Basé sur une communication de la séparation

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

basé sur une communication de la séparation

Barthes distingue la scène fermée (lieu clos) et la scène ouverte (théâtre en plein air) :
« La scène fermée n’est qu’une lanterne : ici, c’est vous qui êtes dans l’ombre : ligoté dans votre fauteuil par l’argent ou au poulailler par pauvreté, de toutes manières empoissés dans la technique, les lumières, le talent, la peinture, les fausses soies et les rébus psychologiques, perdu dans votre nuit, vous apercevez loin devant vous un monde céleste et prestigieux, dont vous êtes constitutivement exclu, et que vous ne pouvez que lécher du regard. »
Le théâtre dont nous allons parler dans cette partie est le lieu clos, l’édifice fermé, la boite à illusion, qui est source et résultat de séparations et de conventions.
Le dispositif théâtral est donc celui de la séparation, entre la scène et la salle, et dans la salle elle-même. Le théâtre est donc une communication de la séparation. Mais nous n’avons pas parlé de la séparation la plus importante : moi et le public. Puisque dans le dispositif théâtral moderne la lumière est éteinte et le spectateur est tourné essentiellement vers la scène, où l’illusion se crée, je ne suis pas censé – dans une communication théâtrale idéale pour certains – avoir conscience du public autour du moi. « La première convention faite en faveur de l’art dramatique a été que le spectateur serait censé absent » écrivait déjà Marmontel13. Cette communication théâtrale de la séparation est marquée d’abord par le 4ème mur de Denis Diderot dans le Discours sur la poésie dramatique (1758) qui avait formulé l’idée qu’un mur virtuel devait séparer les acteurs des spectateurs : « Imaginez sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas. »14 Avec le 4ème mur, le public voit sans être vu. On revient ici à la notion de panoptisme de Bentham. Séparer totalement les voyants des étant-vus permet de protéger en réalité – non pas les acteurs – mais le muthos. Le muthos – donc l’histoire, la fable, ce n’est pas le texte en lui-même mais plutôt la trame, l’enchainement des actions – est servi par des acteurs à destination du public. Le muthos est l’agencement des faits avec la mise en représentation des actions, selon Aristote15. Mais pour qu’il soit le plus « vraisemblable » possible, il faut le protéger. Car la vraisemblance est ce qui prime au théâtre. Le vraisemblable est plus important que le vrai. Le muthos est comme une bulle de savon qui flotte et montre des couleurs magnifiques, mais prête à exploser : un seul accro et elle se brise. Et ce qui permet à la bulle de savon de tenir en l’air et de ne pas se briser, c’est l’illusion.
L’illusion vient du mot grec « ludere » : action de jouer dans. Selon le Littré, c’est «l’ état de l’âme qui fait que nous attribuons une certaine réalité à ce que nous savons n’être pas vrai. » Croire en l’illusion c’est donc accepter de jouer dans. Le spectateur n’est donc pas endormi, il est tout entier dans l’illusion.
« Plus d’intérêt sans illusion, plus d’illusion sans vraisemblance » écrit Marmontel.16
Le 4ème mur, les règles et les conventions du théâtre moderne à lumière éteinte et scène fermée permettent de maintenir l’illusion et ainsi de protéger le muthos, dans une sorte d’écrin de velours rouge, comme un bijou très précieux.
La séparation se fait également par le fauteuil que l’on m’a attribué : Moi et mon voisin. Ce demi mètre carré que j’ai payé me sépare des autres fauteuils, « E16 », me donne mon espace vital de visionnage, mon Sehensraum (espace de vision). Pour que l’illusion fonctionne, les spectateurs doivent être séparés les uns des autres, ils doivent oublier qu’ils ont des voisins et qu’ils sont plusieurs à regarder la scène. Dans ce théâtre de la séparation, la lumière est éteinte et l’illusion est le graal. Je dois penser être tout seul en train de regarder à travers le 4ème mur une scène vécue par des gens qui ignorent que je les regarde : c’est là, pour ce théâtre, que se trouve le schéma parfait à atteindre.
Mais plus encore, si je suis séparé de la scène et des autres, il y a une troisième séparation qui va se jouer. Il s’agit de s’oublier soi-même et d’être tout à fait transporté dans la contemplation de la scène, de se séparer de soi afin de fusionner avec ce que je vois. Après tout, la lumière est éteinte, j’ai à peine un mètre carré d’espace de visionnage, je dois me soumettre aux normes : me taire, ne pas bouger, ne pas me faire remarquer ; je suis donc – pas endormi – mais statufié, pétrifié et je disparais dans le noir, je suis tout entier dédié à la contemplation de la scène, d’où arrive la lumière, comme un enfant qui regarde par le trou du kaléidoscope : je me sens privilégié et ne dois surtout pas rompre ce moment de grâce, approchant du rituel. Je suis séparé des autres et même de moi-même pour qu’existe seulement le spectacle, la quintessence de ce qui nous est présenté.

Le théâtre est un art vivant sujet à des accidents involontaires troublant la réception

Le théâtre est art vivant, il n’y a pas d’acteurs sans public et pas de public sans acteurs, ils sont nécessaires l’un à l’autre, et chaque partie assure le bon avancement du spectacle.
C’est pourquoi le spectateur de théâtre entre dans la salle de théâtre comme sur une toile d’araignée : il est inextricablement lié à ses voisins et à la scène, et un seul geste, une seule parole, fait vibrer la toile et se fait ressentir même de l’autre côté de celle-ci. Pour filer la métaphore, nous présumerons que la scène et tout ce qu’elle contient de signes et de symboles représentatifs et non représentatifs, serait au cœur de cette toile tandis que les spectateurs sont tout autour : un seul petit mouvement du centre est amplifié et ressenti multiplié par les spectateurs, mais il suffit d’un accident pour qu’un fil se casse et détruise la toile.
Puisque chaque représentation est unique, les acteurs remettent le spectacle et son fonctionnement en jeu tous les soirs, ils prennent alors le risque de tout perdre, car l’équilibre théâtral est très fragile et le moindre accident vient le menacer. Ces accidents ne sont pas rares. Ils sont la preuve du caractère évènementiel et performatif du théâtre.
Nous avons parlé plus haut de l’importance du maintien de l’illusion, car en effet son maintien (des deux côtés du 4ème mur) est assuré par de continuels efforts par les spectateurs, les acteurs, toute la technique. Car comment dans le cas contraire expliquer que le spectateur interrogé assurera avec un aplomb sans pareil que la chaise sur la scène est un avion ? Sur scène comme en linguistique, il y a un signifiant et un signifié. Ferdinand de Saussure23, linguiste, explique qu’un signe a deux aspects : le signifié désigne la représentation mentale du concept associé au signe, tandis que le signifiant désigne la représentation mentale de la forme et de l’aspect matériel du signe. Par exemple, explique également Umberto Eco24, un mot comme « chaise » dégage deux aspects : le signifié est l’objet matériel, le signifiant et le phonème « chaise » (le son). Ainsi, pour un signe comme un panneau interdit, le signifiant est un panneau rouge avec une barre horizontale blanche, et le signifié le fait qu’il soit interdit de passer. Sur scène, l’illusion procède plus ou moins de la même façon. Un objet, un son, une lumière, quoique ce soit sur scène a une signification singulière et autre que sa signification d’origine. Sur scène, rien n’est par hasard et tout a un sens, en plus de son sens habituel. Ainsi, un bout de carton sur scène peut devenir une forêt, un mur, une voiture…. Le signifié est le carton, le signifiant est la forêt, au travers de l’illusion. Si l’illusion est rompue, le signifiant tombe et dévoile le carton. L’illusion est l’accès pour chaque participant à l’autre monde. Il suffira à l’acteur de s’assoir sur une chaise, de mettre ses bras de part et d’autre à l’horizontal et de faire un bruit de moteur, et la chaise est un avion. L’artifice (moyen par lequel la réalité devient fiction) est la bulle de savon, il suffit d’un effleurement pour qu’elle explose.
Nous verrons dans cette partie ce qu’il se passe lorsque l’artifice révèle la réalité, c’est-à-dire lorsqu’il y a accident. Un accident, du verbe cadere, tomber, est un événement non prévu qui vient chambouler une situation. Un accident au théâtre est une apocalypse (étymologiquement : la levée du voile), dans le sens où l’accident vient lever le voile de l’illusion et révéler l’artifice. Il y a plusieurs types d’accidents. Les accidents volontaires et les accidents involontaires, les accidents humains et les accidents mécaniques.
Prenons le cas des accidents involontaires. Que se passe-t-il lorsqu’un accessoire n’est pas à sa place, lorsqu’un spectateur dans la salle fait un malaise, ou lorsqu’un acteur oublie son texte ? Tout d’abord, la performativité du théâtre (le personnage est vraiment triste lorsqu’il le dit), disparait, elle est remplacé par l’évènement, l’acteur remplace le personnage, le carton remplace la forêt, tout retombe dans le réel, très brutalement, comme s’il y avait un dysfonctionnement cérébral, le spectateur ne sait plus vraiment où il est, dans le palais de Phèdre ou dans la salle de théâtre. Car l’illusion n’est pas forcement dissipée, elle est mise en suspens, elle est comme mise en pause, comme lorsqu’on regarde un film à la télé et qu’on met pause, passant de L’Egypte ancienne à son salon. Pourtant, au théâtre, pendant cette mise en pause, ce dysfonctionnement révèle toutes les coulisses, toute l’arrière-boutique : l’avion redevient chaise, le spectateur « déconnecte ». En même temps, comme l’explique Georges Banu, le spectateur prend plaisir de cet accident : déjà parce qu’il se rend compte de l’aspect exceptionnel de ce dernier, se dit qu’il assiste à l’unique représentation où cet accident a lieu, ce qui donne toute son importance et son caractère sacré au spectacle ; ensuite, parce que pour un instant seulement, la scène lui parle à lui, pas le spectacle à un spectateur, mais la scène au présent dans toute sa réalité, exemptée de l’artifice, à moi dans ma singularité. Le spectacle est en péril, et la scène doit tout faire pour reconstruire l’artifice et retrouver l’illusion, et le spectateur assiste à ce déluge ou sauvetage.

Ces accidents peuvent être également une manière de rompre volontairement la séparation scène/salle

« On pourrait peut-être avancer que la théâtralité la plus forte se situe précisément dans cette transgression instable de l’espace scénique, dans ce débordement virtuel de la scène par la salle. » écrit Barthes, dans Mythologies30. Nous avons étudié la rupture involontaire de l’illusion par l’accident, il sera question dans cette partie de la rupture volontaire et recherchée de l’illusion : lorsque l’artifice et l’illusion se mêlent. Le théâtre est selon Barthes l’art qui se définit par une position particulière du spectateur dans le système représentatif, plutôt que par un ensemble de de formes auxquelles on le reconnait habituellement. Barthes reconnait et célèbre un espace de représentations où le spectateur a sa place. Restant spectateur, je suis au bord d’être interlocuteur. La position du spectateur est depuis XXème siècle remise en question : au XXe siècle, certains metteurs en scène ont voulu rompre avec l’usage de la scène à l’italienne. Ils ont créé alors des dispositifs adaptés à chaque spectacle particulier, changeant les rapports entre acteurs et spectateurs. Le théâtre populaire de Jean Vilar en 1940 : propose de rompre avec les conventions sociales du théâtre à l’italienne, afin d’unir les différentes classes sociales. Il existe beaucoup d’exemple de transgression volontaire de l’espace scénique. Par exemple en déplaçant l’acteur du lieu auquel il est relégué : dans le spectacle Le Dernier Testament, mis en scène par Mélanie Laurent au Théâtre Chaillot en 2017, tout d’un coup dans le public une dizaine de personnes se lèvent et commencent à chanter en chœur un chant religieux. Cela surprend le reste du public qui ne s’attendait pas à ce qu’il y ait, dans l’assemblée des spectateurs, des acteurs.
La transgression peut également être intrinsèque au dispositif choisi : prenons pour exemple la mise en scène de Jean Claude Fall en 2002 de La Décision de Brecht ; le public est placé dans un amphithéâtre scolaire, de sorte qu’il se sente tantôt juge de la situation, tantôt élève apprenti, et tantôt sur le banc de accusés. Sa position dans la fiction évolue sans cesse.
Le metteur en scène peut également décider de faire survenir un accident ; qui passerait pour involontaire chez les spectateurs, mais qui en fait serait tout à fait prédéterminé.
« Faire trébucher l’artiste, le faire tomber de son piédestal, c’est interpeler le spectateur dans sa propre expérience quotidienne, dans sa propre lutte avec le réel. » explique Jean-Loup Rivière dans l’article « Bonheur de l’accident »31
C’est par exemple le cas dans La Règle du jeu, mis en scène par Jatahy à la Comédie Française en 2017 ; quand le personnage de Serge Bagdassarian saigne du nez et demande un mouchoir au public, qui pense que c’est un accident involontaire, unique, alors que c’est un élément décidé dans la mise en scène bien en amont et que répète le comédien chaque soir sur scène.
La position du spectateur dans le dispositif théâtral est le cœur des questionnements de deux types de théâtre modernes : le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud et le théâtre immersif.
Artaud a été le premier à rompre violemment avec le théâtre d’inspiration réaliste alors dominant. Dans son ouvrage Le Théâtre et son double, 1938, Antonin Artaud réhabilite la dimension sacrée du théâtre, et fonde le théâtre de la cruauté, dans lequel le langage corporel a plus d’importance que langage textuel. Selon Artaud, le théâtre n’est pas possible sans un élément de cruauté. Théâtre et cruauté sont intrinsèquement liés, en ce sens que le premier se doit de détruire l’ordre accoutumé pour faire découvrir le chaos sous-jacent.
De là, la conception d’un « théâtre de la Peste », inséparable aux yeux d’Artaud d’un « théâtre de la cruauté ». Pour bien comprendre, il faut se rappeler que la Peste, maladie qui, par ses épidémies, a décimé non seulement l’Europe de l’Antiquité et du Moyen-Âge, mais aussi l’Italie du XVIIème siècle et l’Angleterre du XVIIIème siècle, provoquait, aux dires de tous les témoins, une grande désorganisation dans la vie sociale et de profonds bouleversements dans les mœurs. La terreur détruisait tous les liens : on était prêt à jeter à la rue, où des charrettes les ramassaient, ses parents ou la femme aimée ; on massacrait au moindre prétexte ceux qui étaient soupçonnés de répandre volontairement la peste ; et, par une réaction irrationnelle, mais, au fond, compréhensible, pour défier la mort omniprésente, il n’était pas rare qu’on allât s’accoupler dans les cimetières… « Le théâtre de la Peste », selon Artaud, doit opérer de façon analogue, exercer son pouvoir de contagion, s’emparer des esprits, bouleverser l’ordre moral, social, libérer les passions, les forces du mal : « Si le théâtre essentiel est comme la peste, ce n’est pas parce qu’il est contagieux, mais parce que comme la peste il est la révélation, la poussée vers l’extérieur d’un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu ou sur un peuple, toutes les possibilités perverses de l’esprit. » 32 Il s’agit de faire prendre conscience au spectateur de ce qui existe virtuellement en lui, pour qu’il puisse faire le tri entre ce qui est injustement brimé par la vie sociale, et ce qui doit l’être à tout prix, dont il pourra se purger lors de la représentation théâtrale.
Artaud reprend ainsi la conception aristotélicienne de la Catharsis mais il la modernise en soutenant que le théâtre doit être libérateur à la façon des rêves. Si bien qu’une interaction peut s’établir entre le théâtre et la vie – ce qu’entend signifier le titre du livre, Le théâtre et son double : le théâtre double la vie, mais la vie double le théâtre, et entre eux, il est possible d’établir tout un système de correspondances. Artaud conçoit, en effet, la représentation comme une cérémonie, un rituel (il lui arrive d’employer les mots « magie » et « sorcellerie »), parce que le théâtre est pour lui art religieux.
Pour que le spectateur soit emporté par ce que jouent les acteurs, pour que le spectacle puisse être total, à la fois défoulement et cérémonie, Artaud conçoit un dispositif spécial. D’après Artaud, le public arrête d’aller au théâtre puisqu’on lui « a trop dit que c’était du théâtre ; c’est-à-dire du mensonge et de l’illusion ». La réalisation scénique de son Théâtre de la cruauté place alors « le spectateur (…) au milieu tandis que le spectacle l’entoure ». Ainsi, le spectacle peut répandre « ses éclats visuels et sonores sur la masse entière des spectateurs ». Artaud supprime donc, dans ce « spectacle tournant » et « total » (qui « fait appel à la musique, à la danse, à la pantomime, ou à la mimique »), le schéma très usité d’une salle qui sépare spectateurs et acteurs : « la scène et la salle (…) sont remplacées par une sorte de lieu unique, sans cloisonnement, ni barrière d’aucune sorte, et qui deviendra le théâtre même de l’action. Une communication directe sera rétablie entre le spectateur et le spectacle, entre l’acteur et le spectateur, du fait que le spectateur placé au milieu de l’action est enveloppé et sillonné par elle. »33 Antonin Artaud entend abandonner « les salles de théâtre existant actuellement » pour prendre « un hangar ou une grange quelconque » qu’il faudra aménager comme « certains lieux sacrés ». « La salle sera close de quatre murs, sans aucune espèce d’ornement, et le public assis au milieu de la salle, en bas, sur des chaises mobiles qui lui permettront de suivre le spectacle qui se passera autour de lui. (…) Des emplacements particuliers seront réservés, pour les acteurs et pour l’action, aux quatre points cardinaux de la salle. (…) De plus, en hauteur, des galeries courront sur tout le pourtour de la salle (…). Ces galeries permettront aux acteurs, chaque fois que l’action le nécessitera, de se poursuivre d’un point à l’autre de la salle, et à l’action de se déployer à tous les étages et dans tous les sens de la perspective en hauteur et profondeur.34 ».
Nous voyons ainsi comment les codes théâtraux peuvent être transgressés et brisés. Il existe un autre type de théâtre, très moderne, qui tente de briser absolument la séparation scène/salle : le théâtre immersif. Le théâtre immersif inscrit le spectateur-participant au cœur du dispositif.
On entend, par théâtre immersif, une esthétique théâtrale qui met le spectateur au centre d’un dispositif scénique fictionnel dans lequel il est amené à se déplacer.
Comme exemple du théâtre immersif, prenons le spectacle Hotel Medea, en 2009, filmé et diffusé intégralement sur vimeo35. Regarder cette vidéo permet de comprendre ce théâtre de l’immersion totale : les spectateurs sont debout, il n’y a pas d’espace qui leur est dédié, ils partagent l’espace des acteurs. Les acteurs demandent aux spectateurs d’intervenir très souvent, Les spectateurs de Hotel Medea constituent alors un chœur d’hommes et un chœur de femmes qui alternent entre figuration et rôle dans l’action. Dans le chapitre 1, Zero Hour Market, ils dansent, chantent, battent le rythme, tel un chœur antique. C’est l’auteur qui se charge de mettre en place la chorégraphie du spectateur. Les acteurs enseignent à celui-ci avant le début du spectacle les gestes à effectuer et vont guider la danse au moment de l’effectuer. Le spectateur de Hotel Medea participe physiquement à l’action. Pourtant, sa possibilité de créer est limitée. En effet, il ne peut prendre d’initiative ayant un impact significatif sur le déroulement de l’histoire. Des consignes claires lui sont données, canalisant ainsi son activité. Les spectateurs doivent donc obéir à des règles et des codes précis : apprendre une chorégraphie, accepter d’être guidé, etc…

Pouvant aboutir à une totale fusion de la scène et de la salle au travers de laquelle le spectateur cherche sa place

Aristote distingue l’accident de la catastrophe. Le premier désigne tout ce qui n’est pas essentiel ; tout ce qui pourrait ne pas être. La catastrophe, explique Aristote38, est au contraire ce qui permet la péripétie et donc ce qui permet au muthos d’exister : pas d’histoire sans retournement de situation. Ainsi, l’accident est tout ce qui n’est pas nécessaire alors que la catastrophe est nécessaire à l’œuvre théâtrale. L’accident, c’est par exemple le soir d’une représentation de Ramses II au Théâtre des Bouffes Parisiens, mis en scène par Stéphane Hillel, où le fauteuil mécanique de François Berléand refuse de monter, car il y a une panne mécanique. Si le comédien n’avait pas réagi correctement (en faisant comme si tout était normal), l’illusion aurait été rompue et l’accident aurait révélé au public la réalité technique d’un plateau de théâtre. Afin d’illustrer la catastrophe, prenons l’exemple de la pièce Thé à la menthe ou au citron : la première partie de cette pièce montre des personnages en train de discuter, jouant très mal, avant que la metteur en scène ne les coupe et monte sur scène pour ajuster leur jeu : les spectateurs, choqués, ne comprennent pas et prennent d’abord cet acte pour un accident, c’est-à-dire un événement ponctuel qui aurait pu ne pas être. Puis il comprend ensuite que l’intervention de la metteur en scène est prévue dans la pièce, et qu’au final les acteurs jouent des personnages en train de répéter une pièce de théâtre et de jouer d’autres personnages, une mise en abyme de la représentation théâtrale. L’intervention de la metteur en scène n’était pas un accident mais bien une catastrophe : elle était nécessaire quant à lui suite de la pièce. D’ailleurs, cette pièce ne cesse de jouer sur les codes théâtraux : elle montre toutes les difficultés et les contraintes lors des répétitions théâtrales, (diriger les comédiens, apprendre son texte, trier les idées, etc…) et la dernière partie montre, à la fin des répétitions, le spectacle achevé et représenté « en conditions réelles » (c’est-à-dire avec le public – nous existons donc et faisons partie intégrante, comme acteurs, de la pièce). Et c’est une réelle catastrophe. Dès le début, avant même le lever du rideau, un des acteurs, pétrifié de trac, refuse de monter sur scène, c’est donc la metteur en scène qui reprend son rôle, l’acteur principal a des trous de mémoire et renverse son thé sur les genoux de sa partenaire, et une série d’accidents (qui sont en fait des catastrophes) a lieu : problème de costumes, mauvaises entrées sur scène, le décor se casse la figure, le régisseur se trompe… Le spectateur prend alors un plaisir tout particulier à se sentir complice avec ces acteurs-personnages : il connait leurs caractères, leurs relations, leurs difficultés… De ce fait, quand il est l’heure de la vraie représentation, le spectateur comprend tout et voit tous les défauts, tous les problèmes, et se délecte de détecter chacun de ces dysfonctionnements.
« Il semble que la dramaturgie moderne ne puisse se passer de prendre en compte ce danger insupportablement liée à l’exercice (au présent, sur scène) du théâtre, et de le retourner contre une certaine idée du « beau spectacle », lisse, fermé de l’intérieur, qui ne laisse aucune place à l’imprévu, et avance comme un air de messe lancinant. Au contraire, que le spectateur reste dans cette incertitude grisante : prévu ou pas prévu ? Fiasco ou rattrapage déguisé en succès ? Réalité ou triomphe d’une illusion qui se donne pour vraie ? Dans ce moment d’incertitude, le spectateur est sur la limite, incapable de décider de quel côté pencher, et goûte aux joies de l’équilibriste, pour qui l’accident serait fatal mais qui sait qu’il n’est même pas concevable, qu’il n’aura pas lieu. Laisser une place à l’accident dans l’enchaînement fixe des événements dramatique, c’est redonner vie à l’étonnement, à l’émerveillement, c’est-à-dire au théâtre. Et nous, spectateurs, nous revivons aussi : nous sommes sur le qui-vive, à l’écoute de la moindre faute, du moindre faux pas, mais incapable de faire la part entre ce qui était entendu et ce qui s’improvise sous nos yeux. C’est alors que nous pouvons vivre pleinement notre rôle de spectateurs de théâtre, physiquement absents de ce qui se joue. Par l’esprit, indubitablement actifs. ».
Etre spectateur de théâtre c’est donc bien accepter le risque de l’accident involontaire et le risque d’être troublé et dérangé dans sa position de spectateur. Mais que se passe-t-il lorsque le théâtre s’exporte dans la vie réelle ?
Le théâtre de rue est une forme de spectacle et de représentation théâtrale exécutée dans un espace public, généralement extérieur. Les artistes jouent avec la rue, l’utilisent comme décor et incluent dans leur prestation les impulsions venant de l’extérieur. Le théâtre de rue s’est singularisé par la place tout à fait particulière qui est donnée à l’illusion, non plus protégée dans un écrin de velours comme dans une salle à l’italienne, mais exposée au regard de tous dans la réalité la plus évidente, le quotidien du spectateur potentiel. Le théâtre de rue utilise tout ce qui passe sous la main : le lampadaire, le banc, le passage piéton, le trottoir, le caniveau, la boîte de conserve, la poubelle, la benne à ordures, etc.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Partie I : L’expérience théâtrale repose sur un système d’inter-dits
A) Le théâtre est un dispositif de conventions
B) … Basé sur une communication de la séparation
C) … Composée d’une assemblée de croyants
Partie II : L’expérience théâtrale est une communication du trouble et de la déconstruction permanents
A) Le théâtre est un art vivant sujet à des accidents involontaires troublant la réception
B) … Ces accidents peuvent être également une manière de rompre volontairement la séparation scène /salle
C) … Pouvant aboutir à une totale fusion de la scène et de la salle au travers de laquelle le spectateur cherche sa place
Partie III : L’expérience théâtrale du spectateur est un va et vient permanent et inter-dit entre codes et déconstruction, illusion et artifice, moi et le public et nous et la scène
A) Mon rapport à l’illusion oscille nécessairement entre croyance en la fiction et réalité de l’artifice
B) … que la scène ne cesse de me rappeler dans sa réflexivité……
C) …et qui m’unie à la salle, avec qui je partage mon expérience théâtrale
Conclusion
Bibliographie

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *