Business Models circulaires au sein de grandes entreprises linéaires

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REVUE DE LITTERATURE, CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIE DE RECHERCHE

Cette seconde partie de notre manuscrit est composée de trois chapitres successifs.
Dans un premier chapitre, nous procédons à une revue de littérature des principaux champs académiques explorés dans ce manuscrit, et expliquons les raisons qui nous ont poussé à les mobiliser plutôt que d’autres. Dans une première section, nous examinons de manière croisée les trois principales littératures mobilisées, qui concernent l’économie circulaire, les business models et les business models circulaires. Plus qu’une analyse de littérature classique, nous procédons à une analyse critique de ces champs visant à construire un cadre conceptuel original en interaction avec nos terrains. Dans les deux sections suivantes, nous présentons les deux autres champs de littérature avec lesquels nous faisons dialoguer les trois premiers, à savoir la nouvelle sociologie économique et les travaux sur l’instrumentation provenant des sciences de gestion et des sciences politiques. A noter qu’afin de faciliter la lecture du manuscrit, nous concluons chacune de ces sections par un paragraphe spécifique qui synthétise les principaux éléments que nous retenons pour la construction de notre cadre théorique. Enfin, nous terminons ce chapitre par une quatrième section au sein de laquelle nous formulons nos questions de recherche et synthétisons le cadre théorique que nous avons élaboré pour y proposer une réponse originale.
Dans un deuxième chapitre, nous exposons la méthodologie de recherche que nous avons élaborée en fonction de l’analyse critique de la littérature effectuée, du cadre théorique conçu et des questions de recherche auxquelles nous nous proposons de répondre.

revue de littérature, questions de recherche et cadre conceptuel

REVUE DE LITTERATURE, QUESTIONS DE RECHERCHE ET CADRE CONCEPTUEL

L’objet de ce manuscrit est d’analyser les Business Models Circulaires (BMC). Pour ce faire, ce chapitre de revue de littérature pose les bases d’un cadre conceptuel dont l’ambition est de permettre une compréhension plus fine des mécanismes clefs de création et de captation de valeur en lien avec ces BMC.
Dans la première section de ce chapitre, nous croisons donc les littératures sur l’économie circulaire, les BM et les BM circulaires afin de circonscrire et mettre en tension cet objet d’étude. Plus qu’une analyse de littérature traditionnelle, nous procédons ici comme évoqué à une analyse critique de celle-ci. L’économie circulaire constituant un concept pour partie développé par des praticiens (consultants, managers, acteurs publics, organisations issues de la société civile), nous incluons à cette analyse non seulement la littérature académique, mais également la volumineuse littérature grise qui a participé à le forger. Nous mettrons en évidence la centralité d’un ensemble de questions :
Celle des micro-processus par lesquels des BMC émergent puis se transforment afin de monter en puissance et de se pérenniser au sein d’entreprises établies et diversifiées ;
Celles des micro-processus d’action collective qui permettent de construire les collectifs d’acteurs d’envergure systémique en l’absence desquels aucune création et captation de valeur individuelles ne sont possibles ;
Celle du rôle des artefacts, entendus comme des objets créés par l’être humain et permettant de matérialiser un BM en une réalité organisationnelle, dans ces processus d’émergence et de transformation ;
Dans les sections suivantes, nous croisons ces champs avec d’autres disciplines et domaines de recherche. Outre une meilleure compréhension de mécanismes clefs de création et captation de valeur en lien avec les BMC, ce travail permet d’interroger certains points de littérature susmentionnés et de construire de potentiels apports théoriques réciproques pour ces différents champs.
La deuxième section est consacrée à la nouvelle sociologie économique. Cette dernière décrit en effet avec une granulométrie fine les processus d’action collective liés à la création de nouveaux produits et marchés, notamment dans leurs dimensions organisationnelle et inter-organisationnelle. Ce faisant, nous posons donc l’hypothèse qu’elle permet de prolonger et d’éclairer les recherches récentes en management stratégique qui préconisent d’analyser les Business Models en tant que processus. Deux éléments sont particulièrement discutés :
Les enjeux de construction des qualités de ce que les BMistes appellent les propositions de valeur, qui constituent à notre sens un des points aveugles de la littérature sur les Business Models Circulaires (BMC) ;
Dans la continuité de travaux récents en management stratégiques (Demil et Lecocq, 2015), les types d’artefacts et de structures organisationnelles qui permettent aux entreprises de donner leur matérialité à des BM.
La troisième section est consacrée à des courants de recherche des sciences de gestion et des sciences politiques dont le point d’entrée méthodologique de l’analyse de l’action collective est l’instrumentation. Deux points de contact potentiels avec les BMC sont à nouveau mis en avant :
La manière dont ces travaux de sciences de gestion permettent d’affiner les études réalisées en management stratégique sur le rôle des artefacts en vue de donner une matérialité aux BM et les éclairages que la nouvelle sociologie économique y apporte.
Toujours en interaction avec le management stratégique et la nouvelle sociologie économique, nous montrons enfin comment le courant des instruments d’action publique permet d’affiner la perception actuelle de l’impact des politiques publiques sur les BM, en l’occurrence circulaires. Sur la base de ces analyses, nous concluons enfin ce chapitre par une dernière section visant à formuler nos questions de recherche et à les resituer dans le cadre conceptuel que nous avons élaboré pour y apporter des éléments de réponse originaux.

ECONOMIE CIRCULAIRE ET BM CIRCULAIRES

Nous proposons ici de poser les bases de notre analyse des Business Models Circulaires en procédant en trois étapes.
Nous explicitons tout d’abord le concept d’économie circulaire. Nous mettons ensuite en évidence l’intérêt d’une approche de ce phénomène au travers de la notion de Business Model telle que développée par le management stratégique. Enfin, nous décrivons dans quelle mesure ces fonctionnements circulaires introduisent des déplacements par rapport à la notion de Business Model et interrogent de ce fait certaines approches traditionnelles du management stratégique.

L’ECONOMIE CIRCULAIRE COMME UTOPIE RATIONNELLE : VERS UN MODELE DE DEVELOPPEMENT DURABLE ?

Qu’entend-on par économie circulaire ? Dans cette section, nous avons fait le choix de ne pas y répondre en procédant à une analyse de littérature traditionnelle. Nous lui préférons une analyse du concept en tant qu’utopie rationnelle (Aggeri, 2017).
Comme l’évoque l’auteur, la notion s’inspire de celle de mythe rationnel qui avait été proposée en sciences de gestion (Hatchuel et Weil, 1992). Elle désigne l’idée que pour se mettre en mouvement, l’action collective a besoin d’utopies mobilisatrices, qui ont d’autant plus de chance de se propager qu’elles se fondent par ailleurs sur des arguments rationnels. Aggeri définit ainsi une utopie rationnelle comme « le récit problématisé d’une société idéale qui se fonde non seulement sur une narration mobilisatrice mais aussi sur des éléments rationnels (raisonnements, modélisations, calculs) censés l’ancrer dans le domaine du réalisable » (2017). Elles combinent alors les propriétés mobilisatrices de l’utopie aux propriétés rassurantes de la raison, et il s’agit donc de construire des promesses collectives susceptibles d’agréger et de mobiliser des acteurs hétérogènes. Se basant sur Jean-Louis Metzger (2001), Aggeri rappelle qu’une utopie rationnelle se construit autour de trois éléments principaux :
Une « dynamique de création collective », dont elle est la résultante ;
Des récits, qui fournissent « un guide pour l’action » autour d’une critique de l’existant et la description d’un nouvel idéal ;
Et enfin l’ensemble « d’images-forces » qui la constituent, et visent à imprégner les croyances collectives.
Dans les prochains paragraphes, nous décrivons donc les principaux « récits » et « image-forces » qui constituent l’économie circulaire au travers de différents éléments de définition, des activités qui sont mises en avant comme la constituant et des effets recherchés de ce modèle. Comme nous l’avons évoqué, une utopie rationnelle constitue le « résultat d’une dynamique de création collective » tout en « appell[a]nt à une nouvelle dynamique de création collective ». Nous adopterons donc une approche historicisée de ce que nous considérons comme un objet de gouvernement au sens foucaldien du terme. Elle synthétisera de manière généalogique la manière dont le concept d’économie circulaire a été construit, ses dynamiques de diffusion et d’appropriation par différents acteurs (économiques, politiques, académiques, consultants, organisations dites de la société civile, etc.), ainsi que l’évolution des pratiques associées telles que ces acteurs les ont mises en place à travers le temps.
Cette analyse en tant qu’utopie rationnelle, qui se justifie par le fait que comme le Business Model, le concept d’économie circulaire a largement été forgé et propagé par des praticiens, implique par ailleurs de procéder à une analyse combinée des littératures grise et académique. Nous y intégrons donc certains des nombreux rapports et autres documents produits par des entreprises, acteurs publics et organisations dites de la société civile constituées en vue de promouvoir ce modèle. Comme nous le verrons, cette dynamique d’appropriation par les acteurs, dont certains comme la Fondation Ellen McArthur bénéficient d’une audience considérable, est structurante dans l’évolution du concept. A l’inverse, le concept d’économie circulaire demeure encore peu mentionné par la littérature académique, notamment en sciences de gestion et tout particulièrement dans la littérature francophone (Buclet, 2015 ; Aurez et Georgeault, 2016)1. Ce parti pris se justifie enfin par la distinction assez ténue qui sépare dans un certain nombre de cas les littératures académique et grise, du fait de la participation de chercheurs aux principaux rapports et essais de vulgarisation produits sur le sujet.

Eléments de cadrage du concept

Comme le soulignent de nombreux travaux (ADEME, 2013, Erkman, 1997 ; etc.), il n’existe pas de définition unique et normalisée de l’économie circulaire. A l’image de la notion d’économie collaborative (Acquier et al., 2016), celle-ci correspond plutôt à un concept que l’on peut qualifier de
protéiforme ». Ses frontières sont en effet variables, en fonction de la pluralité des définitions proposées et de la diversité des manières dont elle est mobilisée en pratique.
Les enjeux sémantiques autour des notions d’économie circulaire et d’écologie industrielle, ainsi que sur les spécificités des champs académiques francophone et anglophone, seront abordés plus loin dans cette section.
Le cœur du présent manuscrit ne consiste toutefois pas à discuter de manière extensive de la notion d’économie circulaire. Nous ne viserons donc pas à en donner une définition définitive. Nous nous centrerons à l’inverse essentiellement sur certains éléments de définition qui sont partagés par les principaux théoriciens et/ou promoteurs du concept, avec l’objectif de mieux apprécier la notion et de construire notre cadre théorique.

Le modèle des écosystèmes naturels et de leur logique de bouclage des flux

Cependant, si l’économie circulaire peut se définir en opposition à un modèle économique donné, quels sont donc ses modèles ? A l’inverse de cette économie linéaire, l’image-force (Metzger, 2001) que mobilise la littérature est celle d’une économie qui prendrait inspiration sur les écosystèmes naturels et leur logique de bouclage des flux.
Dans ces écosystèmes, que l’on peut définir comme des « ensembles vivants formés par un groupement de différentes espèces en interrelations entre elles et avec leur environnement sur une échelle spatiale donnée » (CNRS, 2017), il n’y aurait en effet pas de déchets. Ceux produits par une espèce constituent la nourriture d’autres espèces. La décomposition de produits organiques retourne ainsi par exemple à la nature, et servira de nutriments à de nouvelles plantes. A partir de ce parallèle, les promoteurs de l’économie circulaire posent donc le postulat normatif que ce qui est décrit comme des « écosystèmes industriels » devraient viser l’élimination du concept même de déchet. L’expression anglaise retenue est ainsi de « design out wastes » (Braungart et McDonough, 2002 ; FEM, 2012).
L’idée est de comprendre comment le système industriel fonctionne, se régule, et interagit avec la biosphère. Il convient ensuite, à partir de notre connaissance des écosystèmes, de déterminer comment il pourrait être restructuré pour le rendre compatible avec la manière dont les écosystèmes fonctionnent. » (Erkman, 1997)
Cette nouvelle approche systémique entrainerait même la disparition de toute notion de surproduction ». La question des intrants dans le système, limités et limitants dans un schéma linéaire, pourrait en effet être résolue. Toujours à l’image des écosystèmes naturels, tous auraient vocation à être réutilisés ou seraient renouvelables. A l’inverse, la « diversité » [de la production] pourrait même participer à la « résilience » globale de l’écosystème industriel au travers de nouvelles interactions positives.

L’économie circulaire comme concept intégrateur : quelles activités constitutives ?

Une autre question se pose à ce stade : comment transformer notre modèle économique en ce nouvel idéal « écosystémique » que les promoteurs de l’économie circulaire appellent de leurs vœux ? C’est ici qu’autour de cette critique de l’existant et de la description d’un nouvel idéal, la littérature fournit également « un guide pour l’action » (Metzger, 2001). Elle appelle à la promotion de nouvelles activités obéissant à cette logique circulaire de bouclage, qui permettraient le maintien ou la réintégration de ce qu’elle appelle « nutriments techniques » au sein du système économique. L’économie circulaire se revendique en effet « pratique » et « opérationnelle » (Ademe, 2012 ; Beulque et al., 2018 ; FEM, 2012). L’économie circulaire peut à cet égard être appréciée en tant que concept intégrateur, dans la mesure où il regroupe et articule une diversité d’objets existants, en l’occurrence des activités, dans un ensemble mis en cohérence.
Eléments de consensus
Certaines de ces activités dites de bouclage sont systématiquement considérées comme faisant partie de l’économie circulaire. Parmi celles-ci, la Fondation Ellen McArthur (2012) et l’Ademe (2012), dont la définition fait référence en France, mettent notamment en avant les activités suivantes :
L’économie de la fonctionnalité (Bourg et Buclet, 2004 ; Stahel et Clift, 2016), qui substitue l’usage d’un bien à sa consommation ;
La maintenance et la réparation de produits, qui les gardent en état de fonctionnement en vue prolonger leur durée de vie ;
Le remanufacturing, activité qui comprend le démontage et le contrôle-qualité de produits afin d’en récupérer les composants en état de fonctionnement et de les réassembler pour constituer de nouveaux produits (Guide et Wassenhove, 2001) ;
La réutilisation et le réemploi de produits ou composants d’occasion, qui augmente également leur durée de vie (Stahel, 2016)2 ;
Le recyclage des matériaux qui composent ces produits ;
Leur éco-conception, qui permet de minimiser leurs impacts sur l’environnement ;
Ou encore l’écologie industrielle et territoriale, qui vise à mettre en place des synergies entre acteurs sur un territoire donné comme une zone industrielle (Adoue, 2007 ; Beaurain et Brullot, 2011).

Une économie historiquement essentiellement circulaire (-3,8 milliards d’années-fin XVIIIème siècle)

Un premier élément de réponse doit tout d’abord être apporté. Depuis l’apparition de la vie sur la Terre il-y-a 3,8 milliards d’années, les sociétés humaines n’ont jusqu’à très récemment connu qu’une économie que l’on décrirait aujourd’hui comme circulaire. Comme le rappelle Le Moigne (2018), la consommation des ressources naturelles était en effet très faible, et l’Homme ne produisait « aucun déchet ». Les ressources indispensables à la vie (eau, azote, carbone, phosphore, etc.) ont été gérés « dans des cycles fermés ». Les premiers Hommes, apparus il-y-a 2,5 millions d’années, ne bouleversèrent qu’à la marge ces cycles naturels.
« Ils utilisaient et réutilisaient avec sobriété des ressources auxquelles ils avaient un accès limité. Ils réutilisaient les déchets alimentaires comme alimentation pour les animaux. Ils réparaient les outils et ustensiles qui étaient souvent transmis de génération en génération. Ils apprirent à recycler les métaux, 1200 av. J.-C., et à extraire la cellulose des chiffons pour fabriquer du papier au IIème siècle. Au Moyen Âge, ils utilisèrent les matériaux issus des ruines romaines pour construire de nouveaux bâtiments médiévaux » (Le Moigne, 2018).
Ce constat est aujourd’hui largement partagé. A titre d’exemple, l’historien Fernand Braudel souligne, dans son « Identité de la France », que l’espace connu et parcouru par les Hommes au cours de leur vie était extrêmement restreint. Dans ces économies quasiment exclusivement locales, l’accès aux ressources naturelles demeurait alors naturellement limité (2009). En anthropologie, l’américain Jared Diamond tire une conclusion identique (2015).
Dans ce contexte, Sabine Barles (2005) souligne l’inexistence du déchet et de l’eau usée jusque dans les villes du XVIIIème siècle, et l’absence même de l’emploi de ces concepts pendant les XVIIIème et XIXème siècles (Micheaux, 2017).

Un processus de linéarisation qui débute progressivement avec la Révolution industrielle (fin XVIIIème siècle-XXIème siècle)

Dans une optique généalogique, c’est donc l’économie linéaire et non l’économie circulaire qui constitue un phénomène récent. En effet, c’est uniquement à partir de la Révolution industrielle qui marque la fin du XVIIIème siècle qu’un lent processus de linéarisation (Haas et al., 2015) de l’économie s’amorce.
Une linéarisation de l’économie fruit de processus variés et toujours actifs
A quoi doit-on cette évolution vers un modèle d’économie linéaire ? Cette dynamique apparaît être
le fruit de processus variés qui sont toujours actifs à l’échelle mondiale en ce début de XXIème siècle.
Comme l’indique Le Moigne (2018), à côté de l’urbanisation croissante que connaît l’Europe de l’Ouest, c’est tout d’abord la Révolution Industrielle qui marque le début de la linéarisation de l’économie. La production croissante de biens manufacturés génère des déchets et requiert une accélération de l’extraction de ressources naturelles, tout en permettant l’apparition progressive d’une énergie bon marché. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les concepts de déchet, tardivement au XIXème siècle, et d’eau usée au début du XXème (Barles, 2005). Plus précisément, Le Bozec et al. (2012) datent à 1870 l’émergence de la notion de déchet, en tant que rebut et catégorie de matière destinée à l’abandon.
Cette dynamique découle également de la formulation et de la diffusion dans de nombreuses sphères de la société de la pensée dite « hygiéniste » par le milieu médical du XVIIIème (Le Bozec et al., 2012). En Europe, il montre en effet un intérêt renouvelé pour les théories d’Hippocrate, et se réfère à son
Traité des eaux, des airs et des lieux » qui met l’accent sur le rôle premier du milieu pour la santé. De nombreux médecins vont alors chercher dans l’environnement les causes de la mortalité. Relayés par les milieux scientifiques, politiques et intellectuels, ils énoncent la nécessité de corriger la distribution vicieuse des villes », notamment par une meilleure gestion des excreta humains et urbains. Avec l’émergence des villes modernes, et en leur sein de lieux de production industrielle, le
déchet est alors considéré comme un encombrant sale sur les chaussées et une nuisance atteignant à la salubrité publique, à l’hygiène et à la santé public car potentiellement porteur de maladies (De Singly, 1996 ; Corbin, 1986).
Cette problématisation commence par produire des effets performatifs au travers de l’appropriation que les acteurs politiques locaux en font. La modification de représentation qu’elle porte aboutit au ramassage des ordures, imposé à partir de 1883 à Paris par le préfet de la Seine Eugène Poubelle, dans des réceptacles qui portent son nom. Au début du XXème siècle, cette nouvelle vision du déchet en tant qu’externalité entraîne également la fin de la valorisation systématique des déchets, aussi bien en ville qu’à la campagne, et leur orientation vers l’incinération à la fin du XIXème ou la mise en décharge sauvage au début du XXème siècle (Barles, 2005 ; Rocher, 2006). La décharge contrôlée voit ainsi le jour en Angleterre, à Bradford, dans les années 1920. Le principe sera repris par Partridge, ingénieur de la ville de Paris, dans l’Oise, en 1935 (Bertolini, 2005).
En France, c’est seulement après-guerre dans les années 1960 que cette problématisation hygiéniste est « mise en politique » au travers de politiques nationales visant à systématiser la collecte en vue de l’enfouissement, faisant du déchet un nouvel objet de politique publique (Rocher, 2006 ; Beulque et al., 2016). C’est par exemple à cette époque que le dispositif de la poubelle deviendra systématique sur l’intégralité du territoire.
Depuis les années 1960, ce processus de linéarisation se renforce de manière graduelle. Dans le contexte de la société de consommation qui naît des Trente Glorieuses, on assiste à une explosion de la production de déchets post-consommation. Alors qu’en 1962, ils représentaient 3,5 millions de tonnes par an (Mt/an), ils atteignent déjà 5,1 Mt/an cinq ans plus tard en 1967 (Beyeler, 1991). En 2012, ce chiffre tutoyait selon l’ADEME (2016) les 38 Mt/an. Sous l’effet d’une chimie appliquée au secteur de l’industrie des biens manufacturés, on constate de même une diversification et une complexification progressive des matériaux, qui sont unanimement décrites comme des freins à la circularité dans la mesure où elles nuisent à leur recyclabilité (EIC, 2014). D’autres phénomènes participent à cette dynamique. La mondialisation déstabilise ainsi progressivement des pratiques circulaires locales telles la consigne sur certains emballages de produits de consommation courante comme le lait, en écartant les centres de production et de consommation. De manière similaire, l’obsolescence programmée qui touche de nombreux produits réduit leur durée de vie et accélère la circulation des matériaux dans l’économie (Bourg et Buclet, 2005). Au-delà de l’Europe et des économies développées, ce phénomène de linéarisation de l’économie touche également aujourd’hui les économies en voie de développement, au premier rang desquels des pays en forte croissance tels la Chine ou l’Inde (Le Moigne, 2018).
Des modèles circulaires dans une économie en cours de linéarisation : une idée ancienne (XIXème siècle – années 1960)
D’autres éléments contredisent la « nouveauté » de l’économie circulaire. En dépit de ce processus de linéarisation de l’économie en cours, la promotion et la pratique d’activités de bouclage n’en demeurent en effet pas moins une idée déjà ancienne. On peut l’observer dès le XIXème siècle.
Ainsi, Sabine Barles (2005) constate l’importance du recyclage dans les villes préindustrielles et son maintien au XIXème siècle, notamment autour de la figure du chiffonnier, emblématique de ce siècle et immortalisée par de nombreux artistes tels Baudelaire, Hugo, Daumier ou encore Marcel Carné (Compagnon, 2017). Le Bozec et al. (2012) évoquent même un essor du recyclage lié à l’urbanisation et à l’industrialisation, dans la mesure où elles posent la question des ressources alimentaires et des matières premières. Participant au développement d’une pratique ancienne, la chimie naissante montre alors le rôle de ces excreta humains et animaux comme engrais potentiels, qui permettent d’augmenter les rendements agricoles. Dans ce contexte de valorisation agricole et industrielle, ils voient ainsi leur valeur augmenter sur la période allant de 1770 à 1860.
Au-delà de ces exemples de pratiques, ce qu’on appellerait aujourd’hui les logiques de bouclage constituent un fait social problématisé et commenté. Ainsi, le terme d’écologie industrielle émerge dès la fin des années 1940 (ADEME, 2013), dans une acception différente de celle d’aujourd’hui et sans toutefois réussir à s’imposer (Erkman, 1997). De manière plus générale, dès 1862, le journaliste britannique Peter Lund Simmonds publie Waste Products and Undeveloped Substances. Il y observe que « de quelque côté qu’on regarde, on voit que les choses les plus triviales peuvent être converties en or. Les déchets et les rebuts d’un atelier deviennent la matière première d’un autre ». De même, comme le rappelle Le Moigne (2018), Nathaniel Southgate Shaler, professeur de géologie de l’université de Harvard, fait partie des premiers acteurs à souligner le risque d’une pénurie de ressources dans son ouvrage Man in the Earth publié en 1905. Peu après en 1907, le Président américain Théodore Roosevelt dresse un constat similaire dans un message annuel au Congrès. Parmi les autres références largement citées concernant cette période, on trouve encore Frédéric Talbot, qui publie en 1920 Millions from waste, ouvrage dans lequel il met lui aussi en avant l’intérêt économique de la valorisation des déchets. En 1966, l’économiste Kenneth E. Boulding propose enfin de « passer de « l’économie du cow-boy » à « l’économie du cosmonaute », économie « dans laquelle la Terre est devenu un vaisseau spatial isolé, sans réservoir illimité ni pour l’extraction, ni pour la pollution, et dans lequel, par conséquent, l’Homme doit trouver sa place dans un système cyclique écologique, capable d’une reproduction continue de toute forme matérielle » (Boulding, 1966).

L’émergence d’une prise de conscience limitée de la problématique de la finitude des ressources naturelles (années 1970)

Si la promotion de modèles circulaires dans une économie par ailleurs en cours de linéarisation constitue une idée ancienne, à quand peut-on toutefois dater la dynamique contemporaine qui aboutit à la formulation du concept d’économie circulaire ?
La décennie 1970 semble constituer une première étape. Elle voit en effet l’émergence d’une lente dynamique de prise de conscience et d’appropriation des problématiques de la finitude des ressources naturelles et des liens entre environnement et croissance économique par de premiers acteurs. Comme nous l’avons montré, c’est principalement en réponse à cette problématisation que le concept d’économie circulaire sera formulé. Durant cette décennie, cette dynamique demeure cependant encore limitée.
Une prise de conscience d’abord essentiellement circonscrite à des enceintes internationales
Parmi les acteurs politiques, cette prise de conscience semble d’abord principalement circonscrite à certaines enceintes internationales, qui commandent et donnent de la visibilité à de premiers travaux scientifiques.
Ces développements se matérialisent à partir de l’année 1972. Le Club de Rome présente ainsi un rapport s’intitulant « The Limits to Growth », aussi connu sous le nom de « Rapport Meadows », du nom de jeunes économistes du MIT (Massachusetts Institute of Technology). Cette étude constitue le point de départ d’un très large débat autour des liens entre économie et environnement, et met clairement en avant l’idée que le développement économique peut être limité par la finitude des ressources naturelles. Quelques mois plus tard, se tient la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, dite « conférence de Stockholm », qui lance le cycle de conférences décennales de l’organisation que l’on nomme aujourd’hui « Sommets de la Terre ». Elle tire la sonnette d’alarme concernant l’état de la Terre et de ses ressources.
En 1976, c’est la Commission européenne qui présente un rapport publié sous le titre « Jobs for Tomorrow, The potential for Substituting Manpower for Energy ». Ses auteurs, les architecte et socio-économiste suisses Walter Stahel et Geneviève Reday-Mulvey, introduisent alors un premier schéma de l’économie mondiale qui combine l’analyse d’un existant représenté avec des lignes et d’un futur désirable structuré autour de boucles.

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Table des matières

Partie 1 : introduction générale
L’économie circulaire comme utopie rationnelle contemporaine : vers un modèle appliqué de développement durable ?
L’économie circulaire en entreprise : des BM émergents destinés à monter en puissance de manière pérenne et à se généraliser ?
Plan et structuration du travail de recherche
Partie 2 : revue de littérature, cadre théorique et méthodologie de recherche
Chapitre 1 : revue de littérature des principaux champs scientifiques mobilisés, questions de recherche et cadre conceptuel
Chapitre 2 : méthodologie de recherche
Partie 3 : résultats empiriques
Sous-partie 1 : analyse généalogique (1960-2010) : vers une création et une captation de valeur pérennes des business models circulaires ?
Sous-partie 2 : Business Models circulaires au sein de grandes entreprises linéaires : les apports d’une analyse ingénierique (2007-….)
Introduction
Chapitre 1 : Le recyclage des pots catalytiques
Chapitre 2 : Le recyclage du cuivre
Chapitre 3 : le recyclage du polypropylène
Chapitre 4 : BM du recyclage et degrés de maturité des filières traditionnelles – une analyse comparée
Chapitre 5 : Pièces de réemploi
Conclusion générale et discussion
Bibliographie

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