Calcul des stocks de carbone des sols
Le contexte de lโรฉtude : des enjeux majeurs
La quantitรฉ de carbone dans lโatmosphรจre nโa cessรฉ dโaugmenter depuis la rรฉvolution industrielle (19รจme siรจcle), passant de 280 ppm (parties par million, soit 280 molรฉcules de CO2 pour mille dโair) ร lโรจre prรฉindustrielle ร 310 ppm en 2001 (LAL, 2001). De plus, les cent cinquante derniรจres annรฉes ont รฉtรฉ marquรฉes par une augmentation de 30% de la quantitรฉ de carbone dans lโatmosphรจre, sous lโeffet des รฉmissions grandissantes de gaz ร effet de serre (GES) comme le CO2 et le CH4. Si la quantitรฉ de carbone atmosphรฉrique augmente, cโest parce quโelle diminue dans les autres rรฉservoirs de la biosphรจre : par la combustion des composรฉs fossiles dans la lithosphรจre; la dรฉforestation et les feux de forรชts dans le compartiment biotique ou encore la mise en culture et dโautres activitรฉs anthropiques dans le compartiment ยซ sol ยป (SPARKS, 2003). En 2006 par exemple, il a รฉtรฉ montrรฉ que les activitรฉs agricoles et sylvicoles รฉtaient responsables de 19% environ des รฉmissions brutes de GES en France (CITEPA, 2008).
La hausse des tempรฉratures dans lโatmosphรจre, due ร lโaugmentation des quantitรฉs de ces GES, causerait une probabilitรฉ importante dโimpacts graves, รฉtendus et irrรฉversibles tels que des sรจcheresses, inondations, pรฉnuries alimentaires, diminution de la ressource en eau et altรฉration de sa qualitรฉโฆ Dans le but de limiter ce changement climatique, la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique et son protocole de Kyoto vise ร stabiliser voir rรฉduire les รฉmissions de GES dans lโatmosphรจre ร un niveau permettant dโempรชcher lโaugmentation des tempรฉratures et de limiter les perturbations sur les activitรฉs humaines (UNFCCC, 2014). Il existe dโailleurs de nombreuses faรงons de rรฉduire la quantitรฉ de CO2 dans lโatmosphรจre, notamment en limitant lโutilisation des combustibles fossiles, au profit des รฉnergies renouvelables comme lโรฉnergie solaire, รฉolienne, hydraulique, ou encore, grรขce ร la sรฉquestration du carbone dans les sols (SPARKS, 2003). En effet, la rรฉserve en carbone organique des sols est dโune capacitรฉ dโapproximativement 2 400 gigatonnes (Gt) pour 2m de profondeur, soit prรจs de trois fois la rรฉserve de carbone atmosphรฉrique et plus de quatre fois la rรฉserve biotique (CALVET et al., 2011).
En plus du carbone organique, les sols disposent dโune rรฉserve de carbone inorganique ร hauteur de 700-750 Gt sous forme de carbonates (CO32-) lithogรฉniques ou pรฉdogรฉnรฉtiques. Ces carbonates permettent en moyenne la sรฉquestration de 0,25 Gt C /ha/an (Sparks, 2003). Par consรฉquent, les sols reprรฉsentent une clรฉ pour le stockage du C atmosphรฉrique, grรขce au cycle du carbone et ร leur rรดle de puits de C. Cโest dโailleurs un des principes de base de lโinitiative ยซ 4 pour 1000 ยป, lancรฉ en 2014 par le ministรจre de lโagriculture lors de la COP21. Il y est proposรฉ dโaugmenter la sรฉquestration du C de 0,4% par an pour compenser les รฉmissions de CO2 dues aux activitรฉs humaines (Ministรจre de l’Agriculture, 2015).
Enjeu Agronomique
En outre lโimportance de diminuer les quantitรฉs de CO2 dans lโatmosphรจre pour limiter le rรฉchauffement climatique, le maintien, voire lโaugmentation des stocks de carbone dans les sols sont aussi fondamentaux pour assurer la production durable des cultures. En effet, le carbone organique des sols est considรฉrรฉ comme lโindicateur le plus important de la qualitรฉ des sols, de leur santรฉ et de leur durabilitรฉ agronomique. De plus, cโest le principal constituant de la matiรจre organique du sol (MOS), MOS qui a dโimportants impacts sur les propriรฉtรฉs physiques, chimiques et biologiques du sol (BATIONO et al., 2015). En effet, la diminution de la MOS dans les horizons de surface des sols peut avoir des effets dramatiques sur la capacitรฉ de rรฉtention dโeau du sol, sur la stabilitรฉ structurale et la compaction, la fourniture et le stockage des nutriments et sur la vie biologique du sol (SOMBROEK et al., 1993). Depuis des siรจcles, de nombreux systรจmes de production comptent sur la MOS pour maintenir leurs productions. Cependant, avec lโadoption grandissante des systรจmes intensifs, la dรฉgradation des paysages et le changement climatique, la quantitรฉ de MOS a rapidement dรฉclinรฉ, menaรงant ainsi la production durable des systรจmes. Cโest ainsi que dans les 25 derniรจres annรฉes, un quart des surfaces cultivables de la planรจte a subi un dรฉclin de productivitรฉ et de capacitรฉ de fourniture de services รฉcosystรฉmiques (SES) ร cause des pertes de C organique (BAI, et al., 2008). En contexte tropical, la situation est aggravรฉe puisque les sols sont dรฉjร appauvris et que lโexploitation agricole des terres ne permet pas de restitutions suffisantes de MO. Ainsi, il est gรฉnรฉralement admis par la communautรฉ scientifique que 2% de C organique dans le sol (soit 3,5% de MO) est le seuil critique pour les sols tempรฉrรฉs en dessous duquel leur qualitรฉ peut รชtre amoindrie (LOVELAND & WEBB, 2003). Lโimportance de cette MO pour les propriรฉtรฉs du sol est rรฉsumรฉe dans la figure 1.
Le volcanisme ร lโorigine de la gรฉologie et de la topographie
Lโรฎle de la Rรฉunion est constituรฉe de deux complexes volcaniques : le Piton des Neiges au Nord-Ouest qui a entraรฎnรฉ lโรฉmergence de lโรฎle, รฉteint depuis 12 000 ans et qui culmine ร 3 070 m ; et le Piton de la Fournaise au Sud-Est, apparu il y a environ 1 million dโannรฉes, toujours en activitรฉ et culminant ร 2 631 m (Figure 3). Lโaffaissement du Piton des Neiges et lโรฉrosion ont entraรฎnรฉ la formation de trois cirques (Cilaos, Mafate, Salazie), aux versants abrupts, escarpรฉs et aux vallรฉes encaissรฉes. Ces trois cirques sont sรฉparรฉs par des planรจzes (la Roche Ecrite, le Grand Bรฉnare), ces plateaux volcaniques de surface triangulaire qui convergent vers le sommet du Piton des Neiges (DEFOS DU RAU, 1960). Le temps, les multiples รฉruptions des volcans et la modification de leurs natures ont permis la crรฉation dโune grande diversitรฉ de roches sur lโรฎle (cf. annexe 1). Ainsi, les laves anciennes (ocรฉanites) sont des basaltes riches en olivines et alcalines alors que les laves rรฉcentes, plus acides, sont riches en silice. Les รฉruptions explosives ont รฉgalement fait apparaitre des tufs, cendres et ponces (RAUNET, 1991).
Les sous-sols de La Rรฉunion sont ainsi formรฉs dโun empilement de coulรฉes successives de lave, de nature et dโรฉpaisseur trรจs variables. Lโรฎle, dโenviron 60 km de diamรจtre, est donc compacte et fortement accidentรฉe. La dissection est trรจs active, aussi bien sur les versants extrรชmes que dans le sud du massif. Lโรฉrosion trรจs active รฉvacue vers la mer, spรฉcialement en pรฉriodes cycloniques, des quantitรฉs importantes de matรฉriaux (RAUNET, 1991). Cette topographie affecte le contenu des sols en MO par le climat, le ruissellement, et lโรฉvaporation de lโeau des sols. Ainsi, dans les sols humides, mal drainรฉs ou sur pente orientรฉe vers le nord, les stocks de MOS sont plus รฉlevรฉs que sur sols secs, exposรฉs sud en raison des conditions de tempรฉrature et dโaรฉration du sol (STEVENSON, 1982 ; BOHN et al., 1985).
โขLe travail du sol et le trafic au champ Les expรฉrimentations de conduite de culture sans travail du sol se multiplient, et les rรฉsultats montrent une augmentation significative des SCO dans les 30 premiers centimรจtres du sol lorsquโil cesse dโรชtre labourรฉ (RAZAFIMBELO et al., 2015 ; BAKER et al., 2007 ; CORBEELS et al., 2016 ; LU et al., 2011 ; LUO et al., 2010 ; POWLSON et al., 2016 ; RAZAFIMBELO-ANDRIAMIFIDY et al., 2010). En effet, le travail du sol entraine une diminution de la teneur en agrรฉgats stables du sol, or la MOS serait liรฉe ร la structure du sol : ยซ les teneurs croissantes de MO induisant une stabilitรฉ de lโagrรฉgation, celle-ci, en retour, permettant une protection contre la minรฉralisation des MO situรฉes ร lโintรฉrieur des agrรฉgats et donc limitant les pertes de C sous formes de CO2 ยป (RAZAFIMBELO-ANDRIAMIFIDY et al., 2010). Ainsi, toutes les pratiques entrainant une baisse de la stabilitรฉ structurale du sol pourraient impacter nรฉgativement les SCO mais aussi amoindrir la fertilitรฉ des sols (CHABALIER et al., 2006). Le travail du sol, par retournement et fragmentation, augmente lโexposition des agrรฉgats ร lโair et accรฉlรจre รฉgalement la minรฉralisation des MOS par oxydation, avec libรฉration de CO2 dans lโatmosphรจre et dโions minรฉraux dans le sol. Tout travail du sol entraine donc un dรฉstockage de carbone (ALBRECHT, 1992). La mise ร nu des sols peut รฉgalement entrainer une รฉrosion provoquant la perte des premiรจres couches de sols qui sont celles les plus riches en carbone organique (VENKATAPEN, 2012). Ainsi, comme le montre la figure 8, la rรฉpรฉtition (anciennetรฉ de la culture) et lโintensification des pratiques de travail du sol (comparaisons prairie/maraรฎchage et sans travail/rotobรจche/labour) entrainent une diminution des teneurs en C dans les sols.
Par ailleurs, le trafic au champ lors du travail du sol semble clairement faire augmenter la densitรฉ apparente (DA) (JARECKI & LAL, 2003), et aura donc un impact sur les SCO. En effet, la DA rend compte de la masse de sol contenu dans un volume donnรฉ, et peut รชtre un indicateur de lโinfluence du travail du sol sur sa structure en informant sur son niveau de compaction (HOOGMOED & KLAIJ, 1994). Dโun autre cรดtรฉ DIMASSI et al. (2014) ont montrรฉ, grรขce ร une analyse diachronique, quโร long terme le non travail du sol ne permettait pas dโaugmenter les SCO dans les sols. Ceux-ci semblent plรปtot augmenter dans les 10 premiers centimรจtres au cours des 4 premiรจres annรฉes de non labour, puis se stabilise les 24 annรฉes suivantes et diminuent aprรจs 28 ans. Ces changement de SCO dans les sols non labourรฉs seraient nรฉgativement corrรฉlรฉs avec le bilan hydrique, montrant que les taux de sรฉquestration sont positifs en pรฉriodes sรจches et nรฉgatives en pรฉriodes humides.
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Table des matiรจres
Introduction
Partie 1 : Etat de lโart
I.Le contexte de lโรฉtude : des enjeux majeurs
Enjeu environnemental
Enjeu Agronomique
II.Le cycle du carbone
La sรฉquestration du carbone
La minรฉralisation du carbone
III. Les facteurs de variation des stocks de carbone dans les sols agricoles rรฉunionnais
Les facteurs abiotiques : le contexte pรฉdoclimatique de La Rรฉunion
Le volcanisme ร lโorigine de la gรฉologie et de la topographie
Le climat
La pรฉdologie
Les facteurs anthropiques
Lโoccupation des sols
Les pratiques culturales
Objectifs et questions de recherche
Le projet C@RUN: objectifs et premiers rรฉsultats
Questions de recherche
Partie 2 : Stratรฉgie mรฉthodologique
Choix des situations
Enquรชtes auprรจs des agriculteurs
Prise de contact et contenu de lโenquรชte
Mesure de la densitรฉ apparente des sols
Mรฉthode de rรฉfรฉrence
Mรฉthode simplifiรฉe
Mesure de la teneur en carbone des sols
Traitement des donnรฉes
Rรฉsultats dโenquรชte
Calcul des stocks de carbone des sols
Prรฉsentation des analyses
Analyses descriptives
Analyses de variances
Exploration de la base de donnรฉes LIMS
Partie 3 : Rรฉsultats
I.Exploration de la base de donnรฉes LIMS
II.Prรฉsentation des sites de prรฉlรจvements
Hiรฉrarchisation des dรฉterminants du carbone dans les sols
Impact des variables explicatives dโintรฉrรชt sur les teneurs en carbone
Enquรชtes sur les pratiques culturales des agriculteurs
Rรฉpartition des situations et attribution de paires
Rรฉsumรฉ des rรฉsultats dโenquรชte
III. Variation des stocks de carbone et de ses composantes
Variation des densitรฉs apparentes
Variation des teneurs en carbone
Variation des stocks de carbone
Partie 4 : Discussion
I.Hiรฉrarchisation des dรฉterminants du carbone – Base de donnรฉes LIMS
II.Densitรฉs apparentes
III. Teneurs en carbone
Stocks en carbone
Discussion du protocole
Conclusion
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