Biocapteurs et Biopuces
Invention et développement des biocapteurs et biopuces
Les biocapteurs constituent une grande classe de capteurs relativement récente en regard de l’histoire des capteurs. Cela est dû au fait qu’ils sont basés sur des réactions et/ou des éléments de nature biologique, et donc des phénomènes et des objets dont la connaissance, sans parler de la compréhension, a dû attendre des avancées technologiques et scientifiques très importantes. Les objets dont nous parlons sont situés dans des échelles de mesure (en taille et en masse) longtemps restées inaccessibles à l’observation par l’Homme. La biochimie toute entière est un domaine de recherche très jeune qui n’a pu émerger qu’à partir du XIXème siècle, lorsque la synthèse chimique de l’urée par Friedrich Wöhler (1800-1882) a commencé à ébranler la notion de vitalisme, selon laquelle la chimie des êtres vivants serait une chimie spécifique, non reproductible en dehors du Vivant (Ramberg 2000). Le domaine va ensuite s’enrichir et progresser à pas de géant au fur et à mesure de l’apparition de techniques nouvelles (la chromatographie au début des années 1900 (Tswett 1906), l’électrophorèse dans les années 1930 (Tiselius 1937), etc.) pour faire évoluer notre conception du vivant et de son fonctionnement. N’oublions pas que la structure aujourd’hui très célèbre et bien connue de l’ADN en double hélice n’a été élucidée qu’en 1953, grâce en particulier aux travaux pionniers de Rosalind Franklin, Maurice Wilkins, James Watson et Francis Crick et à la technique de diffraction des rayons X (Franklin 1953; Watson 1953; Wilkins 1953) .
Peu étonnant donc que le premier biocapteur officiel ait à peine 50 ans. On le doit à Leland Clark lorsqu’il imagina en 1962 la première électrode à glucose (Clark 1962). Aujourd’hui la définition d’un biocapteur reste un peu floue et peut être plus ou moins restrictive selon les contextes. La version la plus large, donnée par l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry) est la suivante (Nagel 1992) :
A device that uses specific biochemical reactions mediated by isolated enzymes, immunosystems, tissues, organelles or whole cells to detect chemical compounds usually by electrical, thermal or optical signals.
Qui peut se traduire par :
Un dispositif qui utilise des réactions biochimiques spécifiques induites par des enzymes isolées, des éléments du système immunitaires, des tissus, des organelles ou des cellules entières pour détecter des composés chimiques, généralement par le biais de signaux électriques, thermiques ou optiques.
En pratique, on le définit souvent plus simplement par l’association de deux éléments :
– D’une part il doit comporter un élément de reconnaissance biologique, ou sonde (qui peut être par exemple : des anticorps, de l’ADN, des protéines, des enzymes, des cellules…)
– D’autre part, cet élément de reconnaissance doit être associé à un transducteur, qui transforme la réaction de reconnaissance (formation du complexe sonde-cible entre la sonde choisie et la cible à détecter) en un signal physique mesurable et quantifiable (électrique, thermique, optique ou mécanique).
Ces dernières années, le domaine des biocapteurs a connu un développement tout à fait remarquable. Celui-ci est le résultat de plusieurs facteurs dont l’un des principaux est le besoin très vif en capteurs fiables qu’entraîne la croissante sévérité des normes dans tous les domaines touchant à la chimie et la biochimie appliquée (environnement, alimentation, pharmacie, sécurité domestique et industrielle, suivi médical…). Un deuxième facteur est le besoin d’outils toujours plus perfectionnés, rapides, simples d’utilisation et adaptés à l’étude de réactions biochimiques pour mieux les comprendre, les analyser et diagnostiquer des dysfonctionnements éventuels. On comprend donc aisément que les grands domaines d’application des biocapteurs comprennent le domaine biomédical et pharmaceutique, l’analyse des aliments, la qualité de l’environnement, le bioterrorisme et, de manière plus surprenante et plus récente, le domaine spatial (avec notamment la recherche de la vie sur Mars (Skelley 2005)).
Un élément de reconnaissance alternatif : les aptamères
Des acides nucléiques aux aptamères
Tous les êtres vivants sont composés de cellules, capable de grandir et de se multiplier. Ces cellules sont elles-mêmes composées de plusieurs molécules. Les plus grosses sont des polymères, appelées macromolécules, et sont synthétisées à partir de petites sousunités (monomères) : ainsi l’ADN (Acide DésoxyriboNucléique) et l’ARN (Acide RiboNucléique) sont formés de nucléotides, et les protéines sont un enchaînement d’acides aminés (Lewin 1990). Ces molécules interagissent entre elles et sont responsables de la transmission de l’information génétique. L’ADN et l’ARN sont les supports de cette information alors que les protéines en sont l’expression. Chaque fois, c’est l’assemblage particulier des sous-unités (nucléotides et acides aminés) qui confère à la macromolécule ses propriétés. Ainsi à partir d’un nombre limité de formes de ces sous-unités (4 nucléotides différents pour l’ARN et l’ADN, 20 acides aminés pour les protéines), il est possible d’engendrer une grande diversité de macromolécules, servant à assurer une grande part des fonctions nécessaires à la vie des organismes.
Les nucléotides sont composés de trois éléments : un groupe phosphate, un sucre (le 2- désoxyribose dans le cas de l’ADN ou le ribose dans le cas de l’ARN, correspondant au remplacement d’un atome H par un groupe OH) et une base azotée. C’est la base azotée qui assure la variabilité de l’ADN et de l’ARN, puisqu’il en existe quatre différentes dans les deux cas, appelées cytosine (C), guanine (G), adénine (A) et thymine (T) dans le cas de l’ADN , cette dernière étant remplacée par l’uracile (U) dans le cas de l’ARN. Une base azotée associée à un sucre forme un nucléoside, et ce nucléoside associé à un ou plusieurs phosphates forme un nucléotide. Les nucléotides sont reliés entre eux par des liaisons covalentes entre le sucre et le groupe phosphate qu’on appelle liaisons 5’-3’ phosphodiester. De plus, comme les quatre bases sont complémentaires deux à deux, les bases puriques (A et G) s’associant aux bases pyrimidiques (respectivement T/U et C), l’ADN est formé, sous sa forme la plus stable, de deux brins complémentaires prenant la forme reconnaissable de double hélice .
L’ARN, du fait de la présence du groupe OH sur le sucre ribose, est chimiquement moins stable que l’ADN et se trouve le plus souvent dans la cellule sous forme de simple brin. Il possède, de la même manière que les protéines, une structure secondaire et tertiaire d’autant plus complexe, formée de zones appariées, de boucles terminales ou internes, d’hernies, etc. On lui reconnait ainsi une activité et une capacité d’interaction avec les autres éléments de la cellule plus importantes que l’ADN. Au contraire, on ne considère souvent l’ADN que sous sa forme très stable de double brin, et pour ses trois fonctions essentielles dans la cellule : stocker l’information génétique, assurer l’hérédité et permettre l’évolution. Cependant, l’ADN sous sa forme simple brin peut également adopter un repliement complexe, lui attribuant d’autres propriétés tout aussi intéressantes. Les aptamères par exemple, peuvent ainsi tout aussi bien être formés à partir d’ARN que d’ADN simple brin.
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Table des matières
1 INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 Biocapteurs et Biopuces
1.1.1 Invention et développement des biocapteurs et biopuces
1.1.2 Un élément de reconnaissance alternatif : les aptamères
1.1.3 Un élément transducteur intéressant : la SPRi
1.2 Détecter la thrombine
1.2.1 La coagulation sanguine
1.2.2 La thrombine : ses rôles et sa structure
1.2.3 Les aptamères anti-thrombine (APT1 et APT2)
1.2.4 Utilisation des aptamères APT1 et APT2 pour la détection de la thrombine
1.3 Objectifs de la thèse
2 FABRICATION ET CARACTÉRISATION DES BIOPUCES
2.1 Etat de l’art de la détection de la thrombine par SPR
2.2 Elaboration de la puce et protocole de détection par SPRi
2.2.1 Design de la puce
2.2.2 Montage SPRi et protocole général de détection
2.2.3 Optimisation du blocage de la puce
2.3 Performances des biopuces
2.3.1 Détection classique et gamme de concentration
2.3.2 Détection cinétique et courbe d’étalonnage
2.3.3 Avantages et performances
2.4 Détermination des KD
2.4.1 Définition et détermination du KD
2.4.2 Le KD de surface
2.4.3 Le KD en solution
2.4.4 Discussion sur KD surf vs KD sol
2.5 Conclusion
3 FORMATION DU COMPLEXE « SANDWICH » DE LA THROMBINE AVEC SES DEUX APTAMÈRES
3.1 Introduction
3.2 Formation du sandwich et amplification du signal
3.2.1 Choix des sondes et protocoles de détection
3.2.2 Formation séquentielle du sandwich
3.2.3 Formation du sandwich par co-injections
3.2.4 Quantification du nombre de complexes formés sur la puce
3.3 Sélectivité des aptamères pour les exosites de la thrombine
3.4 Choix d’un bon protocole d’amplification
3.5 Détermination d’un effet allostérique inter-exosite
3.5.1 Etude bibliographique
3.5.2 Résultats des expériences « sandwich »
3.6 Conclusion
4 VERS UNE ETUDE DES INTERACTIONS NATURELLES DE LA THROMBINE
4.1 Des inhibiteurs naturels de la thrombine
4.1.1 Le mécanisme d’inhibition de la thrombine
4.1.2 Conditions expérimentales
4.1.3 Etude de l’interaction thrombine-antithrombine III-héparine
4.1.4 Etude de l’interaction thrombine-cofacteur II de l’héparine-héparine
4.2 La transformation de la prothrombine
4.2.1 Le mécanisme de formation de la thrombine
4.2.2 Conditions expérimentales
4.2.3 Détection et transformation de la prothrombine
4.2.4 Etude des conditions de formation de la thrombine
4.3 Conclusion
5 CONCLUSION GÉNÉRALE