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Les prémices de la construction de filières réemploi en France
Toutefois, la filière est encore naissante en France et fait toujours face à de nombreuses incertitudes, des confusions et des obstacles. En effet, « on avance encore dans le brouillard, non pas parce que les connaissances techniques ne sont pas au rendez-vous, mais parce que l’environnement n’y est pas favorable : trop de normes, trop de peurs, trop d’inconnues, trop peu d’infrastructures. » (Margaux GUISLAIN, 2016)
Les freins sont nombreux, et il est difficile de dresser un tableau complet de la situation, mais pour en évoquer quelques-uns, nous pouvons d’abord parler des freins techniques. La filière souffre en effet d’un manque de « L’économie circulaire relocalise l’économie et les circuits de matériaux parce que forcément, les matériaux de réemploi, ils ne vont pas beaucoup voyager. L’intérêt c’est de les consommer localement et ça crée aussi de l’emploi, voilà, l’objectif il est là. » (Chloé Saint Martin, ADEME, entretien avril 2019)
Effectivement, la majorité des expérimentations restent des projets d’architecture éphémères qui ne sont pas suffisants pour apporter de véritables retours d’expériences. De plus, l’argument économique n’est pas encore assez fort pour pouvoir être mis en avant. Effectivement, l’heure est à l’équilibre entre l’utilisation de matériaux neufs ou de matériaux de réemploi. De plus, les coûts de déconstruction restent toujours plus élevés que les coûts de démolition, et pas encore compensés par des avantages fiscaux. Les grandes entreprises du secteur faisant pression, et tirant toujours les prix au plus bas, les maîtres d’ouvrage et maîtres d’oeuvre se tournent souvent par facilité, vers ces dernières.
Au-delà des freins techniques et réglementaires, le réemploi fait surtout face à des freins culturels et psychologiques.
Bien que la pratique semble faire consensus dans le secteur, lorsqu’il s’agit de monter des projets, il est rarement question de réemploi. Il reste difficile de parvenir à convaincre les acteurs pour qui gain de temps et d’argent sont souvent les motivations premières. « On considère que le réemploi est une démarche vertueuse dans laquelle il faut s’engager et je pense que la responsabilité de nous, maîtres d’ouvrage c’est de participer à l’organisation de cette filière. Néanmoins, ce n’est pas sans questionnements, la première question qui nous vient à l’esprit lorsqu’on développe un projet, c’est de se préoccuper « Il s’est avéré compliqué de mettre en oeuvre le béton de seconde main dans la construction des immeubles. Nous nous sommes heurtés aux lobbies qui jouent sur la quête de performances techniques pour orienter maîtres d’oeuvre et maîtres d’ouvrage vers la filière du neuf. »
François Laurent, responsable de secteur de la SEM plaine commune développement, à propos de la mission réemploi confiée à Bellastock sur la friche des anciens entrepôts du printemps, dans l’article AMC de 2016, de Margaux GUIGUISLAIN (Margaux), Dossier « Réemploi de matériaux ». AMC, mars 2016, n°249, p. 63-68.
Un contexte favorable à la réémergence du réemploi en France structuration.
Les acteurs autant que les enjeux et les échelles sont difficiles à identifier et les réseaux sont encore peu construits. Il reste compliqué de savoir vers qui se tourner lorsque l’on souhaite travailler avec le réemploi.
Cependant, c’est tout l’objet du projet Européen FCBRE lancé en 2018 (Facilitating the Circulation of Reclaimed Building Elements.) remporté en partie par Rotor.8 Un des objectifs de celui-ci étant de valoriser les démarches de réemploi en Europe en identifiant les acteurs déjà actifs sur la question.
Ensuite, il existe des obstacles législatifs et réglementaires.
En effet, la pratique manque d’une législation plus précise à son égard, mais le plus problématique reste l’absence de certifications pour les matériaux de réemploi, excepté les erreurs de commande, qui ne peuvent alors pas offrir de garanties aux assureurs et aux maîtres d’ouvrage. A ce sujet, la complexité de la législation française n’aide pas car « L’architecture est, d’entre tous, l’art le plus encadré de normes, qu’elles soient techniques (les règles de construction), théoriques (les règles de conception du projet) ou proprement juridiques (le Code de l’urbanisme, les règles de sécurité, sans oublier les normes environnementales, etc.). Aucun art ne connaît un tel encadrement, ni dans l’organisation de sa réalisation, ni dans sa conception, ni plus encore dans sa responsabilité juridique et sociale. » (Isabelle CHESNEAU, 2018) Cependant, là aussi, des groupes de travail, dont le CSTB et l’ADEME font également partie, se penchent sur des solutions comme des fiches techniques validées par les bureaux de contrôle, indiquant par exemple des règles de mise en oeuvre des matériaux de réemploi.
La pratique est aussi victime d’un manque de référentiel et de projets manifestes qui puissent démontrer ses potentialités à l’échelle de l’architecture dite conventionnelle.
Cependant, si Bellastock a été en capacité d’avancer sur la thématique, c’est avant tout grâce à l’appui de partenaires précieux. Elle a d’une part pu compter sur le soutien de l’ADEME, l’agence de l’environnement et de la maîtrise des énergies. Cet organisme porte l’objectif d’une transition écologique, et a pour rôle d’impulser de nouvelles pratiques en lien à cette thématique.
De manière générale, cette situation ne favorise pas le développement de la pratique du réemploi et freine son ouverture à des projets plus conventionnels.
En comparaison avec la France, la Belgique est bien plus avancée sur la question. La taille du pays comme son histoire liée au réemploi depuis déjà plusieurs décennies (notamment avec les briques, disponibles en quantité importante dans le pays) ont favorisé le développement de cette pratique. Effectivement, elle est bien plus ancrée dans la culture Belge et de ce fait de nombreux acteurs sont déjà mobilisés sur la question. De plus, Rotor, participe grandement à la construction d’une filière organisée et dotée d’entreprises spécialisées aujourd’hui capables d’assurer la collecte et la redistribution des matériaux sur le territoire.
Une pratique au succès grandissant
Des acteurs qui ont fait le choix de l’engagement en faveur du réemploi
Malgré tout, la pratique du réemploi gagne peu à peu du terrain en France. Des acteurs ont fait le choix de l’engagement en faveur de celle-ci pour d’une part lever les freins qui s’opposent à son développement, d’autre part, pour développer des connaissances techniques autour de celle-ci et enfin de la rendre visible. C’est le cas de l’association parisienne Bellastock, créé par de jeunes diplômés de l’école d’architecture de Paris-Belleville. En 2012, la structure entre en contact avec le réemploi.
La pratique du réemploi profite aussi d’un contexte qui lui est favorable. En effet, le contexte de montée en puissance des préoccupations écologiques, a crée un nouvel engouement pour la pratique du réemploi. Ces dernières années, elle a notamment fait l’objet de plusieurs publications dans des revues d’architecture. De nombreux acteurs participent, en effet, à faire exister le plus possible cette pratique qui rencontre pourtant beaucoup de difficultés à se faire une place dans le secteur de la construction. Les événements traitant du sujet sont de plus en plus nombreux. En effet, on a commencé à parler véritablement de réemploi, autour de 2012/2014, avec des événements manifestes comme l’exposition Matière grise et son catalogue en 2014 et la réalisation du Pavillon
Circulaire par Encore Heureux la même année. Depuis, la pratique connaît un succès grandissant, et ce plutôt auprès des étudiants. On observe, en effet, une hausse du nombre de sujet de mémoires, de projets, ou d’études sur la thématique du réemploi.
De même, de plus en plus de maîtres d’ouvrage font également le choix de se tourner vers cette pratique, motivées par diverses raisons, économiques, liées à un engagement personnel, ou relatives à des questions d’images. Effectivement, de nombreuses représentations se cachent derrière la pratique du réemploi dont le côté vertueux est souvent mis en avant. Par ailleurs, cela permet à quelques filières de réemploi de se structurer à échelle régionale. C’est notamment le cas en région Normandie, où Chloé SAINT MARTIN, de l’ADEME interrogée en avril 2019, racontait que 3 projets intégrant la pratique du réemploi allaient démarrer prochainement dans cette région. La région Parisienne est également active sur la question. En effet, Bellastock a joué un rôle important dans l’ancrage du réemploi sur ce territoire qui est son lieu des appels d’offre ou des appels à manifestation d’intérêt. 10
De plus, Bellastock a souvent été appuyée par le CSTB, le centre scientifique et technique du bâtiment, sur les analyses économiques dans ses recherches. Celui-ci oeuvre pour le développement de connaissances scientifiques et techniques du secteur du bâtiment, en accompagnant les acteurs dans leurs projets d’innovation.11
Enfin, sans le soutien de maîtrises d’ouvrage engagées, les projets auxquels Bellastock a participé n’auraient pas pu se faire, car le maître d’ouvrage reste le principal décisionnaire.
A plusieurs reprises, Bellastock a alors su convaincre et entraîner avec elle des maîtrises d’ouvrage qui ont accepté de marcher à ses côtés.
Cet engagement en faveur du réemploi se poursuit audelà des frontières Françaises. La pratique existe déjà dans d’autres pays, et plus particulièrement en Belgique, où le collectif Rotor est présent. Pour renforcer un peu plus l’ancrage européen du réemploi, un appel à projet sur la question a également été lancé en 2018. Ce programme de recherche sur 3 ans, remporté par le collectif Rotor et d’autres partenaires dont Bellastock et le CSTB, vise d’une part à identifier les acteurs déjà actifs sur la pratique mais aussi de s’attaquer aux freins s’opposant au réemploi.
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Table des matières
Introduction
1. état de l’art de la pratique du réemploi des matériaux de construction en France
1.1. Une pratique qui a toujours accompagné l’histoire
1.1.1 Une pratique ancestrale et historiquement liée à l’acte de construire
1.1.2 Une pratique historiquement associée aux phénomènes des contre-culture
1. 2. Un contexte favorable à la ré émergence du réemploi en France
1.2.1 Une remise en cause du modèle économique capitaliste
1.2.2 Entre prise de conscience des enjeux liés à la ville durable et injonction politique
1.2.3 L’émergence de nouvelles pratiques intégrées dans un nouveau modèle : l’économie circulaire
1.2.4 Les prémices de la construction de filières réemploi en France
1.3. Une pratique au succès grandissant
1.3.1 Des acteurs qui ont fait le choix de l’engagement en faveur du réemploi
1.3.2 Une pratique qui suscite l’engouement
2 . Bellastock : une évolution marquée par les étapes du cheminement vers l’émergence du réemploi en France
2.1. Histoire d’une association créée pour porter un festival étudiant
2.1.1 2006, la création d’une association étudiante qui accompagne une première prise de conscience
2.1.2 Après le diplôme, la création de l’association Bellastock
2.2 2012-2013, le premier tournant pour Bellastock
2.2.1 Une première approche expérimentale du réemploi amorcée via le cas d’étude des entrepôts du printemps sur l’île Saint Denis
2.2.2 L’appel d’offre de l’ADEME remporté : la formalisation de la réflexion sur le réemploi et de l’ancrage territorial à plaine commune
2.3 De l’image du collectif d’architecture à celle de spécialiste du réemploi
2.3.1 Du festival à d’autres champs d’activités, des étudiants aux professionnels
2.3.2 REPAR #1 et #2 : le développement d’une expertise du réemploi pionnière en France
2.3.3 L’affirmation en tant qu’experts du réemploi et professionnels du secteur du bâtiment
2.4 La stratégie de la diffusion de l’information, une stratégie au service de la médiatisation du réemploi
2.4.1 L’arrivée du chargé de communication dans l’équipe
2.4.2 Une stratégie de communication à deux niveaux
2.4.3 Une diversité de support pour une diversité de publics
2.4.5 Un même objectif : faire passer des messages et convaincre l’auditoire
3. Bellastock : une structuration et une pratique qui participent à la réinvention du métier d’architecte
3.1 Le statut associatif : le choix d’une dynamique et d’un fonctionnement collectif
3.1.1 Le choix d’un statut avant tout capable de porter le festival
3.1.2 Le choix d’une hiérarchie horizontale
3.1.3 Le choix d’une reconnaissance collective
3.1.4 Le choix d’un statut précaire dans les débuts mais offrant des avantages considérables
3.1.5 Le choix d’un modèle économique qui peut se rapprocher de celui d’une société
3.2 Le statut associatif : le choix de pratiquer l’architecture autrement
3.2.1 Un contexte propice à l’exploration des contours de la mission de maîtrise d’oeuvre
3.2.2 Le choix d’une pratique à l’écart de l’ordre des architectes
3.2.3 « L’ acte de désobéissance » vis à vis de la pratique conventionnelle de l’architecture
3.2.4 Le pas de côté vis à vis de la pratique conventionnelle de l’architecture
3.2.5 S’éloigner de l’image de l’agence d’architecture
3.3 De l’association à la SCIC, une évolution qui questionne le rapport des institutions aux nouvelles pratiques de l’architecture
3.3.1 L’envie de faire évoluer son cadre juridique
3.3.2 Le statut associatif, un statut contraignant à long terme ?
3.3.3 Le statut associatif, un statut incompatible avec l’exercice de la maîtrise d’oeuvre ?
3.3.4 La division de l’ordre des architectes face aux nouvelles modalités d’exercice de la profession d’architecte
Conclusion
Lexique
Médiagraphie
Iconographie
Annexes
Entretiens réalisés pour ce mémoire, se référer au document pdf «Annexes»
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