Cancers : les voies de l’oncogenèse

La médecine de précision, encore appelée médecine personnalisée ou médecine stratifiée, correspond à l’adaptation d’un traitement aux caractéristiques d’un patient pour une maladie donnée. Ainsi, des patients atteints d’une même maladie peuvent bénéficier d’un traitement différent selon leurs caractéristiques génétiques ou les résultats de leur bilan biologique.

La notion de médecine personnalisée n’est pas récente. En effet déjà durant l’Antiquité, le médecin Hippocrate – qui a donné le premier nom de « karkinoma » (carcinome) au cancer, en référence à l’aspect du prolongement de certaines tumeurs ressemblant étrangement aux pattes du crabe – établissait le diagnostic de ses patients en fonction de leurs quatre humeurs (sang, phlegme, bile jaune, bile noire) et adaptait le traitement de chacun en conséquence. Aujourd’hui, les progrès de la génomique et l’étude de l’ADN permettent une bien meilleure compréhension des maladies et l’on peut savoir à l’avance si une personne est susceptible de répondre ou non à un traitement (efficacité versus inefficacité thérapeutique et/ou effets indésirables importants). Ainsi, mesurer un marqueur biologique pour évaluer la susceptibilité du patient à répondre au traitement, ou pour déterminer la dose optimale du médicament à administrer, relève de la médecine personnalisée. La glycémie est un bon exemple de biomarqueur en médecine personnalisée puisqu’elle permet d’adapter la dose d’insuline à administrer chez le patient diabétique.

Depuis une dizaine d’années, les innovations en cancérologie constituent une réelle révolution dans la médecine de précision, notamment grâce aux thérapies dites ciblées. Ces traitements, oraux ou injectables, ont la particularité de ne s’attaquer qu’aux cellules cancéreuses, selon leurs caractéristiques génétiques, à la différence des chimiothérapies classiques généralement agressives pour l’ensemble des cellules de l’organisme (cytotoxiques).

L’arrivée de l’imatinib (Glivec®) en France en 2001, la première petite molécule de thérapie ciblée ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’hexagone, a considérablement amélioré la prise en charge des patients atteints de leucémie myéloïde chronique (LMC), en faisant passer leur survie à dix ans de 20 % à 85 % (Kantarjian H, O’Brien S, 2012). Cette molécule reste actuellement prescrite en première intention dans le traitement de la LMC. Cependant, les molécules de thérapies ciblées n’apportent pas toutes un gain de survie aussi important, ne sont pas toutes dénuées d’effets indésirables et sont d’un coût bien supérieur aux chimiothérapies conventionnelles (prix de vente, coût de tests diagnostiques). De plus, elles peuvent être associées à d’autres traitements (chirurgie, radiothérapie ou chimiothérapie) et ne sont pas toujours utilisées en première intention.

État des lieux des thérapies ciblées en France 

Chiffres clés du cancer en France

D’après les données de l’Institut National du Cancer (INCa), publiées dans Les cancers en France éditions 2014, 2015 et 2016, le cancer en France est responsable chaque année de près de 150 000 décès (correspondant à la mortalité de 2015) et l’on estime à 385 000 le nombre de nouveaux cas (correspondant à l’incidence de 2015). Le nombre de personnes de 15 ans et plus en vie en 2008 et ayant eu un cancer au cours de leur vie est de l’ordre de 3 millions : 1 570 000 hommes et 1 412 000 femmes, ce qui correspond à 6,4 % de la population masculine de 15 ans et plus et 5,3 % de la population féminine correspondante.

On observe d’après les mêmes sources, depuis 2005, un taux d’incidence qui baisse chez les hommes (-1,3 % par an sur la période 2005 – 2012) et se stabilise chez les femmes (+0,2 % par an sur la même période), ainsi qu’un taux de mortalité en diminution depuis 1980 chez les hommes (-1,5 % par an sur la période 1980 – 2012) et les femmes (-1 % par an sur la même période). Cette diminution des taux d’incidence et de mortalité ne doit pas être confondue avec le nombre absolu de nouveaux cas et de décès par cancer annuels, qui ne sont que le reflet de la croissance continue de la population et de son vieillissement .

Chez les hommes, les cancers les plus fréquents sont respectivement celui qui touche la prostate, le poumon et le cancer colorectal. Le cancer pulmonaire est actuellement le plus meurtrier. Chez les femmes, les cancers les plus fréquents sont respectivement celui du sein, le cancer colorectal et le cancer pulmonaire. Le cancer du sein demeure le plus meurtrier chez la femme en 2015. La survie varie considérablement selon la localisation du cancer. En effet la survie à dix ans (patients diagnostiqués entre 1989 et 2004) varie de 1 % pour le mésothéliome pleural à 93 % pour le cancer du testicule chez l’homme et respectivement de 6 % (foie) à 92 % (thyroïde) chez la femme. Bien sûr, des paramètres comme l’âge et les comorbidités, non liés au cancer au moment du diagnostic sont également à prendre en compte. Par ailleurs, la précocité du diagnostic d’un cancer est un facteur de survie important. Enfin, les cancers même guéris ne sont pas sans conséquences. L’enquête observationnelle VICAN 2 de 2012 (INCa, 2015) rapporte que trois personnes sur cinq déclarent avoir conservé des séquelles deux ans après un diagnostic et/ou traitement de cancer et 9 % des personnes interrogées disent avoir subi une discrimination liée directement à leur maladie. La situation socio-professionnelle des personnes atteintes d’un cancer s’est également dégradée considérablement deux ans après le diagnostic, avec un taux d’emploi passant de 75,3 % pour la population générale à 61,3 % pour les malades du cancer et un taux de chômage de 10 % à 11,1 %. Parmi les malades ayant perdu leur emploi, près de 92 % l’ont perdu dans les 15 mois suivant le diagnostic.

Cancers : les voies de l’oncogenèse

D’une manière générale, les cancers correspondent à un dysfonctionnement cellulaire entraînant la défaillance de l’organe touché. Ils résultent d’une anomalie de l’ADN transmissible d’une cellule mère à ses cellules filles. Lors de la division cellulaire normale, des erreurs se produisent en permanence (par des altérations spontanées telles la tautomérisation, désamination ou mésappariement des bases, ou par des dommages environnementaux comme les radiations ionisantes ou les agents chimiques) mais sont dans la grande majorité des cas réparées, soit par une correction de l’erreur (par exemple par excision de bases ou de nucléotides ou par ligature des coupures de simple brin d’ADN) soit par une destruction de la cellule devenue anormale (apoptose). Lorsque ces erreurs ne sont pas corrigées, elles peuvent s’accumuler et créer une cellule dite cancéreuse (Figure 1, d’après le site web Tpe radiothérapie).

La transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse est un processus long qui peut durer jusqu’à des dizaines d’années de divisions cellulaires. Une fois transformée, la cellule cancéreuse comprend les caractéristiques suivantes : une indépendance vis-à-vis des signaux qui régulent habituellement la croissance et la division (favorisant ou freinant), une capacité à échapper au processus de mort cellulaire programmée, et une capacité à se diviser indéfiniment et avec une rapidité de division bien plus importante que celle des cellules saines.

La multiplication incontrôlable et anarchique de cellules cancéreuses va alors former la tumeur. Si des cellules cancéreuses se détachent de cet amas cellulaire et migrent, elles iront former des métastases au niveau d’autres organes. Dans 90% des cas les cancers sont acquis et résultent de facteurs externes ou du vieillissement cellulaire. Seulement 10 % des cancers sont d’origine héréditaire (prédispositions génétiques).

L’arsenal thérapeutique anticancéreux disponible en France en 2015

L’arsenal thérapeutique en oncologie comprend trois principaux outils : la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie (médicaments anticancéreux), à côté d’autres moyens que sont les soins palliatifs ou d’autres prises en charge.

La chirurgie
La chirurgie, couplée ou non à la radio ou la chimiothérapie, reste aujourd’hui le principal traitement du cancer avec environ 370 000 patients traités chaque année en France en secteur médecine chirurgie obstétrique (MCO) (INCa, 2015). Elle s’adresse pour la plupart des cas à des formes localisées de cancers, découverts à un stade précoce (75 % des traitements par chirurgie concernent les cancers du sein, de l’appareil digestif, des voies urinaires ou de la peau).

La radiothérapie
La radiothérapie utilise quant à elle des rayonnements afin de détruire les cellules cancéreuses en bloquant leur multiplication. Elle concernait plus de 194 000 cas en 2013 (INCa, 2015).

Les chimiothérapies
La chimiothérapie est un traitement médicamenteux du cancer visant à détruire les cellules cancéreuses par différents mécanismes pharmacologiques. Elle concernait un peu plus de 292 000 personnes atteintes d’un cancer en 2013 en secteur MCO, correspondant à une activité de chimiothérapie de 2 232 669 séances et 253 392 séjours (INCa, 2015).

Classification des médicaments anticancéreux
Bien qu’il n’existe pas de consensus sur la classification des médicaments anticancéreux, l’INCa propose depuis 2016 de les classer en quatre grandes catégories (d’après INCa. 2016) en fonction de leur action pharmacologique : les chimiothérapies conventionnelles, les radiopharmaceutiques, les immunothérapies et les inhibiteurs de mécanismes oncogéniques (thérapies ciblées et hormonothérapies).

Parmi ces médicaments, les thérapies ciblées anticancéreuses visent à bloquer la croissance et/ou la propagation des cellules tumorales en s’attaquant spécifiquement à certaines de leurs anomalies. Leur principal mode d’action correspond à une inhibition des mécanismes mêmes de l’oncogenèse, grâce à une spécificité importante pour les cellules cancéreuses ou leur microenvironnement. Ce sont soit des inhibiteurs intracellulaires (petites molécules, notamment des inhibiteurs de protéine kinase), soit des inhibiteurs extracellulaires (médicaments biologiques, notamment des anticorps monoclonaux). Tandis que les inhibiteurs de protéine kinase peuvent être multikinases et ainsi inhiber plusieurs voies, les anticorps sont toujours spécifiques d’une seule cible.

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Table des matières

Introduction
1. Première partie : État des lieux des thérapies ciblées en France
1.1. Chiffres clés du cancer en France
1.2. Cancers : les voies de l’oncogenèse
1.3. L’arsenal thérapeutique anticancéreux disponible en France en 2015
1.3.1. La chirurgie
1.3.2. La radiothérapie
1.3.3. Les chimiothérapies
1.3.4. Classification des médicaments anticancéreux
1.4. Thérapies ciblées : des médicaments innovants
1.4.1. Généralités sur les anticorps monoclonaux et les petites molécules
1.4.1.1. Anticorps monoclonaux et mécanisme d’action
1.4.1.2. Inhibiteurs de tyrosine kinase et mécanisme d’action
1.4.1.3. Liste des thérapies ciblées autorisées en France
1.4.2. Utilisation des thérapies ciblées
1.4.2.1. Évolution des indications
1.4.2.2. Voies d’administration
1.4.2.3. Localisations tumorales
1.4.2.4. L’évaluation du caractère innovant
1.4.2.5. Modalités d’utilisation des thérapies ciblées
1.4.2.6. Stratégie thérapeutique et lignes de traitement
1.4.3. Plateformes de génétique moléculaire et identification des biomarqueurs
1.4.4. Toxicité des thérapies ciblées
2. Deuxième partie : Prise en charge, dépenses et accès aux thérapies ciblées
2.1. Résumé du parcours de soins en cancérologie
2.2. Activité hospitalière de cancérologie
2.2.1. Activité de soins en cancérologie générale
2.2.2. Activité de chimiothérapie
2.3. Coût du cancer en France et valorisation des thérapies ciblées
2.3.1. Dépenses générales de l’Assurance Maladie
2.3.2. Évaluations médico-économiques
2.3.3. La liste en sus
2.3.4. Coût des thérapies ciblées
2.3.4.1. Négociation du prix des thérapies ciblées
2.3.4.2. Données de ventes des thérapies ciblées
2.3.4.3. Données de remboursements à l’hôpital
2.3.4.4. Données de remboursements en ville
2.3.4.5. Tests génétiques moléculaires
2.4. Accès aux thérapies ciblées innovantes
2.4.1. Les essais cliniques
2.4.1.1. Les CLIP2
2.4.1.2. Le programme AcSé
2.4.2. Les autorisations temporaires d’utilisation
2.4.3. Les recommandations temporaires d’utilisation
2.4.4. Les AMM conditionnelles
2.5. Les thérapies ciblées à l’international
2.5.1. Europe
2.5.2. États-Unis
2.5.3. Le consortium international de génomique du cancer
2.6. Perspectives des thérapies ciblées dans la lutte contre le cancer
2.6.1. Révolution de la génomique
2.6.2. Perspectives de prise en charge par l’Assurance Maladie
Discussion
Conclusion
Annexes
Bibliographie
Serment de Galien
Résumé

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