Cannon et Bard : l’interaction entre le cortex et l’hypothalamus 

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Les émotions et la robotique

Les émotions peuvent intéresser les roboticiens à plusieurs titres grâce aux fonc-tions qu’elles remplissent en tant que mécanismes de régulation du comportement des animaux et des hommes confrontés à des problèmes d’autonomie, d’adaptation et de survie. Nous allons montrer dans ce travail que les émotions peuvent remplir principalement deux rôles majeurs. D’une part les émotions peuvent servir à amorcer l’autonomie d’un robot. Elles permettent de guider l’apprentissage, d’évaluer la qualité des comportements produits, d’orienter la sélection de l’action, de valuer les informa-tions apprises en fonction de leur importance… D’autre part, les émotions jouent un rôle capital dans les interactions et plus précisément dans la communication. Elles per-mettent d’échanger des informations, mais aussi de susciter une réponse émotionnelle. Les humains sont habitués à utiliser le registre émotionnel. En communiquant de cette manière, les interactions Homme-Robot peuvent alors être améliorée.

Les émotions pour l’autonomie

Apprentissage autonome et valeur émotionnelle : l’apprentissage pour les robots autonomes repose habituellement sur des modèles de renforcement ou d’asso-ciation et utilise des signaux externes en guise de récompense ou de punition (venant de l’environnement ou fournies par un « critique », suivant les algorithmes). D’autres modèles utilisent l’apprentissage par imitation pour apprendre l’action réalisée par un autre agent (humain ou robot) généralement appelé le « démonstrateur ». Une des difficultés principales sous-jacentes à tous ces modèles est la question de la signification de ces signaux pour le robot afin que le processus d’apprentissage puisse être plus autonome et mieux ancré dans l’architecture du robot. En d’autres termes, comment un robot peut-il donner un sens aux signaux qu’il perçoit plutôt que d’utiliser un signal de renforcement fourni par un « professeur ? ». Comment peut-il décider ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas apprendre ? Un mécanisme ancré dans un « système de valeurs » interne est indispensable pour fournir les signaux internes quant aux qualités positives et négatives des actions et des sensations du robot. Ces signaux internes leur donnent un sens par rapport à ses valeurs, ses besoins et ses buts. Comme le décrit Wehrle [Wehrle 2001] : «l’ancrage implique d’une façon ou d’une autre que nous permettions au robot d’établir sa propre catégorisation émotionnelle en référence à ses propriétés physiques, à la tâche, aux propriétés de l’environnement ainsi qu’à l’interaction en cours avec son environnement». Au niveau le plus simple, les émotions permettent de catégoriser des stimuli comme étant plaisants ou déplaisants, bénéfiques ou nocifs.
Motivations et sélection de l’action : La catégorisation émotionnelle transforme des stimuli neutres en stimuli valués à poursuivre ou à éviter. Les robots dotés d’un système motivationnel qui établit et gère les priorités des « buts internes » afin de contrôler les processus de prise de décision disposent alors d’une bien meilleure autonomie que les robots ne faisant que réagir à la présence de stimuli externes. Cependant, dans certains environnements dynamiques changeant rapidement et pouvant présenter des menaces pour la survie du robot, la priorité des buts doit pouvoir être modifiée afin de répondre à un problème urgent (par exemple, pour éviter un danger imminent comme la proximité d’un prédateur) tout en inhibant le besoin courant (par exemple, trouver de l’eau). Selon ce point de vue, les émotions sont considérées comme des « mécanismes d’interruption » [Simon 1967]. Frijda illustre bien cette idée [Frijda 1995] : « Les émotions portent sur l’action (ou la motivation pour l’action) et le contrôle de l’action. »
Comportements répétitifs et inefficaces : à cause de nombreux paramètres comme la prise en compte d’informations locales ou l’utilisation de senseurs et d’actuateurs bruités ou de faible qualité, les robots autonomes peuvent produire des comportements répétitifs aboutissant à des situations de « cul-de-sac » (deadlocks). Ces situations critiques empêchent aux robots l’accomplissement de leurs buts. Ce type de comportement a un coût pour le robot aussi bien en termes de temps que d’énergie. Le robot peut par exemple essayer de manière répétée d’attraper un objet alors que celui-ci est hors de portée. Il peut aussi chercher à rejoindre une position de l’environnement occupée par un obstacle. Un système de raisonnement lourd et coûteux nécessitant un modèle du robot, un modèle de l’environnement et un modèle de la tâche est rarement une solution satisfaisante. Une fois encore, un tel système serait très spécialisé et ne répondrait pas à la variabilité intrinsèque des environnements naturels particulièrement dynamiques. Un mécanisme de méta-contrôle (contrôle d’ordre supérieur) surveillant les performances du robot par rapport à ses buts et pouvant donc détecter les comportements inefficaces peut apporter une solution à ce type de problème. Un état interne comme l’ennui ou la frustration, émanant des situations d’échec persistent, doit provoquer une in-hibition du but ou du comportement courant, permettant ainsi de sortir des deadlocks.
Surcharge cognitive : les robots, comme les humains, disposent de capacités de trai-tement de l’information limitées. Le dépassement de ces limites provoque une surcharge ou saturation cognitive pouvant entraîner des difficultés d’attention ou de mémoire, qui devient trop vaste et lente en termes de temps d’accès à des informations pertinentes. Les émotions peuvent fournir un critère permettant de sélectionner l’information per-tinente aussi bien pour les mécanismes attentionnels que mnésiques. Les émotions peuvent servir à orienter la sélectivité des processus attentionnels : attention accrue pour les stimuli à forte valence émotionnelle [Burke 1992, Hulse 2006]. La gestion de la mémoire est aussi un problème majeur en robotique autonome. Si le robot ne possède pas les critères appropriés pour filtrer l’information, sa mémoire n’est alors pas assez spécifique et ceci entraîne des temps élevés pour le rappel d’informations. Un certains nombre de travaux en neurosciences montrent comment, chez l’homme, les émotions interagissent avec la mémoire aux différents stades du traitement de l’information : de-puis l’encodage et la consolidation initiale jusqu’au rappel à long terme [LaBar 2006]. Le rôle de l’hippocampe ainsi que de l’amygdale dans ce cadre est notamment dé-crit dans [Richter-Levin 2004a]. Des mécanismes de mémoire sélective inspirés de la mémoire émotionnelle chez l’homme (par exemple, meilleur rappel de souvenirs liés à des émotions) ainsi que la notion apparentée de mémoire autobiographique pourraient résoudre certains de ces problèmes [Gadanho 2003], mais aussi apporter des réponses cohérentes à un large éventail de situations. Cette problématique de la surcharge cog-nitive se pose aussi pour l’apprentissage. Il faut sélectionner ce qui doit être appris pour ne pas trop apprendre et ainsi arriver à saturation des capacités cognitives.

Les émotions dans les interactions Homme-Robot

Tandis que la modélisation des émotions pour un robot seul est centrée sur l’aspect « interne » des émotions, la conception d’émotions pour des robots interagissant socialement est principalement basée sur les caractéristiques « externes » des émotions. L’expressivité émotionnelle est une composante clé de la communication et de l’in-teraction sociale dans la mesure où les manifestations externes des émotions peuvent jouer, à plusieurs niveaux, un rôle majeur en tant que mécanismes de « signalisation » [Arkin 2003, Rani 2006, Scheutz 2006]. Par exemple, l’expression émotionnelle d’un individu peut être utilisée par un autre en tant que référence sociale pour évaluer le type de situation à laquelle il est confronté ainsi que la réaction à adopter. Elle peut être contrôlée dans une certaine mesure et être utilisée intentionnellement pour permettre aux autres de connaître notre état émotionnel, de construire des attentes concernant notre propre comportement et ainsi d’adapter le leur en fonction. Les travaux sur les robots expressifs destinés à l’interaction avec les humains ont reçu une attention croissante depuis le début des années 2000 [Cañamero 2001b, Breazeal 2002, Fukuda 2004, Gaussier 2004, Nadel 2006, Gaussier 2007b, Cañamero 2008]. Cela vient du fait que l’expressivité émotionnelle joue différents rôles majeurs dans les interactions sociales entre humains et robots.
Echanger des informations entre l’homme et le robot : nous comprenons les comportements que nous observons chez nos partenaires sociaux (humains ou artificiels) comme résultant de causes ou d’intentions déterminées. Nous pouvons alors élaborer des explications cohérentes pour interpréter leurs comportements passés mais aussi pour faire des prédictions et construire des attentes à propos de leurs comportements futurs. Les émotions sont interprétées comme étant à la sources de ces intentions. Les robots autonomes peuvent donc utiliser leur expressivité émotionnelle pour communiquer leurs intentions ou leurs besoins. Réciproquement, les robots pourraient interpréter les subtilités de notre expressivité pour obtenir des informa-tions pertinentes concernant leur environnement ou leur comportement (expressivité faciale, prosodie, gestes, posture, …). Nous pourrions alors attendre d’eux qu’ils « com-prennent » ce que nous voulons dire et pas seulement ce que nous disons. A un niveau plus fondamental, cette communication permet aux humains d’accéder indirectement à l’état interne du robot. Il ne s’agit pas alors de comprendre les intentions du robot mais plus simplement de savoir comment celui-ci évalue sa situation. De son côté, le robot peut utiliser les informations venant de l’expressivité de l’humain pour valuer son comportement ou son environnement (l’humain jouant le rôle d’un référent social).
Susciter une réponse émotionnelle : nous réagissons habituellement aux émotions des autres par une réaction émotionnelle. Les émotions des robots peuvent donc servir à susciter une réponse émotionnelle. Par exemple, un robot exprimant de la tristesse en raison de son incapacité à accomplir une tâche donnée peut recevoir de l’aide de la part d’un humain « touché » par son état émotionnel. Plus pragmatiquement, les robots peuvent obtenir des informations sur leur environnement ou leur comportement depuis la reconnaissance de l’expressivité émotionnelle de leurs partenaires humains. La reconnaissance d’expressions émotionnelles positives (e.g. joie) ou négative (e.g. colère) permet alors au robot d’évaluer son propre comportement ou son environne-ment.
Améliorer le confort de l’interaction avec le robot : nous pouvons attendre des robots capables d’exprimer des émotions et d’adapter leurs comportement à l’état émotionnel de leurs partenaires sociaux qu’ils permettent aux humains de se sentir bien plus à l’aise en interagissant avec eux. Une raison évidente à cela est que cette interaction emprunte les canaux naturels de communication entre humains. Une autre raison importante tient à notre perception des robots. S’ils montrent une expressivité et des comportements émotionnels, les robots nous apparaîtront comme plus crédibles et plus proches de nous. Donner l’impression du vivant, la crédibilité et une interac-tion adaptée aux humains semblent être les caractéristiques principales que les robots expressifs devraient montrer pour que nous les acceptions en tant que « partenaires

Le robot et son environnement

Le travaux réalisé dans cette thèse ont été menés sur un robot mobile équipé de différents capteurs et doté d’une tête mécanique expressive. La figure 1.3 est une illustration schématique du robot et de ses composants principaux.
La base mobile permet au robot de se déplacer. Il s’agit de sa principale capacité d’action. C’est pourquoi tout au long de cette thèse, le robot est soumis à différentes tâches de navigation. Les moteurs sont équipés de codeurs incrémentaux permettant d’assurer une proprioception. Le robot embarque aussi un système de vision pan com-posé d’une caméra et d’un servomoteur permettant de balayer le panorama. La bous-sole électronique donne au robot une mesure d’orientation et remplace à faible coût une centrale inertielle. Le télémètre laser permet une détection efficace des obstacles et constitue donc la « peau » du robot. Le capteur de couleur placé sous le robot lui permet de détecter les zones spécifiquement marquées de son environnement (les ressources si-mulées). La tête mécanique permet non seulement de produire des expressions faciales émotionnelles mais elle est aussi équipée d’une caméra permettant au robot de voir le visage de la personne interagissant avec lui. Le robot embarque un PC (carte Mini ITX équipé d’un processeur Dual Core cadencé à 2,2 GHz avec 2 Go de mémoire RAM) lui permettant de réaliser une partie des calculs de manière totalement autonome. Cependant, étant donné la complexité des architectures globales faisant fonctionner le robot, il est nécessaire de pouvoir répartir les calculs sur plusieurs PC fonctionnant en parallèle. Les réseaux de neurones faisant fonctionner le robot sont donc distribués et sont exécutés en temps réel. C’est pourquoi le robot embarque un routeur wifi permet-tant la communication entre le PC embarqué et les PC servant aux calculs délocalisés. Les expériences réalisées avec le robot se déroulent dans l’environnement « naturel » de la salle de travail du laboratoire. Le robot construit ses comportements sur la base de stimuli réels et donc bruités et changeants. La figure 1.4 présente cette environnement.

Spinoza, Spencer, Wundt et les modèles dimensionnels

L’invention du concept d’espace des émotions trouve ses racines dans les théories que Spinoza (1632-1677) a publié en 1677 dans Ethique, Partie III : Concernant la Nature et l’Origine des Emotions [Spinoza 1677]. D’après Spinoza, trois éléments per-mettent de décrire toutes les expériences émotionnelles : la joie, le désir et la tristesse. Et même si ce modèle utilise pour dimensions ce que les conceptions modernes défi-nissent comme étant des émotions et non des caractéristiques transversales de plus bas niveau, il présente déjà les attributs majeurs qui caractérisent les approches dimen-sionnelles modernes. Plusieurs dimensions définissent un espace émotionnel. Chaque émotion est définie par sa position le long de chaque dimension et donc par un point (ou une zone) dans cet espace émotionnel. Plus récemment, le philosophe et sociologue anglais Herbert Spencer (1820-1903) reprend cette conception et décrit les émotions comme étant les dimension de la conscience [Spencer 1890]. Mais c’est Whilhem Wundt (1832-1920), un physiologiste, philosophe et psychologue allemand, qui est considéré comme le père fondateur de l’approche dimensionnelle dans le domaine de la psy-chologie des émotions. Wundt a étudié les émotions en travaillant à partir de son introspection d’expériences simples. Dans son ouvrage Grundriss der Psychologie (les Contours de la Psychologie) publié en 1896 [Wundt 896], Wundt décrit son approche des émotions à partir d’un exemple délibérément simple. Wundt s’est intéressé au ressenti subjectif que lui procurait l’écoute de séries de clicks sonores de différents rythmes. Il distingue que certaines séries sont plus agréables à entendre que d’autres. Il conclut qu’une partie de son expérience subjective est une sensation de plaisir ou de déplaisir qui peut être située le long d’une dimension bipolaire plaisir-désagrément. Mais en écoutant ses séries de clicks, il détecte un autre type de sensation. Alors qu’il s’attend au prochain click, il ressent une certaine tension tandis que lorsque le click attendu arrive, il ressent un soulagement. Cette succession de tensions et de relâche-ments est particulièrement claire quand le rythme est lent. Wundt en conclu donc que les émotions ont une composante dimensionnelle tension-relâchement. Enfin, quand la série de clicks est rapide, il se sent plus excité que quand la série est lente. Cette carac-téristique définit une troisième dimension de l’expérience subjective des émotions, la dimension calme-excitation. Wundt décrit ainsi un espace caractérisé par trois dimen-sions. Il défend l’idée que les émotions sont définies par des combinaisons ou patterns d’activations de ressentis émotionnels primaires qui peuvent tous être caractérisés par une position dans cet espace tri-dimensionnel. Le figure 2.1 est une illustration de la théorie tri-dimensionnelle des émotions de Wundt.
Cette conception dimensionnelle des émotions a inspiré un grand nombre de psy-chologues et, depuis le milieux des années 1930, un nombre croissant de variations et d’arguments sur ce thème ont été proposés. Elizabeth Duffy illustre cette tendance avec ces deux articles : Emotion : an example of the need for reorientation in psy-chology [Duffy 1934] et An explanation of « emotional » phenomena without the use of the concept « emotion » [Duffy 1941]. Elle y défend la nécessité d’identifier les aspects irréductibles communs à tous les comportements émotionnels : leurs dimensions fon-damentales. L’idée centrale de cette approche est d’arriver à une vue fractionnée d’une réaction émotionnelle en composantes fondamentales définies a priori comme l’inten-sité de la réaction, la désorganisation du comportement, les mécanismes physiologiques impliqués, … Les différences entre réactions émotionnelles peuvent être décrites par des variations d’intensité selon les dimensions définies. Comme il n’y a pas nécessité de recourir à un ensemble propre de dimensions pour chaque réaction émotionnelle, Duffy soutient que l’étude des émotions en tant que telle devrait être abandonnée et rem-placée par l’étude des variations des aspects simples et irréductibles du comportement en général. Cette théorie s’oppose donc naturellement à toute conception décrivant les émotions comme des mécanismes précisément catégorisables. Donald Lindsley, un neu-rophysiologiste ayant particulièrement étudier le système activateur du tronc cérébral, a proposé une « théorie de l’activation » [Lindsley 1951] plaçant les émotions comme le degré maximum d’une échelle d’activation du comportement (le sommeil étant le degré 0). Harold Schlosberg a développé une techniques permettant d’observer et étu-dier cette activation : l’analyse de la conductance de la peau. Mais l’activation a elle seule ne permet pas de caractériser les différentes émotions de manière complète. C’est pourquoi il a aussi définit un modèle bi-dimensionel de l’expressivité faciale [Schlosberg 1952]. Selon ce modèle, les expressions faciales peuvent être décrites (ou du moins classifiées) selon les dimensions agrément-désagrément et attention-rejet. Il propose donc un modèle à trois dimensions pour décrire les émotions [Schlosberg 1954]. S’il reprend le concept d’activation, il ajoute les dimensions qu’il utilise pour décrire les expressions faciales. Ainsi, l’étude de la conductance de la peau et l’analyse des expressions faciales sont les meilleurs moyens pour un psychologue d’étudier ces trois dimensions. James Russell a d’abord proposé un modèle tri-dimensionnel lui aussi mais pour lequel la dimension Attention-Rejet est remplacée par la dimension dominance-soumissions [Russell 1977]. Cela provient probablement du fait qu’au lieu d’étudier l’expressivité faciale, il a d’abord étudier les descriptions verbales et les jugements sur échelles différentielles (inspiré de Osgood [Osgood 1952, Osgood 1957]). Mais l’on retient plus de Russell son modèle « Circumplex » [Russell 1980]. Russell propose que les émotions sont organisées selon une structure circulaire dans un espace plan définit par les dimensions agrément-désagrément et degré d’activation (ou arousal ). Russell a testé son modèle pour qualifier des termes émotionnels aussi bien que pour rappor-ter une expérience subjective émotionnelle propre. Les sujets doivent situer le mot ou l’état émotionnel comme un point dans cet espace bi-dimensionelle. La figure 2.2 illustre le modèle de Russell. L’uniformité interindividuelle des réponses des sujets sert d’argument pour défendre la validité de ces dimensions. Il est remarquable cependant que si les réponses des sujets sont placées sur un cercle dans cet espace bidimensionnel, alors elles ne sont pas réellement définies par deux coordonnées dans le plan mais par une seule dimension : l’angle dans le cercle. Russell attaque aussi l’idée que les ex-pressions faciales sont universellement reconnues [Russell 1994]. D’après lui, les biais expérimentaux sont trop nombreux pour pouvoir accepter les résultats des études qui cherchent à le prouver. Les réponses à choix forcé, l’utilisation de protocoles within subject 1 ou la présélection des photographies d’expressions faciales utilisées posent des problèmes de biais méthodologiques limitant l’acceptation des conclusions de ces études.

Descartes, Darwin et les émotions basiques discrètes

Si toute une tradition de philosophe s’est intensément penchée sur la question des émotions et de leur nature, c’est généralement à Descartes (1596-1650) que l’on se réfère pour situer les racines des théories modernes des émotions basiques. Dans son ouvrage, Les Passions de l’Ame [Descartes 1649], il décrit un modèle du fonctionnement des émotions humaines. Ce modèle repose sur 6 primitives émotion-nelles : l’émerveillement, l’amour, le désir, la joie, la haine et la tristesse. Les humains ressentent le plus souvent ces différentes primitives non pas de manière pure et isolée mais simultanément, sous forme d’états émotionnels complexes. C’est la variété des configurations possibles de la forme d’activation des primitives émotionnelles qui produit la diversité du répertoire émotionnel humain.Un grand nombre de raffinements ont été apportés à cette vision des émotions. Peu de personnes sont d’accord quant à une liste exhaustive des émotions basiques, et certainement pas avec exactement les 6 primitives de Descartes. Cependant, sa proposition est à la base des théories modernes des émotions basiques.
Charles Darwin (1809-1882), le co-fondateur avec Alfred Russel Wallace (1823-1913) du mouvement évolutionniste, a eu un impact retentissant sur le monde intellectuel de son époque et depuis lors, tant dans les milieux scientifiques, que philosophiques ou spirituels. Il s’est aussi beaucoup intéressé aux émotions dont traite son livre L’ex-pression des émotions chez l’homme et l’animal [Darwin 1872]. Durant l’écriture de ce livre, Darwin correspond avec Guillaume-Benjamin-Amand Duchenne de Boulogne (1806-1875), un neurologue français s’intéressant lui aussi de près aux émotions et à leurs expressions faciales. Duchenne pense qu’il existe au moins 60 émotions discrètes. Il se base pour cela sur ses études du fonctionnement des muscles faciaux et du potentiel de leurs capacités expressives [Duchenne 1876]. En stimulant électriquement le visage de sujets afin de produire des contractions musculaires toniques et contrôlées, Duchenne crée artificiellement des expressions faciales émotionnelles (voir la figure 2.3). Sa capacité à en produire plusieurs dizaines correspond selon lui au grand nombre des émotions distinctes que peut ressentir un être humain. Allant plus loin même, Duchenne suggère que l’expressivité faciale peut induire l’état émotionnel. Cette idée peut être résumée par l’aphorisme : « Souris et tu seras heureux ». Au contraire, Darwin pense qu’il n’existe qu’un nombre restreint d’émotions réellement universelles. En testant la manière dont les gens reconnaissent les expressions de Duchenne, Darwin fait la distinction entre celles dont la reconnaissance est consen-suelle (les émotions universelles) de celles qui sont ambigues (les simulations ratées). Dans L’expression des émotions chez l’homme et l’animal, Darwin décrit avec détails l’expressivité émotionnelle des humains mais aussi de chats, de chiens, de chevaux et de singes. Il réfute dans ce domaine aussi une frontière imaginaire de plus entre les hommes et les autres animaux. Etant les fruits d’une sélection adaptative et dynamique, les émotions sont décrites comme un ensemble restreint de mécanismes innés et universels permettant une adaptation rapide aux changements des conditions environnementales afin d’optimiser les chances de survie, de reproduction et donc de perpétuation. Les émotions sont vues comme des mécanismes discrets remplissant.

De la question de la séquence à la question de l’évaluation cognitive

La naissance de l’étude scientifique moderne des émotions est souvent associée à la théorie James-Lange proposée durant les années 1880 de manière indépendante par le psychologue américain William James (1842-1910) et le psychologue danois Carl Lange (1834-1900) [James 1884, James 1890, Lange 1885]. Cette théorie qui tranche radicalement avec la conception commune de l’époque propose que les émotions sont des conséquences directes des modifications physiologiques (hausse du rythme cardiaque, transpiration, tension musculaire, …) dues au système nerveux autonome en réaction aux interactions avec l’environnement. James et Lange définissent ainsi une vision «périphéraliste» des émotions. Les émotions ne seraient pas des états internes fondamentaux provoquant des réactions périphériques, mais au contraire seraient le résultat de ces réactions périphériques. Lange illustre ce point de vue par la question suivante : «Si je commence à trembler parce que je suis menacé par un pistolet chargé, est-ce que tout d’abord un processus psychique se produit, la terreur apparaît, et c’est cela qui cause mes tremblements, mes palpitations du coeur, et la confusion de la pensée ; or alors, est-ce que ces phénomènes corporels sont produits directement par la cause terrifiante de telle sorte que l’émotion consiste exclusivement en une modification fonctionnelle dans mon corps ?». James, lui, explique sa théorie comme suit : «Le sens commun nous dit que si nous perdons notre fortune, nous sommes désolés et nous pleurons ; si nous rencontrons un ours, nous sommes effrayées et nous courrons ; si nous sommes insultés par un rival, nous sommes en colère et nous frappons. L’hypothèse défendu ici dit que l’ordre de cette séquence est incorrect … et que la déclaration la plus rationnelle est que nous nous sentons désolé parce que nous pleurons, en colère parce que nous frappons, effrayés parce que nous tremblons …». La position de James et Lange est donc que les émotions sont des conséquences de nos changements corporels et non leurs causes. Chaque émotion serait ainsi caractérisée par son propre pattern de changements physiologiques (idée déjà très ancienne). Lange, qui prônait une position sensiblement plus extrême James, a été jusqu’à définir les émotions comme étant des changements vasomoteurs (accroissement ou diminution du diamètre des vaisseaux sanguins).
Vers la fin des années 1920, un mouvement de pensée concurrent apporte le débat. La théorie Cannon-Bard, proposée par les américains Walter Cannon (1871-1945) [Cannon 1920, Cannon 1927] et Philip Bard (1898-1977) [Bard 1928], prend le contre-pied de la théorie James-Lange. Cannon et Bard défendent une conception centraliste des émotions pour laquelle le déclenchement d’une émotion spécifique dépend du traitement d’un stimulus par le système nerveux central, les changements physiologiques ou pattern d’activation périphérique étant non spécifiques. Cette théorie met en avant l’importance du système nerveux central, et en particulier du thalamus, dans le déclenchement d’une émotion donnée. Les changements physio-logiques sont donc vus comme des conséquences des émotions et non comme leurs causes. D’après la théorie Cannon-Bard, c’est bien la peur qui fait courir, la colère qui fait frapper et la tristesse qui fait pleurer. Cannon a d’ailleurs proposé un certains nombres d’arguments pour réfuter la position de la théorie James-Lang : des réactions viscérales diffuses semblables se produisent pour toutes les émotions, mais aussi pour des états non émotionnels comme la digestion ou la fièvre, la suppression des afférences viscérales ne supprime pas les ressentis émotionnels, les viscères réagissent relativement lentement et le ressenti émotionnel peut se produire avant un quelconque changement physiologique, … Si Cannon propose un bon nombre d’arguments pour s’opposer à la théorie James-Lange, la théorie Cannon-Bard n’est pas non plus dénuée de défauts. Le principal étant l’absence d’explication du mécanisme sous-tendant les processus émotionels.
Ces théories sont toutes deux fondées sur une approche physiologique des émotions mais diffèrent radicalement quant à leur conception de la séquence temporelle des émo-tions. Ce débat scientifique a eu un impact considérable sur les travaux ultérieurs liés aux émotions, tant s’agissant de la relation causale entre changements physiologiques et émotions que concernant le rôle de la cognition dans les mécanismes émotionnels. Le besoin de clarification nécessaire pour comprendre le mécanisme de traitement (d’évaluation) que la théorie Cannon-Bard attribue au système nerveux central peut être considéré comme l’un des points de départs des théories de l’évaluation cognitive ou théorie de l’appraisal.
Les théories de l’appraisal mettent l’accent sur le processus d’évaluation d’un événement, qu’il soit externe ou interne (corporel), ou d’une situation, qui déclenche un épisode émotionnel. Depuis le début des années 50, ces théories ont connu un succès grandissant. En 1950, Magda Arnold propose l’excitatory theory of emotion et introduit le terme appraisal pour expliquer la production d’émotions différenciées [Arnold 1950]. Une évaluation cognitive y est définie comme étant un processus cognitif, rapide, automatique, inconscient, dont la fonction est d’évaluer les stimuli perçus sur la base de critères particuliers [Arnold 1960]. Les émotions y sont vues comme une tendance d’attraction ressentie face à tout ce qui est intuitivement jugé comme bénéfique ou une tendance à l’évitement face à ce qui est intuitivement jugé nocif. Cette attirance ou cette aversion est accompagnée d’un pattern de changements physiologiques orientés respectivement vers l’approche ou l’évitement. Ces patrons de changements physiologiques varient en fonction des différentes émotions.
Schachter et Singer proposent une approche tenant compte à la fois des déterminants cognitifs, sociaux et physiologiques des émotions. Les états émotionnels peuvent être considérés comme une fonction d’un état physiologique d’activation (arousal ) et d’une cognition qui y est approprié [Schachter 1962]. Ce modèle prédit qu’un individu dans un état physiologique d’arousal pour lequel il n’a pas d’explication immédiate décrit son état et son ressenti à l’aide de la cognition à laquelle il a accès. Si au contraire, il est dans un état d’arousal pour lequel il a un explication parfaitement appropriée, aucune évaluation ne sera nécessaire et il est très improbable qu’il fasse une évaluation cognitive alternative mais plausible de la situation. Enfin, il ne réagit émotionnellement ou ne décrit ce qu’il ressent comme étant des émotions que dans la mesure ou il est dans un état d’arousal. Schachter ranime ainsi l’ancien débat des périphéralistes et des centralistes [Schachter 1975].
Depuis le mileux des années 60, Richard Lazarus a aussi profondément influencé le champs des théories de l’appraisal. Il suggère que le stress et les émotions sont le fruits d’un processus d’appraisal en deux temps [Lazarus 1966]. L’appraisal primaire consiste à évaluer la signification positive ou négative d’un événement ou d’une situa-tion pour le bien être subjectif. L’appraisal secondaire est la capacité à faire face aux conséquences de cet événement ou de cette situation. De plus, l’appraisal n’est pas un processus rigide et sa nature dynamique lui permet d’être réactivé sur la base de nou-velles informations [Lazarus 1968]. Lazarus défend l’idée que la pensée, ou la cognition, est une condition nécessaire des émotions [Lazarus 1982, Lazarus 1984, Lazarus 1991] s’opposant ainsi sur cette question à Zajonc qui défend la primauté de l’affect sur la cognition [Zajonc 1984a].
Depuis le début des années 80, de nombreux psychologues ont développé et raffiné ces modèles. Parmi les incontournables de ce mouvement, citons notamment Ira Roseman [Roseman 1984, Roseman 1990, Roseman 1991, Roseman 1996], Craig Smith [Smith 1985, Smith 1987, Smith 1989, Smith 1993, Smith 1996], Nico Frijda [Frijda 1986, Frijda 1987, Frijda 1993], Andrew Ortony [Ortony 1988, Ortony 1990], Phoebe Ellsworth [Ellsworth 1988, Ellsworth 1991, Ellsworth 1994], Bernard Wei-ner [Weiner 1979, Weiner 1982, Weiner 1986, Weiner 1987] ou Robert Zajonc [Zajonc 1980, Zajonc 1984a, Zajonc 1984b]. Les nuances qui distinguent les modèles proposés reflètent les divergences de postulats ou de croyances concernant la nature des émotions. Qu’il s’agisse des questions de nature discrète ou dimensionnelle des émotions ou des questions de séquences temporelles des mécanismes impliqués.
Afin d’illustrer plus en détail cette approche, voici une description du modèle des composantes proposé par Klaus Scherer [Scherer 1982, Scherer 1984b, Scherer 1984a, Scherer 1986, Scherer 1988, Scherer 1993]. Scherer définit une émotion comme étant une séquence de changements d’état ayant lieu dans cinq composantes :
– La composante cognitive réalise le traitement de l’information et donc la fonction d’appraisal (ou d’évaluation de la stimulation).
– La composante neurophysiologique sert de support et permet la régulation des différents sous-systèmes.
– La composante motivationnelle assure la fonction exécutive. C’est elle qui prépare et dirige l’action.
– La composante expressive correspond à la communication de la réaction et des intentions face à l’événement déclencheur (mouvements, expressions faciales, vo-calisations).
– Le ressenti subjectif à le rôle de monitorer ce processus. Il dirige le focus atten-tionnel, permet la réflexion et participe au sentiment subjectif de soi.
Ces changements d’états des 5 composantes ont lieu de manière interdépendante et synchronisée en réponse à l’évaluation d’un stimulus environnemental ou corporel. La figure 2.6 illustre le fonctionnement des ces composantes. L’appraisal consiste en vérification d’un ensemble de critères permettant d’évaluer un événement, ce que Scherer appelle les Stimulus Evaluation Checks (SEC). Le résultat de cette évaluation permet de prédire le type et l’intensité de l’émotion élicité par l’événement. Les SEC sont organisés autour de quatre intérêts principaux :
– Pertinence : est-ce que cet évènement est pertinent pour moi ? Est-ce qu’il affecte directement ma personne ou mon groupe social ?
– lmplications : Quelles sont les implications ou les conséquences de cet évènement et à quel point vont-elles affecter mon bien-être ou mes buts à court et long terme ?
– Potentiel de coping : à quel point suis-je capable de faire face à ces conséquences ?
– Significativité normative : Quelle significativité a cet évènement par rapport à mes convictions personnelles ainsi que face aux normes et valeurs sociales ?
La figure 2.7 illustre le processus d’appraisal et ses liens avec les fonctions de haut niveau d’une part (attention, mémoire, motivation, raisonnement et conscience de soi) et les fonctions physiologiques (système endocrinien, physiologie autonome, réponse somatique, système nerveux). Les SEC correspondent aux informations

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Table des matières

1 Introduction 
1 Robotique comportementale
2 Inspiration neurobiologique et systèmes dynamiques
3 Les émotions et la robotique
3.1 Les émotions pour l’autonomie
3.2 Les émotions dans les interactions Homme-Robot
4 Le robot et son environnement
5 Plan de la thèse
2 Emotions : le point de vue des psychologues 
1 Spinoza, Spencer, Wundt et les modèles dimensionnels
2 Descartes, Darwin et les émotions basiques discrètes
3 De la question de la séquence à la question de l’évaluation cognitive
4 Discussion
3 Neurobiologie des émotions 
1 Historique
1.1 Cannon et Bard : l’interaction entre le cortex et l’hypothalamus
1.2 Le circuit de Jakob-Papez
1.3 Les trois cerveaux de MacLean
2 Les principales structures cérébrales
2.1 Structures du tronc cérébral
2.2 Les structures sous-corticales
2.3 Le cortex préfrontal
3 Neurobiologie de la douleur et du plaisir
3.1 Douleur
3.2 Plaisir
4 Discussion
4 Modélisation neuronale et navigation 
1 Introduction
2 Modélisation neuronale
2.1 Neurones et synapses
2.2 Apprentissage associatif hebbien
2.3 Apprentissage de conditionnements : Widrow et Hoff et méthode des moindres carrés
2.4 Processus de catégorisation et compétition
3 Navigation visuelle sensori-motrice
3.1 Cellules de lieu visuelles
3.2 Conditionnements Lieu-Action
4 Intégration de chemin et navigation proprioceptive
5 Douleur, plaisir, motivations et conditionnements 
1 Introduction
2 Physiologie artificielle, douleur, plaisir et motivation
3 La peur comme un mécanisme de conditionnement négatif
3.1 Principe et architecture
3.2 Expérimentation robotique
4 Hédonisme et motivations
4.1 Motivations et navigation sensori-motrice
4.2 Motivations et intégration de chemin
5 Discussion
6 Automonitoring et frustration 
1 Introduction
2 Prédictions des buts
2.1 Prédiction visuelle du but
2.2 Prédiction proprioceptive du but
3 Détection de l’échec
4 Inhibition et frustration
5 Expérimentations robotiques
6 Discussion
7 Surprise et nouveauté 
1 Introduction
2 Modèle neuronal de l’analyse d’un prédicteur
3 Tests unimodaux
3.1 Perturbations statiques de la vision
3.2 Navigation et changement d’environnement
4 Interprédiction et détection de conflits sensoriels
4.1 Les conflits sensoriels chez l’homme
4.2 Les conflits sensoriels pour le robot
4.3 Test du modèle d’interpredictibilité
5 Discussion
8 Les Interactions émotionnelles sources de sens 
1 Introduction
2 Toute stimulation peut prendre un sens émotionnel
2.1 Principe et fonctionnement
2.2 Expérimentation robotique
2.3 Point de vue neurobiologie
3 L’expressivité faciale et la reconnaissance d’émotion
4 Vers un référencement social
4.1 Couplage comportemental
4.2 Couplage environnemental
5 Discussion
9 Conclusion 
1 Résumé des travaux
2 Discussion et Perspectives
Bibliographie 

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