Bioalteration de verres basaltiques modèles

Origine des verres basaltiques

      Les verres basaltiques sont issus du magmatisme mantellique et sont la conséquence d’éruptions volcaniques se produisant en milieu océanique, sous la glace ou en milieu continental. Ils sont formés lors de la rencontre entre une coulée de lave en fusion et une eau de mer/météorique. Ils diffèrent notamment des obsidiennes, issues du volcanisme terrestre et qui sont caractérisées par des teneurs plus importantes en silice (>70% contre 45-55 % pour les basaltes). Les dorsales médio-océaniques et les îles volcaniques constituent la principale source de verres basaltiques à la surface de notre planète. La croûte océanique est en effet la formation éruptive la plus importante de la Terre. Chaque année, 2,94 km2 de croûte océanique sont générés au niveau de ces chaînes de montagnes sous-marines, dont on évalue la longueur totale à 60000 km. Si l’on estime l’épaisseur de la croûte océanique entre 6 et 8 km, ceci implique que 18 km3 de magma chaud seraient trempés chaque année, le long de ces dorsales (Staudigel et al., 1996). Les basaltes résultant de cette trempe forment des laves en coussins (basaltes constitués d’un cœur cristallisé et d’une enveloppe vitreuse, d’environ 1 cm d’épaisseur), des hyaloclastites (accumulation de fragments vitreux) et plus rarement sur le continent, des tufs (roches surtout cristallisées résultant de la solidification de débris volcaniques). Pour ces éruptions en milieu océanique, la trempe se fait donc au contact de l’eau de mer. Dans le cas d’éruptions sous-glaciaires, les hautes températures font fondre les glaciers et la trempe a lieu dans l’eau résultant de la fonte (formation de hyaloclastite). On estime à 10% la proportion volumique de verre dans les roches basaltiques, le reste étant constitué de roches cristallisées. Les verres étudiés dans le cadre de cette thèse sont des verres modèles de MORB (Mid-Oceanic Ridge Basalt). Comme leur nom le suggère, on les retrouve principalement au niveau de dorsales médio-océaniques. La composition typique de la matrice vitreuse d’un verre MORB est donnée dans le Tableau 1.1. On retrouve aussi des compositions très similaires à proximité de certaines îles volcaniques, ou en milieu continental, dans les trapps, qui sont de vastes plateaux basaltiques. Le Tableau 1.1 rassemble aussi quelques données relatives à la composition chimique de verres basaltiques de l’Océan Atlantique, Pacifique, de basaltes islandais et hawaïens. On constate que les valeurs de ces compositions sont très proches les unes des autres, ce qui légitimera l’usage du verre MORB comme composition de référence dans nos expériences.

Pourquoi impliquer les microorganismes ?

      Si faire la distinction entre produits de l’altération biotique ou abiotique demeure une tâche ardue, l’altération des verres basaltiques océaniques est, depuis maintenant plus de deux décennies, souvent décrite comme un processus biologiquement catalysé. La littérature atteste aujourd’hui de l’existence d’une biosphère abondamment localisée au niveau des gisements basaltiques de la partie supérieure de la croûte océanique (Furnes et al., 2001b; Banerjee et Muehlenbachs, 2003). Un grand nombre de communautés bactériennes et archéennes ont été repérées en subsurface de basaltes océaniques altérés et inventoriées par des méthodes moléculaires notamment basées sur l’extraction et l’amplification de l’ADNr 16S des échantillons biologiques prélevés dans ces aquifères (Thorseth et al., 2001; Lysnes et al., 2004; Templeton et al., 2005). Les analyses phylogénétiques d’échantillons prélevés à divers endroits du globe révèlent notamment que (1) les communautés en subsurface des basaltes sont différentes de celles retrouvées plus généralement dans l’eau de mer/dans les sédiments océaniques (Thorseth et al., 2001) et que (2) certaines souches de Bacteria sont ubiquitaires (on citera, de manière non exhaustive, les groupes phylogénétiques Actinobacteria et β,γ et ε Proteobacteria) (Santelli et al., 2008; Templeton et al., 2005). Ces observations suggèrent que les pourtours vitrifiés des basaltes en coussin pourraient constituer des habitats microbiens spécifiques. Bach et Edwards (2003) font ainsi l’hypothèse, à partir de calculs de bioenergétique, que les métabolismes aérobies et anaérobies liés au fer et au souffre ainsi que les réactions de consommation de l’hydrogène pourraient entretenir le développement de communautés biologiques particulièrement productives dans les laves en coussins.

L’analogie aux verres nucléaires

    Les déchets radioactifs, issus de la production d’énergie nucléaire et du retraitement des combustibles usés, sont confinés dans des matrices vitreuses, coulées à l’intérieur de conteneurs en acier et enfouis à plusieurs centaines de mètres de profondeur. L’altérabilité de ces matrices vitreuses et en particulier leur résistance à l’eau devrait être étudiée à très long terme pour attester du caractère durable de ce stockage, mais de telles études sont irréalisables à l’échelle humaine. L’analogie en termes de mécanismes d’altération et d’énergies d’activation des réactions impliquées, entre verres volcaniques et verres nucléaires, a été proposée pour la première fois en 1979 par Ewing. Les verres basaltiques sont ainsi devenus des outils naturels permettant d’évaluer et de quantifier les conséquences d’une altération en milieu aqueux à très long terme (Techer et al., 2001a; Libourel et al., 2011; Parruzot et al., 2015). Si les verres nucléaires contiennent un certain nombre d’éléments absents d’une composition basaltique traditionnelle, en particulier le bore ajouté en forte quantité (14% de B2O3) pour abaisser le point de fusion du matériau, ils ont une teneur en SiO2 similaire. L’utilisation des verres basaltiques en tant qu’analogues des verres nucléaires est également légitimée par le fait qu’on retrouve des basaltes d’âges variables (de plusieurs dizaines de milliers à plusieurs millions d’années) sous toutes les latitudes et dans des environnements naturels très divers. La validation de cette analogie sur une large échelle de temps géologiques nécessite la réalisation d’expériences de lixiviation en laboratoire, couplée à la caractérisation d’échantillons basaltiques naturels ainsi que la construction d’un modèle permettant de simuler l’altération des verres analogues à long terme (Petit, 1992). Un tel modèle permet ainsi de confirmer ou d’infirmer les mécanismes d’altération déduits des études expérimentales et d’évaluer le degré de similitude, en terme de mécanismes d’altération, entre verres basaltiques et verres nucléaires. L’analogie entre verres volcaniques et verres nucléaires est très intéressante dans la mesure où la littérature regorge d’études sur l’altération des verres de stockage et donc d’informations très utiles pour l’interprétation des résultats d’expériences de dissolution de verres basaltiques. Parmi ces études, on trouve notamment des travaux sur les cinétiques initiales de dissolution (Luckscheiter et Nesovic, 2004; Fournier et al., 2014) ou au contraire sur les vitesses résiduelles (altération à très long terme) (Curti et al., 2006; Libourel et al., 2011; Gin et al., 2012, 2013, 2014). Ces travaux font intervenir des paramètres variables, tels que le pH ou la température (Pierce et al., 2008) ou la composition du verre (Gin et al., 2012). La formation du gel d’altération (on reviendra sur ce terme un peu plus loin dans ce chapitre) a fait notamment l’objet d’un certain nombre d’études expérimentales (Rebiscoul et al., 2005; Jollivet et al., 2008). La caractérisation des produits secondaires d’altération ainsi que les mécanismes de leur formation ont également été étudiés (Pelegrin et al., 2010). Les tests de lixiviations sont réalisés en eau pure, ou dans une eau enrichie en éléments du verre (Thien et al., 2002; Luckscheiter et Nesovic, 2004) ou encore dans des solutions salines (Godon et al., 1988; Abdelouas et al., 1993).

Sidérophores

     Parmi le nombre impressionnant de substances susceptibles d’être synthétisées et relâchées en solution par les bactéries, les sidérophores sont des molécules particulièrement étudiées. Les sidérophores sont des ligands complexant très préférentiellement le Fe(III), synthétisés par des bactéries aérobies, généralement ferri-reductrices, cultivées dans des conditions notamment caractérisées par une très faible concentration en fer. Le fer est le quatrième élément le plus abondant de la croûte océanique (10,4% en masse d’oxyde) après l’oxygène, le silicium (50,5%) et l’aluminium (15,3%) (Hofmann, 1988). Pourtant, dans la plupart des systèmes aérobies à pH neutre, cet élément est très peu biodisponible (Schwertmann, 1991). On l’y trouve sous une forme soluble à des concentrations comprises entre 10−9 et 10−18 M tandis que le reste précipite sous forme d’oxydes (Braun et Killmann, 1999). Cet élément est, on l’a dit, pourtant nécessaire à de nombreux processus métaboliques bactériens tels que la synthèse d’acides nucléiques, le transport et le stockage de l’oxygène, la synthèse d’ADN et d’ARN ou encore le transfert d’électrons (Brandel et al., 2012). La biosynthèse des sidérophores permet donc aux cellules d’accéder au fer présent dans le système et d’augmenter sa solubilité et sa biodisponibilité (Kraemer, 2004). Ce mécanisme bactérien est donc finalement contrôlé par l’abondance du fer dans le milieu (Meyer et Abdallah, 1978; Neilands, 1981; Hersman et al., 2000). Expérimentalement, pour déclencher la production de sidérophores par les bactéries, on utilise des milieux dits minimaux, c’est-à-dire contenant une quantité micromolaire de fer. Une concentration en fer supérieure à 10−6 M suffit pour que les bactéries parviennent à mobiliser cet élément depuis l’environnement cellulaire et à l’utiliser pour leur croissance (Liermann et al., 2000). Une fois formés, les complexes Fe3+sidérophore sont assimilés par les bactéries grâce à des affinités de structures importantes avec la membrane des cellules (Schons et al., 2005). Si le terme sidérophore, de par son étymologie, semble faire référence à la complexation du fer exclusivement (sidérophore vient d’ailleurs du grec pherein et sideros et signifie porter le fer), ces molécules sont pourtant capables de se lier à d’autres cations métalliques (Kalinowski et al., 2000; Rogers et Bennett, 2004; Braud et al., 2009). Cependant, la complexation du Fe(III) se fait de manière préférentielle. Les constantes de formation des complexes (1 :1) entre le Fe(III) et les sidérophores recensés à l’heure actuelle par la littérature s’étendent entre 1023 et 1052. La capacité à synthétiser des sidérophores en réponse à une limitation en fer est très répandue au sein de la communauté bactérienne aérobie. Par exemple, parmi les 302 souches de Pseudomonas fluorescentes recensées, 297 produisent des sidérophores lorsqu’elles sont soumises à un stress nutritif (Cocozza et Ercolani, 1997). Les sidérophores sont généralement des molécules organiques de masse molaire faible, et de la diversité des souches susceptibles de les synthétiser découle une variété impressionnante de structures chimiques. On peut néanmoins les rassembler en fonction de la nature de certains groupements : les phénols/catéchols, les hydroxamates et, moins fréquents, les groupements α-hydroxycarboxyli–ques (Kalinowski et al., 2000; Faraldo-Gomez et Sansom, 2003) (Figure 1.11). Ces groupements sont ceux qui interviennent dans la formation des complexes métalliques.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Préambule
1 Introduction générale 
1.1 Contexte de l’altération des verres basaltiques 
1.1.1 Origine et milieux d’altération
1.1.1.1 Origine des verres basaltiques
1.1.1.2 Eaux altérantes
1.1.1.3 Pourquoi impliquer les microorganismes ?
1.1.2 Les enjeux de l’altération des verres basaltiques
1.1.2.1 Implication dans les grands cycles géochimiques
1.1.2.2 L’analogie aux verres nucléaires
1.1.2.3 L’application aux basaltes martiens et lunaires
1.2 Processus d’altération des verres basaltiques et implication des microorganismes 
1.2.1 Phénoménologie de l’altération des verres basaltiques naturels
1.2.1.1 Rappels sur les mécanismes
1.2.1.2 Formation des produits secondaires
1.2.2 Des indices d’une action microbienne
1.2.3 Cinétiques d’altération
1.2.3.1 Rappel sur les cinétiques d’altération en eau pure
1.2.3.2 Cinétiques en milieux naturels
1.2.3.3 Rôle des bactéries
1.3 Impact global de l’implication bactérienne et conclusions
2 Echantillons et Méthodologies 
2.1 Echantillons basaltiques 
2.1.1 Synthèse des verres
2.1.2 Mise en forme des échantillons
2.1.2.1 Monolithes
2.1.2.2 Poudres
2.1.3 Caractérisation des solides préparés
2.1.3.1 Contrôle des compositions
2.1.3.2 Évaluation du caractère amorphe après la trempe
2.1.3.3 Aspect de la surface
2.1.3.4 Environnement structural du fer
2.1.3.5 Surfaces d’altération
2.2 Expériences d’altération
2.2.1 Protocoles expérimentaux
2.2.1.1 Expériences en eau pure
2.2.1.2 Expériences en milieu de culture
2.2.2 Caractérisation des échantillons issus des expériences d’altération
2.2.2.1 Analyse des liquides
2.2.2.2 Analyse des solides
2.2.3 Bilan des échantillons altérés
3 Mécanismes et cinétiques de dissolution en présence de ligands organiques 
3.1 Résultats 
3.1.1 Concentrations et pertes de masse normalisées
3.1.2 Vitesses initiales
3.1.3 Stoichiométrie
3.2 Discussion
3.2.1 Effet de la solution sur la dissolution du verre
3.2.1.1 Effet du type de ligand
3.2.1.2 Effet de la concentration des ligands
3.2.2 Effet de la structure du verre
3.2.2.1 Éléments formateurs et modificateurs de réseau
3.2.2.2 Effet de la composition du verre
3.2.2.3 Effet du degré d’oxydation du fer
3.3 Conclusions 
4 Rôle du fer dans les processus de bioaltération 
4.1 Résultats 
4.1.1 Croissance bactérienne
4.1.2 Production de sidérophore
4.1.3 Teneurs en aluminium et fer des cellules bactériennes
4.1.4 Suivi des cinétiques de dissolution
4.1.4.1 Concentrations
4.1.4.2 Pertes de masse normalisées
4.1.4.3 Vitesses initiales
4.2 Discussion 
4.2.1 Impact de la composition du verre sur l’activité bactérienne
4.2.1.1 Rôle du magnésium
4.2.1.2 Rôle du fer
4.2.1.3 Rôle de l’aluminium
4.2.2 Effet du redox sur la dissolution du verre
4.2.3 Impact des bactéries sur les cinétiques de dissolution
4.2.3.1 Impact des sidérophores
4.2.3.2 Alternatives à l’action des sidérophores
4.2.4 Retour sur les mécanismes de complexation
4.2.4.1 Protocole d’extraction
4.2.4.2 Expériences de dissolution
4.2.4.3 Résultats et discussion
4.3 Conclusions
5 Caractérisation des surfaces altérées 
5.1 Observation préliminaire des surfaces 
5.2 Détermination de profils d’altération par LA-ICP-MS
5.2.1 Optimisation de l’analyse des verres altérés par LA-ICP-MS
5.2.1.1 Choix des méthodes d’analyse
5.2.1.2 Résultats et discussions
5.2.2 Couplage aux analyses liquides
5.2.2.1 Composition des solutions altérantes
5.2.2.2 Simulation
5.3 Conclusions 
6 Synthèse des résultats et conclusions 
6.1 Retour sur les stratégies expérimentales 
6.2 Bilan des mécanismes de bioaltération dégagés 
6.2.1 Verres porteurs de fer
6.2.2 Verres sans fer
6.3 Perspectives 
Annexe

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *