Ces dix dernières années (1990-1999) sont considérées comme les plus chaudes de ce siècle, si l’on se réfère aux données annuelles et aux données hivernales (IPCC, 2001). Des preuves évidentes de changements climatiques globaux se sont accumulées dans de nombreux systèmes (par exemple, fonte des glaces, déplacement géographique d’espèces végétales et animales et modifications biologiques dans le monde animal et végétal) que l’on ne saurait dissocier du réchauffement observé (IPCC, 2001). L’étude de l’impact des changements climatiques sur ces systèmes est aujourd’hui devenue prioritaire. Les seuls outils dont on dispose pour obtenir des estimations sur l’évolution future du climat sont les modèles numériques. Des modèles simples peuvent permettre une estimation quantitative approximative de certaines variables moyennées à l’échelle du globe mais il faut disposer de modèles climatiques plus élaborés pour effectuer des estimations précises notamment concernant les rétroactions Océan-Atmosphère Végétation. Les modèles climatiques globaux ont su intégrer les relations océan atmosphère (voir revue dans IPCC, 2001) et tendent aujourd’hui à tenir compte de l’effet des écosystèmes terrestres sur le climat global (e.g. Foley et al., 1998; Levis et al., 1999; Foley et al., 2000; Prentice et al., 2000a). Mais si les végétations actuelles sont de mieux en mieux simulées pour les conditions climatiques contemporaines, ces modèles doivent être nécessairement validés pour des changements équivalents à ceux qui sont prédits pour s’assurer de leur robustesse. La modélisation des climats passés permet de tester la sensibilité de ces modèles sous des conditions climatiques très différentes de celles qui ont été mesurées depuis seulement un siècle et utilisées pour calibrer les modèles. C’est l’objectif du programme international Paleoclimate Modelling Intercomparison Project (PMIP) qui fonctionne depuis plusieurs années (Joussaume & Taylor, 1995).
Les modèles de végétation impliquent des processus dont les caractéristiques de temps sont plus étendues que les processus atmosphériques, ce qui rend le couplage assez délicat. Les premiers couplages ont été asynchrones et ont impliqué des modèles de type BIOME (Prentice et al., 1992; Haxeltine & Prentice, 1996; Kaplan, 2001) qui prennent en compte de façon statique les contraintes climatiques (un biome végétal est un ensemble d’écosystèmes caractéristiques d’une zone biogéographique, nommé à partir de la végétation qui y prédomine et y est adaptée). Les modèles plus récents dit « dynamiques » comme LPJ (Sitch et al., 2003) ou IBIS (Foley et al., 1996) mettent en jeu des processus tels que la compétition pour la lumière et les ressources en eau, la mortalité ou bien des perturbations (notamment les feux). Les modèles climatiques les plus récents sont actuellement capables de prendre en compte cette dynamique (Foley et al., 2000).
Les phytolithes, traceurs des formations herbacées
Les phytolithes
Les phytolithes sont des particules d’opale (SiO2 nH2O) (Jones & Seignit, 1696; Alexandre, 1996) qui se forment par précipitation de silice amorphe entre et dans les cellules de nombreuses plantes vivantes en sénescence (Piperno, 1988). C’est dans les graminées qu’ils sont particulièrement abondants, différents et distincts (Twiss et al., 1969; Twiss, 1983; Palmer et al., 1985; Twiss, 1987; Piperno, 1988; Mulholland, 1989; Twiss, 1992; Kondo et al., 1994). Les travaux précédemment cités montrent que trois des cinq sous-familles de Poaceae sont correctement différenciées par les types de phytolithes qu’elles produisent.
Les sous-familles de graminées
Les Panicoideae, constituent la première sous-famille. Ce sont essentiellement des graminées à cycle photosynthétique en C4 (79% des genres selon Watson et al. (1985) et Watson et Dallwitz (1992)). Les Panicoideae en C4 sont adaptées aux climats chauds et humides ou aux sols à forte teneur en eau disponible (Hartley, 1958; Teeri & Stowe, 1976; Tieszen et al., 1979; Cabido et al., 1997; Scott, 2002). Celles en C3 sont inféodées aux zones ombragées des sous-bois tropicaux (Tieszen et al., 1979; Schwartz, 1991). Ces graminées sont d’une manière générale de grande taille (Watson et al., 1985; Watson & Dallwitz, 1992) et sont communément appelées »graminées hautes » par comparaison aux Chloridoideae qui sont dites des « graminées basses ». Les Chloridoideae ont toutes un cycle photosynthétique en C4 (Livingstone & Clayton, 1980; Watson et al., 1985; Watson & Dallwitz, 1992). Elles sont adaptées aux climats chauds et secs et aux sols pauvres en eau (Hartley, 1964; Tieszen et al., 1979; Livingstone & Clayton, 1980; Watson et al., 1985; Watson & Dallwitz, 1992). Les Pooideae (ou Festucoideae) sont des graminées en C3 (Watson et al., 1985; Watson & Dallwitz, 1992), abondantes en zones tempérées et froides mais aussi présentes en altitude en zone inter-tropicale (Tieszen et al., 1979; Livingstone & Clayton, 1980; Tieszen et al., 1997; Scott, 2002; Winslow et al., 2003). Les Arundinoideae sont essentiellement des graminées en C3 (92% des genres d’après Watson et al. (1985) et Watson et Dallwitz (1992)) et se retrouvent sous tout type de climat. Les Bambusoideae, cinquième sous-famille, sont des graminées en C3, caractéristiques des zone tropicales et tempérées chaudes, essentiellement forestières (Watson et al., 1985; Watson & Dallwitz, 1992).
Classification taxonomique des phytolithes
Nous avons adopté dans ce mémoire la classification des phytolithes produites par les Poaceae proposée par Twiss (1969) et complétée des descriptions de Mulholland (1989), Kondo et al. (1994) et Fredlund et Tieszen (1994). Quinze types de phytolithes ont été utilisés pour l’interprétation de nos assemblages modernes; neuf sont attribués aux Poaceae : les types « croix » (cross, en anglais) et « haltère » (dumbbell) sont produits essentiellement par les Panicoideae; le type « selle » (saddle) est produit préférentiellement par les Chloridoideae; les types « uni-lobé » (uni-lobate), aussi appelé « roundel » (Mulholland, 1989) et « poly-lobés » (poly-lobate) et les « rectangle » (rectangle) sont produits en très grande majorité par les Pooideae; le type « pointe » (pointshaped), le type en « éventail » ou « cellule bulliforme silicifiée » (fan shaped) ainsi que le type « allongé » (elongate) sont produits par les cinq sous-familles de Poaceae. Les sous-familles Bambusoideae et Arundinoideae produisent tous ces types de phytolithes avec, semble t’il, une dominance du type « selle » pour les Bambusoideae et du type « poly-lobé » pour les Arundinoideae. Ceci a été mis en évidence dans la classification des Poaceae de Watson et Dallwitz (1992) et remarqué dans nos assemblages.
Six types de phytolithes ne sont pas attribués à des Poaceae: le type « cône » (conical) est produit par les Cyperaceae (Le Cohu, 1973; Ollendorf, 1987; Kondo et al., 1994; Wallis, 2003); le « sphérique crénelé » (crenate spherical) est produit dans les feuilles des Palmae (Kondo et al., 1994; Runge, 1999; Runge, 2000; Vrydaghs & Doutrelepont, 2000), le « sphérique rugueux » (rough spherical) est produit dans les cellules du parenchyme du bois des dicotylédones ligneux (Scurfield et al., 1974; Kondo et al., 1994) ; les Pinaceae produisent un type que l’on peut retrouver dans les assemblages, nommé en anglais « spherical with sockets » par Delhon et al. (2003) ou bien « spiny body » par Kerns (2001) ou encore « spiked type » par Blinnikov et al. (2002), et qui peut être traduit par « sphérique irrégulier avec des pointes »; le « sphérique lisse » (spherical smooth) semble être produit par les dicotylédones ligneux ainsi que certaines monocotylédones herbacées (Piperno, 1988; Kondo et al., 1994). Ce type a aussi était observé dans les racines de certaines graminées (Alexandre et al., 2000).
Cette classification ne rend pas compte de la complexité des dénominations et de la disparité des termes employés dans la littérature rendant les comparaisons difficiles si des photographies ne viennent pas illustrer ces études. Les noms attribués à chacun des types étant sensiblement différents pour chacun de ces auteurs, les critères descriptifs proposés par l’ICPN (International Code For Phytolith Nomenclature) ont été utilisés. Cette nomenclature en préparation devrait être rapidement publiée.
Concept d’assemblages et d’indices phytolithiques
Un grand nombre d’études sur les phytolithes sont des descriptions de formes ou types (aussi nommés morphotypes) extraits de nombreux taxons végétaux, dans le but d’établir des classifications de références (Parry & Smithson, 1964; Sendulsky & Labouriau, 1966; Geis, 1973; Scurfield et al., 1974; Brown, 1984; Kondo & Sase, 1986; Mulholland, 1989; Bozarth, 1992; Kaplan et al., 1992; Rapp & Mulholland, 1992; Kondo et al., 1994; Ball et al., 1996; Ball et al., 1999; Runge & Fimbel, 1999; Albert et al., 2000; Mbida et al., 2000; Runge, 2000; Vrydaghs & Doutrelepont, 2000; Kerns, 2001; Lu & Liu, 2003; Wallis, 2003). Ce genre d’étude, comparable à ce qui a été fait avec les pollens, est intéressant mais cependant de portée limitée. En effet, avant même que tous les genres et les espèces n’aient été encore étudiés, les résultats ont montré qu’un type de phytolithe pouvait être produit par différentes plantes et qu’une plante pouvait produire plusieurs types de phytolithes. C’est le phénomène de multiplicité et de redondance très bien expliqué par Fredlund et Tieszen (1994). Ceci montre qu’il est périlleux d’essayer d’attribuer un ou plusieurs types à un genre ou une espèce végétale.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. INTRODUCTION
I.1 PROBLEMATIQUE
I. 2 LES PHYTOLITHES, TRACEURS DES FORMATIONS HERBACEES
I. 2. 1 Les phytolithes
I. 2. 2. Les sous-familles de graminées
I. 2. 3. Classification taxonomique des phytolithes
I. 2. 4. Concept d’assemblages et d’indices phytolithiques
I. 2. 5. Représentation spatiale et temporelle des assemblages phytolithiques modernes
I. 3. OBJECTIF DE CETTE THESE ET CHOIX DES SITES D’ETUDES
I. 4. ORGANISATION DU MEMOIRE
CHAPITRE II. CALIBRATION DES RELATIONS ENTRE ASSEMBLAGES PHYTOLITHIQUES, DISPONIBILITE EN EAU (AET/PET) ET CARACTERISATION DES BIOMES HERBACES EN C4 INTERTROPICAUX EN AFRIQUE DE L’OUEST
II. 1. RÉSUMÉ ÉTENDU DE L’ARTICLE: GRASS WATER STRESS AND GRASS-DOMINATED BIOME DEFINITION ESTIMATED FROM PHYTOLITHS IN WEST AFRICA
Matériel et Méthode
Résultats
Discussion-conclusion
II. 2. DONNEES PHYTOLITHIQUES SUPPLEMENTAIRES
– Echantillons du désert de Sonora (Mexique)
II. 3. PERSPECTIVES
II. 3. 1 Application à des échantillons fossiles
II. 3. 2 Application à d’autres domaines climatiques
II. 4. GRASS WATER STRESS AND GRASS-DOMINATED BIOME DEFINITION ESTIMATED FROM PHYTOLITHS IN WEST AFRICA
Abstract
Introduction
Environmental setting
Climate
Vegetation
Materials and methods
Materials
Methods
Phytolith extraction, classification and counting
Calculation of phytolith indices
Statistical analysis and biomization methods
Results
Phytolith assemblages
Statistical relationships between AET/PET and phytolith indices
Comparison between phytolith and pollen-derived estimations of AET/PET
Definition of new phytolith-derived grassland biomes
Comparison between phytolith-derived biomes, pollen-derived biomes and actual biomes
Discussion
Spatial scale recorded by the phytolith assemblages
Significance of the Iph index in term of C4-grassland physiognomy and water stress (AET/PET)
Significance of the Fs index in term of water stress (AET/PET)
A phytolith proxy of AET/PET: the application domain
Complimentary phytolith- and pollen-derived biomizations
Conclusion
CHAPITRE III. VALIDITE ET LIMITES DE L’INDICE PHYTOLITHIQUE IC EN TANT QUE TRACEUR DES SOUS-FAMILLES PANICOIDEAE (C4 ET C3) ET POOIDEAE (C3) EN ZONE D’ALTITUDE INTERTROPICALE; APPLICATION A DEUX SITES EST-AFRICAIN : MT KENYA (KENYA) ET MT RUNGWE (TANZANIE)
III. 1. RÉSUMÉ ÉTENDU DE L’ARTICLE : TESTING THE IC PHYTOLITH INDEX AS A PROXY OF PANICOIDEAE (C4 AND C3) AND POOIDEAE (C3) GRASS SUBFAMILIES DOMINANCE ONTROPICAL MOUNTAINS : APPLICATION AT TWO SITES IN EAST AFRICA (MT KENYA AND MT RUNGWE)
Matériel et méthode
Résultats
Discussion et conclusion
III. 2. PERSPECTIVES QUANTIFICATION ET APPLICATION A DES ECHANTILLONS FOSSILES
III. 3. TESTING THE IC PHYTOLITH INDEX AS A PROXY OF PANICOIDEAE (C4 AND C3) AND POOIDEAE (C3) GRASS SUBFAMILIES DOMINANCE ON TROPICAL MOUNTAINS : APPLICATION AT TWO SITES IN EAST AFRICA (MT KENYA AND MT RUNGWE)
Abstract
Introduction
Material and methods
Mont Kenya
Mount Rungwe
Phytolith samples
Phytolith extraction, classification and counting
Phytolith indices
Common grass subfamilies distribution and botanical indices
Results
Relation between phytolith assemblages, phytolith indices (D/P, Iph and Ic) and vegetation zones
Relation between phytolith Ic index, botanical indices and elevation
Discussion
Limitation of D/P for tracing the wooded vegetations on East-African mountains
Limitation of Iph for tracing C4-tall and C4-short grass dominance on East-African mountains
Reliability of Ic for tracing Panicoideae, Pooideae and Arundinoideae grass dominance on East-African mountains
Conclusion
CHAPITRE IV. RELATION ENTRE ASSEMBLAGES PHYTOLITHIQUES ET DENSITE DU COUVERT ARBORE EN DICOTYLEDONES LIGNEUSES
IV. 1. CALIBRATION DE L’INDICE PHYTOLITHIQUE D/P AVEC LE LAI (LEAF AREA INDEX) EN DOMAINE INTERTROPICAL
RÉSUMÉ ÉTENDU DE L’ARTICLE : A PHYTOLITH INDEX AS A PROXY OF TREE COVER DENSITY IN TROPICAL AREAS : CALIBRATION WITH LEAF AREA INDEX ALONG A FOREST-SAVANNA TRANSECT IN SOUTH-EASTERN CAMEROON
Matériel et Méthode
Résultats
Discussion et conclusions
IV. 2. PERSPECTIVES D’APPLICATION A DES ECHANTILLONS FOSSILES
IV. 3. A PHYTOLITH INDEX AS A PROXY OF TREE COVER DENSITY IN TROPICAL AREAS :CALIBRATION WITH LEAF AREA INDEX ALONG A FOREST-SAVANNA TRANSECT IN SOUTHEASTERN CAMEROON
Abstract
Introduction
Environmental setting
Material and methods
Samples
Phytolith extraction, classification and counting
LAI data
Pollen data
Results
Phytolith assemblages
Comparison between D/P index, LAI and AP
Statistical relationships between D/P and LAI
Discussion
CONCLUSION