Les centres d’interprétation et les musées de société
Les centres d’interprétation et les musées de société sont des institutions muséographiques dont la mission est de diffuser un savoir, un savoir-faire local, ou encore un patrimoine singulier. Les centres d’interprétation ne possèdent généralement pas de collections, à l’instar des musées de société mais peuvent traiter de problématiques assez semblables. Le concept est déjà largement répandu en Amérique du Nord, berceau de ce type de musée, tandis que les centres d’interprétation se développent progressivement en France. Les musées « classiques » s’inspirent également de la conception de ce genre de structure, dont l’intention n’est pas de montrer prioritairement des objets mais plutôt de véhiculer un message et de créer une interaction avec le visiteur.
Les centres d’interprétation sont généralement liés à un lieu ou un site et n’exposent pas nécessairement d’objets, à l’image de L’Espace Culturel du Christianisme de l’Antiquaille à Lyon qui offre une lecture de la religion chrétienne depuis le IVe siècle après J.-C. jusqu’à aujourd’hui en se focalisant sur la ville lyonnaise, son histoire et ses martyrs. Un travail de vulgarisation a été réalisé dans le but de rendre intelligible à tous les fondements du christianisme. Par exemple, un rappel des « fondamentaux » de la religion catholique est proposé au visiteur par le biais de sources écrites illustrées d’images.
Des dispositifs multimédia sont présents au sein des salles d’exposition et confèrent au parcours un aspect interactif.
En Amérique du Nord, le Musée des religions du monde de Nicolet, ouvert en 1991, constitue en quelque sorte une référence dans le monde des musées de société.
L’institution invite le visiteur « à partager les fondements des grandes traditions religieuses mondiales afin d’en favoriser une meilleure compréhension et de développer une plus grande tolérance face à la différence »82. L’établissement, dont la vocation est clairement éducative, se situe à la croisée du musée d’ethnographie, d’histoire et d’art religieux.
Il offre une lecture particulièrement intéressante de la diversité religieuse au travers « d’objets-témoins de la dimension spirituelle de l’être humain »83. Dans un ordre d’idée similaire, le Musée de la Civilisation à Québec, est un « lieu de savoir et d’idées qui jette un regard neuf et souvent inattendu, sur l’expérience humaine au travers d’expositions originales et audacieuses ». Possédant une riche collection d’art et d’objets religieux issue du musée du Séminaire de Québec, l’institution a choisi de parler de la religion catholique comme d’un élément important des fondements de la culture québécoise.
Les musées d’art(s) sacré(s)
Les musées d’art(s) sacré(s) proposent d’appréhender la culture catholique à travers une vision à la fois anthropologique, théologique et parfois spirituelle. Ce type d’institution offre une lecture des traditions, du culte et du sentiment religieux avec une distance historique et sociologique propice à la réflexion. Le respect de la laïcité et de l’éthique font partie des missions de ces établissements qui se veulent ancré dans une approche « pédagogique » de la religion. Bien qu’ayant souvent pour origine un fonds provenant d’un dépôt d’art sacré, ce genre de musée se démarque des musées ecclésiastiques de par son identité et son projet muséographique non catéchétique. En effet, le musée d’art sacré a pour objectifs :
Derrière ce terme général de musée d’art sacré, qui demeure la dénomination la plus commune, se cachent d’autres appellations : musée de religion(s), musée d’art religieux, musée de spiritualité. On observe toutefois que c’est le terme « d’art sacré » qui re- vient le plus fréquemment pour le cas des musées catholiques. C’est sans doute celui qui apparaît comme le moins restrictif et le plus « noble » en terme de nomenclature, le sacré étant communément associé à la préciosité. Malgré tout, on peut questionner cette appellation qui n’est pas totalement en accord avec la réalité des collections présentes dans les musées dits d’art sacré : objets liturgiques ou vêtements ne sont pas considérés comme des oeuvres d’art au sens stricte du terme dans ce genre de structure, sinon comme des objets cultuels, utilitaires qui acquièrent la plupart du temps une valeur documentaire. Par ailleurs, certains comportent des majuscules, d’autres non. S’il est important de s’attarder sur ce détail typographique, c’est peut-être qu’il y a là une indication sur l’orientation spécifique prise par le musée, celle d’accorder une plus grande importance à la notion de sacré. Cela reste néanmoins à interprétation.
En outre, s’il existe un manque d’unité dans l’appellation des établissements, les missions semblent quant à elles converger vers un point d’entente, bien que chaque musée conserve son identité propre. Il existe une multitude de musées d’art sacré en France, la plupart n’étant pas labellisés Musées de France et possédant à l’heure actuelle un système de gestion malheureusement peu adapté : approximations en terme de gestion, manque de personnel, conditions de conservation peu adaptées, absence de communication ou de projet éducatif, etc. A contrario, d’autres établissement font figures d’exemple en terme de muséographie à l’image du musée Eucharistique du Hiéron de Paray-le-Monial. Au Québec, on ne recense pas d’institutions de ce type, le patrimoine religieux étant conservé au sein des musées de communautés religieuses, centres d’interprétation, musées de société et musées de Beaux-Arts et d’Histoire. Le Musée de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal (Québec) pourrait y faire référence. Bien que ne possédant pas le titre de musée d’art sacré, celui-ci se consacre à cette thématique au travers d’expositions variées comme « Portrait de Jésus » en 2016 qui évoque la figure du Christ dans la peinture.
Le premier musée d’art sacré en France a vu le jour à Pont-Saint-Esprit en 1995 sous le nom de musée d’art sacré du Gard. Inscrit à la liste des Musées de France, l’institution a, dès ses débuts, affirmé son statut de musée laïc proposant une réflexion autour des questions religieuses relatives aux artefacts composant sa collection. La compréhension de ce patrimoine aux significations parfois obscures est également un point sur lequel le musée a choisi de se pencher, à l’instar de la position des musées de Beaux-Arts notamment.
Cet établissement est en tout point égal à ce que l’on qualifie de musée de société au Québec. Le musée d’art sacré de Dijon propose également un projet muséographique particulièrement intéressants. Au départ dépôt régional, le fonds constitué d’oeuvres issues de paroisses et communautés religieuses, a été exposé au sein de la chapelle Sainte-Anne désaffectée. Le discours de l’établissement se veut ancré dans une découverte du sacré et de la mémoire religieuse, en retraçant l’histoire et les spécificités des congrégations féminines de Bourgogne. Le musée Eucharistique du Hiéron de Paray-le-Monial apparaît comme un des établissements emblématiques à l’heure actuelle, aux côtés du musée de Pont-Saint-Esprit, tant par sa scénographie que son approche discursive et des moyens mis en oeuvre. Le musée de Fourvière à Lyon, aborde la thématique des Trésors de cathédrale mais traite également d’autres sujets, comme les arts sacrés ou les objets liturgiques, au travers d’expositions temporaires variées. Un certain nombre d’institutions de taille et de rayonnement plus modestes existent en province, et incarnent eux aussi fidèlement le concept de musée d’art sacré initié depuis quelques décennies tels que le musée de Saint- Mihiel et le musée d’Art sacré Saint-Nicolas de Vitré.
En revanche, certains musées ont des difficultés à évoluer durablement et à se faire connaître : le musée de Mours-Saint-Eusèbe, le musée d’Art sacré Francis-Poulenc à Rocamadour, le musée d’art sacré de Cambrai, le musée d’Art religieux de Sées, le musée d’Art sacré de Chastanier. Connaissant parfois d’importantes difficultés financières, la plupart de ces institutions ne possèdent pas aujourd’hui de dynamique muséale, que ce soit en terme de budget ou de politique culturelle. Cet état de faits les contraignant à n’ouvrir que quelques mois dans l’année, ils retrouvent malgré eux leur fonction de dépôt d’origine.
Les musées de congrégations religieuses
Les musées de congrégations religieuses, encore appelés musées de communautés religieuses, sont des institutions dont les biens appartiennent et sont gérés en partie ou en totalité par des congrégations religieuses. La plupart du temps, il s’agit de musées nés de l’initiative personnelle d’une communauté ou d’un ordre religieux dont la mise en oeuvre a été réalisée en collaboration avec des muséologues ou des professionnels des musées.
Ces structures sont souvent riches d’un patrimoine monastique matériel et immatériel millénaire : art, artisanat, savoir-faire, charisme, spiritualité, oeuvres de charité, etc. Ce type d’institution a connu un essor particulier au Québec en raison de profonds bouleversements qui ont touché l’instance ecclésiale dans les années 1960. La Révolution Tranquille écarte brutalement les religieuses de leurs fonctions hospitalières et éducatives, les contraignant à s’éloigner de l’espace public en emportant leurs biens : ouvrages, mobilier, matériel médical, etc. Au fil des années, avec la crise des vocations et le vieillissement des congrégations, de nombreuses communautés se regroupent en raison d’effectifs réduits et des bâtiments sont aliénés. Face à ce constat, et conscients de leur patrimoine unique, certains ordres monastiques jugent important de trouver un lieu adapté à la conservation de leurs biens. C’est ainsi que de nombreux musées de communautés religieuses ouvrent leurs portes, en particulier au Québec ; on compte dans la seule ville de Montréal pas moins de cinq structures de ce type : la Maison de Mère d’Youville, le Musée des Soeurs de Miséricorde, le Musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu, le Musée des Soeurs de Sainte Croix, le Musée des Soeurs de la Providence. Le musée du Monastère des Augustines de Québec représente bien l’idée de musée de communauté dans un concept proche de celui du centre d’interprétation. Le lieu, qui se veut être est « un havre patrimonial de culture et de mieux-être »88, occupe l’ancien couvent de l’Hôtel-Dieu de Québec, et propose un concept unique. L’espace culturel offre une expérience d’immersion dans la vie des religieuses tout en proposant diverses activités qui complètent la visite du musée : ateliers de réflexologie et de méditation, yoga, marche, massages. Il est également possible de séjourner dans le couvent aujourd’hui rénové et de prendre ses repas en silence, comme dans un vrai monastère.
Moins répandus en France, on trouve toutefois deux musées de communautés. Le Musée de la Visitation à Moulins présente le patrimoine de l’ordre des Visitandines tandis que le Musée de la Grande Chartreuse à La Correrie se consacre à la communauté masculine des Chartreux. Tous ces établissements ont le point commun de témoigner de la vie, de l’histoire et du charisme de chaque communauté au travers d’objets et d’oeuvres d’art.
On pourra citer par exemple le musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal qui relate la vie de Sainte Jeanne Mance et de sa congrégation de Soeurs-hospitalières, au travers d’artefacts appartenant à la communauté, notamment du matériel médical, des effets personnels, des objets de dévotions et des objets liturgiques. La dimension religieuse est particulièrement marquée dans la construction du discours de ces musées ; la mission de ces institutions est de faire connaître la spiritualité des communautés et de la diffuser.
Un point de vue artistique ou historique pourra être choisi, en lien avec le charisme de la congrégation comme au musée de la Visitation où l’accent est mis sur les remarquables ouvrages de paramentique des Soeurs. Le travail muséographique s’effectue générale ment entre le conservateur et le supérieur de la communauté ou de l’ordre (mère abbesse ou père abbé). Dans la totalité des cas recensés, les biens restent la propriété légale des communautés ou, à défaut, du diocèse, ce qui laisse aux membres des congrégations une marge de manoeuvre importante. Le responsable de la communauté conserve un droit de regard sur la collection, les expositions temporaires et permanentes. Le travail de gestion et de conservation est délégué à des professionnels ou à un personnel bénévole formé.
Certains objets peuvent être rendus aux congrégations à l’occasion de fêtes ou processions grâce à des accords tacites facilitant les prêts. Le musée de la Grande Chartreuse, labellisé Musée de France depuis 2 011, représente un autre exemple intéressant de musée de communautés religieuses. La Grande Chartreuse est avant tout un site patrimonial et naturel qui comprend l’abbaye des moines qui vivent cloîtrés et qui n’est donc pas ouverte au public, la chapelle, le « jardin alpin » et enfin le musée. Le site se veut être un « espace de silence et de réflexion »89 et rejoint en cela le concept du musée des Augustines de Québec. La vocation du musée est « de faire partager la foi et l’émotion des moines d’aujourd’hui »90. Ainsi, la scénographie est composée en grande partie de reconstitutions qui tendent à recréer l’ambiance du monastère, à l’image des cubiculum, les cellules dans lesquelles vivent les Chartreux.
Les musées ecclésiastiques et diocésains
Les musées ecclésiastiques et les musées diocésains ont pour mission la conservation des biens mobiliers et immobiliers chrétiens d’une part, et la diffusion des valeurs spirituelles et culturelles de l’Église d’autre part91. Géré par des membres du clergé ou des laïcs, ce type d’institution possède une orientation religieuse marquée, mettant en avant l’évangélisation et la catéchèse. À l’image de la mission de l’Église, les musées ecclésiastiques et diocésains sont les garants de la foi catholique aujourd’hui, dont son patrimoine est, en quelque sorte, le témoin :
L’Église se doit en effet d’annoncer et de transmettre le message du Christ en s’adressant à tous, croyants et non-croyants. Les artefacts deviennent ainsi des médiateurs authentiques de la beauté et de la foi, dans une mise en contexte de la culture et de la croyance chrétienne. Malgré une volonté forte de créer des musées ecclésiastiques de par le monde, on remarque que leur nombre s’avère finalement peu important. Encouragées par le Pape Jean Paul II, les initiatives ne se sont toutefois pas multipliées depuis la fin des années 1990, sans doute en raison d’un manque de personnes sensibilisées ou formées aux questions patrimoniales et pastorales. Des exceptions existent néanmoins, à l’image du musée diocésain d’art sacré de Mours-Saint-Eusèbe, fruit du projet de sauvegarde du Père Des Cilleuls, qui présente une vaste collection d’art religieux et objets liturgiques. Toutefois, contrairement aux musées de communautés religieuses, ce type d’institution reste assez marginale et l’on ne peut établir de véritable point commun entre chaque institution, si ce n’est cette vision d’évangélisation par l’art. Si l’objectif du musée ecclésiastique a été clairement défini par la Commission Pontificale pour les Biens de l’Église, il est néanmoins difficile d’identifier clairement ces institutions à l’heure actuelle. Leurs missions, de même que leurs appellations très diverses, n’offrent pas d’unité et ne favorisent pas réellement leur reconnaissance. Ces établissements peuvent souffrir par ailleurs de nombreux préjugés de la part du grand public et des autres institutions laïques. Parmi eux, on trouve notamment le Musée d’art religieux de Blois ou encore le musée diocésain de Namur.
Le Musée Missionnaire de la Propaganda Fide à Rome, ouvert en 2 010, semble néanmoins être l’exemple le plus pertinent pour illustrer ce concept de musée ecclésiastique. L’institution retrace l’histoire de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples au travers d’une vaste collection d’artefacts et d’oeuvres d’art enrichis de dispositifs multimédia. L’accent est mis sur le charisme et l’activité missionnaire de l’Église de par le monde. Le musée est actuellement dirigé par le Professeur Francesco Buranelli, également inspecteur du département d’archéologie sacrée de la Commission Pontificale, qui oriente donc le discours muséal sous un angle catéchétique. Dans un tout autre registre, le Sanctuaire Sainte-Bernadette à Nevers est un lieu à vocation religieuse pouvant être qualifié de musée ecclésiastique. Celui-ci jouxte la chapelle où repose le corps de la Sainte et où les pèlerins viennent se recueillir. Des objets et documents évoquant la vie quotidienne de Sainte-Bernadette y sont exposés. Par ailleurs les apparitions et les miracles sont évoqués dans le registre du discours de l’Église catholique. Le Musée de l’Église Orthodoxe de Bruxelles, géré par l’Archevêché de Belgique, constitue également un exemple intéressant de musée ecclésiastique en tant que témoin de la foi chrétienne et de la confession orthodoxe.
La plupart de ces musées sont fréquentés par un public croyant ou sensibilisé à la foi catholique. Dans le cas du Sanctuaire Sainte-Bernadette en particulier, les fidèles venus se recueillir à la chapelle ont la possibilité de se documenter au musée, d’où une muséographie ancrée dans un certain contexte religieux.
Les Trésors d’églises et de cathédrales
On entend communément par « Trésor », un ensemble d’objets précieux et / ou de reliques servant ou ayant servi au culte et à la liturgie regroupés et conservés au sein d’un même espace, souvent dans l’édifice auxquels ils sont rattachés ou à proximité. On dénombre environ 2 70 trésors d’églises en France, tandis qu’au Québec le phénomène est peu répandu. S’il ne s’agit pas d’institutions muséales au sens strict du terme, il convient néanmoins de les appréhender dans une optique patrimoniale du fait de leurs conditions d’exposition proches de celles d’un musée. Les visiteurs qui s’y rendent sont bien souvent attirés par le concept de « Trésor » qui comporte une forte charge symbolique ; il s’agit davantage d’un public curieux que croyant. La valorisation des trésors d’églises et de cathédrales a connu un essor particulier à partir des années 1950, notamment avec le projet d’exposition des objets précieux de l’abbaye de Sainte-Foy de Conques en 1955.
Depuis leur création, de nombreux dispositifs scénographiques n’ont pas été renouvelés, conférant bien souvent à l’ensemble une impression désuète et peu attrayante à l’instar du caractère exceptionnel des expôts. Généralement, les trésors sont présentés au sein d’une ou deux salles, avec des explications sommaires sur l’origine de la collection. La muséographie est axée sur la délectation de ce patrimoine exceptionnel, parfois en dépit de la réflexion scientifique. Certains cas pourtant font figure d’exception, comme le Trésor de Troyes. Grâce à des travaux d’aménagements menés par la DRAC Champagne-Ardenne en 2 013, on peut aujourd’hui découvrir le trésor à travers un parcours thématique se rapprochant des normes muséographiques actuelles. D’autre part, le Trésor de la Basilique Notre-Dame à Lyon n’est pas exposé au sein du lieu de culte mais dans le musée d’art sacré de Fourvière dans un souci de valorisation de celui-ci.
Les Trésors d’Église sont gérés à la fois par le clergé et les municipalités du fait de la loi de 1905 relative à la séparation de l’Église et de l’Etat. Le Centre de Monuments Nationaux (CMN), la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) et notamment les Conservateurs des Antiquités et Objets d’Art (CAOA) ont bien souvent la charge de créer un espace scénographique pour accueillir les trésors, en étroite collaboration avec les diocèses. Le Trésor de la cathédrale Saint-Jean de Lyon est administré par le Centre des Monuments Nationaux (CMN) depuis son ouverture en 1939. Le CMN a conçu la muséographie de l’espace et assure la conservation des artefacts et la médiation auprès du public. Objets cultuels aux matériaux précieux, vêtements et reliques sont ainsi exposés sous des vitrines respectant les normes de conservation et de sécurité en vigueur, dans une salle jouxtant la cathédrale. Le clergé se réserve néanmoins le droit d’emprunter des objets liturgiques à l’occasion de célébrations annuelles, notamment des ostensoirs.
Expositions temporaires
De nombreuses expositions temporaires ayant pour thématique l’art religieux sont fréquemment réalisées dans les musées franco-québécois, témoignant d’un intérêt sans cesse renouvelé pour le patrimoine catholique. Ces évènements ponctuels qui jalonnent les calendriers muséaux permettent, d’une part, de présenter un patrimoine méconnu et souvent peu accessible et, d’autre part, de faire avancer la recherche par le biais de publications et de réflexions autour de la thématique choisie. Si ce type d’exposition existe depuis longtemps, comme « L’art religieux au Petit Palais » à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900, nous nous intéresserons davantage aux expositions récentes dans le cadre de cette étude. Cela nous permettra de mettre en avant l’importance de ce genre d’évènement quant à la reconnaissance du patrimoine religieux auprès du grand public et sur la scène muséale actuelle. L’exposition « Les trésors des églises de France » au Musée des Arts Décoratifs de Paris en 1965, fait partie des premières expositions à thématique religieuse ayant rencontré un véritable succès. L’institution, tout en s’affranchissant de son champ de recherche spécifique sur les arts décoratifs, lança la tendance des expositions thématiques sur les trésors catholiques, dont on verra le nombre se multiplier à sa suite. En 1984, le Grand Palais à Paris présenta le Trésor de Saint-Marc de Venise dans une exposition du même nom. En 1991, ce sera au tour du Louvre avec « Le Trésor de Saint-Denis » qui attira de nombreux amateurs et curieux.
Des expositions temporaires sur la thématique de l’art sacré vont également voir le jour au Québec dès 1938 avec « Art religieux chrétien » au Musée de la Province de Québec. Plus tard, en 1984, « Le Grand Héritage. L’Église catholique et les arts au Québec » au Musée National des Beaux-Arts du Québec montrait l’importance de la culture chrétienne au sein des arts. La peinture religieuse fera en effet l’objet de multiples expositions au sein des musées de Beaux-Arts et d’Histoire français et québécois, et connaîtra même un essor dans les années 2 000. « Les couleurs du ciel » au Musée Carnavalet à Paris en 2 013, exposition désormais emblématique, était consacrée aux peintures des églises de Paris au XVIIe siècle. En 2 015, « Poussin et Dieu » au Musée du Louvre mettait en relief la religiosité des toiles du grand maître, imprégnées de sa propre recherche spirituelle. S’adressant à tous les amateurs d’art, ce type d’exposition permet de replacer dans son contexte la question du sacré, indissociable du travail pictural de nombreux artistes, surtout entre le Moyen-Âge et le XVIIe siècle. Le regard d’un conservateur ou d’un commissaire d’exposition extérieur à l’institution permet bien souvent une réflexion novatrice. Ce fut le cas notamment pour l’exposition « Les couleurs du ciel » au Musée Carnavalet, où le conservateur invité, Guillaume Kazerouni, permit la redécouverte du riche patrimoine des églises parisiennes finalement mal connu du public. C’est néanmoins toujours avec une distance historique et esthétique que sont traitées ce genre de problématiques, demeurant dans le sillon des missions des musées de Beaux-Arts et d’Histoire. En outre, si les thématiques de la sacralité ou de la spiritualité sont souvent mises de côté dans le parcours permanent des institutions, les expositions temporaires permettent de palier à ce manque. Elles font également progresser la recherche et la réflexion sur l’art religieux dans un contexte muséal.
Par ailleurs, un autre genre d’exposition temporaire à visée catéchétique existe au sein de nombreux diocèses. Désireuses de mettre en valeur le patrimoine religieux d’un édifice, de traiter d’un sujet biblique ou tout simplement de se faire connaître, certaines paroisses ou associations catholiques organisent de manière ponctuelle des évènements de ce type. En général, ces expositions se déroulent au sein même du lieu de culte ou dans une salle adjacente à celui-ci. L’exposition « Miséricorde », à la cathédrale Marie Reine-du-Monde à Montréal prend place dans un espace indépendant situé au niveau du narthex du lieu de culte. Touristes et fidèles ont ainsi la possibilité de visiter l’exposition dédiée au thème de la Miséricorde, dont les catholiques célèbrent le jubilé en 2 016. Le projet, commandité par l’Archevêque de Montréal a une visée clairement catéchétique : il s’agit d’informer toute personne de passage à la cathédrale de l’évènement du jubilé et d’en expliquer les racines dans la foi chrétienne, par le biais de reproductions d’oeuvres d’art et de citations bibliques, le tout agencé dans une scénographie proche de celle d’un musée. Ce type d’exposition est une occasion pour l’Église de sensibiliser la population à la vie chrétienne d’aujourd’hui et de susciter éventuellement un intérêt ou un dialogue. Il arrive parfois que des musées offrent un espace dédié à ce genre d’évènement de manière occasionnelle, par exemple au Centre Culturel Chrétien de l’Antiquaille à Lyon avec l’exposition « La grande aventure des chrétiens d’Orient » organisée par l’association OEuvre d’Orient en 2 016. Ce projet a pu voir le jour grâce à la collaboration entre l’Espace Culturel et l’Ordinariat des Catholiques des Églises orientales en France. L’exposition informe sur la vie des chrétiens d’Orient, le charisme des différentes communautés et leurs oeuvres de charité, dans une optique là encore catéchétique et au service de la mission de l’Église. L’évènement n’aurait très probablement pas pu voir le jour dans un lieu non dédié au patrimoine et à la culture religieuse en raison de questions de laïcité. D’autre part, le Centre d’Art Sacré de Lille réalise de nombreuses expositions temporaires au niveau de la « crypte moderne » de la cathédrale Notre-Dame-de-la-Treille. Le lieu, dédié à la création contemporaine et explorant la thématique de la foi et de la culture chrétienne, apparaît comme un espace de dialogue et de rencontre. Ce type d’exposition permet finalement à l’Église de s’exprimer par des voies moins traditionnelles et peut toucher un public désireux de s’informer sur la vie chrétienne aujourd’hui. Par ailleurs, un projet d’exposition est actuellement en cours d’étude par l’association l’Art Sacré 2 et va dans le sens d’une présence de l’Église au coeur des enjeux artistiques actuels100. L’association souhaiterait en effet s’intégrer à l’évènement de la Foire Internationale d’Art Contemporain (FIAC) se tenant à Paris en 2 017 par le biais d’une exposition temporaire sur l’art sacré d’aujourd’hui.
Cette première partie nous a permis de se rendre compte de la notion polysémique d’artefact religieux et de la complexité à l’exposer au sein des musées. Le paysage muséal est lui-même très contrasté et témoigne finalement des différentes approches et valeurs qui peuvent être attribuées à ces musealie. Des différences notables sont visibles entre la France et le Québec, en particulier l’importance des musées de communauté et musées de société en Amérique du Nord qui offrent une vision des expôts tantôt spirituelle, tantôt décloisonnée. En outre, il semble impossible d’appréhender les artefacts soit sous le statut de sacré, soit sous le statut patrimonial. Les deux sont intrinsèquement liés, et les opposer conduit à une perte de sens. Sans doute faut-il accepter, au-delà des confessions et des convictions personnelles, ce double régime de patrimonialité, à la fois sensible et culturel qui constitue aujourd’hui la réalité de ces objets.
Le patrimoine religieux, une longue et épineuse histoire
Depuis que la religion catholique existe, celle-ci possède un statut particulier, interférant à la fois dans les sphères sociales, politiques et culturelles. Aujourd’hui, cette place s’est fondamentalement modifiée en France et au Québec notamment. Sans prétendre retracer l’histoire de la pratique religieuse chrétienne européenne et nord-américaine, il paraît néanmoins important d’effectuer un rappel sur l’évolution du catholicisme au sein de ces sociétés. L’exercice du culte, marqué par diverses mutations et ruptures qui ont eu de véritables conséquences sur le patrimoine religieux, nous intéressera particulièrement.
D’autre part, nous nous focaliserons sur l’art religieux et les différentes fonctions qu’on lui a conféré à travers les âges. Il sera ainsi plus aisé d’appréhender les enjeux de la société actuelle par rapport à son passé, ses interrogations et ses rejets. En outre, il est essentiel d’interroger les institutions muséales qui sont le reflet d’une nouvelle manière de penser le fait religieux en France et au Québec.
L’art religieux chrétien : Histoire et évolutions
Depuis les débuts du christianisme, art et foi semblent être indivisibles. Si toutes les religions monothéistes se sont exprimées sous des formes artistiques variées – monuments, sculptures, fresques – la religion chrétienne possède une caractéristique qui la singularise de manière unique : celle de figurer le divin. L’iconographie chrétienne apparaît assez tardivement, vers le IIIe siècle avec l’art paléochrétien. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : d’une part, l’interdiction de pratiquer cette religion imposée par les romains ; d’autre part, l’héritage de la tradition juive qui prohibait la production d’images dDieu.
Contrairement au judaïsme et à l’islam, le christianisme a produit de très nombreuses représentations de Dieu. Les images étant jugées jusqu’alors blasphématoires, cette singularité a provoqué un véritable bouleversement. Théologiquement, cette différence fondamentale tient à la croyance en l’Incarnation du Verbe de Dieu en Jésus-Christ . La religion chrétienne reconnaît en effet Jésus de Nazareth comme Messie et Fils de Dieu : « Dieu s’est fait homme en la personne de Jésus-Christ, il a pris chair en son Fils et s’est ainsi révélé aux hommes ». Suivant ce principe, rien n’interdit finalement de représenter Jésus, qui est à la fois humain et divin . De fait, si Dieu demeure impossible à représenter car Il est invisible et transcendant, son incarnation en Jésus-Christ sous les traits d’un homme est, quant à elle, permise. La représentation du divin dans la religion chrétienne réside par ailleurs dans le mystère Trinitaire, soit l’affirmation de Dieu « en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, distinctes mais unies comme une seule substance » .
Ainsi, l’Esprit de Dieu pourra être représenté par exemple sous les traits d’une colombe, en référence à l’épisode de la Transfiguration dans la Bible . D’autre part, Dieu le Père a souvent été figuré sous les traits d’un vieil homme . L’image de Dieu dans l’art est donc, pour les chrétiens, une manière de le désigner, de signifier sa présence ou encore de lui rendre gloire par une forme de dévotion. En outre, si les oeuvres s’appuient sur les récits fondateurs, elles demeurent le fruit d’une sensibilité et d’une perception reliées à l’émotion personnelle de l’artiste qui a pu varier au fil des époques ou encore être influencées par le pouvoir et les conflits.
Force est de constater qu’art et croyance sont intimement liés dans le christianisme. Cette étude ne prétend pas résumer l’ensemble de l’histoire de l’art chrétien, mais plutôt d’offrir une vue d’ensemble qui nous permettra de comprendre l’importance du contexte de création des œuvres propre à chaque époque : contexte historique mais aussi socio-culturel, politique, économique, et bien sûr religieux. Il semble en effet impossible de nier l’influence de l’instance ecclésiastique sur l’art, qui aura main mise sur la création artistique pendant des siècles, de manière parfois répressive. Toutefois, les différentes thèses qui s’opposent témoignent de la difficulté, encore aujourd’hui, à appréhender le patrimoine religieux du point de vue de l’histoire de l’art. Les recherches du sociologue de l’art Pierre Francastel ont par exemple démontré que les artistes ont su résister à la doctrine dominante notamment durant la période houleuse du Concile de Trente ; idée venant réfuter la position d’Émile Mâle selon laquelle le dogme aurait influencé considérablement la création de l’époque.
De fait, il semblerait donc que l’étude des oeuvres d’art religieux résulte, en partie, de la compréhension du monde dans lequel vivaient les artistes. Le contexte apporte en effet des clefs de lecture pour appréhender les images produites dans leurs dimensions à la fois culturelles et artistiques . Ainsi, on considère que les premières productions iconographiques chrétiennes répondent à un besoin d’images comme support à la prière mais aussi à l’éducation. À cet égard, on cite traditionnellement les propos du Pape Grégoire le Grand (590-604).
L’Église médiévale utilise les images pour enseigner la Bible aux fidèles, dont la grande majorité est illettrée. Il s’agit pour eux d’apprendre et de mémoriser l’histoire sainte qui se limite à quelques épisodes soigneusement choisis par l’instance ecclésiastique. Par ailleurs, les oeuvres, tout comme la liturgie, forment un ensemble rituel et « sensoriel » permettant de s’approcher plus intimement de Dieu et devenant en quelque sorte des objets de médiation entre l’homme et le divin.
Vers le XIIe siècle, les représentations religieuses changent peu à peu de statut.
D’objets destinés à être « lus », ils deviennent des oeuvres d’art vouées à la contemplation. La recherche de la beauté et de l’idéal, comme incarnation du divin, deviendra dès lors récurrente. Celle-ci offre un avant-goût de l’Éternité et témoigne de l’espérance chrétienne. Par ailleurs, les sujets catéchétiques demeurent bien présents dans la création artistique : les oeuvres véhiculent les grands principes de la vie chrétienne, comme la charité ou le repentir des fautes.
À partir du XIIIe siècle, les sujets se font plus humanisés à l’image de la figure autrefois solennelle de la Vierge qui se transforme en mère aimante. Les Saints sont fréquemment représentés et ont un rôle d’intercession pour les prières des fidèles en cas de maladie ou de naissance par exemple. Par ailleurs, les sujets portant sur le Jugement Dernier et l’Enfer se multiplient. Les châtiments représentent une menace pour l’âme qui ne se repentit pas. La solitude du pêcheur est par ailleurs fréquemment évoquée, comme dans le polyptyque du Jugement Dernier de Rogier Van der Wayden. L’Église demeure garante de la foi au travers de ce genre de représentation « moraliste » qui vise à encourager le croyant dans sa fidélité aux Évangiles. Les symboles, sortes de « motifs-parlants », se multiplient comme la fleur de lys qui représente la pureté de la Vierge Marie. Au XVe siècle, avec les Primitifs flamands, les représentations sont ancrées dans une piété profonde et modeste. La délicatesse de la touche, le dépouillement des compositions confèrent aux représentations un caractère humble et une ambiance méditative.
La Renaissance, voit naître l’affirmation d’un style plus extatique comme en témoigne par exemple le Christ « putréfié à la beauté convulsive » de Grünewald. Les normes sont déterminées par de nouvelles techniques picturales et un goût pour l’Antique propre à l’époque; il s’agit pour l’artiste de démontrer tout son talent au sein d’une seule oeuvre : perspective, nature-morte, paysage, portrait. Les commandes papales se multiplient, comme les célèbres fresques de la chapelle Sixtine peintes par Michel-Ange. Certains artistes s’affranchiront des normes classiques pour aller vers une peinture du « sentiment exacerbé », tels les Maniéristes du milieu du XVIe siècle. Par ailleurs, le commerce des « indulgences », qui existait déjà auparavant, se généralise. L’exemple le plus célèbre reste sans doute la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre de Rome en 1515 financée grâce aux indulgences et qui constituera l’élément déclencheur de la Réforme Protestante.
Avec le développement du collectionnisme au XVIe siècle, on verra se multiplier la mise sur le marché d’oeuvres autrefois cultuelles. Les tableaux de piété domestique, jusque là quasi-inexistants dans les foyers, font également leur apparition.
À partir du siècle des Lumières, on commence à parler d’un « déclin » de la peinture religieuse : la production artistique se tourne davantage vers les sujets mythologiques, les tableaux d’histoire ou encore les scènes galantes. Progressivement, l’art moderne effacera Dieu des représentations artistiques, entrant en clivage avec le désormais dépassé Art Académique. Les ruptures révolutionnaires et les crises au sein de l’instance catholique accentueront la prise de distance envers les sujets religieux, bien que certains artistes continueront à s’y intéresser, parfois dans une approche davantage mystique que confessionnelle : Gauguin, Picasso, Matisse, Dali, Chagall, Rothko, Bacon, … De nombreux historiens de l’art ont affirmé que le XXe siècle marque la fin de l’art chrétien.
Pourtant, la figure christique n’a jamais réellement cessé d’inspirer les artistes comme peuvent en témoigner les nombreuses créations contemporaines présentes dans les collections muséales : Andres Serrano, Paul Fryer, Simon Patterson, etc. Si les artistes ont pu s’éloigner de la religion institutionnelle, le message biblique demeure encore aujourd’hui un thème récurrent et une recherche spirituelle et créatrice. De plus, l’Église continue de commander des oeuvres aux artistes, en particulier depuis la vague du « renouveau de l’art sacré » post-Vatican II. C’est d’abord en France que l’idée de repenser l’art religieux verra le jour, sous l’impulsion des Pères dominicains Couturier et Régamey. De nombreux artistes s’impliqueront dans ce mouvement, à l’image d’Arcabas qui a réalisé le mobilier liturgique de la cathédrale Saint-Pierre de Rennes en 1994.
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Table des matières
Introduction
Partie I
Le patrimoine religieux en France et au Québec,entre objets sacrés et culturels
Partie II
Biens d’Église, l’importance d’un patrimoine commun à sauvegarder :le musée comme solution pérenne ?
Partie III
Exposer le patrimoine religieux : vers une intelligibilité des collections catholiques au musée
Conclusion
Bibliographie
Sources
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