Qu’est-ce qu’un gel ?
Un gel est constitué d’au moins deux composants : un réseau tridimensionnel des macromolécules de polymères, et un solvant, la phase liquide, qui représente la plus grande partie du volume 16–18. Les travaux Almdal et al 17 ont permis de fixer 3 caractéristiques de l’état de gel :
– Un gel consiste en un système homogène, cohérent avec deux constituants : une phase solide contenant une phase liquide dont elle empêche l’écoulement.
– Chacune des deux phases occupe la totalité du volume du gel.
– Le gel se comporte comme un solide viscoélastique.
Les propriétés élastiques et fluidiques des gels font d’eux de bons candidats pour des applications dans des domaines aussi divers que les produits pharmaceutiques, la biotechnologie, l’agriculture, la transformation des aliments et l’électronique . La formation du gel résulte de l’agrégation des particules solides en solution ou en dispersion dans un liquide. Ainsi, lors de la transition sol-gel, la solution (sol), formée d’amas finis, devient un gel lorsque ces amas s’associent pour former un amas infini. Ce réseau s’étend dans toutes les directions et retient la phase liquide. Il ne représente que quelques pourcents du volume total mais joue un rôle essentiel d’armature et permet de grandes déformations.
Exemples de formation de gels physiques
Des gels naturels sont utilisés depuis la Haute Antiquité pour l’alimentation et certaines productions artisanales comme les colles. Ainsi, les gels d’Aloé Vera sont employés depuis des siècles pour soigner les problèmes cutanés comme les brûlures, les escarres, les dermatoses ou les coupures. Ces biogels sont, pour la plupart, des hydrogels physiques. Constitués de molécules biologiques complexes, leur synthèse a longtemps été effectuée de façon empirique en faisant varier la concentration, la température, le pH. La formation d’hydrogels physiques peut être réalisée au moyen d’interactions physico-chimiques variées : interactions hydrophobes, ioniques, liaisons hydrogène et électrostatiques . La gélification de nombreux polymères biologiques est induite par la formation réversible de liaisons hydrogène intermoléculaires, en dessous d’une température donnée (Upper Critical Solution Temperature). Ce processus thermoréversible est bien connu pour la gélatine, et un certain nombre de polysaccharides (agarose, amylose, amylopectine, carraghénane) 24. La nucléation et la croissance des agrégats d’hélices sont mues par la formation d’hélices doubles (polysaccharides) ou triples (gélatine). S’inspirant de ces mécanismes de gélification observés dans la nature, certaines équipes ont développé des systèmes hybrides associant des peptides capables d’adopter une conformation hélicoïdale avec des polymères synthétiques. La gélification intervient quand le repliement des protéines en hélices aboutit à l’organisation d’une combinaison de plusieurs hélices combinées ensemble pour former une superhélice 25 (Figure 7). Par exemple, une série d’hydrogels contenant des motifs protéiques de type superhélice a été mise au point en greffant, ou non, des segments peptidiques de charges opposées, sur le polyméthacrylamide de N-(2-hydroxypropyl)26. La longueur et le nombre de motifs susceptibles de s’assembler en superhélice influencent la cinétique de gélification, dont les durées varient de quelques minutes à plusieurs jours et cela, même en solutionstrès diluées (0,1% en tampon PBS). Des polypeptides à bloc ont également été synthétisés pour préparer des hydrogels selon la même méthode 27. Dans ce cas, la gélification dépend de la nature amphiphile des polypeptides, mais aussi de la conformation de la chaîne (hélice , feuillet ou random coil). La stabilité thermique et l’auto assemblage de tels hydrogels sont liés aux interactions hydrophobes et électrostatiques. Celles-ci peuvent être contrôlées par modification des séquences en acides aminés et de la longueur des segments superhélice. Certains polymères dits à « LCST » (pour Lower Critical Solution Temperature) subissent un changement abrupt de solubilité lors d’une augmentation de la température. La séparation de phase alors observée dépend des fractions molaires d’unités hydrophiles et hydrophobes dans les macromolécules. À la température de transition, les liaisons hydrogène entre le polymère et l’eau sont défavorisées par rapport aux interactions polymère-polymère et eau-eau. La macromolécule solvatée se déshydrate et change de structure pour devenir plus hydrophobe . Certains dérivés de la cellulose (méthylcellulose, hydroxypropylcellulose, et carboxyméthylcellulose) ont un comportement à LCST 24. Les hydrogels thermosensibles les plus utilisés sont à base de poloxamères (Pluronic® – copolymère tribloc poly(éthylène glycol)-poly(oxyde de propylène)-poly(éthylène glycol (PEG-PPO-PEG)) ou de poly(N-isopropylacrylamide PNIPAM) (Figure 8). Leur non-biodégradabilité, et leur cytotoxicité potentielle limitent cependant l’utilisation de ces matériaux en ingénierie tissulaire. Des alternatives ont donc été développées, telles que des copolymères à bloc ou greffés contenant des blocs hydrophiles de type PEG et des blocs hydrophobes de type PLA. Ces formulations sont moins cytotoxiques . Les interactions entre les charges ont été largement étudiées pour la synthèse d’hydrogels in situ. Les matériaux synthétisés par cette approche sont réversibles puisque les espèces ioniques des fluides extracellulaires se lient aux composants du gel de manière compétitive, ce qui aboutit à la dissociation du réseau. Par exemple, l’interaction de cations divalents (Ca2+) avec les groupements anioniques -COO- de l’alginate permet sa gélification. Ces mêmes groupes carboxylates peuvent interagir avec les groupes amine du chitosane . Des hydrogels peuvent être formés par stéréocomplexation de polymères. Ainsi, des énantiomères de polylactides (D-PLA et L-PLA) peuvent former un stéréocomplexe qui provoque la formation de zones cristallines. La gélification intervient lors du mélange de macromolécules de Dextran sur lesquelles sont greffés soit des blocs PLLA, soit des blocs PDLA (Figure 9) . Ces copolymères à blocs de PEG-PLA multibras permettent d’obtenir des hydrogels de modules élevés en un temps très court (2.103 Pa en moins de 4 min).
Réticulation chimique par polymérisation radicalaire
La polymérisation radicalaire est couramment utilisée dans des applications biomédicales 51,52 et en ingénierie tissulaire. Pour cela, des monomères ou des macromères portant des groupements vinyle, acrylate ou méthacrylate polymérisent suite à leur amorçage photochimique, redox ou thermique pour former des hydrogels. Pour les applications mentionnées ci-dessus, la photopolymérisation radicalaire a l’avantage de pouvoir être contrôlée aisément dans l’espace et le temps, d’être rapide (de quelques secondes à quelques minutes) à température ambiante et/ou dans les conditions physiologiques et d’être faiblement exothermique . Ainsi, des hydrogels peuvent être créés in situ à partir de précurseurs aqueux de manière peu invasive, en utilisant des dispositifs laparoscopiques 53 ou des cathéters . Des hydrogels de formes complexes qui adhèrent et se conforment aux structures tissulaires, peuvent ainsi être formés sous l’effet d’un rayonnement compris entre l’UV et le proche infra-rouge 55. Cependant, les systèmes biologiques ne tolèrent qu’une gamme restreinte de pH et de température, et les solvants organiques ainsi que les monomères toxiques sont à proscrire. Les conditions de polymérisation doivent donc être suffisamment douces (intensité lumineuse faible, temps d’irradiation court, température physiologique, absence de solvants organiques) pour être menées à bien en présence de cellules et de tissus. En effet, lors l’élaboration de matériaux cellularisés par polymérisation radicalaire photoamorcée, les cellules sont exposées, lors de l’étape d’amorçage principalement, à des doses de rayonnements lumineux plus ou moins importantes et à la création d’un flux de radicaux. Elles peuvent donc voir leur activité métabolique décroître 56. De plus, la chaleur dégagée lors de la réaction, si elle n’est pas contrôlée, peut induire la nécrose cellulaire 57. Aussi, pour limiter les dommages cellulaires, la puissance de la lampe UV est en général limitée à 5-10 mW/cm² 31 et la cytotoxicité des photoamorceurs doit être préalablement étudiée, afin de choisir ceux dont l’effet sur la viabilité cellulaire est le plus faible 58,59. Un photoamorceur absorbe fortement à une longueur d’onde spécifique, ce qui conduit à la coupure homolytique d’une de ses liaisons, et entraîne la libération des espèces radicalaires. Il existe trois grandes classes de photoamorceurs, distinguée par le mécanisme impliqué dans la photolyse. Les amorceurs cationiques ne sont généralement pas utilisés en ingénierie tissulaire car ils génèrent des acides protoniques. Lors de leur irradiation UV, les photoamorceurs à base de cétones aromatiques, comme la benzophénone et la thioxanthone, par exemple, subissent l’arrachement d’un hydrogène qui génère un radical cétyle et un radical issu du donneur correspondant (Figure 15B). La polymérisation est ensuite généralement amorcée par le radical donneur d’hydrogène.
Fibrine
La fibrine est un polymère biologique formé à partir du fibrinogène. Cette protéine joue un rôle crucial dans l’hémostase et la réparation tissulaire spontanée. Elle forme naturellement un réseau lors de la coagulation sanguine, suite au clivage du fibrinogène par la thrombine . Le fibrinogène est synthétisé par les cellules hépatiques. C’est une protéine circulante sous forme de dimère dont chaque monomère est composé de 3 chaînes polypeptidiques : une chaîne A, une chaîne B et une chaîne . Le fibrinogène forme une structure allongée de 46 nm, avec deux domaines extérieurs D, chacun connecté au domaine central E par un segment de superhélice. 29 ponts disulfure permettent de stabiliser l’ensemble de cette structure .
Hydrogels de PEG contenant des segments peptidiques
D’autres approches ont été explorées, notamment par l’équipe de Hubbell, pour la synthèse d’hydrogels hybrides multifonctionnels, s’affranchissant des protéines entières. Des segments sensibles à certaines métalloprotéases sont greffés sur des macromères de PEG. La réticulation se fait par voie radicalaire, et les hydrogels peuvent alors être dégradés par une protéase spécifique 74,75,187. Des peptides incorporant la séquence RGD peuvent également être introduits au sein du réseau 74. Les gels ainsi obtenus sont non seulement sensibles aux protéases, mais ils servent également de support pour l’adhérence et l’étalement cellulaires. La conjugaison de ces deux éléments est cruciale pour la colonisation par les cellules. Ces gels peuvent être utilisés pour combler d’importants défauts osseux et ils favoriseraient la formation de tissu osseux fonctionnel 74 .Dans d’autres travaux, des molécules de PEG sont préalablement fonctionnalisées par un segment contenant un site de coupure pour une MMP ou un site RGD. Ceux-ci peuvent réagir par voie enzymatique pour former des hydrogels hybrides. La transglutaminase réticule ensuite ces deux segments protéiques ensemble en présence de Ca2+ (Figure 37) 188,189. Des facteurs de croissance, tels que le VEGF, peuvent également être incorporés à ce réseau,sur le même principe de réticulation catalysée par la transglutaminase188.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Matrice extracellulaire
1.1. Le collagène
1.2. La fibronectine
1.3. La laminine
1.4. Glycosaminoglycanes et protéoglycanes
2. Qu’est-ce qu’un gel ?
2.1. Gels physiques et gels chimiques
2.2. Hydrogels
3. Synthèse des hydrogels
3.1. Exemples de formation de gels physiques
3.2. Exemples de synthèse de gels chimiques
3.3. Combinaison des réticulations physique et chimique
4. Propriétés requises pour un hydrogel pour la régénération tissulaire
4.1. Biocompatibilité
4.2. Vascularisation
4.3. Dégradation
4.4. Propriétés viscoélastiques
4.5. Microenvironnement
5. Application des hydrogels en ingénierie tissulaire
5.1. Matériaux support (« scaffold »)
5.2. Rôle de barrière
5.3. Libération contrôlée de principes actifs
5.4. Encapsulation cellulaire
6. Types d’hydrogels
6.1. A base de précurseurs synthétiques
6.2. A base de précurseurs naturels
6.3. Limitations de ces gels
7. Hydrogels complexes
7.1. Coréseaux de protéines/peptides PEGylées
7.2. Réseaux Interpénétrés de Polymères (RIPs)
8. Conclusion
CHAPITRE 2 : MATERIAUX RIP A BASE DE PVAM
1. Comportement lors de cycle de déshydration/réhydratation
2. Dégradation enzymatique des RIP PVA-BSA/Fb
2.1. Suivi visuel de la dégradation
2.2. Evolution des propriétés viscoélastiques
2.3. Suivi du relargage des fragments protéiques
3. Variabilité entre lots et stérilisation du PVAm
4. Conclusion
CHAPITRE 3 : MATERIAUX POE-BSA/FB
1. Choix du remplaçant du PVAm
2. Synthèse et caractérisation des coréseaux POE-BSA
3. Synthèse des RIPs POE-BSA/Fb
3.1. Optimisation de la proportion d’amorceur
3.1. Influence du temps de polymérisation
3.2. Suivi de la formation des matériaux
4. Caractérisation des RIPs
4.1. Caractérisation de l’architecture RIP
4.2. Biodégradabilité
5. Biocompatibilité des RIPs POE(x)BSA(y)/Fb
5.1. Approche en deux dimensions
5.2. Cytotoxicité de l’Irgacure 2959
6. Conclusion
CHAPITRE 4 : GREFFAGE ET DELIVRANCE DE MOLECULES A ACTIVITE BACTERICIDE
1. Colonisation bactérienne et biomatériaux antibactériens
1.1. Colonisation bactérienne des surfaces
1.2. Stratégie pour limiter le développement bactérien
2. Choix et caractéristiques des composés bactéricides
2.1. Coefficient d’extinction molaire
2.2. Détermination des concentrations minimales inhibitrices
3. Synthèse de RIPs POE-BSA/Fb contenant des sels d’ammonium
3.1. Aspect des RIPs contenant les sels d’ammonium
3.2. Vérification du greffage du styrène ammonium au coréseau POE-BSA
4. Caractérisation des matériaux
4.1. Caractérisation de la morphologie des matériaux
4.2. Propriétés viscoélastiques des RIPs contenant des sels d’ammonium
4.3. Suivi de la dégradation des RIPs contenant les sels d’ammonium
5. Activité bactéricide de ces RIPs
5.1. Etude de la diffusion des sels d’ammonium
5.2. Dénombrement des bactéries en contact avec le matériau
6. Conclusion
CHAPITRE 5 : MATERIAUX A BASE DE PLASMA
1. Etude bibliographique
1.1. Intérêt de l’utilisation directe du sang
1.2. Biomatériaux dérivés du sang
1.3. Utilisation clinique des biomatériaux à base de sang
1.4. Risques et limites des biomatériaux à base de sang
2. Gel de plasma
2.1. Condition de gélification du fibrinogène du plasma
2.2. Structure du réseau de fibrine
3. Matériaux RIPs à base de POE et de plasma total
3.1. Synthèse de RIPs à base de POE dans le plasma
3.2. Caractérisation des RIPs POE-BSA/Plasma
3.3. Biocompatibilité
4. Conclusion
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
ANNEXE A : RESULTATS COMPLEMENTAIRES AU CHAPITRE 5
1. Synthèse de RIP à base de protéines humaines
1.1. Vérification de la synthèse
1.2. Propriétés viscoélastiques
1.3. Biodégradabilité des RIP PVA-HSA/Fb
2. Concentration du plasma par centrifugation
3. Matériaux RIP à base de PVA et de plasma total
3.1. Synthèse des RIPs PVA/plasma
3.2. Vérification de l’architecture RIP
3.3. Caractérisation rhéologique
3.4. Biodégradabilité
ANNEXE B : PARTIE EXPERIMENTALE
1. Réactifs chimiques, solvants, enzymes et protéines utilisés
2. Modification des polymères
2.1. Fonctionnalisation du PVA
2.2. Modification de l’albumine de sérum bovin ou humaine (BSA ou HSA)
3. Synthèse des matériaux
3.1. Gel de fibrine
3.2. Matériaux à base de PVAm
3.3. Matériaux à base de PEGDM
3.4. Matériaux à base de plasma
4. Méthodes de caractérisation
4.1. Quantification et analyse des fractions solubles
4.2. Dégradation chimique du réseau de fibrine
4.3. Cycles séchage/hydratation
5. Analyses mécaniques
5.1. Analyse dynamique thermomécanique (DMA)
5.2. Caractérisation rhéologique
6. Dégradation enzymatique des matériaux
6.1. Suivi du relargage des fragments protéiques
6.2. Evolution des modules viscoélastiques
7. Biocompatibilité
7.1. Culture cellulaire
7.2. Cytotoxicité de l’amorceur
8. Activité bactéricide
8.1. Souches bactériennes
8.2. Mesure de l’effet inhibiteur des traitements en culture planctonique
8.3. Mesure de l’effet bactéricide des traitements en culture planctonique
8.4. Mesure de la diffusion de molécules vers un milieu gélosé
8.5. Dénombrement des bactéries viables en contact avec le matériau
8.6. Evaluation de l’impact des fragments de dégradation des RIPs sur la viabilité bactérienne
9. Analyses statistiques
LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX
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