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Brève histoire de la réglementation pharmaceutique éclairant le domaine de la communication
Au début du XIXe siècle, l’industrie pharmaceutique française prend ses origines dans l’officine contrairement à la Suisse ou encore l’Allemagne pour qui cette activité découle de l’industrie chimique. Alors, la loi de germinal an XI (1803) ne connait que l’exercice officinal ; une organisation que l’on va retrouver sur une longue période au niveau légal et règlementaire (Bonnemain, H., Bonnemain, B. 2002).
Pendant longtemps, seules la loi de germinal an XI et une déclaration royale de 1777 vont servir de base à une jurisprudence de plus en plus complexe. Celles-ci étaient adaptées à un exercice de la pharmacie du XVIIIe siècle, néanmoins elles étaient encore en vigueur durant le début du XXe siècle ; une période qui pourtant voit l’exercice pharmaceutique se transformer et naître de véritables usines de production.
Entre constat, critique, nécessité de réforme et projets non aboutis, cette organisation s’appliquera jusqu’en 1941. En date du 11 septembre de cette année, une nouvelle loi va bouleverser l’organisation de la pharmacie en France et les rapports entre l’État et l’industrie pharmaceutique. La loi du 11 septembre 1941 relative à l’exercice de la pharmacie, reprise à la libération par l’ordonnance du 23 mai 1945, distingue alors trois types d’établissements pharmaceutiques (fabricants, grossistes répartiteurs, dépositaires) et présente dans les articles 16 à 18 une section réservée à la publicité pharmaceutique. Elle opère une dichotomie entre la « publicité technique », celle pratiquée par les pharmaciens vers les médecins, dentistes, sages-femmes et la « publicité s’adressant au public ». « Libre » dans les deux cas, la communication des pharmaciens vers certains professionnels de santé interdit les primes et dons d’objets publicitaires ou d’avantages matériels. La communication vers le grand public est, quant à elle, contrainte à la mention exclusive du « nom et [de la] composition du produit » « [du nom] du pharmacien préparateur, ses titres universitaires, son adresse ». Pour tout dépassement de ces limites, l’obtention d’un « visa » délivré par le comité technique des spécialités institué dans la même loi est requise.
Entre la loi de germinal an XI et la loi de 1941, les relations entre l’industrie pharmaceutique et le gouvernement français ont été régies par l’exercice officinal de la pharmacie. 1941 marque un changement important dans la conception de l’exercice industriel. C’est aussi la première mention et la première loi relative à une communication grand public. Après 1941, l’État s’implique de plus en plus et va progressivement encadrer et contrôler toutes les activités de l’industrie pharmaceutique.
Vers une meilleure définition de la communication
C’est avec la directive européenne 92/28/CEE de 1992 que la notion de publicité pour les médicaments est définie pour la première fois au niveau européen. Le chapitre II, intitulé « l publicité auprès du public », introduit dans l’article 3 l’interdiction dans les états membres de la publicité pour des médicaments sous prescription.
En 2001, une nouvelle directive 2001/83/CE, institue un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, reprenant un certain nombre de directives précédentes dont celle de 1992 (92/28/CEE). Dans un souci d’harmonisation des pratiques entre les pays membres, le titre VIII : « Publicité » redéfinit ce qui est entendu par « publicité pour des médicaments », comme
« toute forme de démarchage d’information, de prospection ou d’incitation qui vise à promouvoir la prescription, la délivrance, la vente ou la consommation de médicaments ». L’ensemble des articles de ce titre reprend ce qui a été instauré jusqu’à cette date.
En droit français, une section du code de la santé publique se rapporte précisément à la publicité auprès du public (article R5122-3 à R5122-7). La notion de visa apparue dans la loi de 1941 persiste mais cette fois avec une validation a priori.
Le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil établit des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et institue une agence européenne des médicaments. Ses modalités d’application sont fixées par la loi L5122-6 du code de la santé publique. Celle-ci autorise la publicité directe auprès du grand public pour un nombre restreint de spécialités : les médicaments non soumis à prescription médicale et non remboursable ainsi que pour les vaccins et les produits de sevrage tabagique. Sans les définir, il y est fait la distinction entre des campagnes institutionnelles et non-institutionnelles.
Justement, l’article R5124-67 du code de la santé publique précise ces notions. Conformément à celui-ci « les documents d’information à caractère scientifique, technique ou financier, émis par un établissement ou une entreprise, qui n’ont pas pour objet la promotion d’un médicament » ne sont pas assujettis aux dispositions présentées précédemment. En d’autre terme, cette communication institutionnelle, non-promotionnelle peut aller jusqu’à mentionner des médicaments de l’entreprise, ses perspectives de recherche ou encore de développement tant qu’elle possède un caractère informatif.
Communiquer aujourd’hui
Les bonnes pratiques (BPX) forgent le socle de la qualité dans différents domaines de l’activité pharmaceutique. On retrouve entre autres les bonnes pratiques de Fabrication (BPF) ou encore les bonnes pratiques de Distribution (BPD). Au sein même d’une entreprise, un grand nombre de départements au degré de spécialisation variable participe à l’application de ces bonnes pratiques, qu’elles soient spécifiques au secteur (pharmacovigilance) ou non (réglementaire, compliance…). En plus de contraintes légales, règlementaires et déontologiques, cette notion de qualité s’applique à toute la chaîne de valeur, même à la communication. Cela est vérifié au niveau opérationnel alors qu’un service de communication dans l’industrie pharmaceutique doit répondre aux départements concernés.
Pour citer Valérie Perruchot Garcia, directrice des affaires publiques, de la communication et de la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) au sein du laboratoire Janssen en France : « On est la seule industrie qui n’a pas la possibilité de parler de ses produits ». En effet bien qu’aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande, la publicité directe, dirigée vers les consommateurs, pour des médicaments sur ordonnance soit légale (elle comprend la télévision, la radio, la presse ou encore l’affichage), la communication directe, publicitaire avec le consommateur à propos d’un produit sous prescription est interdite en France. Depuis 2012, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) contrôle a priori toutes les publicités liées aux médicaments soumis à prescription médicale, remboursables par les régimes obligatoires d’assurance maladie. Une dérogation existe pour les vaccins et les médicaments mentionnés à l’article L. 5121-2 du Code de la Santé Publique (CSP). Dans l’optique de favoriser le bien commun et de promouvoir l’entreprise auprès du grand public, de nouvelles formes de promotion ont vu le jour. Voyons par exemple la mise à disposition des patients, début 2021 par le laboratoire Biogaran (par l’intermédiaire des pharmacies d’officine), de gourdes/piluliers dans le cadre d’un programme d’amélioration de l’observance médicamenteuse. Ou encore le spot radio sur l’asthme sévère financé et réalisé par Sanofi, diffusé durant l’été 2020 agissant dans le cadre d’une campagne de sensibilisation à la maladie.
L’innovation dans la communication va de pair avec l’évolution des techniques à sa disposition. Avec le digital1, internet et les réseaux sociaux, les points de contacts sont innombrables. Au-delà de la charte pour la communication et la promotion des produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux) sur Internet et le e-media éditée par L’ANSM, l’industrie pharmaceutique elle-même va participer à la régulation de sa propre activité, instituant des bonnes pratiques ou exigences spécifiques. Ainsi, la Fédération Européenne des Industries et Associations Pharmaceutiques (EFPIA) a édité son guide des bonnes pratiques dont un chapitre est relatif aux interactions avec les patients (EFPIA, 2019). Indépendance, respect, non-promotionnel, transparence sont des termes que l’on retrouve aussi dans un livre blanc édité par AstraZeneca sur l’usage des réseaux sociaux (AstraZeneca, 2011).
DISCOURS ET EMOTION, PREREQUIS A UN TRAVAIL DE RECHERCHE
L’objectif de ce travail est de caractériser l’évolution de la communication des laboratoires pharmaceutiques et son passage d’un registre rationnel à un registre émotionnel. Dans un premier temps, nous avons exploré ces deux concepts pour leur donner une réalité plus tangible, avant de consacrer un deuxième temps à la définition plus précise de notre objet d’étude : le discours.
Nous présenterons par la suite certains éléments indispensables à l’étude discursive, comme le cadre étudié et plus particulièrement le groupe qui nous a servi de modèle.
Entre raison et émotions
Jean-Michel Berthelot (2015) dit que la pensée rationnelle occidentale est caractérisée par une suite de ruptures : avec l’opinion (Platon), avec la déduction catégorique des aristotéliciens (Galilée), avec les évidences des sens (Descartes). La science est par définition, rationnelle. Son discours relève de la même raison, du même bon sens. Dénué d’émotion, sans faire l’objet d’un consensus, il serait le résultat d’un raisonnement et d’un usage technique des connaissances et du langage.
Lorsque l’on parle de médecine, le rationnel peut s’estomper ou plus particulièrement venir en second dans l’échange avec un interlocuteur. Prenons un exemple très simplifié, illustré par la figure 1, pour comprendre la place du discours rationnel dans notre sujet : un professionnel de santé, un médecin, lorsqu’il parlera à un confrère, concernant une problématique médicale commune (le cas médical d’un patient ou encore les dernières publications dans son domaine d’expertise), s’adressera à lui en des termes techniques, avec un vocabulaire partagé permettant d’avoir un discours le mieux construit et le plus clair et raisonné possible. Un discours que l’on nommera ici “rationnel” bien que cette définition ne fasse pas l’objet d’un consensus. À l’inverse, si le professionnel de santé parle à un patient, les termes techniques et les explications claires derrière lesquels un diagnostic pourrait reposer devront évoluer, prendre en compte la partie affective dans la compréhension et jouer sur le registre des émotions pour pouvoir créer un lien et communiquer des informations. C’est alors qu’on parlera de discours “émotionnel”.
Une meilleure appréciation de l’émotion
Qu’est-ce qu’une émotion ? Certains tendent à rassembler « affect » et « émotion » en les désignant synonymes (Young, 1959). Point intéressant bien que nous considérerons, qu’en plus des signes affectifs (positif / négatif), de l’intensité (forte / faible) et de la durée (longue / courte), l’émotion implique un contenu qualitatif supplémentaire.
Tout n’est pas quantifiable. Une part subjective subsiste dans l’appréhension de cet état affectif, comme suit : la composante émotionnelle d’un message induit l’expérience subjective d’une situation. Selon Holbrook et O’Shaughnessy (1984), l’expérience émotionnelle complète inclut des composants cognitifs (croyances, valeurs) suivi d’une évaluation et de changements physiologiques. Ceux-ci produisent alors des sentiments et des désirs conduisant à un comportement expressif. Cela donne le modèle suivant, figure 2, issu du même article.
Dans ce modèle, un message est reçu en différentes étapes, cognitives et réflexives tout d’abord puis physiologiques, expérientielles, actives, formant une boucle d’appréciation et d’actualisation de la réponse émotionnelle. En d’autre terme, une succession d’étapes que Nabi et Wirth (2008) distinguent en différents composants : affectif, cognitif, conatif, physiologique et motivationnel.
L’émotion est ainsi vue comme l’effet induit par un message, comme sa réponse. Holbrook et O’Shaughnessy (1984) présentent un argument de Zajonc (1980) à propos de cette dimension conative d’une émotion (traduction libre) : « Si nous nous arrêtons pour considérer la part de variation dans le cours de nos vies qui est contrôlée par les processus cognitifs et celle qui est contrôlée par l’affect, nous ne pouvons que convenir que les phénomènes affectifs méritent beaucoup plus d’attention qu’ils n’en ont reçue. »
Ce que nous traduisons, dans notre contexte, comme suggérant l’utilisation et l’étude des émotions pour expliquer la variation importante dans la réception, la perception et la compréhension d’un message.
Pourtant, il est aussi intéressant de considérer l’émotion comme composante même de ce message. Selon Shivhare et Khethawat (2012), l’émotion peut être exprimée de nombreuses façons visibles, aussi bien par l’expression du visage, par des gestes de même que par le texte. Elle n’est donc plus identifiée comme le résultat seul mais comme l’intention donnée, comme une volonté de l’émetteur à charger son discours d’une composante émotionnelle. Une vision que l’on retrouve dans plusieurs recherches telles celles de Hancock et al. (2007), ou encore celles d’Aman et Szpakowicz (2007) qui nous parle de catégorie d’émotion, d’intensité émotionnelle et des mots/phrases qui indiquent une émotion dans un texte.
Nous n’avons pas la volonté d’observer la réponse émotionnelle par une étude des réactions de lecteurs. Nous tâcherons cependant de faire ressortir les intentions émotionnelles inscrites dans le discours et ainsi de montrer que l’évolution du discours d’un laboratoire pharmaceutique, si observée, se fera au profit du registre émotionnel sur l’usage du rationnel seul.
Qu’est-ce qu’un discours
Définition
Le discours se rapporte aux propos, c’est l’expression verbale de la pensée (LeRobert en ligne. (n.d.)). La notion de « développement oratoire » est abordée (Larousse en ligne. (n.d.)). Le discours est plus étoffé lorsque l’on s’intéresse à sa définition linguistique. D’une manière plus technique, on parle alors de discours comme d’un énoncé supérieur à la phrase, comme un langage mis en action, au sens saussurien du terme, « un acte individuel de volonté et d’intelligence » (de Saussure (n.d.)).
Il est nécessaire de remettre le discours dans son contexte (Collin en ligne, (n.d.)), ce qui, nous le verrons et justifierons, est une notion importante si l’on veut l’analyser. Au-delà de la linguistique, la vision logique du discours nous offre une définition à retenir : « Ensemble d’énoncés liés entre eux par une logique spécifique et consistante, faite de règles et de lois qui n’appartiennent pas nécessairement à un langage naturel, et qui apportent des informations sur des objets matériels ou idéels. » (Larousse en ligne. (n.d.))
Perception du terme à travers la littérature
Bien que Seignour (2011) focalise sa vision du discours comme étant seulement l’activité discursive du sujet parlant, celui de l’homme communicant, nous retiendrons sa précision suivante : « Un discours ne se contente pas de décrire un réel qui lui préexiste mais construit la représentation du réel que le locuteur souhaite faire partager ». Avec d’autres termes, Hardy (2001) nous emmène sur la même voie, décrivant les discours comme « concrets » en ce sens qu’ils produisent une réalité matérielle dans les pratiques qu’ils invoquent. Allant au-delà de la précédente publication, selon elle, le discours désigne les pratiques de la parole et de l’écriture. En plus de pouvoir contenir du langage textuel et parlé, il peut inclure des artefacts culturels et des représentations visuelles. Les discours seraient donc des « constructions », c’est ce qu’avance Fitchett et Caruana (2005). Ils s’emploient à donner une vision plus large de la notion de discours en reprenant Thompson and Haytko (1997) et leur manière explicite de voir cette notion. Selon ces derniers, (traduction libre) « le discours est un système complexe de significations culturelles, encodées de manières conventionnelles pour parler de la mode, d’un sujet ». Le terme « fashion » dans la version originale peut être adapté et utilisé pour désigner un sujet en particulier.
En somme, le terme « discours » possède un large éventail d’interprétations possibles. Allant de la pratique discursive orale, fermée sur la prise de parole d’un orateur, à un corpus construit, des mots à l’image, il est le recueil d’un système de significations culturelles, médium dans le partage d’une vision. Alors, un discours, est-ce un texte, une image ? Est-ce un ensemble ?
Nous définirons finalement le discours d’une entreprise comme une entité complexe, composée d’éléments distincts produits par un émetteur unique, ici l’entreprise Sanofi, de nature à étayer – de manière directe, cohérente, réfléchie – ou à transcrire une idée, une vision, un message.
Avant d’aborder l’analyse discursive, il est important de lier discours et émotion, d’observer l’implication des émotions dans le discours. Reprenons la publication de Nancy McNaughton (2013). Elle y identifie trois principaux discours de l’émotion dans notre secteur d’activité, la santé : un discours physiologique où l’émotion est décrite comme localisée à l’intérieur de l’individu (états corporels), l’émotion comme compétence liée aux aptitudes et aux capacités, et un discours socioculturel qui fait appel aux conceptions des sciences humaines et sociales et attire l’attention sur la fonction de l’émotion dans les échanges sociaux et son rôle de médiateur social, politique et culturel. En se concentrant sur le dernier type de discours décrit, il nous faut essayer de montrer les mécanismes mettant à profit l’émotionnel dans le discours, de répondre à la question « comment ? ».
Analyse du discours et contexte
Afin d’appréhender au mieux l’évolution qu’a pu connaitre l’industrie pharmaceutique en France, il nous faut suivre un raisonnement logique et nous appuyer sur des données tangibles. Ainsi c’est par l’exemple, avec l’observation du cas de Sanofi que nous allons procéder. Pour ce faire, nous avons décidé de réaliser une analyse du discours. Le paragraphe suivant permet de comprendre le raisonnement qui a guidé notre choix et présente l’entreprise choisie.
Théorie
Fitchett et Caruana (2005) expliquent l’analyse du discours (AD) en 3 approches clés comme des orientations de recherches : les approches technique, constitutive et politique. Alors que la première s’intéresse particulièrement aux structures grammaticales, un niveau microlinguistique du discours, la seconde propose une position constructiviste (constitutive de la réalité sociale) et la dernière le pouvoir, le contrôle et la domination. Cette vision n’offre malheureusement pas beaucoup d’ouverture et de flexibilité pour l’appréciation d’un discours au niveau lexical et conceptuel. Au contraire, l’analyse critique du discours (ACD) présente une vision plus large. Les auteurs affirment qu’un des aspects clé de l’ACD est qu’elle ne privilégie pas l’examen minutieux et la dissection de la structure linguistique de certains mots mais plutôt le jeu de la langue et du texte en général tant au niveau de leurs utilisations en apparence qu’au niveau de leurs conséquences et de leurs pratiques. Finalement on observe 2 niveaux d’analyse dans la recherche de sens d’un discours.
Face à ce constat apparaît l’analyse de contenu qualitative. En effet, celle-ci est l’une des nombreuses méthodes de recherche utilisées pour analyser les données textuelles. Les applications actuelles de l’analyse de contenu montrent trois approches distinctes selon Heish et Shannon (2005) : conventionnelle, dirigée ou sommative. Les principales différences entre ces approches sont les schémas de codage, l’origine des codes et les risques pour la fiabilité. Nous approcherons l’analyse de contenu de manière sommative. Selon cette approche, le texte est abordé sous l’angle de mots isolés ou en relation avec un contenu particulier, laissant l’intérêt du chercheur guidé par des contenus spécifiques et son interprétation de la signification contextuelle des termes. Afin d’être sûr de saisir toutes les occurrences possibles d’un phénomène, comme l’utilisation du registre émotionnel, leur mise en évidence pourra se faire au cours de la lecture. Cela afin d’augmenter la fiabilité de l’analyse bien qu’en ces termes le chercheur puisse induire un biais par l’adaptation du codage.
Entre sémiotique et sémantique
Les signes et leur signification sont au centre de l’analyse textuelle et iconographique. En s’inspirant de Lionel Dany (2016), nous pouvons mettre en évidence 2 registres qui ont pour objectif de faire ressortir des unités de signification et éclairer le codage de notre étude.
Le premier est le registre sémantique que l’on considérera comme l’analyse du « signifié » selon Laurence Bardin (2013) visant à mettre en évidence les thèmes principaux derrière les mots. C’est avec ce registre que nous pouvons poser la question des émotions qui transparaissent d’un discours.
Le second, registre linguistique, s’intéresse aux mots. Alors que nous nous apprêtons à étudier le discours d’une organisation, s’intéresser aux mots implique de s’intéresser dans un premier temps à un champ lexical propre à l’identité organisationnelle et dans un second aux parties prenantes. Décrit par Albert et Whettend (1985) comme un élément central, distinctif et durable pour une organisation, l’aspect organisationnel tend à répondre à la question “Qui est l’organisation ?”. On s’intéresse aux qualificatifs de l’entreprise, ou comment l’organisation est décrite, qualifiée. En ce qui concerne les parties prenantes, Rosauer (2014) en identifie trois dans son livre, trois ingrédients qui, selon l’auteur, guident la culture d’entreprise comme suit : le travail, le consommateur et l’employé.
(i) Le travail ou actions décrites de l’entreprise concentre la création de valeur ou culture organisationnelle. Ce qui selon Ravasi et Schultz (2006) correspond à un ensemble d’hypothèses partagées qui guide ce qui se passe dans l’organisation. Le but étant de répondre à la question « comment l’organisation agit-elle ? ».
(ii) Le consommateur se concentre sur la cible, la présence de la notion de bénéficiaire des activités de l’entreprise, le patient ou autre destinataire touché.
(iii) Les références et l’implication du dernier acteur, l’employé ne seront pas exploitées.
Le groupe Sanofi
La prise en compte d’un texte et de celui-ci dans son contexte, dans une même étude, est relativement difficile à réaliser (Hardy, 2001). Depuis le début de cet exposé, nous avons défini la notion de discours, la place des émotions. Nous faisons référence, à plusieurs reprises, au corpus central de cette étude : le cas Sanofi de 2006 à 2020. Appréhendons le contexte qui le constitue et l’entoure : qui est Sanofi ? (d’après des données obtenues sur Sanofi.com, consulté le 07 mars 2021)
Le nom « Sanofi » provient d’Omnium Financier de la Santé. L’entreprise originaire d’Aquitaine est née en 1973 comme filiale hygiène/santé du groupe ELF Aquitaine. Par un jeu intense de participations, fusions, acquisitions et cessions l’entreprise grandit. A l’aube du XXIe siècle et de son introduction en bourse, elle prend le nom de Sanofi-Synthélabo puis en 2004 celui de Sanofi-Aventis. Finalement seul le nom Sanofi reste, accompagné de 2 compléments symboliques : Pasteur pour la branche vaccin et Genzyme pour ce que Sanofi appelle la médecine de spécialités comprenant l’immunologie, l’oncologie, la neurologie, les maladies rares et les maladies rares du sang. Sanofi est donc le résultat de nombreux mouvements stratégiques et la réunion d’un grand nombre de structures (Synthélabo, Hoechst, Rhône-Poulenc Rorer, Winthrop…).
Sanofi se présente comme un leader mondial de la santé. C’est une entreprise transnationale française fière de sa diversité et de sa présence mondiale, comptant plus de 100 000 collaborateurs de 142 nationalités différentes. Avec 73 sites industriels, l’entreprise est présente dans 32 pays et fournit des solutions de santé dans plus de 170 pays à travers le monde.
De par sa construction, la stratégie de l’entreprise reposait sur un système de plateformes correspondant à des zones géographiques. En 2015, la logique géographique a laissé place à la logique produit. En effet, avec l’arrivée d’Olivier Brandicourt à sa tête, l’organisation se simplifie et quitte un système de 7 plateformes de croissance gérées région par région, pour arriver à 5 entités globales focalisées sur des aires thérapeutiques différentes.
L’entreprise a encore évolué mais garde la logique mise en place en 2015, en jouant toujours plus « glocal » (contraction des mots global et local) et regroupe à ce jour 3 grandes entités globales : Médecine de spécialités (Genzyme), Vaccin (Pasteur) et médecine générale. La santé grand public est une entité commerciale autonome. Avec un chiffre d’affaires en 2019 de 36,126 milliards d’euros, les investissements en recherche et développement s’élèvent à 6,022 milliards d’euros pour la même année.
Le patient au centre de notre réflexion
La littérature, dont certaines publications reprises en bibliographie, est composée d’un grand nombre de recherches en marketing. Elles abordent l’aspect émotionnel, du comportement d’achat des consommateurs, de l’impact d’une publicité sur celui-ci. Nous pouvons constater qu’un grand nombre d’études s’intéresse au point de vue publicitaire des émotions et qu’un faible nombre vise la composante émotionnelle dans un discours ne portant pas sur la promotion d’un produit. Un tel discours est décrit comme « non-promotionnel » par l’EFPIA (2019).
Avec pour objet de recherche le discours de l’industrie pharmaceutique sur le plan rationnel et émotionnel, nous pourrions reformuler le titre de cette thèse en deux questions, comme suit : une entreprise pharmaceutique peut-elle émettre un discours émotionnel à destination des patients ? Quels sont les mécanismes utilisés ?
Notre travail a pour intention d’identifier un phénomène peu décrit dans la littérature et a pour vocation de poursuivre différents objectifs concernant la communication institutionnelle à l’externe d’un laboratoire pharmaceutique (figure 3). Distillés à travers la bibliographie, nous avons structuré notre étude autour de quatre objectifs qui fondent notre réflexion. Dans un premier temps, nous cherchons à (I) trouver où se situe le consommateur par rapport à cette communication, (II) montrer que le discours des laboratoires pharmaceutiques a évolué. Nous essayons aussi de (III) montrer que cette évolution se fait au profit du registre émotionnel qui prévaut sur le rationnel seul. Pour finalement (IV) trouver des mécanismes mettant à profit l’émotionnel dans le discours.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. DEUX SIECLES DE CONSTRUCTION DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE ET DE SA COMMUNICATION
1.1. Brève histoire de la réglementation pharmaceutique éclairant le domaine de la communication
1.2. Vers une meilleure définition de la communication
1.3. Communiquer aujourd’hui
2. DISCOURS ET EMOTION, PREREQUIS A UN TRAVAIL DE RECHERCHE
2.1. Entre raison et émotions
2.2. Une meilleure appréciation de l’émotion
2.3. Qu’est-ce qu’un discours
2.3.1. Définition
2.3.2. Perception du terme à travers la littérature
2.4. Analyse du discours et contexte
2.4.1. Théorie
2.4.2. Entre sémiotique et sémantique
2.4.3. Le groupe Sanofi
2.5. Le patient au centre de notre réflexion
3. ENQUÊTE RÉALISÉE AUPRÈS DU LABORATOIRE SANOFI
3.1. Méthodologie
3.1.1. Recueil des données
3.1.2. Présentation des résultats
3.2. Résultats
3.2.1. Un monde de chiffres et de graphiques
3.2.2. Le verbe, source d’intention
3.2.3. Le patient au centre de la communication
3.2.4. Des supports audiovisuels au service de différents usages
3.3. Discussion
3.3.1. Un déplacement de la cible
3.3.2. Une évolution du discours
3.3.3. Utiliser les émotions ouvrirait le champ de la raison
3.3.4. L’émotion par différents mécanismes
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
SERMENT DE GALIEN
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