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Statut du CBD en France
Ces dernières années, les avenues commerciales des grandes villes de France ont vu émerger des boutiques d’un genre nouveau. Celles-ci semblant faire la publicité et assurer la vente au grand jour d’une plante jusque-là connue du grand public pour ses propriétés psychoactives… et son illégalité. Elles ont pu susciter l’interrogation, l’amusement voire la réprobation des passants. Les premiers magasins de CBD, apparus autour de 2018, ont d’abord bénéficié d’un flou juridique, en dépit d’une politique nationale très répressive sur le cannabis, pour pouvoir commercialiser leurs produits sans crainte de poursuite judiciaire. Leurs fleurs de CBD étaient alors principalement issues de plants de chanvre riche en CBD venant d’autres pays européen, à la législation plus laxiste en matière de cannabis. Ces plantes sont souvent le résultat de croisements intenses et d’analyses botaniques afin de produire des fleurs les plus riches possibles en CBD.
C’est un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne paru le 19 novembre 2020 qui établit que le CBD n’est pas un produit stupéfiant et qu’en raison de la libre circulation des marchandises, la France ne peut plus interdire la commercialisation du CBD extrait de la plante de cannabis, comme c’était le cas jusqu’alors. Finalement, après une nouvelle tentative du gouvernement d’interdire la commercialisation de fleurs et feuilles de chanvre fin 2021 (Arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique), qui sont souvent le produit le plus lucratif des CBD shops, le conseil d’état tranche et suspend la mesure en janvier 2022. De facto, la commercialisation de « fleurs et feuilles de chanvres provenant de variétés de cannabis sans propriétés stupéfiantes » est autorisée.
Il est cependant important de noter que les produits commercialisés en France sous l’appellation de CBD peuvent légalement contenir jusqu’à 0,3 % de THC (d’après la loi du 2 janvier 2022), tout dérivé de CBD affichant un pourcentage de THC supérieur
à ce taux est donc illégal et considéré comme un stupéfiant. Les plantes de cannabis utilisées pour la commercialisation de CBD en France doivent donc respecter ce taux. Il existe toutefois des produits où le CBD est isolé et ne contient pas de trace de THC, c’est le cas des isolats de CBD qui ne contiennent aucuns autres des phytocannabinoïdes naturellement présent dans la plante de cannabis. En revanche, il a été prouvé que la consommation de produits de vape vendus comme CBD mais contenant des traces de THC, même respectant le taux de 0,3% pouvait positiver des tests urinaires de recherche en THC (Spindle et al., 2019). De plus, la relative nouveauté de ce marché et l’absence d’homogénéité entre les régulations des différents pays fait qu’il existe encore des erreurs en ce qui concerne les taux de CBD affichés sur les étiquettes. Mais, de façon plus problématique, on retrouve parfois aussi des taux de THC dépassant la limite légale (Bonn-Miller et al., 2017; Liebling et al., 2020). Il semblerait aussi dans certains cas où les conditions de conservation des produits à base de CBD ne sont pas respectées, le CBD puisse être converti in vivo en THC (Golombek et al., 2020). Même si ce phénomène semble être marginal, il est donc important que les producteurs respectent certaines règles de conservation et établissent une date limite de consommation fiable.
La liste des produits contenant du CBD habituellement disponibles en boutique est présentée en annexe (Annexe 1).
Enjeux de santé publique liés à la consommation de CBD en France
L’essor du CBD : un succès marketing
L’industrie du CBD est en pleine expansion avec une taille de marché mondiale évaluée à 5 milliards de dollars pour l’année 2021 (Global Cannabidiol Market Size, Share, Industry Analysis, 2030, 2021). Le CBD semble donc convaincre de plus en plus de nouveaux consommateurs dont on peut questionner les attentes pour ce produit, d’autant plus que les bénéfices vantés sont souvent d’ordre thérapeutique. Une étude anglaise retrouvait d’ailleurs que les consommateurs recherchaient d’abord un effet sur l’anxiété, leur santé en général, le sommeil, la douleur et même la dépression (Moltke & Hindocha, 2021).
Certains vendeurs de CBD sont conscients qu’ils occupent actuellement, faute de consensus médical clair, un espace qu’on peut qualifier de médecine parallèle ou alternative car sortant du cursus de soins classique, et ils adaptent leur discours en conséquence afin de répondre aux attentes de leurs clients. Une étude canadienne montrait que sur internet, le CBD était d’abord présenté comme un médicament avec des vertus thérapeutiques à part entière mais revenait souvent ses qualités de « produit naturel » contrairement aux médicaments sur ordonnance (Zenone et al., 2021a).
Le fait que le CBD provienne de la plante de cannabis lui confère une double étiquette. D’abord celle de produit « naturel » qui est parfois mise en avant par les producteurs et qui revient fréquemment dans les motivations des consommateurs à prendre du CBD (Zenone et al., 2021a). Mais sa parenté avec le THC, porte parfois à confusion. Certaines boutiques s’approprient l’imagerie de la contre-culture autour du cannabis et n’hésitent pas à afficher fièrement des feuilles de chanvre ou à y faire référence. Le risque de confusion entre CBD et THC peut aussi être renforcé par le fait que, dans les boutiques de CBD, les fleurs pauvres en THC qui sont disponibles à la vente sont indistinctes des variétés riches en THC vendues illégalement.
Une population mal informée
Cependant, malgré cet intérêt croissant de la population pour le CBD peu d’études ont été réalisées pour mieux connaître les consommateurs et leurs attentes.
Une enquête française réalisée par le magazine « HuffPost » a montré que sur 1038 adultes interrogés, 78% avaient entendu parler du CBD, 47% affirmaient « savoir exactement ce que c’est » et 16% en avaient déjà consommé (HuffPost, 2022). Ce manque d’information de la population sur ce produit, qui profite pourtant d’une certaine exposition médiatique, alimente les craintes du public et la division des opinions (37% des sondés étaient pour une interdiction du CBD en France). On peut aussi imaginer que le manque de discours médical sur le CBD laisse le champ libre à la publicité et aux promesses des vendeurs de CBD. Ce manque d’information se retrouve même parmi les politiques et une vidéo réalisée par le média internet Konbini montrait ainsi que la majorité des candidats à la présidentielle ne connaissait pas la différence entre THC et CBD (Konbini, 2022).
Aux Etats-Unis la Consumer Brands Association (CBA), une association de défense des consommateurs, faisait le constat d’une nécessité urgente de mieux informer la population sur le CBD, mettant en garde les consommateurs contre les slogans de l’industrie du CBD et soulignant le manque d’information de la population (« Urgent Need for CBD Clarity », CBA.). Une enquête américaine réalisée en 2021 par Realtime Research interrogeant 1087 personnes montrait que 58% des sondés ne connaissaient pas la différence entre CBD, THC et cannabis (CBD Usage in America
— A Snapshot, 2021). Lorsqu’on s’intéresse aux principales sources d’information des consommateurs de CBD, il semblerait que ceux-ci se tournent d’abord vers les réseaux sociaux et privilégient les expériences de leur proche pour juger de l’efficacité de ces produits (Bhamra et al., 2021). Or, une étude américaine s’intéressant aux motivations des participants à consommer retrouvait, parmi les arguments habituels (anxiolytique, hypnotique, antalgique…), le fait qu’un certain nombre se tournait vers le CBD pour traiter ces conditions suite à des échecs perçus de la médecine dite « traditionnelle » (Corroon & Phillips, 2018). C’est aussi ce que retrouvait une autre étude s’intéressant à la façon dont les consommateurs de CBD se renseignaient sur internet. Souvent, les usagers partagent leurs expériences dans le traitement de certaines pathologies comme l’épilepsie ou des douleurs liées à des cancers, et se conseillent mutuellement, avec ou sans avis médical (Zenone et al., 2021b).
Position des soignants
Les soignants pourraient être tentés de se dire que le CBD étant pour l’instant commercialisé et diffusé en marge des structures de soins, ce sujet les concerne peu. Pourtant, on l’a vu, les motivations à consommer étant souvent d’ordre thérapeutique, ils sont directement confrontés aux questions des consommateurs en quête de clarté parmi la myriade d’informations, parfois contradictoires, autour du CBD. En effet, les structures de soins sont de plus en plus susceptibles de prendre en charge des patients qui consomment du CBD, du fait de l’augmentation de la prévalence dans la population générale. Ces patients peuvent donc renvoyer leurs interrogations aux soignants, dans le but de solliciter un avis médical, sur un produit qu’ils utilisent parfois pour aider les mêmes troubles qui les ont conduits face aux soignants.
Il est alors important de pouvoir apporter des réponses aux patients, de façon claire et adaptée. Cependant, on imagine que les motivations à consommer varient de façon importante d’un consommateur à l’autre et qu’une personne se tournant vers le CBD pour mieux dormir ne possède vraisemblablement pas le même profil que quelqu’un cherchant à diminuer des douleurs chroniques. Il existe d’ailleurs un manque d’étude française sur les connaissances et les attentes du public vis-à-vis du CBD, aucune n’ayant été publiée à notre connaissance.
Or, le fait de comprendre ce qui pousse certains patients à s’automédiquer avec le CBD, parfois au lieu de suivre un traitement adapté, permettrait de développer et d’affiner les sources d’informations fiables, les messages de prévention et de guider les décisions de politiques publiques.
Objectif
Ce travail vise à contribuer à une meilleure connaissance des usages du CBD en France, partant du constat d’un manque d’information de la population. Ceci étant dû à la fois à un manque de discours médical clair et à une multiplicité de slogans aguicheurs. De même, nous souhaitions mieux comprendre le profil de la population de consommateurs, à travers leur démographie, leur parcours médical, leurs comorbidités addictives ou psychiatriques… Mais aussi le contexte de leur consommation, leur mode de consommation privilégié et le but recherché. Il nous semble aussi important de s’intéresser à la façon qu’ils ont de se renseigner sur le CBD et à leur perception du regard médical sur ce dernier. Nous souhaitions également nous adresser aux non-consommateurs afin de déterminer si ceux-ci ont un regard et un avis différent sur la substance. Nous nous sommes ainsi intéressé aux différentes images véhiculées par la substance, dans la population générale. Enfin, nous voulions évaluer les connaissances qu’avaient la population sur le CBD, qui de par son statut ambigu, sa parenté avec le cannabis et l’abondance des discours à son sujet, peut être sujet à de l’incompréhension, voire à des fausses croyances.
Le but de ce travail est donc d’apporter une meilleure compréhension du paysage du CBD en France, pour pouvoir à la fois évaluer l’efficacité et la pertinence des informations actuellement disponibles à son sujet, et pour éventuellement proposer un discours plus clair et libre des confusions qui semblent régner actuellement. Par sa grande disponibilité, le CBD est devenue une réelle problématique de santé publique que l’on doit adresser en tant que tel, sans le considérer comme un produit marginal et douteux, comme c’est peut-être le cas actuellement.
De plus, sur le plan médical, nous sommes de plus en plus confronté, et cela est particulièrement vrai en psychiatrie et en addictologie, à des questions de nos patients sur ce produit. Il est donc utile de pouvoir réfléchir à un discours médical clair et basé sur des preuves, pour pouvoir au moins aider les patients à s’y retrouver dans une logique de réduction des risques.
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Table des matières
I. Introduction
A. Cannabis : usages et composition moléculaire
a. Historique
b. Trouble de l’usage du cannabis
c. Les cannabinoïdes
B. Le CBD : médicament ou produit de consommation
a. Recherche médicale et propriétés thérapeutiques
b. Effets indésirables et tolérance du CBD
c. Statut du CBD en France
C. Enjeux de santé publique liés à la consommation de CBD en France
a. L’essor du CBD : un succès marketing
b. Une population mal informée
c. Position des soignants
II. Objectif
III. Matériel et Méthode
A. Population cible
B. Élaboration du questionnaire
C. Diffusion du questionnaire
D. Aspects éthiques et réglementaires
E. Analyses statistiques
IV. Résultats
A. Caractéristiques démographiques
B. Parcours médical et addictif des participants
C. Expériences avec le CBD
D. Opinions et représentations du CBD
E. Divergences entre consommateurs et non-consommateurs
F. Commentaire des participants
V. Discussion
A. Profil des participants
a. Démographie
b. Antécédents médicaux des participants
c. Prises de substance addictives
B. Usages du CBD
a. But recherché des consommations
b. Modes de consommation
c. Voies d’informations
C. Représentations du CBD chez les participants
a. Un produit bien accepté…
b. Mais mal compris
c. Une vision médicale largement partagée
D. Etat des lieux du CBD en France
a. Typologie des consommateurs
b. Un marketing qui a plus de poids que le discours médical ?
c. Vers l’émergence d’autres cannabinoïdes sur le marché ?
E. Forces et limites de l’étude
VI. Conclusion
VII. Bibliographie
VIII. Annexes
A. Annexe 1 : Produits à base de CBD disponibles en France
B. Annexe 2 : Analyses statistiques
a. Association du CBD avec les principales substances addictives
b. Association du CBD avec les suivis médicaux
c. Association du CBD avec le genre des participants
C. Annexe 3 : Commentaires des participants
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