Biologie de la conservation et Anthropocène
La biologie de la conservation est une discipline de gestion de crise, avec pour principal objectif de fournir des règles et des outils pour protéger la biodiversité, menacée par les activités humaines (Soulé 1985). La démographie humaine a été débridée par le découplage de la relation énergieressources grâce à l’exploitation des énergies fossiles, faisant augmenter les populations humaines et leurs impacts sur la nature (Ellis 2015). Les mesures de conservation visent à protéger la nature des activités humaines, pourtant elles ne peuvent pas se résumer à une mise sous cloche (ex. Phalan et al. 2011). Sous son statut de discipline « de crise », la définition de la biologie de la conservation, en particulier la relation Homme-Nature, a subi des modifications (Mace 2014), ou des tentatives de modifications (Kareiva & Marvier 2012), mais l’intégration des activités humaines dans la conservation de la biodiversité est à présent au cœur de sa définition, associant la biologie aux sciences sociales, économiques et politiques. La conservation de la biodiversité nécessite la mise en place de mesures de conservation et de gestion durable des ressources (Soulé 1985), d’évaluer l’efficacité de ces mesures grâce à des suivis de biodiversité (Sutherland et al. 2004) afin de fournir aux acteurs politiques des propositions claires et efficaces pour conserver la nature (Parmesan et al. 2013).
Mesurer l’état de la biodiversité via la tendance des populations
Si l’extinction d’une espèce est une perte inestimable pour le patrimoine naturel, l’érosion de la biodiversité via le déclin de l’abondance de toute population a des conséquences dramatiques pour le fonctionnement des écosystèmes et les services qu’ils nous rendent (Baker et al. 2018). La liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a pour but d’attirer l’attention sur les espèces qui risquent de disparaitre, et donner des priorités sur les efforts de conservation qu’il faudrait entreprendre (Rodrigues et al. 2006). Cependant, au-delà de la menace d’extinction des espèces, estimer les changements leur abondance (y compris sur le long terme, Annexe A) est nécessaire pour mesurer l’érosion de la biodiversité et ses répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes (Balmford et al. 2003, Dirzo et al. 2014). Evaluer les tendances des espèces, en particulier celles à large répartition, nécessite de longues séries temporelles sur un grand nombre de sites pour documenter les magnitudes de changements (Balmford et al. 2005, Green et al. 2005). De tels suivis sont difficiles à mettre en place en raison du budget restreint attribué à la conservation de la biodiversité (McCarthy et al. 2012, Barbier et al. 2018). Les sciences citoyennes sont un formidable outil pour recueillir de telles données à large échelle spatiale, afin de documenter l’impact des activités anthropiques sur la biodiversité (Devictor et al. 2010, Dickinson et al. 2010, Brown and Williams 2018).
Facteurs de changements
Les facteurs de changements causant le déclin de la biodiversité sont majoritairement d’origine anthropique, communément réunis dans la définition des « changements globaux ». Les plus impactants sont la sur-exploitation des populations, l’urbanisation, l’agriculture et le changement climatique, auxquelles s’ajoutent la pollution, la gestion humaine des cycles naturels de l’eau et du feu, les espèces invasives, la production d’énergie, les transports et le dérangement lié aux activités humaines (Figure 1, Monastersky 2014, Maxwell et al. 2016).
La sur-exploitation des populations par la chasse, la pêche ou la cueillette est la première cause de perte de biodiversité dans le monde (Maxwell et al. 2016), affectant un quart des espèces animales et végétales actuellement évaluées par l’UICN. La sur-exploitation réduit la taille, la distribution géographique et la diversité génétique des populations (Daily & Ehrlich 1994). Elle a des effets collatéraux sur le fonctionnement des écosystèmes, se répercutant sur les interactions interspécifiques et affectant la démographie d’autres espèces par des mécanismes complexes, comme les modifications « top-down » ou « bottom-up » de la chaine alimentaire selon si c’est le prédateur ou la proie qui est surexploitée (Hunter & Price 1992).
L’agriculture et l’intensification des pratiques sont la principale cause de perte et dégradation des habitats naturels (Tilman 1999, Norris 2008). L’agriculture s’étend sur plus de 20% des terres (Ellis 2015) avec comme fonction principale de nourrir les hommes et leurs animaux domestiques qui représentent aujourd’hui 95% de la biomasse des vertébrés terrestres (Bar-On et al. 2018). Les pertes de biodiversité s’expliquent à la fois par la disparition directe de leur habitat converti en espace agricole (par exemple : déforestation, assèchement de zones humides) et par la transformation des milieux agricoles eux-mêmes qui, pour des soucis de rendement, sont de moins en moins accueillants pour la biodiversité (Newton 2017). L’intensification des pratiques agricoles participe à l’homogénéisation de la diversité biologique (Doxa et al. 2012) en réduisant la diversité des espèces les moins tolérantes à ces nouveaux milieux sur de très grandes surfaces (ex. Donald et al. 2001).
L’urbanisation, liée à la croissance démographique humaine et à la réoganisation spatiale de son occupation, engendre une perte durable et croissante des habitats naturels ou semi-naturels (Grimm et al. 2008). Dans ces nouveaux espaces, la diversité spécifique et les interactions biologiques sont fortement réduites (Chace & Walsh 2004) et les espèces persistantes sont néanmoins soumises à des changements comportementaux, morphologiques et génétiques (Shochat et al. 2006). Le changement climatique affecte 82% des processus biologiques, des gènes aux écosystèmes (Scheffers et al. 2016). Il s’exprime par une augmentation des températures, un changement des régimes de précipitations et une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes à l’échelle du globe (IPCC 2014). Le réchauffement modifie la distribution géographique des espèces, qui en réponse à l’augmentation des températures se déplace vers les pôles ou en altitude (Parmesan & Yohe 2003, Chen et al. 2011). A l’échelle des communautés, les espèces à affinité chaude progressent alors que les espèces à affinité froide régressent, traduisant un turn-over des espèces selon leur affinité thermique (Devictor et al. 2008).
Cumul des facteurs de changements
L’action des facteurs de changement sur la biodiversité ne se limite pas à leurs effets simples puisque dans le contexte de changements globaux ils agissent le plus souvent sous forme cumulée. Dans les années 1990 la recherche s’est accentuée sur les conséquences du cumul de ces facteurs (Côté et al. 2016), en commençant par des études en conditions contrôlées (ex. Folt et al. 1999). La publication de Travis (2003) dénonçant le « deadly anthropogenic cocktail » a rapidement soulevé l’attention de la biologie de la conservation. Le cumul des facteurs peut conduire, ou non, à une interaction de leurs effets. Dans le cas où il n’y a pas d’interaction, un facteur peut dominer, se multiplier ou s’additionner à l’effet d’un autre facteur (Figure 2). La réponse de la population est alors bornée entre l’effet maximal d’un ou des deux facteurs additionnés. En revanche, lorsqu’il y a interaction la réponse peut dépasser l’effet maximal additif des deux facteurs en cas de synergie ou être inférieur au plus petit effet en cas d’antagonisme (Figure 2).
Dans le contexte de changements globaux, connaitre quels facteurs sont responsables d’un changement d’abondance ou de distribution d’une population et quels en sont les effets simultanés est une question primordiale, on seulement en termes de connaissnaces mais aussi pour établir des mesures de conservation ou des plans de gestion des populations. En cas d’effets additifs ou d’interactions synergiques entre plusieurs facteurs de changements biologiques, l’atténuation d’un ou des facteurs conduit à une réduction de la pression. En revanche, les interactions antagonistes sont complexes à gérer, puisque l’atténuation d’un facteur peut conduire à l’augmentation de la pression (Brown et al. 2013). Ainsi, si les effets cumulés de plusieurs facteurs de pressions ne sont pas bien identifiés, les mesures de gestion peuvent échouer (Brown et al. 2013). Des travaux récents insistent sur le faible nombre de travaux consacrés aux effets cumulés du changement d’usage des sols et du changement climatique (Sirami et al. 2016, Titeux et al. 2017). Sous estimer, ou ne pas prendre en compte, le cumul de facteurs de changement, c’est risquer une mauvaise anticipation du déclin de la biodiversité (Titeux et al. 2016).
Adaptation, tolérance et enjeux de conservation face au réchauffement climatique
L’adaptation de la biodiversité au changement climatique est un champ de recherche très actif compte tenu de la rapidité du réchauffement actuel et des effets observés et prédits sur l’abondance et la distribution des espèces (Pereira et al. 2010, Chen et al. 2011, Dawson et al. 2011, Li et al. 2018, Newbold 2018). Il s’agit de décrypter comment les espèces sont capables, ou non, de faire face à ce changement (Larvergne et al. 2010), c’est-à-dire dans quelle mesure les espèces peuvent tolérer l’augmentation des températures et les changements biotiques et abiotiques subséquents, ou si pour se maintenir elles doivent s’adapter, en tenant compte du cumul des autres facteurs de changement (Dawson et al. 2011). L’adaptation des espèces au réchauffement climatique se fait par des mécanismes de microévolution et/ou de plasticité (dont la base est génétique, West-Eberhard 2003), s’exprimant par des changements spatiaux, temporels ou internes (Bellard et al. 2012). Le changement de distribution spatial permet aux espèces de conserver leur niche climatique dans l’espace, alors qu’un changement phénologique correspond à une adaptation temporelle pour maintenir leurs interactions avec d’autres espèces (ex. prédation, Charmantier et al. 2008) ou s’ajuster au forçage des variations de température saisonnières (ex. migration, Jonzén et al. 2006). En l’absence d’adaptation spatiale ou temporelle, la persistance des individus est relative à une adaptation interne (ex. métabolisme, Chevin et al. 2010), ou à tolérer le réchauffement (Bellard et al. 2012).
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Table des matières
1. Introduction générale
1.1 Biologie de la conservation et Anthropocène
1.2 Conservation des oiseaux d’eau dans un contexte méditerranéen
1.3 Objectifs de la thèse
1.4 Matériel et Méthodes
Chapitre 1 : Interaction entre facteurs de changement
1. Introduction
2. Material and Methods
3. Results
4. Discussion
Chapitre 2 : Conservation et tendances de populations
1. Introduction
2. Materiel and methods
3. Results
4. Discussion
Chapitre 3 : Conventions internationales et facilitation des communautés à l’ajustement au réchauffement climatique
1. Introduction
2. Material and methods
3. Results
4. Discussion
Discussion générale
Conclusion
Réponse au réchauffement climatique en hiver
Protections internationales
Faciliter l’adaptation grâce aux mesures de conservation
Perspectives de conservation
Annexes
Annexe A : « The shifting baseline syndrome »
Annexe B : Matériel et méthodes de l’Encadré 1
Annexe C : Manuscript de l’encadré 2
Annexe D : Manuscrit de l’encadré 5
Annexe E : Matériel et méthodes de l’Encadré 6
References
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