Cannabis et grossesse

Protocole d’étude

   Nous avons mené une étude descriptive de cohorte et de prévalence, par enquête anonyme à l’aide d’un auto-questionnaire menée sur un échantillon de femmes hospitalisées en service de suites de couche à l’Hôpital de La Conception de Marseille entre le 1er Mai et le 31 Décembre 2017. Des autorisations de distributions avec les cadres de la maternité ont été nécessaires avant de démarrer cette étude, en s’assurant de ne pas perturber la prise en charge des soins des patientes cibles du questionnaire et de garantir au mieux l’anonymat. Le sujet de l’étude étant délicat, la priorité a été de respecter le secret médical vis-à-vis des équipes soignantes afin que les patientes participantes ne se sentent pas jugées en cas de consommation de drogues.
Objectifs
– Sur un échantillon donné pendant une période définie, identifier la proportion de femmes qui déclarent consommer occasionnellement ou régulièrement du cannabis pendant la grossesse ou durant leur vie et analyser la fréquence de consommation.
– Identifier d’autres conduites addictives, comme le tabac ou l’alcool, associées ou non.
– Identifier les facteurs associés à la prise de cannabis ainsi que les conditions socio démographiques des consommatrices.
– Faire un état des lieux des connaissances sur la toxicité de la consommation.

Modalités pratiques du recueil de données : le questionnaire

   Cette étude a été conduite à l’échelle d’une ville. L’usage de substances psychoactives pendant la grossesse ainsi que des informations personnelles ont été évalué au travers d’un questionnaire de 27 questions, à choix multiples ou ouvertes (Annexe 1). Le questionnaire a été auto-administré, mais il pouvait également être rempli en face à face si la femme en faisait la demande. L’auto questionnaire visait à recueillir plusieurs types de données et se décomposait en 4 parties : informations générales, données pendant la grossesse, données sur la vie antérieure à la grossesse, questions de connaissances générales. Il a permis de recueillir des informations socio démographiques, gynécologiques, sur les habitudes toxiques et les comportements addictifs, ainsi que d’interroger les connaissances des femmes sur les conséquences de comportements addictifs. Le questionnaire portait sur la consommation de cannabis mais aussi de tabac et d’alcool, il distinguait l’usage au cours de la grossesse et avant celle-ci. La consommation de tabac a été évaluée par le nombre moyen de cigarettes fumées par jour ; moins de 5, de 5 à 10, plus de 10, plus de 1 paquet. La fréquence de l’usage d’alcool avant ou pendant la grossesse a été évaluée au travers des modalités de fréquence du questionnaire AUDIT, questionnaire sur l’addiction à l’alcool élaboré par l’OMS ; jamais, une fois par mois ou exceptionnel, plusieurs fois par mois, plusieurs fois par semaine, journalier. (8) La consommation de cannabis a été évaluée par la fréquence de consommation inspirée sur le modèle du questionnaire AUDIT ; jamais, exceptionnel, une fois par mois, une fois par semaine, une fois par jour, plusieurs fois par jour. Concernant la consommation de cannabis nous avons recherché une consommation passive due à un conjoint consommateur ou à un entourage favorisant. Pour la fréquence de consommation de cannabis nous avons décidé de faire un score permettant de comparer les fréquences de consommation avant la grossesse et pendant la grossesse. La fréquence de consommation a été découpée en plusieurs stades inspirés des stades du questionnaire AUDIT, coté de 1 à 5 :
– Plusieurs fois par jour = 1
– Une fois par jour = 2
– Une fois par semaine = 3
– Une fois par mois = 4
– Exceptionnel / festif = 5

Rappel : Etat des lieux sur l’usage et les lois concernant le cannabis en France en 2018

   A ce jour le cannabis reste un stupéfiant. (9) Le 11 janvier 2017, le député Noël Mamère présentait à l’assemblée nationale une proposition de loi relative « à la législation contrôlée du cannabis ». Elle proposait notamment que : « L’usage du cannabis ou des produits du cannabis dans les lieux et transports publics ou accessibles au public est interdit. ». « Toutefois une dérogation permanente à cette interdiction est accordée aux débits à consommer sur place visés à l’article L. 3611-5. « Des dérogations temporaires peuvent être accordées par le Préfet, après avis du maire de la commune, au profit de manifestations ou réunions publiques dans des conditions définies par décret en Conseil d’État ». (10) Depuis 1970, la loi sur la consommation de cannabis en France n’a pas évolué. Aujourd’hui un consommateur interpellé en flagrant délit risque jusqu’à 1 an de prison et 3750€ d’amende. Si cette nouvelle proposition de rapport datant du 17 janvier 2017 devait être entérinée, ils risqueraient alors une amende forfaitaire (contravention) entre 150 et 200€ ce qui éviterait une garde à vue et du travail administratif pour les forces de l’ordre. La notion de délit serait uniquement retenue en cas de possession de cannabis jugée trop importante et des poursuites pourraient être engagées. Chaque année 140 000 interpellations pour usage de stupéfiants sont réalisées en France. Dans la majorité des cas, le consommateur est sanctionné par un rappel à l’ordre mais les quelques cas de procédure judiciaire sont chronophages pour les policiers, qui y consacrent 1,2 millions d’heure de travail par an. D’autre part, un interpellé sur deux est mineur et les mineurs sont exclus de la procédure. Bien que nos voisins européens facilitent aujourd’hui l’accès à au moins une forme de cannabis, la France n’assouplit pas les règles pour les simples usagers, même si la France est le premier consommateur d’Europe, ainsi que pour les personnes malades. Malgré le caractère illégal, on note : le statut des e-liquides CBD (cigarette électroniques) qui s’est « éclairci » et commence à apparaître. L’année 2018 devrait voir arriver la contraventionnalisation, c’est-à-dire la mise en place de contravention en cas d’infractions à la législation plutôt que des peines de prison, ce qui n’est pas tout à fait une dépénalisation. Mais plusieurs questions persistent néanmoins : une amende pour la première infraction ? sanction pénale pour les récidives ? fixation d’une quantité destinée à l’usage personnel et laquelle ? présence ou non d’une exemption pour le cannabis thérapeutique…

Profils des consommatrices de cannabis pendant la grossesse

   Concernant notre échantillon, le profil des consommatrices de cannabis semble se calquer sur les données nationales. Avec cependant une moyenne d’âge globalement plus élevée, nous retrouvons un niveau d’étude équivalent au bac et à une licence. Le questionnaire ne demandait pas le niveau de revenu mais la profession. Après avoir reclassé les professions selon la nomenclature des catégories socioprofessionnelles de l’INSEE il apparaît : Sur les 543 femmes interrogées, 277 n’exerce pas d’emploi pendant leur grossesse Vs 266. Parmi les actives professionnellement : 133 appartiennent à la catégorie 5, 48 à la 4, 65 à la catégorie 3 et enfin 20 à la catégorie 2. En effet les catégories agriculture, ouvriers et retraités ont été écartés. (cf matériels et méthodes) Mais chez les consommatrices, nous retrouvons deux catégories professionnelles et deux niveaux de revenus mensuels distincts ; (14)
– Catégorie socioprofessionnelle agrégée 5 : Employés, rassemble des professions très variées mal définies. On y trouve les secrétaires et les agents de bureau, les agents hospitaliers, les vendeurs, les gens de maison. En grande majorité, ces métiers sont exercés par des femmes. Elles forment plus des trois quarts de chaque catégorie, hormis les policiers et les militaires. Ce groupe rassemble aussi beaucoup de jeunes. (14) Ce qui correspond à un niveau scolaire Bac ou inférieur au Bac, soit 40% de l’échantillon de consommatrices (n=55).
– Catégorie socioprofessionnelle agrégée 3 : Cadres et professions intellectuelles supérieures. Cette catégorie regroupe des professeurs et professions scientifiques salariés d’enseignement ou de santé. Des professionnels de l’information des arts et des spectacles. Des cadres administratifs et commerciaux d’entreprise, salariés qui ont des responsabilités importantes. Des ingénieurs et cadres techniques d’entreprise. (14) ce qui correspond à un niveau scolaire licence à 50,9% des femmes (n=55).
D’après les résultats de l’enquête baromètre santé de 2016 concernant la population générale de 18 à 75 ans et dont les résultats ont été publiés en juin 2017, l’usage du cannabis est corrélé au niveau d’étude et aux conditions socio démographiques des individus. Quelques soit ces informations, la part des consommateurs a globalement augmentée ces dernières années. Il apparaît que la tranche d’âge des consommateurs réguliers est de 18-25 ans pour 30% d’entre eux, avec un niveau d’étude relatif au bac ou licence, et un niveau de revenus correspondant soit au niveau le plus faible soit le plus élevé. (15) . Il semble donc exister deux catégories de consommatrices ayant des origines sociodémographiques différentes, cette différence soulève la question de l’origine de cette consommation de cannabis ? Certaines études démontrent que l’expérimentation du cannabis est plus élevée chez les jeunes étudiants actifs, de ce fait la culture et le milieu étudiant favoriserait les conduites et l’expérimentation addictive. (15). Ce type de consommation toucherait les femmes ayant un poste à responsabilité ainsi qu’un niveau d’étude élevé. Les données des enquêtes sur les pratiques addictives montrent que ces comportements sont liés à un ensemble de facteurs sociodémographiques parmi lesquels le genre joue un rôle particulièrement important. Hormis pour les médicaments psychotropes, les femmes se révèlent globalement beaucoup moins concernées que les hommes concernant les conduites addictives. Cependant des études révèlent aussi qu’un milieu de vie défavorisé ou le fait d’avoir un comportement addictif favoriserait la consommation de cannabis. Un entourage consommateur, un milieu de vie populaire, une profession favorisant le contact avec les produits illicites sont des indicateurs de comportements addictogènes. Une étude menée en France concernant la consommation de cannabis chez les femmes enceintes datant de 2010, et, regroupant près de 14000 femmes, montrait que les consommatrices étaient généralement âgées de moins de 25 ans avec une parité faible, un niveau d’éducation bas avec des revenus mensuels faibles (6).Dans une autre étude menée dans 14 maternités de la région parisienne, les résultats de l’étude soulignaient un contraste entre les fumeuses de cannabis, plus jeunes et plus souvent primipares, et les utilisatrices de médicaments psychotropes, plus âgées et multipares. Les fumeuses de cannabis étaient de surcroît plus souvent au chômage, ce qui a également été observé dans deux études uni-centriques menées à Nantes et en région parisienne, dans des maternités accueillant une population plus défavorisée que sur le territoire national (16, 17). A la maternité de la Conception, nous avons observé les deux types de profils des utilisatrices, ceci pouvant s’expliquer par l’hétérogénéité des milieux socioéconomiques des femmes ayant accouchées. Contrairement aux idées reçues, la consommation de cannabis ne concerne ainsi pas que les milieux sociaux défavorisés.

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Table des matières

I. INTRODUCTION A L’ETUDE
II. MATERIELS ET METHODES
a. Protocole d’étude
i. Objectifs
b. Procédure
c. Population cible
i. Méthode de sélection
ii. Centre d’inclusion
iii. Période d’inclusion
d. Modalités pratiques du recueil de données : le questionnaire
i. Variables recueillies
ii. Niveau d’étude et regroupement en catégories socioprofessionnelles
iii. Stratégie d’analyse
III. RESULTATS
a. Description de l’échantillon
b. Disparités et comparaison avec l’ENP 2016
c. Description de la consommation d’alcool de tabac et de cannabis
d. Cannabis et caractéristiques maternelles
e. Cannabis et tabac
f. Modalités de l’utilisation de cannabis
g. Etat des connaissances
IV. DISCUSSION
a. Etats des lieux sur les lois concernant le cannabis en France
b. Résultats principaux
c. Limites de l’étude
d. Profils des usagères
e. Repérer, informer et accompagner les consommatrices
V. BIBLIOGRAPHIE
VI. ANNEXES

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