Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
BESOINS NUTRITIONNELS DE L’ENFANT PREMATURE
La naissance prématurée met l’enfant en situation de carence potentielle pour un certain nombre de nutriments. Les prématurés constituent donc un groupe à risque de dénutrition. D’après les recommandations actuelles de divers comités scientifiques internationaux, la prise en charge nutritionnelle du prématuré a pour but de lui assurer une croissance qualitativement et quantitativement semblable à celle d’un fœtus in utero durant le troisième trimestre de gestation avec un gain pondéral de 18 à 20g/kg/jr.
Le prématuré est vulnérable à toute carence comme à tout excès d’apport nutritionnel [39].
Ainsi l’estimation des besoins nutritionnels doit tenir compte de l’âge du prématuré, de son état clinique et d’une éventuelle pathologie associée à la prématurité.
L’European society for clinical nutrition and metabolism (ESPEN) préconise des apports optimaux dès la naissance plutôt que progressifs afin d’améliorer la croissance des enfants. Les apports énergétiques recommandés actuellement sont de l’ordre de 110 à 120 kcal/kg/j [99, 161].
Besoins en Protéines
Les protéines ont des fonctions diverses au sein de la cellule et de l’organisme. Elles sont nécessaires à la synthèse d’enzymes, d’hormones et sont cruciales pour la croissance, le développement et la réparation tissulaire. Les protéines s’accumulent majoritairement au cours du troisième trimestre de grossesse. Les prématurés sont donc à haut risque de catabolisme.
La digestion des protéines chez le nouveau-né commence dans l’environnement acide de l’estomac et se poursuit dans la partie distale de l’intestin.
La digestion gastrique des protéines se déroule en deux phases : la phase de dénaturation par l’acide chlorhydrique puis une phase d’hydrolyse par la pepsine gastrique. Chez le prématuré, la phase de digestion gastrique est faible en raison d’une sécrétion limitée de pepsine qui représente 5 à 10% du taux retrouvé chez le NN à terme. L’acidité gastrique du prématuré alimenté par sonde est supérieure à 5. Or, la pepsine gastrique a un pH optimal de 2. La digestion des protéines chez le prématuré comme chez le NN à terme sera donc principalement intestinale.
Au niveau intestinal, la digestion est assurée par l’action des protéases pancréatiques : trypsine et chymotrypsine détectées au niveau fœtal à partir de 25 semaines de gestation. Les peptides produits sont ensuite hydrolysés par les entérokinases de la bordure en brosse. Ces dernières permettent l’activation de trypsinogène en trypsine qui active à son tour d’autres zymogènes pancréatiques. L’activité des entérokinases est détectable dans la lumière intestinale dès 24semaines de gestation. Les seules enzymes actives chez le NN sont donc l’entérokinase, la trypsine et la chymotrypsine.
Pour être absorbés par les entérocytes, les peptides contenant plus de trois acides aminés doivent probablement être hydrolysés. Les transporteurs d’acides aminés et de peptides sont détectables entre la fin du premier et le début du second trimestre de gestation. Le transport des cellules n’est donc pas un facteur limitant. On peut donc supposer que les protéines hydrolysées sont mieux tolérées [147, 172].
Un apport protéique de 3 à 3,5g/Kg/j permet une accrétion protéique similaire à celle du fœtus in utero au cours du troisième trimestre de gestation (en moyenne 2g/kg/j) [138, 200].
Pour assurer une accumulation protéique optimale, les recommandations suggèrent un apport de 3 à 3,6g/Kg/j dès les premiers jours de vie [194] contre 1,5g/Kg/j chez le NN à terme. Ce niveau d’apport n’entraine pas de surcharge métabolique si l’organisme est dans un état d’anabolisme ou s’il s’accompagne d’un apport énergétique suffisant (>30Kcal/g de protéines). Chez le prématuré de faible poids de naissance et chez le prématuré d’âge gestationnel inférieur à 30 semaines, un apport protéique supérieur est recommandé de 3,5 à 4g/Kg/j. [53, 162].
Le calcul des besoins protéiques du prématuré nécessite d’évaluer [53] : les pertes dermiques (phanères, desquamation) s’élèveraient à 0,1-0,2g/Kg/j ; les pertes digestives sont de l’ordre de 10% des apports entéraux ; les pertes urinaires sont inférieures à 0,1g/Kg/j chez le prématuré. L’apport en protides ne doit pas dépasser 4g/Kg/j car il existe un risque d’hyperurémie, d’hyperammoniémie et de déséquilibre acido-basique du fait de l’immaturité hépatique et rénale chez le prématuré [162]. Si l’urémie est trop élevée c’est que l’apport azoté est trop important ou l’apport calorique trop faible. Si l’on note une absence de prise de poids et une urée très basse, c’est que l’apport protéique est trop faible [226].
Les protéines sont des macromolécules constituées d’acides aminés. Il existe 20 acides aminés dont 8 sont dits essentiels car non synthétisables par l’organisme : méthionine, thréonine, tryptophane, isoleucine, lysine, valine, phénylalanine, leucine. Chez le prématuré, il faut apporter également l’histidine, la taurine, la tyrosine et la cystine car leur synthèse est insuffisante en raison de l’immaturité des systèmes enzymatiques [52].
Besoins Energétiques
Tous les processus cellulaires requièrent de l’énergie. Les besoins en énergie dépendent du stade de développement mais sont également affectés par le degré de rattrapage de croissance, les variations de composition corporelle et de dépense énergétique au repos [53].
La valeur énergétique des aliments est exprimée en kilocalories ou en kilojoules (1Kcal=4,18KJ). La balance énergétique peut se traduire par l’équation suivante [34, 86] :
Energie ingérée – Energie perdue= Energie dépensée + Energie stockée
Energie ingérée correspond à l’énergie dégagée par l’oxydation des nutriments : glucides, lipides et protéines
La perte en énergie est représentée par les pertes intestinales et urinaires L’énergie dépensée est la somme de l’énergie utilisée pour le maintien, la croissance, la thermorégulation et l’activité L’énergie stockée est représentée essentiellement par les graisses et les protéines. Ce stockage aboutit à un gain de poids
On définit également l’énergie métabolisable comme l’énergie réellement disponible pour l’organisme [52]. Energie métabolisable = Energie ingérée – Energie perdue.
Chez les prématurés nourris au lait maternel ou au lait infantile adapté, l’énergie métabolisable représente 75 à 95% de l’apport énergétique brut [34].
La dépense énergétique au repos ne semble pas varier beaucoup avec l’âge gestationnel et est approximativement de 45Kcal/Kg/j chez le prématuré [53].
Si un gain pondéral de 17g/Kg/j équivalent au gain pondéral intra-utérin moyen au cours du troisième trimestre de grossesse doit être atteint chez le prématuré, un apport énergétique de 76 à 83 Kcal/Kg/j est nécessaire auquel il faut ajouter les dépenses énergétiques au repos (53). Ainsi, un apport énergétique de 120-130Kcal/Kg/j semble satisfaisant pour répondre aux besoins du prématuré. Cet apport n’est valable que pour les prématurés sains de plus de 1000g à la naissance. L’apport peut parfois excéder 150Kcal/Kg/j pour compenser les complications associées d’insuffisance cardiaque ou de maladie respiratoire chronique [67].
Besoins en Glucides
Plusieurs caractéristiques du prématuré vont venir perturber l’équilibre glucidique et vont le rendre plus fragile [140] :
Le rapport taille du cerveau/poids du corps est plus important chez le prématuré (14% du poids du corps)
Les réserves en glycogène hépatique sont plus faibles chez le prématuré, et notamment chez l’enfant d’âge gestationnel inférieur à 28semaines. La néoglucogenèse devient donc la principale voie de glucose chez le prématuré.
Le niveau d’insuline chez les prématurés est supérieur aux nouveaux nés à terme. Ce taux élevé s’associe à une résistance partielle à l’insuline et à un taux faible en glucagon [141].
Le métabolisme du glucose par les hépatocytes est immature en raison de la diminution de l’activité de la glucokinase. On observe alors une augmentation du glucose circulant [141].
Si une administration de glucose n’est pas faite dans les premières heures de vie, l’hypoglycémie est inévitable. La prise en charge a deux objectifs : le maintien de la glycémie entre 0,7 et 1,4g/l, sinon en dessous de 1,8g/l, et le maintien des apports caloriques adaptés à la croissance [141].
Le lactose est un constituant majeur que l’intestin doit digérer et absorber dès la naissance. Ce glucide est digéré par une enzyme intestinale principalement jéjunale : la lactase. Les produits de l’hydrolyse sont le glucose et le galactose. Le lactose non hydrolysé parvient dans la région iléo-caecale où il est utilisé par les bactéries intestinales avec production d’hydrogène et d’acides gras à chaines courtes, facilement absorbés [172].
Chez le prématuré, cette enzyme est un facteur limitant. En effet, entre 28 et 34 semaines, l’activité lactasique ne représente que 25 à 30% de celle du NN à terme. La digestion du lactose est donc incomplète chez le prématuré. Cette assimilation incomplète a une incidence sur l’absorption de certains minéraux tels que le calcium [172, 183].
Cette malabsorption physiologique du lactose chez le nouveau-né à terme et surtout chez le prématuré perdure jusqu’à la fin du 2ème mois mais reste relativement rare chez l’enfant et l’adulte [172].
La digestion de l’amidon et de ses dérivés fait intervenir différentes enzymes :
L’amylase (salivaire et pancréatique) présente à partir de 4 à 6 mois, intervient dès la mastication [172, 182].
La glucoamylase, située au niveau de l’intestin grêle, permet l’hydrolyse de glucose et d’amidon. Elle apparait tardivement au cours de la grossesse et n’atteint des valeurs normales que vers la 35ème semaine de gestation [182].
Chez le prématuré, l’apport en glucides doit tenir compte des capacités enzymatiques de digestion qui sont limitées dans les premières semaines de vie pour le lactose. Les polymères de glucose sont bien absorbés du fait de la maturation précoce de la glucoamylase intestinale et ont l’avantage d’une charge osmotique moindre que le lactose ou le glucose ; ceci explique leur utilisation dans les laits adaptés pour prématurés [182]. Le lactose représente 90% des glucides présents dans le lait humain. Ce dernier contient aussi plusieurs variétés d’oligosides (fructo- et galacto-oligosaccharides), qui auraient un effet prébiotique, favorisant l’implantation d’un microbiote bénéfique. Ces oligosaccharides n’existent ni dans le lait de vache, ni dans les formules lactées pour prématurés.
Chez le prématuré, les apports glucidiques recommandés par l’ESPGHAN (Société Européenne de Gastroentérologie et de Nutrition Pédiatrique) sont de 7,7 à 22g/Kg/24heures soit 7 à 14g par 100 Kcal dont 3,2 à 12g/100 Kcal de lactose [160]. La digestion du lactose étant limitée dans les premières semaines de vie ; l’apport maximum en lactose ne doit pas dépasser 14g/Kg/j [52]. Les besoins en glucides du prématuré se situent entre 8 et 12g/kg/j ; le lactose est le sucre dominant du lait féminin (en moyenne 6 à 7g/dL) et fournit environ 40% de l’énergie totale du lait [105].
Besoins en Lipides
Les lipides constituent une source majeure d’énergie pour le nouveau-né. Ils entrent dans la composition des membranes cellulaires, sont impliqués dans le développement du cerveau et permettent l’absorption des vitamines liposolubles.
Les triglycérides et esters de cholestérol ne peuvent traverser la membrane plasmatique en raison de leur caractère apolaire. Ils doivent être hydrolysés et solubilisés avant d’être absorbés. Ainsi, le processus de division et d’absorption des graisses peut être divisé en plusieurs étapes : la phase luminale incluant la lipolyse (avec la lipase gastrique mais surtout la lipase pancréatique) ainsi que la solubilisation micellaire et la phase muqueuse marquée par la resynthèse des triglycérides avant excrétion dans la circulation sanguine [172, 181].
Du fait d’un déficit en lipase pancréatique et en sels biliaires, les lipides sont mal absorbés chez le prématuré et ce, d’autant plus que l’enfant est prématuré. L’absorption des acides gras diminuent avec la longueur de leur chaine carbonée et, pour une même longueur de chaine, les acides gras insaturés sont mieux absorbés que leurs homologues saturés [91, 160]. La synthèse des sels biliaires est divisée par 2 chez le nouveau-né à terme et par 6 chez le prématuré par rapport à l’adulte. Les triglycérides à chaine moyenne et leurs acides gras ne nécessitent pas d’hydrolyse pour leur absorption. Ils sont solubles dans l’eau et sont donc directement absorbés dans l’estomac et l’intestin grêle [109, 246].
La faible concentration intra-luminale d’acides biliaires et la forte teneur en calcium du lait de vache sont les facteurs limitant l’absorption des graisses du lait de vache. Ainsi, les laits industriels pour prématurés contiennent pour la plupart des graisses végétales riches en acides gras insaturés bien absorbés, acides gras à chaine intermédiaire (C12-C14) et une quantité variable de TCM (<12C) [160].
Dans la composition du lait maternel, est présente une lipase absente dans le lait de vache. Elle est également présente dans le lait de mère ayant accouché prématurément, à partir de 26semaines. L’action combinée de cette enzyme constitutive des glandes mammaires et de la lipase gastrique permet une digestion complète des graisses du lait maternel. Ainsi, chez le prématuré de 31-36 semaines d’âge gestationnel, le coefficient d’absorption des graisses du lait maternel, meilleur que les graisses du lait de lactarium (la pasteurisation inactivant en partie la lipase du lait), est proche de 94% donc proche de celui des enfants à terme [147, 172].
Les apports en lipides se concentrent essentiellement sur l’apport d’acides gras polyinsaturés non synthétisés par l’organisme tels que l’acide linoléique et l’acide alpha-linolénique. Ces deux composés doivent être apportés par des sources exogènes : maternelles pour le fœtus et alimentaires pour le nouveau-né [62]. Il existe un intérêt considérable sur la capacité des prématurés à convertir les acides gras essentiels en acides gras à longue chaine nécessaires à la synthèse d’eicosanoides (anti-inflammatoire et antiallergique) et d’acide docosahexanoique (développement du cerveau, de la rétine et maintien de l’intégrité des fonctions cervicales) [147]. La masse grasse du nouveau-né prématuré est faible (1% du poids corporel) jusqu’à 26semaines d’âge gestationnel. Les besoins en lipides du prématuré se situent entre 3 et 4g/Kg/j (91). Les apports recommandés en lipides sont de 4 à 9g/Kg/j soit 3,6 à 7g/100Kcal. L’apport recommandé en acide linoléique est de 0,5g à 1,4g/100Kcal (soit 0,6 à 1,8g/Kg/j) et de 0,11 à 0,44g/100Kcal en acide alpha-linolénique [52].
L’apport en triglycérides de chaines moyennes doit être limité à 40% de l’apport lipidique et à 10-20% de l’apport calorique [172].
Des apports en taurine (acide aminé présent dans la structure des acides biliaires) sont nécessaires pour le catabolisme des acides gras à longue chaine [52].
Apport hydrique
L’eau représente 70-75% du poids de l’enfant à terme. Les besoins en eau du prématuré sont d’autant plus importants qu’il existe une perte au niveau des organes immatures comme les reins. L’apport en eau est issu de l’eau alimentaire et de l’eau métabolique. Les capacités de concentration et de dilution des reins étant faibles, l’élimination des électrolytes entrainera un volume important d’eau [34]. Les pertes d’eau dans les selles sont normalement faibles et varient entre 5 et 10ml/Kg/j. Les pertes insensibles estimées entre 30 et 60 ml/kg/j après le 10ème jr de vie sont très variables : elles dépendent de l’âge postnatal, de la température corporelle, de l’humidité relative et de la température ambiante. Ces pertes insensibles peuvent considérablement être augmentées lors de la photothérapie ou lorsque le prématuré est placé sur un incubateur ouvert [199].
EVALUATION DE L’ETAT NUTRITIONNEL
L’évaluation du statut nutritionnel via le calcul des apports en nutriments, les paramètres de croissance, les analyses biochimiques et l’état clinique permet d’optimiser la nutrition [9].
La tolérance alimentaire est le facteur le plus important à considérer. Les signes de reflux, régurgitations, l’aspect des selles, les douleurs abdominales ou les manifestations indirectes sur les réflexes cardio-respiratoires (apnée, bradycardie) sont également à prendre en compte [9, 120]. Une intolérance de la densité calorique de l’alimentation ou encore un déficit transitoire de lactase peuvent se traduire par des épisodes de diarrhée [10], d’où la pertinence de documenter la fréquence, la quantité et la consistance des selles. Aussi, les nutriments contenus dans l’alimentation du prématuré doivent être fortement digestibles et facilement absorbables afin de ne pas infliger un stress métabolique supplémentaire à ses organes immatures [191].
Les trois mesures les plus couramment utilisées pour l’évaluation de la croissance postnatale et du statut nutritionnel chez les nouveau-nés sont le poids, la taille et la circonférence de la tête [157].
Le poids est considéré comme le critère majeur de l’évaluation de la croissance postnatale. Il correspond à la masse corporelle qui inclut à la fois le gras et autres masses ainsi que le contenu extracellulaire et intracellulaire en eau [191]. Le poids du prématuré se mesure en grammes. Son gain de poids lors de la période post-natale devrait être semblable au gain de poids d’un fœtus pendant le dernier trimestre de grossesse, soit de 10 à 15 g/kg/jour [157].
La taille, qui se mesure en millimètres, est la mesure verticale d’un corps de bas en haut, soit des talons à la tête [143, 169]. La mesure de la taille du prématuré est difficile à évaluer correctement. Une mesure fiable de la taille peut être obtenue lorsque deux observateurs utilisent une surface rigide avec une échelle en centimètres intégrée munie d’une tête stationnaire (headboard) et d’un pied mobile (footboard) [157]. Il est important que la fiabilité intra-juge et la fiabilité inter-juge soient assurées pour suivre la croissance longitudinale [157]. Il est généralement convenu que le taux de croissance attendu en termes de taille chez un prématuré est similaire à celui d’un fœtus au cours du troisième trimestre de grossesse, c’est-à-dire de 0,75 cm/semaine [157].
La circonférence de la tête, qui correspond au périmètre occipitofrontal, est mesurée en millimètres [169]. Elle donne une mesure indirecte de la croissance du cerveau ; c’est pourquoi cette mesure constitue une partie importante de l’évaluation nutritionnelle [157]. Chez le prématuré, une diminution de l’apport nutritionnel peut entraîner un ralentissement de sa croissance en termes de poids et de taille sans pour autant affecter la vélocité de la croissance de sa tête [157]. La croissance de la tête peut également précéder le gain de poids et de taille lorsque le prématuré est nourri avec une alimentation haute en teneur calorique [157]. Le maintien d’une croissance normale de la tête durant la période néonatale est important puisqu’il s’agit d’une période de croissance rapide du cerveau, ce qui est mis en évidence par la genèse de synapses dendritiques et de la myéline. Le taux de croissance de la tête attendu chez un prématuré, qui est similaire à celui d’un fœtus au cours du dernier trimestre de grossesse, est de l’ordre de 0,75 cm/semaine [157].
Une croissance adéquate chez le prématuré est importante puisque qu’une faible croissance est un indicateur d’une alimentation inadéquate ce qui peut compromettre son développement cognitif [203]. Chez le prématuré, une faible croissance postnatale, plus particulièrement une faible croissance de la tête, est associée à une hausse des difficultés motrices et cognitives à l’âge de 7 ans [41]. Une circonférence de tête inférieure à 3% à l’âge de 4, 8 et 12 mois ainsi qu’une faible vélocité de la croissance de la circonférence de la tête entre la naissance et 4 mois sont associés significativement à une faible habileté cognitive à l’âge de 6 ans chez les prématurés dont le poids à la naissance se situait entre 500 et 999g [200]. Une circonférence de la tête en deçà des normes à l’âge de huit mois est associée à une fonction cognitive plus faible et à des performances académiques moindres chez les prématurés ayant un poids à la naissance inférieur à 1,5 kg [72]. C’est pourquoi une alimentation adéquate qui permet un développement optimal du cerveau chez le prématuré constitue une priorité.
De plus, un faible poids à la naissance suivi d’un gain de poids plus important entre l’âge de 1 à 5 ans est associé à une pression systolique plus élevée à l’âge adulte [88].
Par ailleurs, l’évaluation nutritionnelle fait intervenir des paramètres biochimiques [9] : l’analyse des fluides et électrolytes est quotidienne au cours des premières semaines de vie. Une fois les valeurs des électrolytes stabilisées, les analyses ne sont effectuées qu’une fois par semaine voire deux lorsque l’enfant est sous nutrition parentérale ou traité par des diurétiques. la glycémie est effectuée régulièrement en raison de l’immaturité de la régulation glucidique les analyses biochimiques hépatiques sont effectuées une à deux fois par semaine lorsque l’enfant est nourri par voie parentérale une surveillance lipidique est nécessaire dès qu’un apport en lipides est débuté l’ostéopénie est courante chez le prématuré. Une surveillance régulière du métabolisme phosphocalcique est donc nécessaire le taux de protéines sériques est également régulièrement surveiller pour déterminer l’adéquation des apports protéiques et énergétiques. l’hématocrite, l’hémoglobine et les réticulocytes sont analysés régulièrement pour palier à une éventuelle anémie.
Nutrition du prématuré en pratique
La conduite de l’alimentation du prématuré doit répondre à plusieurs critères [34] :
Assurer des apports énergétiques et caloriques adaptés dès la naissance ; Préférer la voie digestive ;
Assurer un complément par voie parentérale lorsque l’apport par voie entérale est insuffisant.
Le premier apport déterminé est l’apport glucidique puis l’apport hydrique [52].
TECHNIQUES D’ALIMENTATION CHEZ LE PREMATURE
Alimentation parentérale
Les expériences chez l’animal ont démontré qu’une alimentation parentérale exclusive prolongée induisait une atrophie de la muqueuse intestinale associée à une réduction de l’activité des enzymes de la bordure en brosse.
Chez le nouveau-né prématuré, la fonction barrière de l’intestin est immature. Plusieurs constituants de la fonction barrière ne sont pas complètement développés : la flore commensale est pauvre, l’épithélium intestinal est plus perméable que chez l’adulte et le système immunitaire est immature. En outre, une défaillance de cette fonction, due à son immaturité, est vraisemblablement impliquée dans la physiopathologie de l’entérocolite ulcéro-nécrosante. Ainsi, un démarrage trop rapide de la nutrition pourrait accroitre le risque de survenue de l’entérocolite ulcéro-nécrosante. En plus d’un système gastro-intestinal immature, le prématuré est incapable de téter, d’avaler et de respirer de manière coordonnée rendant l’allaitement maternel impossible. Bien que toutes les composantes pour réussir la coordination de la succion, de déglutition et de la respiration soient présentes à 28 semaines de gestation, elles ne sont pas encore matures. Cette coordination peut s’effectuer entre 32 et 34 semaines de gestation sur de courtes périodes seulement puisque le synchronisme n’est atteint que vers la 36ème à la 38ème semaine de gestation. Le prématuré est donc incapable de se nourrir adéquatement au sein de sa mère : l’alimentation par voie parentérale représente alors le moyen le plus sûr de lui fournir les éléments nécessaires. Ce mode d’alimentation qui consiste à administrer par voie intraveineuse du glucose, des acides aminés, des électrolytes et des vitamines, est initié au cours des premiers jours de vie. Par la suite, il peut recevoir une alimentation parentérale dite totale. Si l’alimentation parentérale totale est ajustée adéquatement, elle peut soutenir la croissance du prématuré. Avec l’acquisition d’une certaine maturité physiologique et la stabilisation de son état de santé, l’alimentation parentérale totale est remplacée progressivement par l’alimentation entérale.
Les apports nutritionnels journaliers recommandés
Pour éviter toute carence préjudiciable, des apports adéquats en énergie, protéines, acides gras essentiels, minéraux et vitamines sont recommandés [33] :
Énergie non protéique : objectif à atteindre entre 120 et 130 kcal/kg/j, répartir-en :
o glucides : 18 à 20 g/kg/j, apportés par du sérum glucosé à 10 ou 30 % ;
o lipides : 2 g/kg/j, commencés à J3, J4 et apportés par une émulsion de triglycérides à chaîne moyenne (Médialipides® 20 %) ;
Protéines : 3 à 4 g/kg/j, apportés par une solution d’acides aminés (Primène® 10 %) ;
Electrolytes :
o sodium : 2 à 4 mmol/kg/j, apportées par une solution de chlorure de sodium et de glucose-1-phosphate disodique tétrahydraté (Phocytan®) ;
o potassium : 2 à 4 mmol/kg/j, apportées par une solution de chlorure de potassium, lactate de potassium et monophosphate de potassium ;
o chlorure : 2 à 4 mmol/kg/j, apportées par une solution de chlorure de sodium et de potassium ;
o calcium : 40 à 60 mg/kg/j, apportés par une solution de gluconate de calcium ;
o phosphore : 35 à 45 mg/kg/j, apportés par une solution de Phocytan® et de monophosphate de potassium ;
o magnésium : 6 à 8 mg/kg/j, apportés par une solution de sulfate de magnésium ;
Oligoéléments : 1 mg/kg/j, apporté par une solution contenant du fer, cuivre, manganèse, zinc, cobalt, fluor, iode, chrome, sélénium, molybdène (OligoÉléments Aguettant®),
Vitamines :
o vitamines liposolubles A, D2, E, K1, apportées par une émulsion lipidique associée aux Médialipides® (Vitalipides®) ;
o vitamines hydrosolubles B1, B2, PP,B6, C, dexpanthénol, biotine, acide folique, B12, apportées par une solution de Soluvit® ;
Apports hydriques : 60 à 80 ml/kg/j les premiers jours, augmentés de 10mL/kg/jour jusqu’à atteindre 140 à 160 ml/kg/j.
L’ensemble de ces nutriments doit être contenu dans un volume restreint, calculé en déduisant, de l’apport hydrique journalier indiqué, les volumes de médicaments et d’alimentation entérale éventuels.
La préparation des poches
Il existe 2 types de formules pour les poches destinées à la nutrition parentérale [204] :
Des formules « standard » fabriquées de façon industrielle: Elles sont utilisées pour de courtes durées ou en complément de l’alimentation entérale et correspondent à :
o des mélanges binaires : phase glucido-protidique hydrosoluble ; les lipides sont alors administrés en parallèle, par exemple : PEDIAVEN® NN1 (pour les premières 48 heures), PEDIAVEN® NN2 (à partir du 3ème jour) ;
o des mélanges ternaires : émulsion associant les lipides aux nutriments hydrosolubles, par exemple NUMETAH® G13E.
Des formules appropriées aux besoins spécifiques du prématuré, selon la prescription médicale adaptée quotidiennement.
Les modes d’administration
Les différentes voies d’abord possibles pour l’alimentation parentérale sont :
La voie veineuse périphérique : elle n’est envisagée que pour une courte durée, afin de prévenir le risque de thrombose et de préserver le capital veineux ; l’osmolarité de la solution ne devant pas dépasser 800 mOsm/L, les apports nutritionnels sont nécessairement limités,
La voie veineuse centrale :
o cathéter veineux ombilical : il peut être utilisé dans les premiers jours de vie, dans l’attente de la pose d’une autre voie,
o microcathéter : il constitue la voie d’abord de longue durée la plus utilisée pour la nutrition parentérale et les traitements médicamenteux. En néonatalogie, le cathéter épicutanéo-cave de type Jonathan Schaw est inséré par voie percutanée dans une veine périphérique et son extrémité se situe à l’origine de la veine cave,
o cathéter par voie jugulaire ou sous-clavière : il est envisagé en cas d’échec de l’insertion de microcathéters, pour les prématurés dont le poids est supérieur à 1000 g [119]. Les poches sont administrées à l’aide de pompes de perfusion assurant un débit constant et fiable.
Le suivi et les complications
Une surveillance clinique et biologique régulière des paramètres suivants est effectuée :
l’évolution du poids, de la taille et du périmètre crânien, l’appréciation des pertes urinaires et digestives, l’interprétation du bilan biologique : ionogramme sanguin, glycémie.
Malgré l’attention portée, cette technique d’administration invasive présente des risques de complications [224] :
infectieuses : septicémie bactérienne, le plus souvent causée par Staphylococcus. Le respect des règles rigoureuses d’asepsie lors de la pose et de la manipulation du cathéter est indispensable, mécaniques :
o malposition, déplacement du cathéter, ce qui nécessite une technique rigoureuse de mise en place, de maintien et un contrôle radiologique,
o occlusion, thrombose veineuse profonde ; l’ajout de faibles doses d’héparine dans les poches est une prophylaxie pharmacologique qui permet de prolonger la durée de ces cathéters,
métaboliques : désordres hydro-électrolytiques et glucidiques, dus à une inadéquation entre les besoins et les apports en nutriments, digestives : atrophie intestinale, altération de l’intégrité de la muqueuse, réduction des fonctions de digestion et d’absorption.
Alimentation entérale
A l’introduction de l’alimentation entérale, il est parfois nécessaire de poursuivre en complément la nutrition parentérale, jusqu’à ce que la ration de lait, supérieure à 100 ml/kg/j, couvre plus de 75 % des besoins énergétiques.
L’alimentation entérale précoce stimulerait la synthèse d’hormones digestives favorisant ainsi la maturation de la motricité digestive, et le développement normal d’un certain nombre de fonctions du tube digestif. De plus, une alimentation entérale précoce, même modérée, permettrait d’atteindre plus rapidement une alimentation orale complète et réduirait la durée d’hospitalisation, sans toutefois augmenter la prévalence de l’entérocolite ulcéro-nécrosante chez le nouveau-né prématuré.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA PREMATURITE
I. DEFINITION ET CLASSIFICATION
I.1. Définition
I.2. Classification
II. FACTEURS ETIOLOGIQUES DE LA PREMATURITE
III. DIAGNOSTIC DE LA PREMATURITE
IV. COMPLICATIONS DE LA PREMATURITE
IV.1. Complications respiratoires
IV.2. Complications métaboliques
IV.3. Complications cardiovasculaires
IV.4. Complications neurologiques
IV.5. Complications digestives
IV.6. Complications hématologiques
IV.7. Complications infectieuses
IV.8. Complications oculaires
IV.9. Autres complications
DEUXIEME PARTIE : ASPECT NUTRITIONNEL DE LA PREMATURITE
I. IMMATURITE DIGESTIVE
II. BESOINS NUTRITIONNELS DE L’ENFANT PREMATURE
II.1. Besoins en Protéines
II.2. Besoins Energétiques
II.3. Besoins en Glucides
II.4. Besoins en Lipides
II.5. Apport hydrique
II.6. Sels Minéraux et Oligoéléments
II.7. Vitamines
III. EVALUATION DE L’ETAT NUTRITIONNEL
IV. TECHNIQUES D’ALIMENTATION CHEZ LE PREMATURE
IV.1. Alimentation parentérale
IV.2. Alimentation entérale
IV.3. Allaitement maternel du prématuré
IV.3.1. Recommandations
IV.3.2. Bénéfices de l’allaitement
IV.3.3. Physiologie de la lactation
IV.4. Composition du lait maternel prématuré et Comparaison avec le lait maternel à terme et le lait industriel
IV.5. Initiation de l’allaitement
IV.5.1. Initiation à la tétée
IV.5.2. Initiation et maintien de la lactation
IV.6. Supplémentation et Laits industriels pour prématuré
IV.6.1. Composition de laits industriels pour prématuré
IV.6.2. Les Préparations de suite
IV.6.3. Les Préparations de croissance
IV.6.4. Les laits hypoallergéniques
IV.6.5. La diversification alimentaire
IV.6.6. Les Pré- et Pro-biotiques
V. SUIVI DU PREMATURE A SA SORTIE
V.1. Critères de sortie
V.2. Consultation de suivi
V.3. Calendrier de vaccination
CONCLUSION
REFERENCES
Télécharger le rapport complet