est très variable d’une placette à l’autre.
LA MISE EN PLACE RECENTE DE REGLES DE GESTION A L’ECHELLE DU VILLAGE
À Nienh, l’accès aux régimes de palmier à huile est réservé à l’utilisateur dans les champs de glacis cultivés, les bas-fonds cultivés et les plantations agroforestières entretenues. Les membres de la famille élargie du cultivateur d’une parcelle peuvent aussi y récolter des régimes s’ils demandent l’autorisation. Dans le cas d’un prêt de terre, le « propriétaire » et l’usager ont tous deux accès aux régimes. L’appropriation des palmiers est ancienne dans les champs cultivés, elle existait déjà il y a plusieurs décennies. Jusqu’en 2003, les palmiers se trouvant dans les systèmes agroforestiers étaient accessibles à tout le monde. Depuis 2003, l’accès libre aux palmiers est limité aux glacis en friches et aux plantations non entretenues par le propriétaire. Il existe une exception à cette réglementation, qui concerne les étrangers résidant au village (comme les instituteurs ou les responsables du poste de santé). Ceux-ci ne possèdent pas de terres cultivées, ils ont donc le droit de récolter des régimes sur tout le territoire, y compris les plantations agroforestières d’autrui (sauf en cas de différend grave avec le propriétaire).
Les régimes de palmier à huile ont donc un statut différent (Le Roy, 1996) selon les systèmes de culture et leur état. Dans les champs de glacis, ils sont alternativement dans le temps un bien accessible à tous et privé (propre à une seule personne). Mais si dans les friches chacun a droit d’accès et d’extraction, le droit de gestion reste propre au propriétaire du champ. Dans les basfonds, qui sont cultivés tous les ans, le palmier reste un bien privé. Dans les plantations, les régimes sont passés récemment du statut de bien public à celui de bien privé. Le propriétaire de la plantation exerce selon la loi coutumière une maîtrise exclusive (droit d’accès, d’extraction, d’exclusion et de gestion). En théorie, la maîtrise du propriétaire du champ n’est pas absolue, car selon le Code Forestier, il est interdit de couper le palmier à huile naturel. En pratique, cela n’est ni respecté, ni contrôlé.
L’appropriation de la ressource dans les agroforêts est liée à l’augmentation de sa valeur et donc de la pression qui est exercée dessus (Annexe 22). C’est aussi une réponse aux conflits naissants entre les agriculteurs, les grimpeurs et les bénéficiaires des régimes récoltés (Annexe 23). En effet, la chute des régimes peut casser une ou plusieurs branches des cultures pérennes. L’accès aux régimes de palmier à huile est aussi réglementé dans le temps : un interdit collectif temporaire de cueillette, appelé « embargo » a été mis en place au village de Nienh en 2003. L’embargo correspond à une période de 1 à 1,5 mois, entre février et mars, durant laquelle la récolte de régimes de palmiers naturels est passible d’une amende de 50 000 GNF. Les dates d’application sont décidées par le conseil des sages (six membres), le bureau du district (cinq membres), la présidente, la vice-présidente et la représentante des jeunes filles du village. Le début et la fin de l’embargo sont annoncés par le crieur du village, la levée de l’embargo étant aussi annoncée à la radio locale afin de prévenir les grimpeurs des autres villages.
Cette réglementation a été mise en place suite à l’augmentation de la cueillette de régimes non mûrs par des grimpeurs contractuels pour gagner plus d’argent. La période d’embargo permet de laisser le temps aux régimes de mûrir et améliore la qualité de l’huile produite. La période de l’embargo correspond aussi à une période de pointe de travail pour les cultures de glacis (défrichement et brûlis). La fin de l’embargo coïncide avec la fin de ces travaux ce qui permet donc de limiter la concurrence des activités de culture de glacis et d’extraction d’huile. Le jour de la levée de l’embargo, la course aux régimes commence, sauf pour les étrangers résidents au village qui n’ont pas le droit de cueillir les régimes ce jour là, sous peine d’amende. L’appropriation des régimes de palmier et la mise en place d’une période d’interdit collectif temporaire sont des phénomènes régionaux, qui n’ont pas atteint tous les villages de Guinée forestière mais qui sont de plus en plus répandus. Ces règlementations sont apparues en 2001 dans la sous-préfecture de Kobela (Bouillon, 2002) et elles sont appliquées dans l’ensemble des villages de la sous-préfecture depuis 2003. Les dates des périodes d’embargo varient d’un village à l’autre, ce qui permet de concentrer les efforts des grimpeurs de plusieurs villages sur l’un d’entre eux les jours qui suivent la levée de l’embargo. Cette innovation reprend, à une échelle plus grande, une forme d’organisation courante des villages de Guinée forestière : la formation de sociétés d’entraide pour effectuer des travaux difficiles à réaliser seul. Ces réglementations ne concernent pas les plantations de palmier sélectionné qui sont totalement appropriées et dont le propriétaire assure la gestion comme il l’entend.
FONCTIONS DU PALMIER A HUILE NATUREL AU SEIN DE L’EXPLOITATION AGRICOLE ET STRATEGIES DE GESTION
Pour plus de la moitié des paysans interrogés, la vente d’huile rouge représente le revenu le plus important de l’exploitation. Ce revenu assure différence fonctions patrimoniales (Mary, 1987) au sein du ménage. L’utilisation du revenu de l’huile rouge varie en fonction de la période où elle est récoltée. A la levée de l’embargo, une grande quantité de régimes est transformée (Annexe 24). L’huile est stockée et vendue généralement en une fois aux acheteurs de N’Zérékoré. L’huile peut être vendue pour faire face à un problème de maladie ou de récolte de riz insuffisante, il s’agit alors d’un patrimoine de précaution. Elle peut aussi être stockée jusqu’à ce que son prix augmente puis vendue pour réaliser des dépenses prévues (rentrée scolaire, réalisation d’un projet de construction…) et constitue alors un patrimoine dédié à des événements. L’huile produite par petites quantités après le pic de production est soit consommée, soit vendue au fur et à mesure pour subvenir aux besoin courants, rembourser un prêt… Elle devient alors un patrimoine de trésorerie. Mais l’huile rouge n’est pas le seul produit dont les paysans tirent un revenu. De plus en plus, les palmistes sont concassés après l’extraction pour vendre l’amande utilisée pour la fabrication d’huile de palmiste ou de savon.
Cela représente généralement un revenu régulier, quasiment hebdomadaire, permettant aux femmes d’acheter les condiments nécessaires à la cuisine, il s’agit donc d’un patrimoine de trésorerie. De plus, l’appropriation de la ressource fait de la palmeraie elle-même un patrimoine de transmission, bien que ce rôle soit de plus en plus assuré par la plantation de palmiers hybrides. Par ailleurs, la production d’huile rouge et de noix de palmistes destinés à l’autoconsommation ou à la vente ne sont pas les seuls usages du palmier naturel (Annexe 3). Quel que soit le système de culture considéré, le palmier à huile naturel est toujours perçu par les paysans comme un concurrent de la (des) culture(s) pratiquée(s). Cependant, la ressource que constitue l’huile rouge tient une place importante dans le revenu des ménages : pour plus de la moitié des agriculteurs interrogés, l’huile rouge procure le revenu le plus élevé. Chaque paysan
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Table des matières
1.INTRODUCTION
2.MATERIEL ET METHODES
2.1. Site d’étude : Nienh, village forestier
2.2. Acquisition des données
2.2.1. Identification et localisation des systèmes de culture pratiqués
2.2.2. Caractérisation de la palmeraie sub-spontanée
2.2.3. Identification des modes de gestion collectifs et individuels de la palmeraie sub-spontanée et de leurs dynamiques
2.2.4. Restitution aux habitants de Nienh
2.3. Analyse des données
2.3.1. Localisation et caractérisation des systèmes de culture
2.3.2. Caractérisation des peuplements de palmier naturel
2.3.3. Influence des facteurs environnementaux et des pratiques agricoles sur les caractéristiques des peuplements de palmier naturel
2.3.4. Modes de gestion collectifs et individuels de la palmeraie subspontanée
3.RESULTATS
3.1. Caractérisation de la palmeraie sub-spontanée
3.2. Influence des facteurs environnementaux et des pratiques agricoles
3.2.1. Densité de palmiers productifs
3.2.2. Hauteur moyenne des palmiers productifs
3.2.3. Densité de plantules de palmiers
3.2.4. Densité de jeunes palmiers
3.3. Modes de gestion et d’exploitation collectifs et individuels de la palmeraie subspontanée à Nienh
3.3.1. La mise en place récente de règles de gestion à l’échelle du village
3.3.2. Fonctions du palmier à huile naturel au sein de l’exploitation agricole et stratégies de gestion
4.DISCUSSION
4.1. La palmeraie sub-spontanée : un ensemble de peuplements dont l’organisation est le reflet de l’histoire agraire du territoire
4.2. Le cycle de vie de la palmeraie sub-spontanée
4.3. Les impacts des modes de gestion de la palmeraie
4.4. Limites de l’étude et perspectives de recherche et d’action
CONCLUSION
REFERENCES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGUREANNEXES
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