Biodiversité et histoire évolutive des Pycnogonides (Arthropoda, Pycnogonida)

Les pycnogonides

Lorsque l’on observe à la loupe binoculaire un échantillon du benthos, on est très vite frappé de l’agitation qui règne sous l’objectif. C’est d’autant plus vrai si l’on se trouve sous les tropiques : l’œil se perd parmi la diversité de formes des coquilles, des crabes, des amphipodes, les couleurs des éponges, des nudibranches, des algues, les motifs des némertes, l’iridescence des polychètes ou la nage frénétique des copépodes et des ostracodes. Même l’oreille n’est pas en reste, si des crevettes pistolet ou une squille se sont invitées à la danse. Mais au milieu de ce ballet fou, il y a parfois un danseur bien particulier, à peine visible, aux couleurs ternes, aux mouvements lents : le pycnogonide (Arthropoda : Pycnogonida Latreille, 1810).

Présentation générale

Le nom des pycnogonides vient du grec : πυκνός, puknos : épais, serré et γόνυ, gonou : genoux. Mais d’autres auteurs leur ont donné un nom qui correspond mieux à leur morphologie : Pantopoda, littéralement « tout en pattes » (Gersträcker 1863), est utilisé à l’origine en Allemagne ou en Russie ; Podosomata, « corps en pattes », est plus rarement utilisé (Leach 1815) ; « nobodies » (Stebbing 1902) est encore utilisé par les anglosaxons comme un surnom (e.g. Brenneis et al. 2017), bien qu’ils préfèrent le plus souvent parler de « sea spiders ». Tous ces noms dénotent la réduction extrême du corps des pycnogonides au milieu de huit pattes le plus souvent longues et fines. Les pycnogonides sont des arthropodes benthiques que l’on retrouve dans la plupart des environnements marins : des tropiques aux cercles polaires, de l’estran aux abysses, et même au contact des sources hydrothermales. Ce sont pourtant des animaux méconnus.

Caractéristiques morphologiques
Le corps des pycnogonides (fig. 1) est divisé en trois tagmes, la tête, le tronc et l’abdomen. La tête est fusionnée avec le premier segment du tronc ; l’ensemble est appelé céphalosome. Il porte à son extrémité antérieure le proboscis, une trompe de forme variable et plus ou moins mobile, dont la section est le plus souvent tri-radiée (à l’exception des Austrodecidae). Le proboscis est constitué de trois antimères, deux latéraux et un dorsal.

Viennent ensuite trois paires d’appendices céphaliques : les chélifores, composés d’un ou deux scape(s) et d’une pince chacun (la chela) avec un dactyle mobile et un dactyle immobile ; les palpes ; les ovigères, dont les quatre derniers articles forment un strigilis. Le céphalosome porte aussi en son sommet un tubercule oculaire portant quatre yeux pigmentés. Le tronc est composé de quatre segments pédifères (rarement cinq ou six), le premier inclus dans le céphalosome. Les pattes sont portées à l’extrémité d’extensions latérales du tronc, nommées processus latéraux. Les pattes sont composées de huit articles (coxa 1, 2, 3, fémur, tibia 1, 2, tarse, propode), en plus d’une griffe terminale principale et parfois de deux griffes auxiliaires. Les coxae 2 portent les pores sexuels par lesquels le mâle excrète le sperme, et par lesquels la femelle relâche ses œufs. Les fémurs des mâles portent le plus souvent des glandes cémentaires qui sécrètent le cément servant à agglomérer les œufs sur les ovigères. L’abdomen porte, le plus souvent à son extrémité, un anus.

Position phylogénétique au sein des arthropodes

Chélicérates ou groupe frère des cormogonides ?
La position phylogénétique des pycnogonides a été largement débattue et n’est pas encore tout à fait consensuelle (Dunlop & Arango 2004). Plusieurs hypothèses ont été proposées : embranchement à part, groupe frère des onychophores ou des pentastomides, représentants des Cyamidae, « chaînon manquant » entre les arthropodes et les annélides, arachnides aquatiques (notamment en groupe frère des acariens) etc., souvent avec de faibles arguments morphologiques (voir la revue de Dunlop & Arango 2004). Les pycnogonides ont été considérés par certains auteurs comme des crustacés (e.g. Krøyer 1840), notamment du fait de la ressemblance entre les larves nauplius et celles des pycnogonides (toutes les deux ayant trois paires d’appendices) ; mais les plans d’organisation des deux taxons (e.g. antennes et antennules, pléion et péréion des crustacés) sont irréconciliables (Dunlop & Arango 2004). Demeurent alors deux hypothèses qui sont encore d’actualité : (i) les pycnogonides comme chélicérates, en groupe frère des euchélicérates (Xiphosura + Arachnida) (e.g. Firstman 1973 ; Dencker 1974 ; Winter 1980). Ce regroupement repose sur une hypothèse d’homologie entre la première paire d’appendices des pycnogonides et celle des chélicérates, i.e. entre chélifores et chélicères (par rapport aux antennes des mandibulates). Les chélifores ont en effet la même structure que les chélicères, et ont une musculature (Dencker 1974) et une innervation (Winter 1980) similaires, mais cette structure peut aussi correspondre à l’état plésiomorphe de la première paire d’appendices des arthropodes (Manuel et al. 2006 ; Brenneis et al. 2008 ; mais voir Chen et al. 2004). Un autre bémol à cette hypothèse est que le nombre de paires d’appendices des pycnogonides est supérieur d’une paire au nombre d’appendices du prosome des chélicérates, à cause des ovigères. Manuel et al. (2006) montrent d’ailleurs que les ovigères ne résultent pas de la duplication d’un segment de la tête, mais sont les homologues de la première paire d’appendices locomoteurs des chélicérates. Mais cette ambiguïté est résolue si l’on admet que le dernier segment pédifère du tronc des pycnogonides correspond au premier segment de l’opisthosome (Waloszek & Dunlop 2002). D’autres caractères comme la présence d’un septum vasculaire (Firstman 1973) vont dans le sens de cette hypothèse  (ii) Les pycnogonides en groupe frère de tous les arthropodes actuels, qui forment alors le groupe des cormogonides (Zrzavý et al. 1998). Cette hypothèse rejette l’homologie entre chélifores et chélicères, et met l’accent sur les nombreuses particularités du groupe par rapport aux autres arthropodes : proboscis à section tri-radiée, réduction de l’abdomen, larves protonymphons, pores sexuels (gonopores) débouchant sur les pattes, ovigères, appendices uniramés, diverticules digestives et gonades dans les pattes (e.g. Hedgpeth 1947, 1954, 1955 ; Bamber et al. 2007b). La principale synapomorphie invoquée pour les cormogonides, à savoir les pores sexuels sur le tronc plutôt que sur les coxae, pourrait être plésiomorphe car elle est partagée avec les tardigrades et les onychophores (Dunlop & Arango 2004). Les autres synapomorphies proposées sont la présence d’un labre et l’absence de tendons intersegmentaires (Dunlop & Arango 2004) .

Apports de la phylogénie
Les deux hypothèses ont été testées par des analyses phylogénétiques sur des données moléculaires et/ou morphologiques. L’hypothèse des cormogonides est soutenue par les analyses morphologiques de Zrzavý et al. (1998) ou d’Edgecombe et al. (2000) et les analyses génétiques de Giribet et al. (2001). Mais l’ajout des données génétiques chez Edgecombe et al. (2000) favorise au contraire l’hypothèse des euchélicérates, alors que l’exclusion des taxons fossiles (et de leur importante proportion de données manquantes) permet à Giribet et al. (2002) de retrouver les pycnogonides parmi les chélicérates. La plupart des études moléculaires favorisent l’hypothèse des euchélicérates (e.g. Arango & Wheeler 2007 ; Arabi et al. 2010 ; Regier et al. 2010 ; Rehm et al. 2011).

Homologie entre chélifores et chélicères
Le système nerveux central des arthropodes est composé de trois paires de ganglions : le protocérébron, le deutérocérébron, et le tritocérébron (du plus antérieur au plus postérieur). Les chélicères des chélicérates, comme les antennes des mandibulates, sont innervées par le deutérocérébron, tandis que le protocérébron n’innerve aucun appendice chez les arthropodes actuels. En revanche, certains estiment qu’il innervait chez certains arthropodes du Paléozoïque des appendices frontaux (Budd 2002) qui auraient été perdus chez les groupes actuels. Or, Maxmen et al. (2005) observent une innervation protocérébrale des chélifores chez la larve d’Anoplodactylus eroticus, rejetant ainsi l’hypothèse d’homologie entre chélifores et les premiers appendices (chélicères et antennes), et soutenant une hypothèse originale d’homologie avec les appendices frontaux. Selon cette hypothèse, les pycnogonides auraient divergé des autres arthropodes avant la perte des appendices frontaux, renforçant la théorie des cormogonides (voir aussi Budd & Telford 2005). Ces conclusions ont cependant été mises en doute par le pattern d’expression des gènes Hox de la larve d’Endeis spinosa (Jager et al. 2006 ; Manuel et al. 2006) qui montre une position deutérocérébrale des chélifores. L’étude neuroanatomique de Brenneis et al. (2008) sur les larves de plusieurs espèces montre par ailleurs que les ganglions chéliforaux migrent antérieurement au cours du développement, jusqu’à une position postéro-latérale au protocérébron, ce qui explique l’erreur de Maxmen et al. (2005). L’homologie entre appendices frontaux et chélifores est donc rejetée. Pour autant, ces résultats démontrent uniquement l’homologie entre chélifores et appendices innervés par le deutérocérébron, i.e. chélicères et antennes. Ils ne permettent donc pas de conclure à une homologie entre chélifores et chélicères par rapport aux antennes.

Apports de la paléontologie
Cambropycnon klausmuelleri (Waloszek & Dunlop 2002), une post-larve présumée de pycnogonide du Cambrien supérieur, possède près de la bouche des structures interprétées comme des antennes par Waloszek & Dunlop (2002) (fig. 2). Mais cette interprétation est peu probable du fait de l’existence conjointe de ces organes avec les chélifores. D’autres auteurs ont envisagé une interprétation en tant qu’appendices frontaux (Chen et al. 2004 ; Dunlop & Arango 2004 ; Manuel et al. 2006) ce qui favoriserait la théorie des cormogonides. Cependant, d’autres hypothèses ont aussi été proposées, comme les antimères latéraux du proboscis en formation (Jager et al. 2006) ou comme organe sensitif (Vilpoux & Waloszek 2003). D’un autre côté, les gnathobases du fossile (absentes chez les larves actuelles) correspondent à ce que l’on retrouve chez les euchélicérates, et favorisent donc l’hypothèse des chélicérates (Dunlop & Arango 2004). L’identification même de C. klausmuelleri en tant que pycnogonide a été remise en question (Bamber 2007b), mais les critiques reposent principalement sur l’absence de ces structures chez les pycnogonides actuels, qui peut simplement être expliquée comme une perte secondaire (Dunlop & Arango 2004). Bergström et al. (1980) ont également proposé que le telson d’un fossile du Dévonien inférieur, Palaeoisopus problematicus, qui est lui clairement identifié comme un pycnogonide adulte du fait de la présence du proboscis et des ovigères, serait homologue au telson des xiphosures.

Anatomie et traits de vie

Respiration
Les échanges gazeux chez les pycnogonides sont tégumentaires, au travers d’une cuticule non calcifiée (Arnaud & Bamber 1987). Si les pycnogonides n’ont pas d’organes respiratoires spécialisés au même titre que les branchies, les feuillets respiratoires ou les trachées des autres arthropodes, les pattes semblent toutefois jouer un rôle particulier (Woods et al. 2017) : ce sont d’excellentes surfaces d’échanges gazeux grâce à leur silhouette souvent longue et fine qui leur confère un rapport surface/volume élevé. Woods et al. (2017) ont par ailleurs montré que la concentration en dioxygène dans l’hémolymphe formait un gradient décroissant du tronc vers l’extrémité des pattes. Ce gradient est formé et maintenu par le péristaltisme des diverticules digestifs dans les pattes, qui génèrent un courant unidirectionnel des pattes vers le tronc.

Nutrition
Les pycnogonides sont souvent considérés comme des ectoparasites ou commensaux d’animaux sessiles ou lents (coraux, anémones, hydrozoaires, porifères, bryozoaires, mollusques, échinodermes, etc.) (Dietz et al. 2018). Quelques cas d’endoparasitisme de mollusques ont été observés (e.g. Arnaud 1978 ; Miyazaki et al. 2010). Cependant, les pycnogonides peuvent aussi être des prédateurs, notamment d’annélides ou de petits crustacés. Certaines espèces semblent également se nourrir d’algues, de biofilms microbiens ou de détritus. Les pycnogonides se servent de leur proboscis pour percer le tégument de leur proie et en aspirer les tissus, ou pour gober la proie entière (notamment les petites proies comme les polypes). Les aliments sont alors fragmentés et filtrés à la base du proboscis, dans le « panier à huître », dont les parois sont tapissées de longues soies (Arnaud & Bamber 1987 ; Wagner et al. 2017). Les chélifores, s’ils sont présents, participent à la prise de nourriture, en permettant de maintenir la proie en place, voire de la déchiqueter (dans le cas des chélifores positionnés horizontalement). Les palpes, les papilles, les microtriches et/ou les soies du proboscis ont probablement un rôle dans la reconnaissance des proies.

Reproduction et développement
Les pycnogonides sont des animaux gonochoriques (= sexes séparés). Le mâle féconde les œufs quand ceux-ci sortent des pores sexuels de la femelle (fécondation externe) en utilisant ses ovigères pour déposer le sperme sur les gonopores (e.g. Callipallenidae) ou bien par contact direct des pores sexuels (e.g. Pycnogonidae) (Bain & Godevich 2004). Le mâle récupère ensuite les œufs sur les ovigères, en les portant soit en une seule et unique grappe pour tous les œufs (e.g. Pycnogonidae), soit en grappes séparées portées chacune par un ovigère (e.g. Ammotheidae, Callipallenidae, Endeidae, Nymphonidae), soit en plusieurs grappes portées par les deux ovigères à la fois (certains Ascorhynchidae) ; différentes grappes d’œufs peuvent provenir de différentes femelles (Brenneis et al. 2017).

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Table des matières

Introduction
I. Les pycnogonides
A. Présentation générale
1. Caractéristiques morphologiques
2. Position phylogénétique au sein des arthropodes
Chélicérates ou groupe frère des cormogonides ?
Apports de la phylogénie
Homologie entre chélifores et chélicères
Apports de la paléontologie
3. Anatomie et traits de vie
Respiration
Nutrition
Reproduction et développement
B. Diversité(s) des pycnogonides
1. Diversité actuelle
Ammotheidae
Ascorhynchidae
Austrodecidae
Callipallenidae
Colossendeidae
Endeidae
Nymphonidae
Pallenopsidae
Phoxichilidiidae
Pycnogonidae
Rhynchothoracidae
2. Diversité fossile
Fossiles d’Örsten (Suède), Cambrien supérieur, 500 MA
Fossiles du lac William (Manitoba, Canada), Ordovicien supérieur, 450 MA
Fossiles d‘Herefordshire (Angleterre), Silurien inférieur, 425 MA
Fossiles d‘Hunsrück (Rhénanie, Allemagne), Dévonien inférieur, 400 MA
Fossiles de La Voulte-sur-Rhône (Ardèche, France), Jurassique moyen, 160 MA
Interprétations du registre fossile
3. Relations phylogénétiques
Monophylie des pycnogonides et des pantopodes
Monophylie des familles
Relations interfamiliales
II. Enjeux
A. Pourquoi étudier les pycnogonides ?
B. Objectifs
1. Faune fossile du Jurassique supérieur
2. Relations phylogénétiques entre et au sein des familles
3. Une biodiversité actuelle méconnue
Chapitre I. Fossiles de Solnhofen (Bavière, Allemagne)
Contexte du projet
Solnhofen
Enjeux et implications
Article 1
Perspectives
Chapitre II. Diversité et histoire évolutive des Ammotheidae
Contexte du projet
Diversité et complexité des Ammotheidae
Enjeux
Article 2
Perspectives
Chapitre III. Phylogénie des pycnogonides et génome mitochondrial
Introduction
Matériel et Méthode
Séquençage et assemblage des génomes mitochondriaux
Annotation du génome mitochondrial
Biais de composition en base
Analyses phylogénétiques
Résultats
Génomes mitochondriaux
Phylogénie
Discussion
Conclusion

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