INTRODUCTION
ย ย La bilharziose nโest pas une nouvelle maladie. Pourtant, jusquโร nos jours, elle reste un problรจme de santรฉ publique. Cโest une maladie parasitaire due ร des vers plats du genre Schistosoma vivant dans le systรจme circulatoire (1). Plus connue sous sa forme urogรฉnitale, intestinale ou parfois hรฉpatosplรฉnique et artรฉrio-veineuse ; la forme neurologique est longtemps considรฉrรฉe comme une complication. Elle est rare, souvent mรฉconnue ร cause du polymorphisme clinique et de leur manque de spรฉcificitรฉ ; il est fort probable que des cas semblables sont รฉtiquetรฉs pour autre diagnostique. Or cโest une forme grave et redoutable car les manifestations peuvent รชtre aiguรซs, bruyantes ou chroniques laissant des sรฉquelles invalidantes. A noter quโil existe une forme asymptomatique. Cette forme neurologique peut se localiser dans la rรฉgion cรฉrรฉbrale ou mรฉdullaire, provoquant ainsi des lรฉsions ร lโorigine des manifestations cliniques variables selon la localisation.
Il est difficile dโรฉtablir la relation de causalitรฉ entre bilharziose et manifestation neurologique en dehors dโun examen anatomopathologique qui ne pourra รชtre pratiquรฉ quโร lโoccasion dโune biopsie ou dโun acte chirurgical. Un faisceau de prรฉsomptions et lโรฉvolution sous thรฉrapeutique spรฉcifique conduisent ร un diagnostic de probabilitรฉ. Nous aimerons rapporter dans ce travail un cas de bilharziome encรฉphalique diagnostiquรฉ ร lโHรดpital Joseph Raseta Befelatanana dans le Service deNeuropsychiatrie au mois dโOctobre 2003, dans le but dโattirer lโattention des praticiens sur lโexistence de localisation ectopique de bilharziose au niveau de lโencรฉphale sous une forme tumorale afin de prรฉvenir toute erreur diagnostique et dโassurer la prise en charge adรฉquate.
DEFINITIONS
ย ย Les schistosomoses sont des affections parasitaires de lโhomme dues ร des vers plats appelรฉs : Schistosomes ou bilharzies ; trรฉmatodes ร sexes sรฉparรฉs, hรฉmatophages, vivant dans le systรจme circulatoire (2). Ces affections sont communรฉment appelรฉes les bilharzioses. La neurobilharziose est une affection due ร une localisation inhabituelle au niveau du systรจme nerveux des ลufs ou du parasite aprรจs migration aberrante ou par embolisation ectopique. Elle peut รชtre cรฉrรฉbrale ou mรฉdullaire, provoquant ainsi des lรฉsions ร lโorigine des manifestations cliniques variables selon les localisations (3). Le bilharziome encรฉphalique est la formation granulomateuse dโorigine bilharzienne rรฉalisant une nรฉoformation pseudo-tumorale au niveau de lโencรฉphale.
HISTORIQUE
ย Les bilharzioses sont des maladies connues depuis la plus haute Antiquitรฉ. Mais ce nโest quโen 1889 que YAMAGIWA dรฉcrit lโapparition des crises BavaisJacksoniennes chez un malade atteint de Schistosomose Japonaise. Cette premiรจre publication dโun cas de bilharziose cรฉrรฉbrale a รฉtรฉ rapportรฉe par FAUST en 1948.
Cycle parasitaire
Ce cycle se dรฉroule en deux grandes รฉtapes :
a. Dans lโeau et le mollusque hรดte intermรฉdiaire. Les ลufs rejetรฉs par les urines ou les selles dans le milieu extรฉrieur ne peuvent poursuivre leur รฉvolution que dans lโeau douce dans certaines conditions climatiques (tempรฉrature ร 25- 30ยบC, ensoleillement, pH neutre) et libรจrent chacun une larve ciliรฉe le miracidium. Les larves ciliรฉes nagent ร la recherche des mollusques hรดtes intermรฉdiaires spรฉcifiques. Dans ces mollusques, le miracidium subit des transformations et plusieurs multiplications pour donner au bout dโun mois des furocercaires (formes infestantes pour lโhomme).
b. Dans lโorganisme humain (hรดte dรฉfinitif) Lโinfestation de lโhomme se fait par voie transcutanรฉe lors du contact avec lโeau douce et stagnante contaminรฉe par les mollusques. Les furocecaires traversent lโรฉpiderme, puis la derme par action mรฉcanique (ventouse antรฉrieur munie dโรฉperon) et chimique (sรฉcrรฉtion dโenzymes lytiques) et deviennent des schistosomules.La durรฉe de cette pรฉnรฉtration est relativement courte (10 minutes environ). Le schistosomule pรฉnรจtre dans un petit vaisseau lymphatique ou dans une veinule, gagne passivement le cลur droit puis les poumons au bout de 4 jours. De lร , il gagne les veinules portes intra hรฉpatiques, soit par voie circulatoire, soit par voie transtissulaire au travers de la plรจvre et du diaphragme, de la capsule de glisson et du foie. Cette phase migratoire dure 10 ร 21 jours. Les vers deviennent adultes. Le couple de vers adultes se dรฉplace ร contre-courant des veinules portes intrahรฉpatiques vers les diffรฉrents lieux de ponte. Elle atteint la sous muqueuse vรฉsicule ou intestinale ; sa ponte commence. Il est mentionnรฉ que la durรฉe de vie des schistosomes chez lโhomme est estimรฉe dans une รฉchelle chronologique comprise entre 2 et 8 ans, voire 20 ans et plus. Les ลufs pondus peuvent avoir trois destinรฉs :
– Certains traversent la muqueuse vรฉsicale ou intestinale et tombent alors dans la lumiรจre de lโorgane creux (vessie et intestin) pour รชtre รฉliminรฉs par les excrรฉta pour boucler le cycle (environ 3 mois aprรจs infestation) ;
– Dโautres vont rester bloquรฉs dans les tissus et les organes de ponte habituels pendant 25 jours et vont former un granulome bilharzien ;
– Une partie sera emportรฉe passivement par le courant circulatoire, et va sโemboliser dans les veinules intra hรฉpatiques, dans les poumons et dans dโautres organes et y induisent รฉgalement la formation de granulome. Une hรฉmorragie mรฉningรฉe ou sous arachnoรฏdienne qui se rรฉvรจle par une cรฉphalรฉe soudaine et intense, immรฉdiatement ou rapidement gรฉnรฉralisรฉe, spontanรฉe ou dรฉclenchรฉe par un effort physique. Elle sโaccompagne des nausรฉes, des vomissements, de photophobie et parfois de trouble de la vigilance avec agitation. Le syndrome mรฉningรฉ est net avec lโexistence dโune raideur mรฉningรฉe (signes de KERNIG et signe de BRUDZINSKI). Une exagรฉration des rรฉflexes ostรฉotendineux et un signe de Babinski bilatรฉrale sont classiques. Une รฉlรฉvation de la tension artรฉrielle est notable au dรฉbut dโune hรฉmorragie mรฉningรฉe.Le scanner cรฉrรฉbral sans injection de produit de contraste montre la prรฉsence de sang dans les espaces sous arachnoรฏdiens (23). Lโexamen clinique et le rรฉsultat de scanner de notre malade ne concordent pas ร cette pathologie.
– Les accidents vasculaires cรฉrรฉbraux qui peuvent รฉgalement se rรฉvรฉler par de cรฉphalรฉes brutales, intenses et inhabituelles. Sโy associent des signes de localisation parfois trouble de la vigilance. Lโhypertension artรฉrielle est le principal facteur de risque. La distinction de ces accidents vasculaires cรฉrรฉbraux sโobtient par le scanner cรฉrรฉbral rรฉalisรฉ sans injection de produit de contraste :
– lโhรฉmorragie se traduit par une zone spontanรฉment hyperdense ;
– et lโischรฉmie par une zone hypodense parfois associรฉe ร une hyperdensitรฉ sur le trajet dโune artรจre correspondant ร un thrombus frais intraluminal (23). En ce qui concerne notre รฉtude, ce patient ne prรฉsente ni de signe de focalisation ni de trouble de la vigilance รฉvocateur des accidents vasculaires cรฉrรฉbraux.
– Lโencรฉphalopathie hypertensive qui rรฉalise un syndrome dโhypertensionintracrรขnienne avec des cรฉphalรฉes brutales associรฉes ร un vomissement et parfois trouble de la conscience, de crises comitiales focalisรฉes ou gรฉnรฉralisรฉes, de troubles visuels, dโune rรฉtinopathie hypertensive avec hรฉmorragie, exsudat, ลdรจme papillaire ร lโexamen du fond dโลil. La tension artรฉrielle est extrรชmement รฉlevรฉe (24), et se produit chez des sujets dรฉjร hypertendus. Le scanner cรฉrรฉbral met en รฉvidence des images dโลdรจme multifocal. Le rรฉsultat dโun examen tomodensitomรฉtrique de notre patient nโest pas en faveur dโune encรฉphalopathie hypertensive.
– Les thromboses veineuses cรฉrรฉbrales qui se manifestent aussi par un tableau dโhypertension intracrรขnienne associant le plus souvent des signes focaux dรฉficitaires ou critiques. Un ลdรจme papillaire est prรฉsent dans la moitiรฉ des cas (23). Le scanner sans injection de produit de contraste peut montrer un ลdรจme cรฉrรฉbral, diffus ou localisรฉ associรฉ ou non ร un infarctus veineux se traduisant par une hypo ou une hyperdensitรฉ spontanรฉe en fonction du caractรจre hรฉmorragique de lโischรฉmie, ce qui ne concorde pas ร celle de notre cas.
– Lโartรฉrite de Horton ou artรฉrite temporale qui est une inflammation des parois artรฉrielles touchant essentiellement les artรจres extracrรขniennes du sujet รขgรฉ. Le diagnostic est ร รฉvoquer de principe devant toute cรฉphalรฉe rรฉcente chez un sujet de plus de 55 ans avec une hyperesthรฉsie de contact de la rรฉgion concernรฉe, permanente violente entraรฎnant une insomnie, une claudication intermittente de la mรขchoire et unealtรฉration de lโรฉtat gรฉnรฉral. Lโartรจre temporale est indurรฉe et douloureuse, en plus il y aune accรฉlรฉration de la vitesse de sรฉdimentation (23). Les signes cliniques de notre malade ne permettent pas dโรฉvoquer cette pathologie. Aprรจs quelques discussions, une รฉtiologie neuro-vasculaire est รฉcartรฉe dans la dรฉmarche diagnostique. Par contre, les caractรฉristiques permanentes et inhabituelles de cรฉphalรฉe avec prรฉsence dโun processus expansif ร la tomodensitomรฉtrie nous permet ร suspecter une cรฉphalรฉe dโhypertension intracrรขnienne (24) dโune tumeur cรฉrรฉbrale ou dโune nรฉoformation de nature parasitaire. Mais, lโorientation vers le diagnostic le plus probable est difficile car les signes quโavait prรฉsentรฉ notre patient sont insuffisants et non รฉvocateurs des pathologies bien dรฉfinies dโoรน la nรฉcessitรฉ dโautres examens complรฉmentaires.ย Avant de penser ร une รฉtiologie tumorale, il faut dโabord รฉliminer une รฉventuelle parasitose cรฉrรฉbrale. Beaucoup des parasites sont susceptibles dโentraรฎner un syndrome expansif intracรฉrรฉbrale mais seules la cysticercose, la toxoplasmose et la bilharziose sont frรฉquentes ร Madagascar. Il est difficile dโaffirmer une relation de causalitรฉ entre parasitose et manifestations neurologiques en dehors dโun examen neuropathologique qui ne pourrait รชtre pratiquรฉ quโร lโoccasion dโun biopsie ou un acte chirurgical (18) car la sรฉmiologie de parasitose cรฉrรฉbrale est trรจs polymorphe et nโest jamais spรฉcifique. Il existe certains examens biologiques qui vont orienter vers une รฉtiologie parasitaire :
– une hyperรฉosinophilie sanguine ;
– une รฉosinophilie du liquide cรฉphalorachidien ;
– des rรฉponses immunologiques plus ou moins spรฉcifiques .
Un faisceau de prรฉsomptions et une รฉvolution sous thรฉrapeutique spรฉcifique conduisent ร un diagnostic de probabilitรฉ. Au terme de ces multitudes dโexamens complรฉmentaires demandรฉs dans notreย observation, les rรฉsultats ne dรฉcรจlent comme anomalie quโ :
– une hyperรฉosinophilie sanguine ;
– une sรฉrologie bilharzienne positive.
Ces donnรฉes biologiques nous permettent ร poser les questions suivantes : lecas de la bilharziose que nous avons dรฉpistรฉ ici est-il un cas de neurobilharziose ou non ? Sachant lโabsence dโune image tomodensitomรฉtrique spรฉcifique pour labilharziose, est-ce quโil y a une relation entre la positivitรฉ de la sรฉrologie et de lโimagerie ? Malgrรฉ certaines donnรฉes de la littรฉrature qui nous orientent avoir lโidรฉe de la bilharziose, il est quand mรชme bon de mener des discussions sur certaines รฉventualitรฉs considรฉrant surtout sur le cรดtรฉ รฉpidรฉmiologique, symptomatologie clinique et paraclinique, ainsi que la thรฉrapeutique et lโรฉvolution aprรจs la prise en charge, afin de dรฉduire un diagnostic final.
Du point de vue รฉpidรฉmiologique Sachant le nombre trop limitรฉ de notre รฉtude (un seul cas), on ne peut pasdรฉduire la frรฉquence de cette pathologie. Selon certains auteurs, malgrรฉ la forte infestation bilharzienne mondiale, lโatteinte du systรจme nerveux central est rare (5) (8).Alors que, la frรฉquence exacte de la bilharziome encรฉphalique est difficile ร dรฉterminercar jusquโร prรฉsent elle est mรฉconnue et ignorรฉe de beaucoup des personnes y compris les personnels mรฉdicaux. Devant des manifestations neurologiques, on a tendance ร les confondre avec dโautres pathologies (22). En plus, les formes latentes sont les plus nombreuses (3). La littรฉrature montre que sur 46 autopsies de sujets dรฉcรฉdรฉs dโune bilharziose hรฉpatosplรฉnique, RITELLA et LANA-PEIXOTO mettaient en รฉvidence dans 12 cas une localisation neurologique centrale ; un seul malade avait prรฉsentรฉ une symptomatologie neurologique (14) (15). Considรฉrant lโorigine gรฉographique, notre patient est originaire de la rรฉgion de lac Alaotra. Cette constatation rejoint celle de la littรฉrature car on sait bien que la schistosomose est endรฉmique sur la presque totalitรฉ du territoire malgache (9). En plus, trois espรจces de schistosomes sont responsables de la bilharziose cรฉrรฉbrale dont les deux de ces espรจces sont la forme existant ร Madagascar :
– Schiatosoma haematobium au Nord et ร lโest du pays ;
– Schistosoma mansoni occupe la partie Est et Sud de lโรฎle, sur les hautes terres centrales aussi (9). Dans notre รฉtude le malade vit dans la rรฉgion de lac Alaotra endรฉmique de la bilharziose ร Schistosoma mansoni.Le patient de notre observation est du sexe masculin dont sa tรขche lโoblige souvent ร รชtre en contact avec lโeau en tant que cultivateur. Cette donnรฉe justifie ce que nous avons rencontrรฉ dans la littรฉrature quโil y a certaines professions qui multiplient le risque de contamination y compris le cultivateur (2) (3). En ce qui concerne lโรขge, notre cas est de 67 ans. Mais la littรฉrature affirme que les enfants sont beaucoup plus touchรฉs en matiรจre des bilharzioses que les adultes, car ils barbotent dans lโeau ร la longueur de journรฉe, notamment aux heures chaudes oรน lโรฉmission cรฉrcarienne est maximale (2). Deux raisons peuvent expliquer la possibilitรฉ de cette pathologie chez notre malade :
– La bilharziome est une des manifestations chroniques de la bilharziose encรฉphalique alors que la durรฉe de vie de schistosome chez lโhomme a รฉtรฉ estimรฉe de 2 ร 18 annรฉes (pour certains auteurs elle irait jusquโร 20 ans et plus) (2) ;
– il appartient au groupe de personne ร risque ร cause de sa profession (2).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIรRE PARTIE : REVUE DE LA LITERATURE
I.1. DEFINITIONS
I.2. HISTORIQUE
I.3. EPIDEMIOLOGIE
I.3.1. Agents pathogรจnes
I.3.2. Mode de contamination
I.3.3. Cycle parasitaire
I.3.4. Rรฉpartition gรฉographique
I.4. LESION ANATOMOPATHOLOGIQUE
I.4.1. Les vers adultes
I.4.2. Les ลufs
I.4.3. Genรจse des pseudotumeurs
I.5. MANIFESTATIONS CLINIQUES DES BILHARZIOSES
I.5.1. Manifestations communes
I.5.2 Complications communes des bilharzioses
I.6. DESCRIPTION DE BILHARZIOSE CEREBRALE
I.6.1. Mรฉcanisme de la localisation encรฉphalique
I.6.2. Considรฉration clinique de localisation encรฉphalique
I.6.3. Diagnostic
I.7. TRAITEMENT
I.7.1. Traitement curatif
I.7.2. Traitement prophylactique
DEUXIEME PARTIE : ETUDE PROPREMENT DITE
II.1. MATERIELS ET METHODES DโETUDE
II.1.1. Mรฉthodologie
II.1.2. Matรฉriels dโรฉtude
II.1.3. Critรจres dโinclusion
II.1.4. Critรจres dโexclusion
II.2. DESCRIPTION CLINIQUE
II.2.1. Etat civil
II.2.2. Histoire de la maladie
II.2.3. Antรฉcรฉdent
II.2.4. Examen clinique du 8 octobre 2003
II.2.5. Examens paracliniques
II. 2. 6 Conclusion
II.2.7. Rรฉsultats
II.3. DISCUSSION ET COMMENTAIRE
TROISIรME PARTIE : SUGGESTIONS
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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