La levure est lโobjet de nombreux manuels de biologie car elle est un modรจle de cellule eucaryote [Thuriaux, 2004]. Nous prรฉsenterons dans ce chapitre introductif certains des aspects de la levure qui rendent la ou les levures si intรฉressantes aux yeux des biologistes et des industriels.
Gรฉnรฉralitรฉs
On distingue principalement deux classes de cellules : les procaryotes, qui englobent le rรจgne bactรฉrien, et les eucaryotes, qui regroupent les plantes (embryophytes), les champignons et les animaux. Les levures reprรฉsentent lโensemble des champignons monocellulaires appartenant au phyllum des ascomycรจtes. Au-delร de la prรฉsence dโun noyau qui les caractรฉrise, les eucaryotes ont une structure cellulaire hautement organisรฉe . Ils contiennent des organites possรฉdant leur propre gรฉnome (mitochondries et chloroplastes) ou dรฉpourvues de gรฉnomes (pรฉroxysomes), un systรจme vรฉsiculaire comportant le rรฉticulum endoplasmique, lโappareil de Golgi, les endosomes et le lysosome (vacuole). Les cellules de levure ont tous les attributs des eucaryotes mais se distinguent des cellules vรฉgรฉtales et animales par leur petite taille .
Parmi ces champignons monocellulaires, Schizosaccharomyces Pombe et Saccharomyces cerevisiae sont les deux levures les plus รฉtudiรฉes. Elles ont des morphologies trรจs distinctes : la premiรจre a une forme de bรขtonnet allongรฉ, la seconde est une cellule oblongue ร bourgeonnement asymรฉtrique . Cela se traduisent par des stratรฉgies de divisions diffรฉrentes. La distance gรฉnรฉtique entre ces deux espรจces est comparable ร celle qui sรฉpare la mouche du vinaigre (drosophile) de lโhomme. Les deux gรฉnomes ont รฉtรฉ entiรจrement sรฉquencรฉs ce qui permet dโavoir deux modรจles de cellules eucaryotes trรจs diffรฉrents .
Le cycle biologique de Saccharomyces cerevisiae
Le cycle biologique complet comprend deux aspects importants de la vie de S. cerevisiae. Le premier correspond ร la prolifรฉration cellulaire : la division dโune cellule avec formation de deux cellules essentiellement identiques. Le deuxiรจme aspect correspond ร des changements de ploรฏdie (nombre de chromosomes). Ces transitions dans le cycle ont lieu par la fรฉcondation (fusion de cellules) et la mรฉiose, i.e., la rรฉduction du nombre de chromosomes. Ces processus biologiques importants ont aussi lieu dans les organismes supรฉrieurs. Ainsi, lโรฉtude de dรฉfauts dans la division de la levure peuvent aider ร une meilleur comprรฉhension de la prolifรฉration par exemple des cellules tumorales.
Prolifรฉration : le cycle cellulaire
S. cerevisiae prรฉsente la particularitรฉ dโรชtre haplodiplobionte, i.e., capable de se propager vรฉgรฉtativement tant ร lโรฉtat haploรฏde quโร lโรฉtat diploรฏde. Il existe mรชme des souches polyploรฏdes utilisรฉes notamment pour la brasserie qui possรจdent plusieurs copies des 16 chromosomes. Toutes ces souches, 1n, 2n, Xn se divisent par mitose pour produire des populations clonales, identiques gรฉnรฉtiquement. Contrairement ร dโautres micro-organismes tels la levure Schizosaccharomyces pombe ou la bactรฉrie Escherichia coli qui se divisent par fission, la levure de biรจre se divise de maniรจre asymรฉtrique, par bourgeonnement .
Ainsi, la cellule mรจre donne naissance ร une cellule fille, plus petite, formรฉe de constituants de surface (paroi et membrane plasmique) nouveaux. La fille nouvellement formรฉe doit alors atteindre une taille critique pour pouvoir dรฉpasser le point START et commencer son propre cycle de division. Lorsque les nutriments font dรฉfaut, les cellules peuvent rentrer en phase stationnaire (G0) dans laquelle elles ne se divisent plus, accumulent des rรฉserves et modifient la composition de leur paroi [Werner-Washburne et al., 1993]. La prolifรฉration peut reprendre lorsque les levures sont ร nouveau en prรฉsence de nutriments.
Remarque : Mutants themosensibles Lโรฉtude de mutants thermosensibles, cโest-ร -dire, dont lโallรจle mutรฉ ne sโexprime quโau-delร dโune certaine tempรฉrature dite ยซย permissiveย ยป (37หC par exemple pour cdc28, voir Chapitre 4), a permis dโรฉlucider la coordination des diffรฉrents รฉvรฉnements du cycle cellulaire [Hartwell et al., 1973; Hartwell, 1974]. Ces mutants sont bloquรฉs ร un stade prรฉcis du cycle cellulaire. Ils prรฉsentent une morphologie cellulaire homogรจne et sont appelรฉs cdc (ยซย cell division cycleย ยป). Par exemple, le gรจne CDC28 lorsquโil est mutรฉ, provoque un arrรชt en G1 car la protรฉine Cdc28 qui lui est associรฉe est nรฉcessaire pour passer le point dโarrรชt ยซย STARTย ยป. Cdc28 (encore appelรฉe Cdk1) est une sรฉrine-thrรฉonine kinase, i.e., elle est capable de transfรฉrer un groupement phosphate aux rรฉsidus sรฉrine et thrรฉonine des protรฉines (nous parlerons de la phosphorylation dans la partie sur le mรฉtabolisme). Son activitรฉ est conditionnรฉe ร son association ร dโautres protรฉines (cyclines, cofacteurs activateurs CKA, co-facteurs inhibiteurs CKI) pour former des complexes qui vont rรฉguler la rรฉplication de lโADN, la duplication des SPBs et lโรฉmergence du bourgeon. Enfin, ces Cdks (ยซย cycline-dependent kinasesย ยป) qui contrรดlent la divisions cellulaire sont extraordinairement conservรฉes chez les eucaryotes. Lโun des premiers indices a รฉtรฉ la complรฉmentation des mutants cdc2 de S. pombe (homologue de cdc28 chez S. cerevisisae) par un ADNc humain codant pour une protรฉine kinase [Nasmyth, 2001].
Transitions : la fรฉcondation et la sporulation
Bien que les micro-organismes passent la majoritรฉ de leur existence ร se multiplier de maniรจre vรฉgรฉtative, il arrive quโils se reproduisent par conjugaison, i.e., de maniรจre sexuรฉe. La conjugaison chez S. cerevisiae nโest possible quโentre cellules de type sexuel diffรฉrent. Ainsi des cellules haploรฏdes de type a et ฮฑ fusionnent pour donner une nouvelle cellule diploรฏde a/ฮฑ qui est capable de se diviser par mitose et qui ne rentre en mรฉiose que lors de carences sรฉvรจres. Chez S. cerevisiae, la fรฉcondation (Fig. 1.3) dure environ six heures. Les cellules haploรฏdes de chaque type sรฉcrรจtent des peptides qui prรฉparent les cellules ร la fรฉcondation. Ces molรฉcules sont appelรฉes phรฉromones. Elles remplissent un rรดle de communication et ont un mode dโaction sur la cellule similaires ร certaines hormones chez les organismes multicellulaires [Thuriaux, 2004]. Les cellules ฮฑ produisent le facteur ฮฑ, un peptide de 13 acides aminรฉs et les cellules a produisent le facteur a, un peptide de 12 acides aminรฉs [Duntze et al., 1973]. Ces phรฉromones sexuelles induisent un arrรชt des cellules en phase G1 du cycle de division cellulaire, juste avant lโinitiation de la synthรจse dโADN (elles agissent sur CDC28). Avant de pouvoir fusionner, la cellule doit donc finir de se diviser. Le bourgeonnement inhibรฉ, la liaison de la phรฉromone ร son rรฉcepteur induit aussi une rรฉorientation de la polaritรฉ de croissance, de sorte que chaque partenaire se projette vers la cellule de type sexuel opposรฉ, formant une cellule trรจs caractรฉristique, le ยซย schmooย ยป. Les cellules, lorsquโelles fusionnent, possรจdent le mรชme nombre de copies de chaque chromosomes et produisent un zygote diploรฏde. Les facteurs sexuels sont des inhibiteurs de la croissance et peuvent ainsi รชtre utilisรฉs ร cette fin pour synchroniser dans la mรชme phase du cycle cellulaire (G1) une population de cellules haploรฏdes de type sexuel opposรฉ ร la phรฉromone [Breeden, 1997]. On parle alors de synchronisation chimique.
Nous avons vu que la levure pouvait vivre et se multiplier sous plusieurs รฉtats, haploรฏde et diploรฏde, qui diffรจrent par leur taille cellulaire et le nombre de chromosomes quโelles renferment. Il existe des homologies de sรฉquences entre un grand nombre de gรจnes de la levure et de lโhomme qui ont รฉtรฉ mises ร jour lors des sรฉquenรงages des gรฉnomes de S. cerevisiae [Goffeau et al., 1996] et de Homo sapiens [Venter et al., 2001]. Aussi le sรฉquenรงage de nouvelles espรจces de levures promet par lโรฉtude comparative dโaborder en terme molรฉculaire lโorganisation et lโรฉvolution des gรฉnome eucaryotes. Enfin, la comprรฉhension des mรฉcanismes de rรฉgulation, de communication et les acteurs mis en jeu lors du cycle biologique dโun organisme modรจle telle que la levure peut nous รฉclairer sur des mรฉcanismes plus complexes chez lโhomme : ยซย Chaque fois que jโai identifiรฉ un aspect intriguant concernant le cancer, jโai trouvรฉ quโil pouvait รชtre abordรฉ plus efficacement avec une cellule eucaryote simple, Saccharomyces cerevisiae, quโavec une cellule humaine.ย ยป (Leland Hartwell, discours rรฉalisรฉ lors de lโobtention de son Prix Nobel de Mรฉdecine et Physiologie en 2001 pour la co-dรฉcouverte avec Paul Nurse et Tim Hunt des protรฉines Cdks, [Hartwell, 2004]) .
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Table des matiรจres
Introduction
1 Biologie de la levure
1.1 Gรฉnรฉralitรฉs
1.2 Le cycle biologique de Saccharomyces cerevisiae
1.2.1 Prolifรฉration : le cycle cellulaire
1.2.2 Transitions : la fรฉcondation et la sporulation
1.3 Mรฉtabolisme chez la levure
1.3.1 Gรฉnรฉralitรฉs sur la thermodynamique cellulaire
1.3.2 Mรฉtabolisme du glucose chez S. cerevisiae
1.3.3 Mรฉtabolismes non-carbonรฉs
1.4 Cinรฉtique et croissance cellulaire
1.4.1 La croissance selon Monod
1.4.2 Systรจmes ouverts et cultures en ยซย batchย ยป
1.4.3 Cultures continues et thรฉorie du chรฉmosat
1.4.3.1 Prรฉsentation du chรฉmostat
1.4.3.2 Modรจle simplifiรฉ
1.4.3.3 Les mรฉthodes de culture continue
1.4.3.4 YAT P : rendement bioรฉnergรฉtique
1.4.3.5 Energie de maintenance et mรฉtabolisme endogรจne
1.4.3.6 Origines de lโรฉnergie de maintien
1.5 Conclusion
2 Etude ร lโรฉchelle dโune microcolonie
2.1 Les microbiorรฉacteurs
2.1.1 La microfluidique pour les microbiorรฉacteurs
2.1.1.1 Transfert de masse et de chaleur dans les microbiorรฉacteurs
2.1.1.2 Fabrication des microbiorรฉacteurs
2.1.2 Etat de lโart des microbiorรฉacteur et leur applications
2.2 Rรฉseau de microbiorรฉacteurs
2.2.1 Fabrication des micro-gouttes
2.2.1.1 Application dโun cisaillement contrรดlรฉ
2.2.1.2 Emulsification en micro-canaux
2.2.2 Encapsulation des cellules
2.2.2.1 Encapsulation stochastique
2.2.2.2 Encapsulation contrรดlรฉe par lโhydrodynamique
2.2.3 Fabrication du rรฉseau bi-dimensionnel de microbiorรฉacteurs
2.2.3.1 Emulsion cristallisable
2.2.3.2 Piรจges ร gouttes en PDMS
2.2.4 Stabilitรฉ des micro-gouttes
2.3 Echanges entre les microbiorรฉacteurs
2.3.1 Mรปrissement dโOstwald
2.3.2 Mรปrissement de composition
2.3.3 Flux dโeau par gradient de pression osmotique
2.3.4 Mesure du transport entre les gouttes
2.4 Conclusion
3 Dispositif expรฉrimental
3.1 Stockage de gouttes dans une chambre en verre
3.1.1 Dispositifs microfluidiques
3.1.2 Arrรชt des gouttes
3.1.3 Compaction de lโรฉmulsion
3.2 Mesures
3.2.1 Mesure de la biomasse
3.2.2 Mesure du volume des gouttes
3.3 Mรปrissement des gouttes du rรฉseau
3.3.1 Emulsions adhรฉsives
3.3.2 Mesure du transport
3.3.2.1 Modรจle de permรฉation
3.3.2.2 Caractรฉrisation
3.3.3 Mesure de lโactivitรฉ biologique
3.4 Conclusion
4 Mesure du mรฉtabolisme de S. cerevisiae
4.1 Observations phรฉnomรฉnologiques
4.1.1 Conservation de la masse
4.1.2 Reproductibilitรฉ du phรฉnomรจne
4.1.3 Aรฉrobie/anaรฉrobie
4.1.4 Potentiel de notre approche
4.2 Modรฉlisation
4.2.1 Facteur de conversion osmotique
4.2.2 Rรฉgime avec le glucose comme rรฉactif limitant
4.2.3 Rรฉgime oรน le glucose nโest pas le rรฉactif limitant
4.3 Mesure de paramรจtres du mรฉtabolisme
4.3.1 Sensibilitรฉ du systรจme aux paramรจtres du modรจle
4.3.2 Mesure de lโรฉnergie de maintien
4.3.2.1 Principe de la mesure
4.3.2.2 Dรฉtermination expรฉrimentale
4.3.3 Interprรฉtation et applicabilitรฉ
4.3.3.1 Diffรฉrentiation de souches
4.3.3.2 Vers un criblage ร haut-dรฉbit
Conclusion gรฉnรฉrale
ANNEXES
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