LA DOULEURย
La douleur est un phรฉnomรจne perceptif pluridimensionnel qui signale une perte de lโintรฉgritรฉ physiologique. Elle rรฉsulte de plusieurs mรฉcanismes:
โค Dโune part de lโintรฉgration dans le systรจme nerveux central dโun message affรฉrent nociceptif modulรฉ par des systรจmes de contrรดles inhibiteurs, selon une organisation anatomo-biologique formรฉe dโun systรจme neuronal et de substances neuro excitatrices et neuro-inhibitrices qui peuvent subir des modifications fonctionnelles et structurelles.
โค Dโautre part, de phรฉnomรจnes centraux dโordre รฉmotionnels plus difficiles ร apprรฉhender.
Cette organisation complexe explique lโabsence de parallรฉlisme entre les lรฉsions observรฉes et lโimportance des manifestations douloureuses .
BASES NEUROPHYSIOLOGIQUES DE LA DOULEURย
Voies et centres nerveux de la nociception
La sensibilitรฉ douloureuse ou nociception met en jeu des structures anatomiques permettant de dรฉtecter, percevoir et de rรฉagir ร des stimulations potentiellement nocives. Ces derniรจres crรฉent un ยซmessage nociceptifยป qui est transmit par des rรฉcepteurs pรฉriphรฉriques aux centres nerveux supรฉrieures sous la forme dโun influx nerveux franchissant plusieurs relais Des systรจmes de rรฉgulation inhibiteurs et facilitateurs modulent ce message nociceptif en permanence (51). La notion de douleur comporte 3 composantes: sensorio-discriminative, affective รฉmotionnelle et cognitivo-comportementale liรฉes ร lโarrivรฉe du message nociceptif dans le cortex somesthesique, prรฉfrontal et limbique (51).
Voies anatomiques:
Elles sont dรฉcrites successivement de la pรฉriphรฉrie jusquโaux centres supรฉrieurs.
a- Nocicepteurs :
Ils sont retrouvรฉs aux niveaux cutanรฉs, musculaires, articulaires et viscรฉraux. Ce sont des terminaisons libres de fibres nerveuses sensibles ร une stimulation nociceptive, cโest-ร -dire de forte intensitรฉ. Les nocicepteurs sont de deux types:
โข Les mรฉcano-nocicรฉpteurs sont des terminaisons qui rรฉpondent ร des stimulations mรฉcaniques intenses.
โข Les nocicepteurs polymodaux sont des terminaisons qui rรฉpondent ร des stimulus mรฉcaniques intenses, thermiques et ou chimiques (de substances ยซalgogรจnesยป). Ils assurent la transduction qui est la transformation du message nociceptif en influx nerveux .
b- Fibres pรฉriphรฉriques :
Lโinflux nerveux nociceptif emprunte dans les nerfs sensitifs 2 types de fibres: Les fibres myรฉlinisรฉes A delta, de faible calibre, assurent une conduction nerveuse de 4 ร 30 m/s responsable dโune douleur rapide, prรฉcise ร valeur localisatrice. Les fibres C, non myรฉlinisรฉes, assurent une conduction nerveuse infรฉrieure ร 2m/s responsable dโune douleur retardรฉe, sourde et moins localisรฉe .
c- Corne dorsale spinale :
Lโinflux nerveux nociceptif transite par les cellules bipolaires du ganglion rachidien (protoneurone), situรฉ au niveau de la racine dorsale du nerf spinal qui se connecte dans la corne dorsale de la moelle avec le deutoneurone (neurone situรฉ dans les couches I ร V de Rexed) .
Au niveau de la zone dโentrรฉe de la racine dorsale dans la moelle il existe une organisation spatiale des fibres sensitives:
โข Les fibres fines nociceptives se placent dans la rรฉgion ventro-latรฉrale de cette zone pour se rendre ร travers le tractus de Lissauer aux couches superficielles de la corne dorsale. Ces fibres sont vectrices de la sensibilitรฉ extรฉroceptive de type protopathique tactile, elles pรฉnรจtrent dans la corne postรฉrieure et trouvent leur relais dans les cellules de la tรชte de la corne postรฉrieure. Il y a convergence de plusieurs protoneurones vers un deutoneurone commun, cette convergence a pour consรฉquence de nuire ร la prรฉcision topographique du stimulus (Figure 1) (51, 72).
โข Les fibres ร destinรฉe cordonale dorsale se disposent dans la rรฉgion dorso-mรฉdiane vectrice de la sensibilitรฉ proprioceptive et extรฉroceptive de type tactile รฉpicritique .
d- Voies ascendantes :
Les axones des neurones nociceptifs de la corne dorsale croisent la ligne mรฉdiane (dรฉcussation) et se dirigent vers le cordon ventrolatรฉral controlatรฉral de la moelle pour former le faisceau spino-rรฉticulo-thalamique. Ce dernier se divise en 2 contingents:
โข Dans le contingent superficiel et latรฉral, le faisceau nรฉospinothalamique ร conduction rapide, paucisynaptique (peu de synapses) et ร organisation somatotopique se projette sur le noyau somesthรฉsique ventrolatรฉral du thalamus (Figure 2) (51,85).
โข Dans le contingent profond et mรฉdial, le faisceau palรฉo spino-rรฉticulothalamique, ร conduction lente, avec de nombreux relais synaptiques et sans organisation somatotopique se projette largement et bilatรฉralement au niveau de la rรฉticulรฉ du tronc cรฉrรฉbral .
Dโautres voies transmettant le message nociceptif en dehors du faisceau spino-rรฉticulo-thalamique ont รฉtรฉ mises en รฉvidence mais seulement chez lโanimal : faisceau spino-cervico-thalamique, conduction post-synaptique du cordon dorsal, faisceau spino-hypothalamique .
e- Centres supรฉrieurs :
Au niveau thalamique: Le faisceau nรฉospino-thalamique se projette dans le noyau ventro-postรฉro-latรฉral, rejoignant la voie lemniscale. Le faisceau palรฉo-spino-rรฉticulo-thalamique se projette dans les noyaux mรฉdians intra laminaires qui constituent un prolongement de la substance rรฉticulรฉe (51, 32, 85).
Les projections cรฉrรฉbrales sont les suivantes: Les projections de la voie nรฉo-spinothalamique se font dans le cortex sensitif du gyrus pariรฉtal postcentral assurant la composante sensorio-discriminative correspondant aux mรฉcanismes neurophysiologiques qui permettent le dรฉcodage (intensitรฉ, localisation, nature, durรฉe) .
Le contingent palรฉo spino-rรฉticulo-thalamique se projette au niveau de la rรฉticulรฉe de faรงon diffuse gรฉnรฉrant une rรฉaction dโรฉveil. A ce niveau, se font des synapses avec les noyaux des nerfs crรขniens et les centres vรฉgรฉtatifs du tronc. Par la suite, les projections se font vers les noyaux mรฉdians du thalamus pour gagner ensuite:
โข Lโhypothalamus une voie directe spino-hypothalamique est envisagรฉe (rรฉaction vรฉgรฉtative de la douleur) (51, 85).
โข Le striatum (rรฉactions motrices automatiques et semi-automatiques ร la douleur) (51, 85).
โข Le cortex prรฉfrontal (sensation de souffrance soutenant la composante affective รฉmotionnelle qui englobe la prise conscience de la douleur dans son aspect affectif et les รฉtats รฉmotionnels) (51, 85).
โข Le cortex limbique (mรฉmorisation et genรจse de comportement de protection assurant la composante cognitivo-comportementale) (85):
-La composante cognitive recouvre les divers processus mentaux susceptibles de moduler la perception douloureuse (processus dโattention ou de distraction) (51).
-La composante comportementale inclut lโensemble des manifestations verbales (plaintes, gรฉmissement) et motrices (agitation, prostration) traduit une tentative de lutte contre lโagression .
Mรฉcanismes neurophysiologiques et neurochimiques de la nociception
Naissance du message douloureux: La transduction est la transformation dโun stimulus ร caractรจre nociceptif en influx nerveux par les nocicepteurs pรฉriphรฉriques dont lโactivation se fait de deux faรงons: direct par les stimulus et indirect par des facteurs chimiques appelรฉs aussi substances algogรจnes (51, 46). Ces derniers constituent la ยซsoupe pรฉriphรฉriqueยป. Elles sont de trois types : excitatrices (sรฉrotonine, histamine, interleukine, potassium, โฆ); sensibilisatrices rendant les nociceptrices plus excitables (substances P, prostaglandine, leucotriรจnesโฆ) ; mixtes (bradykinineโฆ) (Figure 3) (51). Leur origine est multiple : tissus pรฉriphรฉriques, plasma et fibres nerveuses.
Cette multiplicitรฉ rend compte de la difficultรฉ ร trouver un seul mรฉdicament qui soit capable de bloquer complรจtement la transduction. Ces nocicepteurs possรจdent plusieurs propriรฉtรฉs: seuil dโactivation รฉlevรฉ, dรฉcharge proportionnelle ร lโintensitรฉ du stimulus et phรฉnomรจne de sensibilisation (51). Ce dernier phรฉnomรจne, rรฉsultant de lโaction de la ยซsoupe pรฉriphรฉriqueยป sur les nocicepteurs aboutit ร une diminution de leur seuil dโactivation, une augmentation de la frรฉquence de leur dรฉcharge et une apparition de dรฉcharge spontanรฉe (sans stimulus) (85). Des nocicepteurs silencieux peuvent รชtre activรฉs par une stimulation nociceptive prolongรฉe. Donc une douleur entretenue aboutit ร une modification dรฉs la pรฉriphรฉrie de la transmission nociceptive dans le sens dโune facilitation et dโune exagรฉration, dโoรน lโintรฉrรชt pratique dโun traitement prรฉcoce de la douleur pour รฉviter ces phรฉnomรจnes (85).
Mรฉcanisme de contrรดle
Le message nociceptif est constamment modulรฉ, de telle faรงon quโun mรชme stimulus nociceptif est perรงu diffรฉremment chez le mรชme sujet en fonction de lโรฉtat de modulation ร un moment donnรฉ. Ces systรจmes de contrรดle et de rรฉgulation sont, dans lโรฉtat actuel des connaissances, les suivants .
Dans le systรจme de porte (gate control) spinal, les fibres myรฉlinisรฉes de gros calibres A bรชta exercent une action inhibitrice sur les informations nociceptives par lโintermรฉdiaire des collatรฉrales nรฉes aussitรดt aprรจs leur entrรฉe dans la moelle et destinรฉe ร la cornรฉe dorsale .
Le systรจme endorphinique spinal est constituรฉ de petits interneurones endorphiniques dont la mise en jeu provoque une inhibition puissante de la nociception dans la corne dorsale .
Des voies descendantes inhibitrices prennent naissance essentiellement dans la partie restroventrale du bulbe et descendante en direction de la corne dorsale ou elles exercent leurs actions inhibitrices par lโintermรฉdiaire dโune libรฉration de sรฉrotonine ou de noradrรฉnaline dans la corne dorsale .
Dans le systรจme inhibiteur thalamique le noyau rรฉticulaire thalamique semble inhiber les voies nociceptives. Face ร cette conception de 2 grands systรจmes anatomiques, lโun vรฉhiculant les influx douloureux, lโautre chargรฉ de leur contrรดle, il est facile de comprendre quโil existe deux principales types de douleurs par excรจs de nociception par hyperstimulation du systรจme nociceptif et douleurs neuropathiques par atteinte du systรจme nerveux .
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
Chapitre I: BOTANIQUE
A- Introduction
B- Le Papaver somniferum
1- Description
2- Origines gรฉographiques
Chapitre II: LA DOULEUR
A- Bases neuro-physiologiques de la douleur
1. Voies et centres nerveux de la nociception
1-1 Voies anatomiques
1-2 Mรฉcanisme neurophysiologique et neurochimique de la douleur
1-3 Mรฉcanisme de contrรดle
B- Classification pathogรฉnique des douleurs
C- Les rรฉcepteurs morphiniques et leurs rรดles dans lโanalgรฉsie
1- Distribution des rรฉcepteurs morphiniques
1-1 localisation spinale
1-2 localisation supra spinale
2- Action des morphiniques sur les courants transmenbrannaires
Chapitre III: LA MORPHINE ET SES DERIVES
1- Dรฉfinition
2- Classifications chimiques des analgรฉsiques morphiniques et des antagonistes correspondants
2-1.Morphine et dรฉrivรฉs dโhรฉmisynthรจses
a- La morphine
b- La codรฉine
c- Dรฉrivรฉs dโhรฉmisynthรจse de la morphine ou de la codรฉine
2-2. Autres modifications importantes de la structure de base de la morphine
2-3. Groupe des morphinanes: Structure ร 4 noyaux
2-4. Groupes des benzomorphanes: Structure ร 3 noyaux
2-5 Groupe des phรฉnyle- 4 pipรฉridine: Structure ร 2 noyaux
2-6 Groupe des diphรฉnyl propylamines
a- Diphรฉnylpropylamines cรฉtoniques: groupe de la mรฉthadone
b- Diphรฉnylpropylamine alcoolique: groupe de la mรฉthadol
c- Diphรฉnylpropylamine amidique : groupe du dextromoramide ou Palfiumยฎ
2-7. Phรฉnyl-3 acycloxy-3 butylamines et dรฉrivรฉs : groupe du propoxyphรจne
2-8. Les morphiniques dรฉrivรฉs de diamines
a- Les dรฉrivรฉs de lโanilino-4 pipรฉridine : groupe de Fentanyl
b- Autres dรฉrivรฉs diamines : Anilides basiques
3- Antagonistes des morphiniques ou Antimorphiniques
3-1- Groupe de la morphine
3-2- Groupe des morphinanes
3-3- Groupe des benzomorphanes
3-4- Autres sรฉries dโanalgรฉsiques morphinomimรฉtiques
a- Dans le groupe des oripavines
b- Dans le groupe des phรฉnyl-3 alcoyl-3 pipรฉridines
B-Classification pharmacologique des morphiniques
1-La morphine et les analgรฉsiques morphinomimรฉtiques
2-Les analgรฉsiques possรฉdant des propriรฉtรฉs antagonistes
CHAPITRE IV: PHARMACOLOGIE DE LA MORPHINE
A- Mรฉcanisme dโaction des morphiniques
B-Pharmacologie des morphiniques
1-Systรจme nerveux central
1-1 Action analgรฉsique
1-2 Action psychomotrice
1-3 Action psychodislรฉptique
1-4 Action respiratoire
1-5 Action รฉmรฉtisante
2- Systรจme nerveux Autonome
2-1 Effet sur lโลil
2-2 Effet sur la musculature lisse
2-3 Effet sur lโappareil cardiovasculaire
3-Autres actions
3-1 Somnolence
3-2 Hypothermie
3-3 Hormonale
B- Pharmacocinรฉtique des morphiniques
1- Rรฉsorption
2- Distribution
3- Mรฉtabolisation
4- Elimination
CHAPITRE V : MODALITES DE PRESCRIPTION DE LA MORPHINE
A- Indications
1. Traitement de la douleur
1-1 Douleurs aiguรซs
a- Douleur post-opรฉratoire
b- Douleur aiguรซ dโorigines diverses
1-2 Douleurs chroniques
b- Douleur dโorigine cancรฉreuse
b- Douleur dโorigine non cancรฉreuse
2- En cardiologie
3- En milieu chirurgical
B- Contre-indications
C- Prรฉcautions dโemplois
D- Interactions mรฉdicamenteuses
E- Effets secondaires
F- Utilisation de la morphine
Posologies initiales
1-1 Posologie habituelle
1-2 Chez un patient mal รฉquilibrรฉ par un autre opioรฏde
a- Notion de coefficient de conversion
b- Sujet รขgรฉ
c- Ajustement des doses
Utilisations dโautres opioรฏdes
Aspects rรฉglementaires de la prescription de la morphine et dโautres opioรฏdes forts
G- Voies dโadministrations de la morphine
1-Voie orale
2-Voie parentรฉrale
3-Autres voies dโadministrations
CONCLUSION