Les conflits d’usages
Usage
Un usage est, selon le dictionnaire Larousse 2010, une « pratique, manière d’agir fréquente, qui est habituellement et normalement observée par les membres d’une société déterminée, d’un groupe social donné ». Cette définition générale permet de cerner les éléments caractérisant les usages. Il s’agit d’actions, de pratiques ou plus souvent d’un ensemble de pratiques menées dans un but précis. Ces pratiques sont le fait d’un individu ou d’un groupe identifiés. Le terme usager semble peu à propos puisqu’il se réfère le plus souvent à des individus utilisant un service marchand. Le terme acteur semble plus approprié. Dans un contexte territorial, les usages impliquent l’utilisation de ressources. Les ressources peuvent être biologiques, minérales, énergétiques (renouvelables ou non). L’espace en lui-même peut également être une ressource. Décrire, analyser et classer les usages nécessite donc de bien définir les acteurs, leur but, les pratiques mises en œuvre, ainsi que les processus liés à la ressource (Brody & al., 2003). Cette caractérisation s’effectue dans l’espace et le temps (Bartlett, 1999 ; Cuq & al., 2002; Le Tixerant, 2004).
In fine, la définition suivante peut être proposée : un usage est un ensemble de pratiques spatialisées et temporalisées, sur les ressources menées par un acteur ou un groupe d’acteurs identifiés.
Conflit
Un conflit est une « situation dans laquelle s’opposent des forces antagonistes cherchant l’éviction de la partie opposée » (Larousse 2010). Cette situation peut être exprimée de différentes manières : polémique, tension, conflit stricto sensu (Cadoret, 2006 ; Stimec, 2007). Ces modes d’expression retracent les niveaux d’implication et les particularités socioculturelles des acteurs (Glasl, 1999 ; Kirat & Torre, 2008 ; Charlier, 1999 ; Lecourt, 2003).
Dans le cadre de conflits liés au partage de ressources, la différenciation entre conflit déclaré et conflit potentiel a été mise en avant par différents auteurs (Touzard, 1977 ; Vallega 1999 ; Guineberteau, 2006). Le conflit déclaré comprend toutes les situations d’opposition pour lesquelles on peut relater des manifestations formelles : voies de fait, actions en justice, regroupements en structures de défense (associations) ou médiatisation. Le conflit potentiel est un objet abstrait du point de vue social, les acteurs impliqués n’étant pas entrés dans une situation d’opposition (ils n’y entreront peut être jamais). L’appréciation de la situation de conflit potentiel et le passage à celle de conflit déclaré sont donc liés à celle des seuils d’acceptabilité des acteurs vis-à-vis d’actions exerçant des pressions sur leur activité, leur bien être.
Conflit d’usages
Le conflit d’usages est donc un conflit lié à des usages ou volontés d’usages antagonistes des ressources (Ferrant & Deffuant, 1999 ; Kirat & Torre, 2008). Le lien entre conflits d’usages et interactions Nature-Société est très fort dans la mesure où de nombreux usages littoraux et maritimes reposent sur des pratiques mobilisant des ressources naturelles. Les problématiques de raréfaction, d’augmentation des pressions sur les ressources et de seuils de durabilité d’exploitation sont centrales pour la compréhension de nombreux conflits d’usages (Dronkers & Vries, 1999 ; Douvere & Elher, 2009 ; Tissot & al., 2008).
Les conflits dans la dynamique des territoires et des interactions Nature-Sociétéh
Les approches systémiques des territoires et des interactions Nature-Société
Les territoires peuvent être définis comme des « […] espaces appropriés avec sentiment ou conscience de leur appropriation » (Brunet & al., 1992). L’approche systémique a été régulièrement mobilisée pour leur analyse (Dauphiné, 1979 ; Guermond, 1984 ; Cunha, 1988 ; Le Berre, 1992 ; Prélaz-Droux, 1995). Un système est un « ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but » (De Rosnay, 1975 ; Popper, 1981 ; Lemoigne, 1984). L’approche systémique des territoires met en relation différents composants: l’espace, les acteurs et les représentations (Moine, 2008).
– L’espace géographique représente « […] l’étendue terrestre utilisée et aménagée par les sociétés […]. Il comprend l’ensemble des lieux et leurs relations. C’est l’espace qu’étudient les géographes » (Brunet & al., 1992). Ce système correspond donc à l’inscription des sociétés dans l’espace. Sa formalisation s’effectue par l’utilisation du concept de système spatial. « Un système spatial est un ensemble de configurations […] au sein duquel on peut repérer des logiques communes de fonctionnement et des dynamiques qui ne se réduisent pas à l’addition des logiques de chaque élément » (Lévy & Lussault, 2003).
– Le sous-système des acteurs représente la mise en réseau et les jeux entre les acteurs pour l’usage, l’aménagement du territoire. Les acteurs sont d’ordres divers (Etat, collectivités territoriales, entreprises, société civile, etc. (Claval, 1987 ; Moine, 2008)) et ont des compétences et pouvoirs d’action et de décision inégaux (Cadoret, 2006). L’analyse des objectifs, stratégies et capacités d’action des acteurs couplée à celle de leur insertion dans des réseaux d’influence permet d’apporter un éclairage à la dynamique du territoire, en termes de synergies et de blocages notamment.
– Enfin, le sous-système des représentations traite lui de la composante idéelle des acteurs vis-à-vis du territoire. En effet, le territoire adopte un sens différent suivant les perceptions que l’on a d’un paysage ou d’une organisation spatiale (Frémont, 1976 ; Raffestin, 1986 ; Di Méo, 1998). Ces représentations agissent comme des filtres dans les décisions et actions des acteurs. L’analyse des représentations des acteurs est donc nécessaire pour appréhender la dynamique territoriale.
Les conflits d’usages mettent en jeu de nombreuses interactions Nature-Société. Le concept d’anthroposystème permet d’intégrer le paradigme systémique pour leur étude (Lévêque & al, 2003). L’anthroposystème « se définit comme un système interactif entre deux ensembles constitués par un (ou des) sociosystème(s) et un (ou des) écosystème(s) naturel(s) ou artificialisé(s) s’inscrivant dans un espace géographique donné et évoluant avec le temps » (Lévêque & al, 2003). Il retrace l’évolution des conceptions de ces interactions (Langlois, 2005 ; Lageudec & Chenorkian, 2009 ; Bourgeon & al, 2009 ; Bruckmeier, 2011) depuis celui de géosystème (Bertrand & Beroutchavili, 1968 ; Beroutchavili & Rougerie, 1991) avec la prise de conscience de l’impact global de l’action des sociétés humaines.
Il permet la formalisation d’un objet d’étude pour répondre aux questions de la gestion des écosystèmes et des ressources par les groupes sociaux. L’anthoposystème peut être mobilisé à différentes échelles spatiales (du global au local) et prend en compte plusieurs aspects temporels (de la rétrospective à la prospective) (Lévêque & al, 2003). Le lien entre conflits d’usages et interactions Nature-Société se forme autour de l’exploitation et du partage des ressources (Mermet, 1992).
La fonction du conflit dans l’évolution des territoires et des interactions Nature -Société
Les situations de conflits sont paradoxales. Elles relatent en effet à la fois une opposition et un lien social (Coser, 1956). Leur résolution est un mode de changement et d’évolution (Brunet & al., 1992 ; Cadoret, 2006 ; Charlier, 1999 ; Lecourt, 2003). Les conflits représentent donc des crises dans l’évolution des systèmes (Kirat & Torre, 2008 ; Muller, 2008), au même titre que l’occurrence d’un aléa (Ferrand & Deffuant, 1999). En effet, leur émergence révèle bien souvent des mutations des pratiques et de l’occupation de l’espace qui déclenchent des situations de blocages entre acteurs. Leur régulation amène quant à elle une réorganisation et confère au conflit son rôle de vecteur de changement.
Le déroulement des conflits
L’analyse du déroulement des conflits permet de mieux cerner les processus lui conférant sa fonction de vecteur de changement. Le concept de cycles adaptatifs (Gunderson & Holling, 2002 ; Walker & al., 2004 ; Holling, 2001) donne un cadre d’analyse au déroulement des conflits. La figure 2 présente le concept de cycle adaptatif. C’est un modèle de transition décrivant les phases d’évolution d’un système soumis à différents attracteurs (Dauphiné & Provitolo, 2007 ; Deffuant & Gilbert, 2011). Dans notre cadre, les attracteurs sont les objectifs de acteurs en conflit.
La phase de croissance représente le début d’un cycle dans lequel s’engagent les acteurs. Les ressources sont facilement accessibles et leur utilisation/exploitation est croissante. La connexité (faisceau de relations entre acteurs dans notre cas) est faible et les pratiques des uns influencent peu celles des autres. Cela explique l’absence de conflits d’usages. La phase de maturité voit quant à elle la disponibilité des ressources fortement diminuer et la connexité des éléments du système augmenter. Le système est dans un état stable mais la résilience face aux perturbations est faible. C’est la phase dans laquelle se situent les conflits potentiels car certains acteurs ont développé des pratiques induisant des impacts à la limite de l’acceptabilité pour les autres acteurs. C’est lors cette phase que les rapprochements entre études des risques et des conflits convergent autour du concept de potentialité de l’évènement (Ferrand & Deffuant, 1999). La phase de destruction révèle la genèse de la crise stricto sensu du système. Le dépassement de seuils de charge provoque des antagonismes forts, des conflits déclarés par lesquels les acteurs cherchent à affirmer de nouvelles règles de partage des ressources. Suivant les rapports de force, on recherche l’accord ou l’éviction des autres parties (Mitchell & Banks, 1995 ; Glasl, 1999). Cette phase où la productivité du système diminue fortement laisse place à la phase de renouvellement. Elle correspond à la réorganisation de la connexité entre acteurs et à l’édiction des nouvelles règles de fonctionnement. C’est la phase de régulation des conflits (Touzard, 1977 ; Barrow, 2010). Elle produit une nouvelle organisation du territoire dont la résilience est très faible (en lien avec la possibilité de retour à la phase de destruction si certaines des nouvelles règles ont été édictées sans la concertation nécessaire).
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Table des matières
Introduction
Chapitre I – Bibliographie des approches spatiales des conflits d’usages
I.1 L’identification des conflits via les entrées par les acteurs
I.2 L’observation des usages et des conflits par les approches cartographiques
I.3 La démarche explicative et la conceptualisation des situations de conflits d’usages
I.4 La modélisation dynamique des situations de conflits d’usages
Chapitre II – Présentation de l’espace d’étude : la baie de Bourgneuf – Pays de Loire, France
III.1 Localisation
III.2 Le contexte environnemental
II.3 Un espace polyfonctionnel
Chapitre III – La formalisation de l’espace et des interactions spatiales
III.1 La nécessaire formalisation d’un système spatial complexe
III.2 Les concepts et méthodes de modélisation conceptuelle
III.3 Une application au système spatial de production des conflits d’usages en zone côtière
Chapitre IV – De la formalisation à la représentation cartographique des objets et interactions spatiales
IV.1. Des Modèles Conceptuels aux Systèmes d’Information Géographique
IV.2. Exemples d’applications SIG
IV.3 Les apports et les limites des approches cartographiques statiques pour la compréhension des conflits d’usages en zone côtière
Chapitre V – Du statique au dynamique : la prise en compte du temps dans l’analyse des relations entre usages et des interactions Nature-Société
V.1 La plateforme DAHu (Dynamique des Activités Humaines), présentation et utilisation pour la simulation du déroulement de l’activité ostréicole en baie de Bourgneuf
V.2 Analyse prospective sur la relocalisation de l’activité ostréicole en eau profonde
Chapitre VI – La simulation micro-spatiale pour l’aide à l’explicitation des situations de conflits d’usages
VI.1 Problématique et présentation de l’espace d’étude
VI.2 Méthodologie et description du modèle
VI.3. Résultats
VI.4 Discussion
VI.5 Conclusion
Conclusion