Binômes de petits parleurs en CE2

Petits parleurs, langage et parole

     Issu des recherches sur le développement du langage chez les jeunes enfants, le terme de petits parleurs a été utilisé initialement par Agnès Florin, qui, dans ses recherches sur l’acquisition du langage en maternelle dans les années 80, dressait une typologie des temps de parole des élèves de maternelle et distinguait les petits parleurs des moyens et grands parleurs. Ce terme désigne ainsi « des élèves qui dans un groupe classe ne prennent pas la parole même s’ils sont sollicités par l’enseignant (quantité), et / ou se contentent de réponses courtes qui ne mobilisent que peu de lexique ». Cette définition, issue donc de travaux de recherche en maternelle, peut être étendue, par analogie, dans le contexte de ce mémoire et présente plusieurs intérêts : d’une part, elle permettra de travailler sur un échantillon nommé petits parleurs (PP) qui s’entend comme les élèves qui relativement (en comparaison du groupe classe), et non dans l’absolu, s’expriment moins que les moyens parleurs et les grands parleurs. D’autre part, ce « détour » par la maternelle met d’emblée l’accent sur des notions clés en LVE : motivation, caractère hétéroclite de la participation des élèves, savant mélange entre compétences sociales et compétences langagières, didactique de « la langue », compréhension des dysfonctionnements, mise en place nécessaire de procédures d’étayage, étude fine des interactions entre pairs,  Surtout, même si cette définition apparaît aujourd’hui imparfaite, manichéenne voire stigmatisante, elle a permis de donner des pistes d’analyse, approfondies ultérieurement, sur l’acquisition du langage – comme par exemple le niveau et l’ « équipement» de l’enfant, le support, les conditions d’appropriation de concepts complexes et de se demander quelles situations d’apprentissage favorisent la prise de parole des petits parleurs, en opposant les situations « techniques » ou informatives aux situations « conversationnelles ». Dans ce contexte, parler de petits parleurs au sens d’Agnès Florin fournit à l’enseignant un rappel : il « redécouvre » que l’élève ne parle pas de la même manière selon les situations dans lesquelles il est engagé, interrogeant les choix pédagogiques. Selon les termes de l’auteur, « on ne parle pas sans « parler à ». D’ailleurs, comme nous le verrons dans la définition de l’échantillon sur lequel porte la recherche, il est souvent constaté que, quelle que soit la discipline, le groupe des PP reste invariable dans la classe mais que les causes différent selon les élèves. Le terme de « petit parleur» amène donc d’emblée à définir les concepts de langue, de langage et de parole. En effet, on sait depuis les études linguistiques de Ferdinand de Saussure, que si le langage est inné, ou en tout cas un trait propre à l’espèce humaine, la langue (et donc la langue vivante étrangère par extension) apparaît avant tout comme un produit social, c’est-à-dire un ensemble de conventions acquises. Jérôme Bruner donne sa propre définition du langage qu’il voit comme « un moyen systématique de communiquer avec autrui, d’affecter son comportement mais aussi le nôtre, de partager l’attention et de créer des réalités auxquelles nous adhérons »: le langage vu comme une interaction, avec des intentions de communication, se superpose donc bien à la langue en lui donnant une composante sociale. Enfin, langue et parole sont interdépendants, étroitement liés, mais la parole est individuelle et directement subjective : c’est le sujet qui fait le choix de parler…ou de se taire, d’utiliser ou non ce code qu’est la langue. Ainsi, lorsque l’on s’intéresse à des élèves « petits parleurs » dans le cadre d’une LVE, il s’agira de prendre en compte cette triple dimension : le langage, la langue et la parole, avec des problématiques amplifiées chez les PP qui en sus « raisonnent » lorsque la langue est une langue étrangère, l’anglais opérant sur ce sujet comme une caisse de « résonnance » des difficultés rencontrées par les PP.

Définition générale de la notion d’interaction via le CECRL

     La définition d’interaction est étroitement liée à celle de binôme entre pairs. Selon le Larousse, une interaction reste avant tout une « réaction réciproque de deux phénomènes l’un sur l’autre ou une action réciproque qu’exercent l’un sur l’autre deux ou plusieurs systèmes physiques ». Qualifiée de sociale, elle désigne alors « la relation interpersonnelle entre deux individus au moins, par laquelle les comportements de ces individus s’influencent mutuellement et se modifient chacun en conséquence. » Il s’agit pour ainsi dire que l’élève prenne part à une conversation en utilisant d’autres compétences sousjacentes. Dans le CECRL (p. 18), on peut lire que : « Dans l’interaction, au moins deux acteurs participent à un échange oral et alternent les moments de production et de réception, qui peuvent même se chevaucher dans les échanges oraux. Non seulement deux interlocuteurs sont en mesure de se parler mais ils peuvent simultanément s’écouter… » puis qu’elle «se différencie de plusieurs manières de la simple juxtaposition des activités de parole et d’écoute. Les processus réceptif et productif se chevauchent. Pendant qu’il traite l’énoncé encore inachevé du locuteur, l’interlocuteur planifie sa réponse sur la base d’hypothèses quant à la nature de cet énoncé, de son sens et de son interprétation. Le discours est cumulatif. Au fur et à mesure que l’interaction progresse, les participants convergent dans la lecture de la situation, élaborent des attentes et se concentrent sur les points pertinents .Ces opérations se reflètent dans la forme des énoncés produits. » (CECRL p 75). Ainsi, on voit à travers ces trois ébauches de définition des termes clés du sujet, que le travail en binôme entre pairs petits parleurs pour une compétence d’interaction orale constitue LE sujet par antonomase auquel se trouve confronté l’enseignant, le sujet aussi de tous les superlatifs : les modalités de travail, le langage et la parole, la difficulté des interactions orales constituent, par définition, les plus grands défis auxquels se trouve confronté l’enseignant débutant dans sa gestion de la classe et de sa progression. La présentation ci-dessous de l’état de l’art des analyses scientifiques et didactiques à l’aune de l’enseignement d’une LVE à l’école élémentaire renforce cette acuité et présente quatre grands enjeux et thèmes d’analyse. Dans cette étude, on emploiera indifféremment le singulier ou le pluriel pour désigner « l’interaction » (l’ensemble des procédures dans lesquelles les élèves interagissent) ou « les interactions » (les faits et procédures mises en œuvre pour interagir ou dans/en interaction).

La formulation du paradoxe communicatif

     Ultime spécificité scientifique de la didactique des langues à prendre en compte pour refléter l’état de l’art de la recherche, ou ultime formulation des difficultés, choix et arbitrages que doit faire l’enseignant au quotidien, le « paradoxe communicatif » s’intéresse également au rôle de l’enseignant dans une classe de LVE. Francine Cicurel, dans son ouvrage intitulé Agir Professoral et pratiques de classe, le résume ainsi : le triangle pédagogique de Houssaye rappelle qu’il existe trois pôles, avec en leur centre l’espace pédagogique : le pôle enseignant, le pôle élève/apprenant et le pôle savoirs (en l’occurrence ici la langue elle-même, une langue contrôlée), reliés entre eux respectivement par : une relation pédagogique (enseignant/élève), une relation didactique (enseignant/savoir) et une relation d’apprentissage (savoir/élève). Or la finalité de l’apprentissage d’une langue vivante est « de permettre de communiquer et de s’exprimer ». L’enseignant de langue vivante doit donc équilibrer « l’approche de communication » et le « faire-apprendre » dans qu’elles ne se confondent, les « interactions didactiques » et la « force communicative spontanée » sans que cette dernière ne soit « broyée » par la situation d’apprentissage créée en classe. Sous forme de syllogisme, Francine Cicurel poursuit l’explication de ce paradoxe : « la langue est un objet d’apprentissage, or on parle à son propos, donc elle est transformée en objet langagier ». Et, pour démontrer le nœud gordien auquel fait fasse l’enseignant (et potentiellement ses élèves), rappelle en citant le penseur constructiviste Paul Watzlawick qu’ « on ne peut pas ne pas communiquer » et, pourrait-on ajouter en paraphrasant le psychologue autrichien, que «la communication n’est pas un processus interne qui provient du sujet, mais le résultat d’un échange d’informations qui trouve son origine dans la relation », cet axiome faisant écho « au fait que si la signification du message en lui-même est importante (niveau de contenu), la manière dont le locuteur veut être compris ou prétend l’être (niveau relationnel) l’est tout autant ». Par ce détour « conceptuel », scientifique et historique, par les théories analysées en arrière-plan, comme un palimpseste, l’étudiante retiendra deux points : d’une part interaction et communication sont irrémédiablement liées et d’autre part, l’évaluation des interactions passe par un faisceau d’indicateurs, à adapter à des élèves débutants, et qui prennent en compte cette approche multidimensionnelle. Elle sera également en mesure de reformuler, pour clôturer cette partie théorique, les questionnements et hypothèses évoqués en introduction et de transposer la recherche scientifique -générale ou sous forme d’étude de cas- pour le cycle 2 et pour sa propre classe.

Intérêt et difficulté de confronter théorie et pratique, subjectivité et objectivité

     Le processus d’élaboration du mémoire exige un travail basé sur une analyse a priori à trois niveaux : analyse de la problématique, analyse des travaux scientifiques (et retour sur la problématique et les hypothèses), analyse didactique (voire scientifique) du protocole mis en place et de ses biais (avec réajustement ex ante si besoin). L’analyse se poursuit pendant l’observation car, on le sait, l’enseignant analyse en enseignant, il se regarde enseigner et s’adapte chaque minute par de micro gestes à ses élèves. Dans le cadre de l’expérimentation, il est encore plus en vigilance car il sait que ces observations nourriront son analyse. L’analyse ex post est elle aussi très riche : présentation des données brutes, analyses individuelles, puis collectives, puis réflexives. Elle oblige à se confronter au terrain et à ne pas rester enfermé dans une bulle théorique, à se « jeter à l’eau », mais aussi à faire du lien entre les deux types d’analyse. Ainsi, la réalisation du mémoire démontre l’intérêt de confronter systématiquement théorie et pratique, terrain et université, spéculation ou intuition et déroulé pragmatique. Si cette analyse peut sembler à première vue fastidieuse et répétitive, elle est en réalité à l’image des apprentissages spiralaires et « en action » des élèves, et apparaît comme une condition sine qua non à la raison didactique, une véritable démarche à adopter. Elle permet aussi de « décortiquer » les compétences, les critères de réussite, les erreurs, les indicateurs …de la même manière qu’en classe l’enseignant est amené à analyser le déroulé de sa journée et les difficultés de ses élèves et que parfois, même s’il est parti d’une intuition ou d’une séquence qui semblait parfaite en théorie, l’analyse a posteriori montre que « rien ne s’est passé comme prévu ». Cette gymnastique intellectuelle apparaît, avec le recul d’une année de classe, inhérente au métier d’enseignant. Le détour par le « théorique » montre également deux éléments clefs : si la littérature scientifique abonde, avec des sources préalables, variées et documentés, il n’en reste pas moins que chaque élève chaque classe et chaque enseignant sont uniques. Dès lors, l’enseignant doit choisir parmi la difficulté des orientations théoriques, mais aussi adapter les connaissances théoriques à sa classe. Par exemple, dans le mémoire, de nombreuses études portaient sur des apprenants au collège, et certaines informations didactiques ont été tirées de la didactique du FLE. L’enseignant doit gérer les théories pour en tirer ce qui sera important pour sa pratique de classe, sans pour autant « tordre le coup » aux données objectives, de la même manière qu’un élève recherche, pratique, et revient sur ses leçons, suit les explicitations de la théorie dans un aller-retour spiralaire. Enfin, l’enseignant est amené à confronter théorie et pratique car il exerce un métier éminemment subjectif on l’a vu mais aussi foncièrement solitaire. Il est de fait seul dans sa classe, et doit donc avoir en lui-même toutes les ressources pour améliorer sa pratique sans l’intervention d’un tiers.

Se lancer en anglais

     La mise en place de cette séquence en période 3 a permis à l’enseignante de surmonter un obstacle rencontré en période 1 et 2 : en effet, la mise en place de situations dans lesquelles les élèves sont amenés à interagir en anglais lui apparaissait extrêmement difficile, comparé aux situations de production ou de compréhension plus facile à mettre en œuvre. Elle retiendra donc quelques facteurs de réussite, que cette expérimentation, même imparfaite, lui a permis de formuler. L’approche actionnelle, avec une réflexion en terme de tâche finale, incitent à privilégier les situations de déficit d’information, plus intéressantes et motivantes pour les élèves. Il serait cependant aussi possible, d’être plus inventif dans les situations de communication, par exemple en utilisant la langue native pour les petits parleurs bilingues, en s’appuyant sur différents albums de littérature jeunesse ou en didactisant des expériences extra scolaires en anglais. La réussite des élèves sur le portrait « secret friend » incite aussi à se montrer plus ambitieux, pour toucher au mieux la fameuse « zone proximale de développement » en capitalisant sur ce que l’élève est capable de faire en étant accompagné. Paradoxalement, cette séquence d’expérimentation aura été peut-être la séquence la moins réussie de l’année, car l’enseignante, en voulant sécuriser la réussite des élèves petits parleurs, a limité la marge de manœuvre et de progression des élèves. Elle aurait pu se montrer plus ouverte et moins modélisante pour faire entrer plus avant les élèves dans une situation recherche, par exemple en travaillant en deux temps avec des étiquettes pour former le portrait mystère. Elle aurait pu aussi travailler sur une langue inconnue de tous, pour ex nihilo pouvoir avoir des mesures plus pures et éliminer le biais cognitif des différences de niveau de langue et d’acquisition. La méthode de recherche elle-même (procéder par comparaison pour mesurer les interactions orales) nécessitait pourtant une bonne connaissance des questions et des réponses à utiliser. Toujours en LVE ce travail permet de s’interroger sur l’étape de réflexion et celle de mise en commun. J’ai beaucoup analysé la mise en place de la situation recherche et son impact global sur la motivation. Toutefois, les étapes suivantes ont été moins élaborées. Le temps passé en binôme a été long, et par ailleurs il n’y a pas eu de mise en commun (seulement un affichage). Je me suis demandée s’il aurait été envisageable de travailler en groupe de trois ou quatre élèves ayant chacun en interaction pour un portrait mystère. En effet, il aurait été ensuite possible de poursuivre le travail en « révélant» les portraits selon la technique de la « galerie d’exposition » où chaque élève du groupe présente à un nouveau groupe son travail et ce qu’il a compris. Je me suis aussi posé la question de la généralisation de mes observations sur le travail en binôme en anglais pour le FLE, le FLS et les EANA, d’autant qu’un de mes élèves à un niveau de français très faible sans pour autant faire partie de cette dernière catégorie. En particulier, la mise en action des compétences sociolinguistiques et du savoir-être, l’engagement dans la tâche, m’ont donné des pistes pour de nouvelles modalités de travail en français pour des petits parleurs. Enfin, le fait d’établir une procédure de mesure en deux temps, qui rendait possible la comparaison, m’a permis de voir l’intérêt non pas de la répétition pure et simple en LVE mais bien de l’expérience cumulative : s’il s’agit d’un biais, analysé comme tel précédemment, on note aussi que les élèves consolident leurs compétences lors du second passage.

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Table des matières

Introduction
I. Cadre théorique
I.1. Définition des concepts référencés
I.1.1. Petits parleurs, langage et parole
I.1.2. La notion ambivalente de binôme, et en creux l’analyse du rôle de l’enseignant en classe
I.1.3. Définition générale de la notion d’interaction via le CECRL
I.2. Etat de l’art des analyses et enjeux scientifiques et didactiques en lien avec la LVE 
I.2.1. La spécificité de l’enseignement des langues et son évolution
I.2.2. La difficile évaluation de la qualité des interactions et des compétences socio linguistiques dans un contexte de communication : comment analyser les interactions orales ?
I.2.3. La formulation du paradoxe communicatif
I.3. Problématiques, questionnements et hypothèses
I.3.1. Explicitation de la problématique et des paradoxes dans l’enseignement de LVE
I.3.2. Des hypothèses de travail pour le professeur stagiaire : au delà de la quantité, la qualité des interactions et les facteurs explicatifs
Première hypothèse : the flow
Deuxième hypothèse : the puzzle
Troisième hypothèse : the language fabric
II. Cadre méthodologique
II.1. Description informée de la classe
II.2. Méthodologie de recherche
II.2.1. Type(s) de méthode(s) mise(s) en action
II.2.2. Echantillon étudié
II.2.3. Protocole expérimental
Choix des variables et des indicateurs : interagir, c’est : « avoir / une action / réciproque »
Séquence d’apprentissage, choix pédagogiques et phasage
Modalités de présentation des données recueillies et traitement des données brutes
II.2.3.3.1. Panorama des données exploitables en fin de séquence
II.2.3.3.2. Traitement des données individuelles
II.3. Points de vigilance : analyse a priori des limites et biais
III. Analyse des données
III.1. Bilans individuels et traitement individualisé des données
III.1.1. BEGA
III.1.2. HUBE
III.1.3. LEBE
III.1.4. ROHE
III.1.5. ISFA
III.1.6. LAXU
III.2. Analyse des données au niveau collectif
III.2.1. Rappel des hypothèses de départ
III.2.2. Principaux enseignements tirés des données individuelles
Binôme entre pairs et qualité globale des interactions orales : une réussite générale contrastée
La contribution de chaque variable selon les modalités de travail (analyse du skill mix) : de l’importance de l’explicitation en interaction
Retour en chiffre sur la formation des binômes et le caractère social des apprentissages
III.3. Discussion : retour réflexif et axes de développement
III.3.1. (Re) penser le mémoire où comment structurer et donner forme à une matière informe
Prise de conscience de l’importance motivation
Intérêt et difficulté de confronter théorie et pratique, subjectivité et objectivité
La surabondance des observations et difficulté à les traiter
Perfectionnisme et contraintes temporelles dans le mémoire et dans la classe
III.3.2. Retour sur la pratique de classe et les situations d’apprentissage
Se lancer en anglais
De la différenciation à la remédiation en passant par l’explicitation
Tutorat, binômes hétérogènes et interactions
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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