La liberté et la facilité de déplacement des personnes sont au cœur des sociétés modernes. La mobilité individuelle participe à l’économie, au fonctionnement, à l’urbanisation des territoires, et régit également la vie quotidienne. Cependant, elle est à l’origine d’impacts environnementaux significatifs. Par exemple, le secteur des transports représente 27,6 % des émissions de gaz à effet de serre françaises (MEEM, 2015). Son essor soulève donc des interrogations concernant sa durabilité. Face à l’ampleur de la pollution et la congestion automobile des villes, le domaine de la mobilité est désormais sollicité dans les recherches afin de construire un modèle de mobilité alternatif « au tout voiture », plus économe et plus proche des concepts du développement durable. Néanmoins, si les connaissances sur la mobilité urbaine ou périurbaine commencent à devenir riches, celles concernant les territoires ruraux sont encore très limitées. Pourtant, ces derniers représentent des territoires d’enjeux de par les déplacements en voiture individuelle qu’ils génèrent. Celle-ci est en effet indispensable compte tenu de la faible densité d’activités et la faiblesse de la desserte en transports collectifs dans les territoires ruraux, mais aussi de sa population croissante qui doit répondre à ses besoins de mobilités (travail, loisir, achat). Afin de comprendre les pratiques de mobilité des milieux ruraux, les programmes de recherche MOUR (MObilité et Urbanisme Rural) et principalement MOBITER (MOBIlité et dynamiques des TErritoires Ruraux) se sont intéressés aux différentes pratiques dans des territoires ruraux différenciés – isolé et polarisé – selon leur lien avec un grand pôle urbain. Les études sont spatialisées en Indre-et-Loire, plus particulièrement sur la Communauté de Communes du Pays d’Azay-le-Rideau (CCPAR) et neuf communes de la Communauté de Communes Touraine Nord-Ouest (CCTNO) pour le rural polarisé ; et la Communauté de Communes du Bouchardais (CCB) comme rural isolé. Ces recherches sont basées sur une nouvelle approche méthodologique et expérimentale : l’enregistrement des déplacements à partir de traceurs GPS (Global Positioning System).
Contextualisation de la mobilité rurale
Inscription de l’étude dans des recherches existantes
La mobilité urbaine ou périurbaine fait l’objet de nombreuses enquêtes (enquête ménage déplacement, enquête nationale transports et déplacements) ou études, alors que la mobilité rurale, quant à elle, n’a pas été prise en compte et reste encore aujourd’hui peu étudiée. Il est difficile de trouver des réflexions théoriques sur les mobilités dans les espaces ruraux alors qu’elles sont un sujet qui devient de plus en plus important. En effet, depuis ces quinze dernières années, les milieux ruraux connaissent un regain de population conséquent et constitue dès lors un enjeu de mobilité (BAPTISTE et al., 2012).
Une évolution structurelle de la mobilité et de la fonction du milieu rural
D’après l’Enquête Nationale Transports et Déplacements (ENTD) de 2010, à l’échelle française le nombre global de déplacements, le temps consacré quotidiennement aux transports et le nombre de déplacements journaliers sont restés plutôt stables entre 1994 et 2008. Pour ce qui est de la part des déplacements liés au travail et aux achats, celle-ci s’est légèrement accrue. Ainsi, en dépit de l’autosolisme (conducteur seul) qui s’est fortement amplifié depuis 1994, passant de 49 % des déplacements à 58 % en 2008, les tendances dans les pratiques de mobilité sont plutôt à la stabilisation. Cependant, à l’échelle nationale, elles masquent la réalité des pratiques de mobilité dans les espaces ruraux. En effet, les distances parcourues ont augmenté de 12 % (contre seulement 6 % au niveau national) et les durées de déplacements se sont rallongées du fait de l’éloignement du domicile par rapport aux lieux d’activités (emploi, enseignement, service). Par conséquent, malgré une tendance à la diminution de l’usage de la voiture au profit des modes actifs (marche à pied et vélo) en zone urbaine, la part de l’utilisation de la voiture individuelle s’est accentuée en milieu rural (passant de 74 % en 1994, à 76 % en 2008). (HUBERT, 2009 et CGDD, 2010).
Cette évolution des pratiques peut être expliquée par le changement structurel qu’ont connu les territoires ruraux au cours des dernières années. Tournés principalement vers l’agriculture jusque dans les années 70, ils se sont diversifiés en devenant également des territoires résidentiels. Représentant, selon les définitions des territoires ruraux de l’INSEE, 80 % des communes françaises tout en comptabilisant 20 % de la population métropolitaine, les espaces ruraux constituent désormais une large partie du territoire français. (BAPTISTE et al., 2012). Ainsi, source de déplacements conséquents de par la nouvelle dynamique qui leur incombe, il s’agit de territoires d’enjeux, d’un point de vue de leur durabilité notamment, sur lesquels l’intérêt mérite d’être porté.
Un nouveau sujet de recherche questionné par les chercheurs des projets MOBITER et MOUR
Afin d’agir sur la durabilité des territoires ruraux, il est nécessaire de connaître et comprendre leurs pratiques de mobilité. Ces dernières ont fait l’objet de peu d’études ou de recherches. Cependant, les programmes MOUR (MObilité et Urbanisme Rural) et MOBITER (MOBIlité et dynamique des TErritoires Ruraux) se sont intéressés à la quantification et à la spatialisation des pratiques de mobilité, en milieu rural. (BAPTISTE et al., 2013 et AGUILERA et al., 2014) Le programme de recherche MOUR – Quelles mobilités en milieu rural à faible densité ? – s’est déroulé de 2011 à 2013. Il s’agit d’une réponse à l’appel à projets de recherche d’intérêt régional lancé par, anciennement, la région Centre. L’objectif est de réfléchir à de nouvelles formes de mobilité dans les espaces ruraux, excentrés ou à faible densité. (BAPTISTE et al., 2012) Quant au programme de recherche MOBITER, il s’intègre au sein du programme de recherche PREDIT (Programme de Recherche et D’Innovation dans les Transports terrestres). Il s’est intéressé, plus particulièrement, aux liens entre la mobilité et la dynamique des populations dans les territoires ruraux, de 2014 à 2016. L’objectif est d’identifier les marges de manœuvres des habitants et des pouvoirs publics afin d’œuvrer au développement durable des territoires ruraux. L’enjeu est principalement de réduire la dépendance à l’autosolisme tout en conciliant le désir de ruralité des habitants. (AGUILERA et al., 2014) .
Une recherche basée sur la mobilité physique quotidienne
Les recherches ont porté sur la mobilité physique de personnes, plutôt quotidienne voire hebdomadaire. C’est-à-dire l’ensemble des déplacements qui font l’objet d’habitudes qui répondent à des besoins contraints comme le travail, les études, les achats ou des besoins de sociabilisation ou d’échanges via les loisirs par exemple. (BAPTISTE et al., 2012 et AGUILERA et al., 2014). Il s’agit essentiellement de la mobilité locale régulière des individus, ce sont les déplacements qui sont réalisés à l’occasion d’une activité (travail, étude) située dans un rayon de 80 kilomètres, à vol d’oiseau, autour du domicile et sur le territoire national. (MEEM, 2010) Les études portent sur les mobilités dites quotidiennes qui ont pour habitude d’être effectuées régulièrement et liées à des contraintes, afin de mettre en lumière les comportements réalisés et les pratique menées.
Une recherche spatialisée dans des territoires ruraux
Les deux recherches sont spatialisées, c’est-à-dire que des territoires ruraux tests précis ont été étudiés. Afin de se rendre compte des pratiques de mobilité dans les espaces ruraux, les lieux d’études sont choisis selon différents critères. Toutefois, il existe plusieurs typologies d’espace rural qui sont définies par B. SCHMIDT et F. GOFETTE-NAGOT. L’enjeu de la recherche MOBITER n’est pas de soutenir l’appartenance de tel territoire à une typologie donnée mais de distinguer deux types d’espace afin de fournir une analyse plus fine de la mobilité dans des milieux ruraux. La différenciation est ainsi faite entre les territoires ruraux dits « polarisés » ou « isolés ». L’adjectif polarisé indique l’influence d’un pôle urbain sur cet espace. Un territoire polarisé est donc fortement relié à la ville et donc ouvert sur l’urbain ; tandis que l’adjectif isolé caractérise des territoires plus éloignés d’une aire urbaine et enclavés mais qui s’organisent autour de plus petites agglomérations urbaines. Il y a donc des milieux ruraux qu’il est possible de distinguer comme dépendants ou indépendants d’un pôle urbain. Ils présentent ainsi des caractéristiques spatiales diverses comme la distance au pôle urbain, la présence de services ou de commerces de proximité, l’existence ou non d’une offre de mobilité de qualité, mais aussi en termes de participation à la dynamique du pôle urbain et donc du fonctionnement même du territoire rural en question. (AGUILERA et al., 2014) Il n’existe pas un mais des territoires ruraux. Afin de mieux rendre compte des pratiques de mobilité qui peuvent différer selon l’espace, une distinction est établie entre, d’une part, les territoires ruraux polarisés qui sont dépendants d’un pôle urbain et participe à son dynamisme. D’autre part, les territoires ruraux isolés sont davantage indépendants des grandes aires urbaines de par leur éloignement géographique mais participent au dynamisme de plus petits pôles. Le choix des terrains d’étude s’est porté sur des communes aux alentours de Tours (Indre-et-Loire – 37) en raison de leur proximité avec les équipes de chercheurs MOBITER et MOUR, tout en s’intégrant dans l’une ou l’autre des typologies de territoire rural.
Ainsi, le territoire rural polarisé est constitué de deux Communautés de Communes :
– Neuf des vingt-trois communes de la Communauté de Communes Touraine NordOuest (CCTNO) qui se situent à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Tours. (Ambillou, Avrillé-les-Ponceaux, Cléré-les-Pins, Cinq-Mars-la-Pile, Langeais – commune centre, les Essards, Mazières-de-Touraine, Saint-Michel, Saint-Patrice).
– La Communauté de Communes du Pays d’Azay-le-Rideau (CCPAR), dans son entièreté qui est localisée à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest du pôle urbain tourangeau. (Azay-le-Rideau – commune centre, Bréhémont, La Chapelleaux-Naux, Cheillé, Lignières-de-Touraine, Pont-de-Ruan, Rigny-Ussé, Rivarennes, Saché, Thilouze, Vallères et Villaines-les-Rochers). Ce choix est dû au fait que l’expérimentation ait été menée, par le programme MOUR, au sein du Parc Naturel Régional (PNR) Loire-Anjou-Touraine. (BAPTISTE et al., 2012) .
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Etat de la caractérisation de la mobilité en milieu rural
I. Contextualisation de la mobilité rurale
1. Inscription de l’étude dans des recherches existantes
2. Révélation de la mobilité rurale par l’analyse de traces GPS
II. Détermination d’une problématique fondée sur l’intensité de la mobilité
1. Un manque d’intensité dans les recherches
2. Le fondement de la problématique pour pallier l’absence d’intensité
Partie 2 : Présentation de la méthode employée et des résultats
I. Recrutement de l’échantillon et utilisation de traceurs GPS
1. Protocole de recrutement des individus
2. Protocole d’enregistrement par traceurs GPS
II. Présentation du panel et des traces
1. Présentation de l’échantillon des volontaires à l’expérience des traceurs GPS
2. Traitement des traces par MOBITER
3. Traitement des données pour caractériser la mobilité rurale par l’intensité
III. Résultats et Analyse : intensité des territoires vécus selon le lieu de résidence
1. Intensité par l’immobilité des individus
2. Intensité par la mobilité des individus
Conclusion
Bibliographie
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