BookTube, la version numérique du club de lecture

De la prescription littéraire aux clubs de lecture

On ne lit pas seul mais accompagné 

Nous, les lecteurs, conservons le souvenir précis, à chaque fois que nous nous adonnions à la lecture, d’une remarque: “tu es égoïste à lire ainsi, tu ne nous parles pas, tu n’interagis pas avec nous. Ton activité n’inclut que toi même et ton livre”. Nous finissions par reposer, avec tristesse, le roman ou la nouvelle ou encore le magazine pour ne pas laisser ainsi de côté cet entourage insistant et légèrement culpabilisateur. En effet, lors de la pratique de la lecture, nous sommes plongés dans un ouvrage et n’interagissons pas avec notre entourage. A première vue, la lecture pourrait passer pour une activité solitaire. Aujourd’hui, nous pourrions répondre à ces troubleurs de tranquillité ces deux phrases afin de contrer leurs arguments désagréables et, du point de vue du lecteur passionné, infondés : “La lecture n’est pas un simple outil technique, c’est un vecteur fondamental du développement de l’individu dans la culture et la société. Culturelle, la lecture ouvre à la richesse des écrits ; sociale, elle se construit dans l’interaction avec l’entourage (…).” .

Ainsi, la lecture ne se contente pas d’être une pratique indispensable pour évoluer dans notre monde mais bel et bien un réel facteur de socialisation et d’épanouissement personnel. Lorsque l’on parle ici d’interaction avec l’entourage, cela sous-entend l’idée certes d’un échange mais cela implique alors l’idée d’une communauté qui réagit autour de la lecture.

Une des forces de la lecture se trouve être dans son aspect communautaire : on échange avec sa famille ou ses amis sur notre ressenti par rapport à telle ou telle lecture, on se recommande des ouvrages susceptibles de plaire à autrui car ils nous ont plu personnellement… Information confirmée par Martine Poulain : “C’est bien dans l’échange, même minimal, même proche de l’invisible et non revendiqué, que prend sens la lecture. On lit seul. Mais on sait qu’on partage avec d’autres du sens, des émotions, des refus, des plaisirs.” Ainsi, on ne lit pas seul, on lit accompagné, même si l’on refuse par la suite de s’épandre sur ce sujet : au moment de lire, nous pouvons très bien imaginer que ces émotions ressenties l’ont été également par d’autres, membres de notre entourage ou inconnus. Chaque lecture peut amener une discussion en amont ou en aval. Il s’agit en réalité d’une réelle pratique sociale, où chacun peut par la suite échanger, créant d’emblée une communauté, soudée par cet intérêt commun. De plus, la lecture et de facto la recommandation de livres permettent une plongée dans l’intime. En se conseillant des ouvrages, en évoquant ses lectures et en se lançant dans un débat autour de ces thématiques, le lecteur se dévoile également via ses émotions,  se met à nu indirectement. En évoquant un livre, on évoque son ressenti, son passé et ses attentes envers les relations humaines. Les lecteurs voient ainsi leurs liens entre eux se renforcer suite à ce dévoilement implicite, échangent sur leurs émotions et rentrent dans l’intime des uns et des autres, tout en pouvant voir leur avis sur des œuvres évoluer grâce à l’avis de leurs pairs. Comme le rappelle Anne Grand D’Esnon « ce sont les sociabilités qui construisent la pratique de la lecture (…) Le conseil est alors primordial : les livres conseillés par un proche passent avant tout le reste. La dimension affective et les échanges vont déterminer la pratique. » .

Le partage de ces lectures, à valeur de prescription, est donc une pratique régulière et souhaitée par les lecteurs : ces échanges permettent aussi bien de faire état d’un avis que de recommander à ses proches tel ou tel ouvrage lorsque ceux-ci sont indécis dans le choix de leur future lecture. L’entourage personnel est ici un facteur important, proposant une médiation culturelle de qualité et éventuellement proche des goûts de chacun. Mais si son entourage n’appartient pas à la communauté des lecteurs ou ne partage pas les mêmes goûts que lui, vers qui donc le lecteur à la recherche de nouvelles lectures peut-il se tourner ? Ou même partager ses derniers coups de cœur littéraires ?

Une communauté autour de la lecture : les clubs de lecture 

L’histoire des clubs de lecture en France est bien plus difficile à retracer que celle de ceux à l’étranger. Nous pouvons noter une étude anglo-saxonne sur « les communautés de lecture : des salons au cyberespace », permettant de remonter le temps . En France, rien de toute cela mais nous pouvons évoquer rapidement les ancêtres des clubs de lecture que sont les salons littéraires, les cafés littéraires, les cabinets de lecture ou encore les clubs de lecture de Peuple et Culture. Ces différentes manifestations avaient comme objectif d’offrir des lieux de discussion où écrivains, dans un premier temps, puis politiciens, lecteurs pouvaient échanger sur une thématique donnée, faire émerger ainsi de véritables communautés. Selon un compte-rendu publié par Voix au chapitre en avril 2017, club de lecture créé en 1986, on nous rappelle que trois domaines de cette pratique existent aujourd’hui :

– Les bibliothèques avec la tradition du « comité de lecture » professionnel ouverte au public désormais dans les bibliothèques
– Les écoles primaires, collèges, lycées avec un objectif pédagogique.
– Des clubs d’initiatives privées amicales ou associatives.

Le club de lecture en tant que tel comporte de nombreux avantages et pourrait être un choix de qualité pour toutes les personnes à la recherche de conseils ou d’interaction directes avec des passionnés, à leur image. Ainsi, selon Geneviève Caceres, « Le club de lecture est la connaissance d’un livre, un début de réflexion commune sur ce qu’il contient, sur les problèmes qu’il évoque. C’est une conversation, un dialogue… c’est aussi une fête de la sensibilité, un parlement au petit pied où chacun apprend à mieux discuter, à mieux réfléchir, à trouver de nouvelles raisons d’agir et d’agir plus efficacement. »  Le club de lecture avait d’emblée pour intérêt le conseil de paire à paire, où chacun pouvait échanger, dévoiler son intimité en verbalisant ses goûts en matière de littérature.

La création de clubs de lecture est motivée pour deux raisons : d’un côté un mélange de fonctionnalités incluant de guider ses choix de lecture, approfondir ces dernières et de l’autre un aspect non-fonctionnel pour “ ‘échanger des propos à seule fin de passer “un moment agréable en bonne compagnie” (…)”. Le terme de bonne compagnie est intéressant : le club de lecture n’a donc pas ici un unique aspect “littéraire” mais bel et bien humain, basé sur d’hypothétiques rencontres, jugées d’emblée de qualité. Nous pouvons envisager que cette qualité de rencontre peut se corréler à la qualité des recommandations. Plus encore, nous pouvons certainement observer que l’échange verbal, du fait du club, peut tendre peu à peu à des relations plus intimes et personnelles entres les individus. Le club de lecture permet alors l’émergence d’un groupe, voire d’une communauté, s’articulant autour de la prescription littéraire. La hiérarchisation du conseil n’existe pas, seuls sont présents les amateurs au sens premier du terme, soit celui qui aime.

Cependant, les contraintes propres au club de lecture sont les suivantes : il peut être payant (bien qu’à faible coût), demander une présence physique à un rythme trop régulier ou justement trop peu fréquent pour certains lecteurs, ayant un emploi du temps plus flexible. Majoritairement, le club de lecture se réunit une fois par mois dans un lieu physique sur un créneau d’une heure et demie. Nous pouvons également citer un nombre précis de livres à lire, pouvant susciter l’angoisse et un sentiment d’oppression des membres du club de lecture. Il arrive que certains genres, comme la bande dessinée, le fantastique ou le théâtre ne soient pas considérés comme des variétés à part entière mais bel et bien des sous genres. La liberté de lecture et de soit de parole, d’intervention, serait limitée alors que l’objectif recherché par tout lecteur est justement de pouvoir s’exprimer sans crainte. Le club de lecture répondrait à une demande d’échange entre passionnés mais resterait source de contraintes pour ses adhérents.

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Table des matières

Introduction
Partie I : BookTube, la version numérique du club de lecture
I. De la prescription littéraire aux clubs de lecture
A. On ne lit pas seul mais accompagné
B. Une communauté autour de la lecture : les clubs de lecture
II. Internet ou l’émergence de clubs de lecture numériques
A. Internet et la force des communautés virtuelles
B. Des communautés numériques de lecture
C. Les blogs littéraires, vers un « individualisme » de lecture ?
III. BookTube, un club de lecture idéal ?
A. YouTube, « Broadcast Yourself »
B. BookTube, créateur de communautés
C. BookTube, un club de lecture intemporel et universel
Conclusion partielle
Partie II : La BookTubeuse, une héroïne 2.0
I. La convergence des codes sur YouTube : une BookTubeuse pouvant être aimée de tous ?.
A. YouTube, un univers aux codes multiples
B. Le Haul, raison d’un succès YouTube
C. Le Haul livresque, analyse d’une convergence des codes
II. La BookTubeuse, héroïne d’une communauté
A. Emotion & spontanéité, ressorts d’une communication
B. Une lectrice aux goûts qui nous ressemblent
III. La BookTubeuse : la figure d’une passion
A. Une passion qui se transmet
B. Une passion qui transforme
Conclusion partielle
Partie III : La sphère BookTube : un souffle nouveau pour l’édition jeunesse ?
I. L’édition jeunesse : entre succès et cannibalisme ?
A. Une communauté organisée autour d’un genre : le Young Adult
B. Des sagas fonctionnant par mimétisme et délaissées par la critique
II. BookTubeuses, ces nouvelles influenceuses clés pour le domaine de l’édition
A. Une BookTubeuse est avant tout une lectrice
B. De nouvelles ambassadrices à la personnalité charismatique
C. Quand le numérique renvoie vers le papier
Conclusion
Bibliographie

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