Le cancer est une pathologie qui constitue un problème de santé publique. Le développement cancéreux est un processus complexe impliquant de nombreux acteurs cellulaires et moléculaires. Les cellules du système immunitaire jouent un rôle complexe dans ce contexte. Parmi elles, les cellules du système phagocytaire sont éminemment représentées au sein d’une tumeur. Leur présence est souvent associée à un mauvais pronostic de survie. Néanmoins, elles participent à l’activation de la réponse immune antitumorale au cours d’un traitement chimiothérapeutique. Au cours de mon étude, je me suis intéressé aux mécanismes qui régulent le recrutement des monocytes issus de la moelle osseuse. J’ai porté un intérêt plus particulier au rôle des récepteurs de chimiokines CCR2 et CX3CR1 et à leur(s) ligand(s) respectif(s) exprimés sur les monocytes. Ce manuscrit introduisant mon travail de thèse est composé de trois parties principales. Nous ferons état, dans un premier temps, des connaissances qui ont permis de comprendre les étapes qui conduisent à la transformation d’une cellule saine en une cellule cancéreuse. Nous expliquerons également comment une tumeur se développe et se dissémine au sein d’un organisme. Le chimiotactisme, la migration cellulaire et la dissémination tumorale sont des processus qui mettent en jeu les chimiokines. Nous détaillerons précisément la structure et les fonctions de ces molécules et de leurs récepteurs. Nous expliquerons ensuite les mécanismes et les étapes qui contrôlent la mobilité cellulaire et la migration transendothéliale. Enfin, nous insisterons sur le rôle que jouent les chimiokines en présence d’une tumeur. Dans la seconde partie du manuscrit, nous discuterons de la relation complexe entre les cellules tumorales et le système immunitaire. Nous commencerons par discuter du rôle du système immunitaire dans la réponse anti tumorale et du concept d’immunoédititon tumoral. Nous détaillerons ensuite les fonctions anti et pro-tumorale des leucocytes associés à la tumeur et nous introduirons brièvement le rôle de la chimiothérapie et la capacité de certains traitements à moduler la réponse immune anti tumorale. Dans la troisième partie de cette introduction, nous porterons notre attention sur le développement et les fonctions du système monocytaire.
Cancer chimiotactisme et mobilité cellulaire
Cancer et développement tumoral
Le cancer est une pathologie causant un problème de santé publique. En effet, en France il est la première cause de décès prématuré avant 65 ans pour l’homme comme pour la femme. En effet, il a été responsable de 38% des décès masculins et 47% des décès féminins entre 2004 et 2008. Par ailleurs, le cancer du poumon (chez l’homme) et le cancer du sein (chez la femme) sont les premières causes de décès (toutes causes confondues) entre 45 et 64 ans (source Institut National du cancer, www.e-cancer.fr). Les cellules cancéreuses sont caractérisées par plusieurs propriétés, notamment un potentiel de réplication illimité. Initialement, l’identification de mutations génétiques sur ces cellules a permis de mettre à jour l’implication de deux catégories de gènes dont l’expression pouvait être modifiée : [1] les proto oncogènes qui favorisent la prolifération et [2] les gènes suppresseurs de tumeurs qui inhibent la prolifération ou facilitent l’apoptose. Les oncogènes sont modifiés par des mutations qui leur font acquérir une fonction alors que les gènes suppresseurs subissent une mutation délétère traduite par une perte de fonction. Depuis, de nombreuses autres modifications génétiques transformantes ont été identifiées dans le génome des cellules cancéreuses. Les cellules acquièrent par ces mutations des fonctions leur permettant d’échapper aux différents systèmes de contrôle de l’organisme, ce qui aboutit à une prolifération anarchique des cellules cancéreuses. Cependant, une tumeur n’est pas seulement constituée d’une masse isolée de cellules en prolifération. En effet, elle est associée à un micro environnement complexe constitué de diverses populations cellulaires [1] produisant diverses facteurs moléculaires [2] participant au processus de genèse et de développement tumoral (Hanahan and Coussens, 2012; Hanahan and Weinberg, 2011). [1] Au niveau cellulaire, on note la présence de fibroblastes, de cellules mésenchymateuses, de cellules endothéliales, de péricytes et de leucocytes. [2] Les acteurs moléculaires comprennent la matrice extracellulaire et les protéines solubles dont des enzymes, des cytokines, des facteurs de croissance et des chimiokines (molécules auxquelles je consacrerai un chapitre). Tous ces acteurs, de par leurs interactions avec les cellules tumorales, sont modifiés ou modifient les cellules environnantes, ce qui a pour conséquence de favoriser l’acquisition de propriétés particulières nécessaires à la survie et au développement tumoral. Hanahan et Weinberg ont décrit 6 capacités acquises indispensables à la plupart des cellules tumorales (Figure1A). Ils distinguent : *1+ l’autosuffisance envers les signaux de prolifération, *2+ l‘insensibilité à l’inhibition de contact, *3+ l’invasion tissulaire et métastatique, *4+ l’acquisition d’un potentiel de réplication illimité, *5+ l’induction d’angiogénèse, *6+ la résistance à la mort cellulaire programmée (Hanahan and Weinberg, 2000).
l’autosuffisance envers les signaux de prolifération
En situation normale, la production et la libération de facteurs de croissance sont finement contrôlées afin de maintenir une prolifération limitée assurant le maintien de la structure du tissu et de ses fonctions. Deux paramètres sont connus pour réguler la quantité de facteurs de croissance : [1] le taux de sécrétion, [2] la biodisponibilité. Les signaux mitogènes sont déclenchés par des facteurs de croissance qui se lient à des récepteurs membranaires spécifiques. Le plus souvent, ces récepteurs présentent des domaines intra-cellulaires contenant des tyrosines kinases. La signalisation déclenchée par ces récepteurs aboutit à la transcription de gène(s) impliqué(s) dans la survie et la prolifération cellulaire. Les cellules cancéreuses sont capables de dérégler ces signaux afin de devenir « maître de leur destinée ». Pour ce faire, elles peuvent adopter plusieurs stratégies (Witsch et al., 2010) : [1] Induire la production de facteur de croissance et ainsi assurer leur prolifération par voie autocrine. [2] Envoyer des signaux stimulant les cellules environnantes qui vont libérer des facteurs de croissance en réponse. [3] Sur exprimer un récepteur de facteurs de croissance. [4] Activer constitutivement un récepteur ou une protéine impliquée dans les voies de prolifération.
l‘insensibilité à l’inhibition de contact
Le nombre de cellules ainsi que l’organisation architecturale au sein d’un tissu sont conservés par l’inhibition de contact. Ce contrôle est exercé par des interactions entre les cellules qui aboutissent à une inhibition de la croissance. Ainsi, les gènes impliqués dans ce processus sont des gènes suppresseurs de tumeurs. Récemment, des mécanismes d’inhibition de croissance ont été décrits. La protéine Merlin codée par le gène NF2 renforce l’adhésion inter cellulaire par couplage des protéines d’adhésion (ex cadhérine) au domaine transmembranaire de récepteur à tyrosine kinase. De plus, la protéine Merlin limite les signaux mitogéniques en séquestrant des récepteurs aux facteurs de croissance (Curto et al., 2007; Okada et al., 2005). D’autres protéines onco-suppressives comme LKB1, P53 et RB (protéine associée au rétinoblastome) peuvent être impliquées dans l’acquisition de l’insensibilité à l’inhibition de contact. Une mutation ou la perte de fonction d’une de ces protéines peut rendre une cellule résistante à l’inhibition de contact.
l’invasion tissulaire et métastatique
Les cellules cancéreuses malignes sont caractérisées par leur aptitude à envahir les tissus et à former des métastases distantes de la tumeur primaire. La dissémination tumorale s’initie par la migration des cellules dans les tissus vers un vaisseau lymphatique ou sanguin. Une fois la circulation atteinte, les cellules tumorales peuvent se disséminer à travers l’organisme. La dissémination métastatique peut s’effectuer selon différents mécanismes : *1+ par la libération et l’action d’une enzyme capable de dégrader la matrice extracellulaire (ex métalloprotéase) (Joyce and Pollard, 2009; Kessenbrock et al., 2010), [2] par la modulation d’expression de protéines d’adhérence (Berx and van Roy, 2009; Cavallaro and Christofori, 2004). La dissémination métastatique peut également être orchestrée par les chimiokines. Ce processus sera détaillé dans un chapitre dédié à ces molécules. L’invasion tissulaire et métastatique pourrait être orchestrée par un phénomène de dédifférenciation ou reprogrammation cellulaire nommé transition épithélio-mésenchymateuse (TEM). Cette transition cellulaire est régulée par l’action du TGFβ et permet à la cellule tumorale d’acquérir une motilité favorisant ses capacités d’invasion, de dissémination et de résistance à l’apoptose (Klymkowsky and Savagner, 2009; Polyak and Weinberg, 2009; Thiery et al., 2009). Certaines cellules du microenvironnement notamment les leucocytes associés à la tumeur peuvent permettre aux cellules tumorales d’acquérir une capacité migratoire.
l’acquisition d’un potentiel de réplication illimitée
Les cellules normales ont un potentiel de réplication limité et déterminé. En effet, le processus de sénescence ou vieillissement cellulaire se traduit par le raccourcissement des télomères (extrémités des chromosomes) à la suite de chaque cycle de réplication. La succession des divisions entraîne donc un rétrécissement télomérique létal qui aboutit à la mort cellulaire programmée de la cellule. Les télomères jouent donc un rôle essentiel dans le potentiel réplicatif des cellules et le maintien de l’intégrité de l’information génétique. Il existe une enzyme (la télomérase) capable d’ajouter de nouveaux fragments télomériques à l’extrémité des chromosomes. Cette enzyme est peu ou pas exprimée dans la plupart des cellules somatiques mais s’exprime de manière significative dans 90% des cellules tumorales (Blasco, 2005; Hanahan and Weinberg, 2011). Ainsi, ces cellules résistent à l’induction de sénescence et/ou l’apoptose acquérant ainsi un potentiel de réplication illimité.
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Table des matières
INTRODUCTION
I CANCER CHIMIOTACTISME ET MOBILITE CELLULAIRE
A Cancer et développement tumoral
*1+ l’autosuffisance envers les signaux de prolifération
*2+ l‘insensibilité à l’inhibition de contact
*3+ l’invasion tissulaire et métastatique
*4+ l’acquisition d’un potentiel de réplication illimitée
*5+ l’induction d’angiogénèse
[6] résistance à la mort cellulaire programmée
B Les chimiokines et leurs récepteurs
Définition
Classification et nomenclature
Structure des chimiokines
Les Glycosaminoglycanes (GAG)
Les récepteurs de Chimiokines (RCKs)
Structure des récepteurs
Les interactions des chimiokines avec leurs récepteurs
Transduction du signal
Les voies dépendantes des protéines G
Les voies indépendantes des protéines G
Désensibilisation et internalisation des RCKs
C Chimiotactisme adhérence et transmigration endothéliale
Etape 1-2 : Capture et slow rolling
Etape 3-4 : Activation des intégrines et propagation de l’adhérence
Etape 5 : Crawling intravasculaire
Etape 6 : Migration transendothéliale
Fonctions associées au chimiotactisme
Fonctions du couple CX3CL1/ CX3CR1
D Chimiokines et cancer
Chimiokines, transformation cellulaire et croissance tumorale
Chimiokines et formation de métastases
Implication du couple CX3CL1/CX3CR1
E Agonistes /Antagonistes des chimiokines et de leurs récepteurs
II INTERACTIONS ENTRE LE SYSTEME IMMUNITAIRE ET LES TUMEURS
A La réponse immune antitumorale
B Rôle pro tumoral du système immunitaire
Les lymphocytes T régulateurs
Les macrophages associés aux tumeurs (TAMs)
TAMs et contrôle de la croissance tumorale
Implication de CCR2 sur la mobilisation des TAMs
Les cellules Myéloïdes suppressives
C Chimiothérapie et immuno modulation
III DEVELOPPEMENT ET FONCTIONS DU SYSTEME MONOCYTAIRE
A La Moelle osseuse
Structure et fonction de la moelle osseuse
Le cadre osseux et les cellules fonctionnelles
Le compartiment vasculaire
Le microenvironnement médullaire myéloïde
Le parenchyme hématopoïétique
Etude morphologique et fonctionnelle de la moelle osseuse par imagerie dynamique
Anatomie du réseau médullaire de l’os crânien
Chimiokines et molécules d’adhésion dans la moelle osseuse
B Les monocytes
Origine et différenciation des monocytes
Ontogénie des monocytes
Cytokine et développement monocytaire
Caractérisation et propriétés fonctionnelles des monocytes
Monocytes Ly6-C
high « monocytes classiques ou inflammatoires »
Propriétés fonctionnelles de monocytes Ly6-C
high et rôle de CCR2
Monocytes Ly6-C low/- ou « résidents »
Propriétés fonctionnelles des monocytes Ly6-C low /- et rôle CX3CR1
Relation entre les monocytes Ly6-C
high et Ly6-C low
Différenciation et plasticité des monocytes
Différenciation en DCs
Différenciation en macrophage
Environnement cytokinique et polarisation monocytaire
Caractérisation des monocytes humains
Les monocytes CD14+ CD16− CCR2+ CX3CR1low
Monocytes CD14+ CD16+ CX3CR1high CCR2low
Monocytes CD14dimCD16+ LFA-1 +
CONCLUSION
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