Le paradigme économique actuel : la « croissance propauvres »
Les racines de ce nouveau paradigme
Années 80 et 90 : le consensus de Washington
En 1989, l’économiste John Williamson propose une liste de dix prescriptions économiques recommandées aux économies en difficulté (notamment celles d’Amérique latine) qu’il a regroupées sous le nom de ‘Consensus de Washington’. Bénéficiant du contexte de crise idéologique globale liée à l’effondrement du communisme soviétique, ces propositions ont été appliquées par de nombreux Etats (de façon sélective) avec des niveaux de réussite très divers à travers les programmes d’ajustement structurel. Les dix recommandations sont les suivantes : discipline budgétaire, orientation des dépenses publiques aussi bien vers la croissance économique que la répartition équitable des revenus, des réformes fiscales pour obtenir une large assiette fiscale et des taux maximaux d’imposition faibles, libéralisation des marchés financiers, création d’un taux de change stable et compétitif, libéralisation du commerce, abolition des barrières à l’entrée sur le marché et libéralisation des investissements internationaux, privatisations, déréglementation et protection de la propriété privée.
Le consensus de Washington fortement critiqué
La critique du consensus repose essentiellement sur le fait que nombre de pays qui se sont vus prescrire cette doctrine ne sont pas sortis de la pauvreté. De plus, les pays asiatiques, dont les résultats en matière de réduction de la pauvreté ont été remarquables, ont suivi des politiques peu conventionnelles au regard de ce que les institutions financières internationales proposent. Une étude récente critique de la Banque Mondiale a cherché à évaluer ces politiques mises en place dans les années 905 et montre à quel point ce consensus a été poussé à l’extrême. Le rapport évoque cependant quelques succès pour l’Afrique : Ouganda, Tanzanie, Mozambique mais cela reste fragile. Le consensus était pourtant à la base assez souple avec des orientations relativement générales : incitations orientées par le marché, stabilité macroéconomique et ouverture sur l’extérieur, et s’est transformé en une doxa beaucoup plus rigide. Les réformes ont de plus été menées maladroitement, trop rapidement (la rapidité de l’ouverture des pays a été particulièrement critiquée), en appliquant les mêmes recettes aux différents pays, sans tenir compte des spécificités de chaque pays (notamment les institutions) .
Émergence d’un nouveau modèle : la croissance pro-pauvres ?
La prise en compte des institutions – On ne peut pas en effet parler de rupture. Les préconisations faites par Williamson restent d’actualité, avec cependant plus de nuances, et des éléments de plus. La prise en compte des institutions est un pas important. La plupart des politiques préconisées par le consensus supposaient en effet des institutions fonctionnant correctement. Elles sont ainsi devenues un thème de recherche central ces dernières années, certains évoquant même le passage d’un ‘market fundamentalism’ (représenté par le consensus de Washington) à un ‘institutions fundamentalism’. On trouve des recommandations de « bonne gouvernance » dans quasiment tous les différents documents d’orientation. Changer les institutions cependant est complexe, et nécessite de bien comprendre le contexte local. Le lien causal entre institutions et croissance est peu évident. Les travaux empiriques semblent cependant montrer que ce ne sont pas les changements institutionnels de grande envergure qui ont créé de la croissance mais des modifications marginales.
Le message des institutions internationales a changé : passage de la promotion de la croissance à la réduction de la pauvreté – À la fin des années 90, l’objectif passe de la promotion de la croissance avec les programmes d’ajustement structurel à la réduction de la pauvreté avec les ‘Poverty Reduction Strategic Paper’ (PRSP). Pour beaucoup, ce revirement n’est que rhétorique, les PRSP n’étant que des plans d’ajustement structurel remodelés.
La question des inégalités au cœur des débats – Les inégalités à l’intérieur des pays se sont accentuées dans les années 90. Cette montée a été perçue comme dangereuse car pouvant limiter fortement la réduction de la pauvreté permise par la croissance des revenus. Les politiques redistributives ont donc été reconsidérées, et de nombreux programmes de recherche ont cherché à analyser les interactions entre croissance et inégalités. Le ‘World Development Report 2006’ de la Banque Mondiale ‘Equité et Développement’ illustre bien ces nouvelles préoccupations.
Le contexte actuel reste finalement dans la continuité du consensus de Washington. Celui-ci a en fait été adapté aux spécificités des différents pays, prenant notamment mieux en compte les institutions, et la réduction de la pauvreté est devenue l’objectif premier. L’élément qui pourrait renouveler les stratégies de développement est la prise en compte des inégalités. La croissance a en effet montré ses limites pour réduire la pauvreté, et des politiques redistributives apparaissent nécessaires. C’est donc dans ce contexte que s’est construit le paradigme actuel prôné par les institutions du développement : la croissance pro-pauvres.
Les bases théoriques
Essai de définition
La croissance pro-pauvres est définie de façon générale par les institutions internationales comme une croissance qui réduit significativement la pauvreté. A partir de cette base, deux définitions plus précises sont proposées :
– Une définition ‘relative’ : une croissance est pro-pauvres si les pauvres en bénéficient plus que les autres, les pauvres bénéficient donc d’une plus grande part de l’accroissement du revenu global. Ce type de croissance doit donc s’accompagner d’une réduction des inégalités. Une croissance sera donc pro pauvres à partir du moment où la croissance réduira les inégalités. On insiste donc ici principalement sur le lien entre croissance et inégalités.
– Une définition ‘absolue’ : c’est cette seconde définition qui est aujourd’hui la plus répandue, c’est notamment cette approche qui est reprise dans le rapport sur le développement du monde 2006 de la Banque Mondiale « équité et développement » évoqué précédemment. L’objectif de cette croissance pro-pauvres est de réduire de façon absolue le nombre de pauvres, peu importe les inégalités. Dans ce cas là, une croissance pourra être définie de pro-pauvres à partir du moment où elle réduit le nombre de pauvres de façon absolue. On insiste ici d’abord sur le lien entre croissance et pauvreté.
Il existe une différence fondamentale entre ces deux définitions : l’une met l’accent sur la réduction des inégalités alors que l’autre met l’accent sur la réduction de la pauvreté. Ce nouveau paradigme des politiques de développement est illustré fréquemment à l’aide du triangle de François Bourguignon qui présente les relations entre croissance, pauvreté et inégalités. Nous présentons ci-après les éléments théoriques illustrant les relations entre ces différents variables.
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Table des matières
CHAPITRE 1. INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1 CAPITAL NATUREL ET CROISSANCE PRO-PAUVRES : ELEMENTS DE CONTEXTE
CHAPITRE 2. LE PARADIGME ECONOMIQUE ACTUEL : LA « CROISSANCE PROPAUVRES »
CHAPITRE 3. LA PLACE DU CAPITAL NATUREL DANS LES STRATEGIES DE DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE
PARTIE 2 CAPITAL NATUREL, CROISSANCE ET DURABILITE
CHAPITRE 4. INTRODUCTION : LA DURABILITE, DE LA THEORIE A LA PRATIQUE
CHAPITRE 5. INTERET DES INDICATEURS MACROECONOMIQUES AGREGES DE DURABILITE DANS L’ELABORATION DES POLITIQUES DE DURABILITE : LE CAS DE MADAGASCAR
CHAPITRE 6. CRITIQUE DE L’APPROCHE DE DURABILITE DE LA BANQUE MONDIALE: LE CAS DE MADAGASCAR
CHAPITRE 7. VERS UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DU CAPITAL IMMATERIEL : LE CAS DU MOZAMBIQUE
CHAPITRE 8. CONCLUSION : PROPOSITION D’UN MODE DE PILOTAGE DE LA DURABILITE EN PAYS AFRICAINS
PARTIE 3 SOLS, ECONOMIE ET AGROECOLOGIE
CHAPITRE 9. LES SOLS, COMPOSANTE CLE DU CAPITAL NATUREL DES PAYS AFRICAINS
CHAPITRE 10. PERSPECTIVES ECONOMIQUES SUR LA RESSOURCE EN SOL A TRAVERS LE CONCEPT DE CAPITAL SOL
CHAPITRE 11. UN EXEMPLE D’INVESTISSEMENT DE CONSERVATION DES SOLS : LES TECHNIQUES AGROECOLOGIQUES AU LAC ALAOTRA (MADAGASCAR)
CHAPITRE 12. CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
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