Bascule d’un imaginaire du voyage à un imaginaire du quotidien

Bascule d’un imaginaire du voyage à un imaginaire du quotidien 

Dans cette première sous-partie, nous reviendrons sur l’autostop et les imaginaires qu’il véhicule, en observant le glissement d’un imaginaire du voyage à un imaginaire du quotidien, simple, concret, facile d’accès, et, en cela, démocratique. Un historique de l’autostop nous permettra de comprendre d’où viennent les représentations actuelles de l’autostop. Puis, en analysant la mise en place du projet Rezo Pouce, nous verrons que celui-ci s’est vraiment érigé par rapport à des besoins de terrain, concrets et quotidiens. Enfin, nous observerons que les outils mis en place se veulent extrêmement simples d’utilisation, confortant leur portée démocratique.

L’imaginaire de l’autostop : un héritage social et historique 

Aujourd’hui, l’autostop s’inscrit dans un imaginaire spécifique, fruit – entre autres – de l’histoire de la pratique. On l’associe notamment au voyage, à la jeunesse et aux petits moyens, voir à la précarité. Pourtant, selon le TLFi, l’autostop n’est rien de plus qu’un « procédé consistant, pour un piéton, à arrêter une automobile par signes au bord de la route, afin de se faire transporter à titre gratuit ». Il s’agit donc, pour un individu, de profiter du flot de voitures existant pour se déplacer, contribuant ainsi notamment à la décongestion des axes routiers. L’autostop a, au vu de la définition donnée précédemment, un caractère informel et spontané : le conducteur ne prémédite pas de prendre un passager à son bord, mais prend la décision au moment où l’autostoppeur est identifié. La gratuité est également un facteur clé du concept, différenciant l’autostop du covoiturage. D’où viennent donc les représentations liées à ce mode de transport ? L’autostop, en tant que « utilisation détournée et collective des modes de déplacements motorisés »  trouve sa source dans les pratiques des hitch-hikers (« autostoppeur » en anglais), les « hobos américains qui circulaient gratuitement sur des trains de marchandises », dès la fin du 19e siècle . La pratique, transposée à l’automobile, ne prend le nom d’ « autostop» que plus tard. Les périodes où ce mode de transport prend de l’importance sont souvent marquées par des pénuries, dues par exemple aux conflits mondiaux au 20e siècle, le manque de moyens encourageant les individus à avoir recours à l’autostop pour se déplacer. Ceci étant dit, c’est au cours des années 70 que la pratique connaît son âge d’or : la jeunesse issue du Baby-Boom, en forte demande de mobilité, profite du début de démocratisation de la voiture individuelle pour faire de l’autostop. C’est aussi à cette époque-là que l’autostop se trouve presque érigé « au rang de mode de vie, car il est étroitement associé à la contre culture qui émerge pendant ces “années de contestation” » . C’est à cette période que se cristallisent dans l’autostop des mouvements de rejet de la société de consommation, de quête de soi et de contestation politique. L’autostop est délaissé au fur et à mesure que la possession de véhicules individuels se généralise, réservant la pratique à une petite frange de la société. Ce regard historique de l’autostop nous permet de mieux comprendre pourquoi ce mode de transport est aujourd’hui associé à un imaginaire de la jeunesse, de la précarité et du voyage. C’est en partie de cet imaginaire que Rezo Pouce entend se détacher en réhabilitant l’autostop comme un moyen de transport quotidien, dans les deux sens du terme : un moyen de transport à la fois banal et utilisé de manière régulière et habituelle.

Pour atteindre cet objectif, Rezo Pouce se doit de mettre en place une communication efficace. En effet, l’autostop n’est aujourd’hui que très peu considéré comme un moyen de transport régulier, destiné à tous, et convenant à de petits trajets. Font exception certains territoires où règne une forte “culture stop”. C’est le cas de BelleÎle-en-Mer par exemple, souvent qualifiée de “paradis des autostoppeurs”. Sur l’île, la mise en place d’un réseau sécurisé (comme les quatre “Points Stop” recensés par l’Office de Tourisme) ne semble même pas nécessaire, ainsi qu’en témoigne un article de 2016 du journal d’information Le Télégramme : « À Belle-Ile, en raison d’un fort sentiment de sécurité et de l’ « esprit vacances » qui règne une bonne partie de l’année, les usagers n’ont pour l’instant pas manifesté le besoin d’un encadrement si poussé. » Ce témoignage nous permet cependant de comprendre que, si l’autostop est pratiqué à Belle-Île de manière quotidienne et sur des trajets courts, il n’en reste pas moins qu’il semble réservé aux vacanciers, et que son efficacité doit beaucoup à « l’esprit vacances ». Ce constat souligne le fait qu’aujourd’hui, ce mode de transport s’ancre dans un imaginaire de l’exceptionnel plutôt que du quotidien, et reste réservé aux jeunes vacanciers. Ainsi, on ne recense pas aujourd’hui de territoire où l’autostop soit reconnu comme un moyen de transport quotidien dans les deux sens du terme : régulier et banalisé. L’autostop quotidien n’est donc pas considéré comme une véritable alternative aux autres modes de transport, car il est perçu comme réservé à une certaine frange de la population et à un contexte bien particulier. Il n’en apparaît pour autant pas moins pertinent au vu des problématiques liées à la mobilité identifiées précédemment. En revenant aux origines du projet Rezo Pouce, de la conception du projet jusqu’à sa mise en place, nous verrons que celui-ci a réellement vocation à s’ancrer dans le quotidien des gens, en partant de leurs problématiques quotidiennes de mobilité.

A l’origine du projet Rezo Pouce : les besoins du quotidien

Le concept de Rezo Pouce est né sur la commune de Moissac, dans le Tarn etGaronne. Il s’agissait, au départ, de résoudre un problème de mobilité dans cette commune. Nous avons, lors d’une interview, interrogé Alain Jean, le fondateur de Rezo Pouce, sur les origines du projet. Ainsi nous explique-t-il : « J’étais élu à Moissac, adjoint au développement durable. Pendant mon premier mandat, […] on a beaucoup travaillé sur la mobilité. […] on a travaillé sur la possibilité de réhabiliter l’autostop. » La position d’élu d’Alain Jean nous renseigne sur la vocation première du dispositif. C’est en tant qu’élu, et non en tant qu’entrepreneur, qu’Alain Jean a porté le projet à ses débuts, préfigurant le statut actuel de SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) de Rezo Pouce. Loin de toute visée lucrative, il s’agissait en premier lieu de trouver des solutions de mobilité durable sur le territoire majoritairement rural de Moissac, dans un souci de l’intérêt général. En cela, Rezo Pouce s’inscrit réellement dans la dynamique de l’ESS : ainsi que le précise la définition du Labo de l’ESS, « Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement. » En effet, l’inscription à Rezo Pouce pour les individus est gratuite. C’est au travers de l’abonnement au dispositif des collectivités souhaitant en bénéficier et au travers de subventions que Rezo Pouce est viable.  On peut se demander, au vu des objectifs de Rezo Pouce, pourquoi il a été choisi de mettre en avant l’autostop et non de développer les réseaux de covoiturages. A cette question, Alain Jean répond : « On a fait, au début du projet, une réunion publique sur la mobilité des lycéens. Ils sont venus en nous disant : “Nous, on aimerait bien faire de l’autostop”. Ça nous a suffi : on n’a même pas envisagé le covoiturage. » Ici ressurgit encore la volonté de répondre à la demande d’un territoire et d’une cible en particulier, en prenant en compte les besoins et les désirs réels des habitants, liés à leur quotidien. Rezo Pouce s’ancre ainsi d’autant plus dans une dynamique propre à l’ESS : en effet, ainsi que le précise Danièle Demoustier, l’ESS « comme “économie de service” […] a principalement pour but de satisfaire des besoins sociaux de la population. » De même, Neamtan précise que « L’économie solidaire n’aura pas d’avenir si elle se limite à créer des petits espaces démocratiques complètement isolés du quotidien de la majorité de la population ». Par ailleurs, c’est en partie de cette écoute des besoins de la population que découlent des idées innovantes comme la réhabilitation de l’autostop : l’ESS « participe donc à la recomposition des activités anciennes destructurées […] et à l’émergence et à la structuration d’activités nouvelles ». Dès lors, est ici déjà discernable une facette démocratique du projet de Rezo Pouce.

Le projet a ensuite évolué rapidement, prenant de l’ampleur sur le plan géographique. Alain témoigne de la volonté d’étendre le dispositif sur d’autres territoires, en collaboration avec «7, 8 communes autour de Moissac », donnant naissance à l’association « Covoiturons sur le pouce ». Au-delà de la volonté d’expansion par impulsion interne, le projet a également eu un écho positif auprès d’autres territoires : « Très vite, Grand Montauban et Tarn-et-Garonne ont voulu le mettre en place ». A partir de ce moment-là, « on a commencé à réfléchir différemment, on a retravaillé le nom et le logo avec un graphiste ». On voit donc que l’expansion géographique s’est faite progressivement, en parallèle de l’évolution de la structure même du projet. On conclut de cette temporalité que Rezo Pouce, loin de chercher à démarcher de nouveaux territoires pour vendre un concept, a rencontré une forte demande, reflet d’une réalité de terrain. La professionnalisation de la structure se révèle être une réponse à l’expansion de la demande : le changement de statut de Rezo Pouce a découlé de la volonté de s’étendre au niveau national : « On a créé une SCIC qui peut se développer au niveau national », contrairement aux associations de collectivités, qui sont géographiquement restreintes. C’est en l’espace de quatre ans, de 2010 à 2014, que « Covoiturons sur le Pouce » (nom initial de Rezo Pouce) a dépassé son statut « d’association de collectivité» pour s’institutionnaliser. Cette croissance et cette évolution rapide sont des marqueurs de la pertinence du projet au vu des demandes en termes de mobilité sur le territoire français aujourd’hui, légitimant la vision de l’association.

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Table des matières

INTRODUCTION
I – Une nouvelle vision de l’autostop, communautaire et quotidien
1. Bascule d’un imaginaire du voyage à un imaginaire du quotidien
• L’imaginaire de l’autostop : un héritage social et historique
• A l’origine du projet Rezo Pouce : les besoins du quotidien
• La simplicité des outils de Rezo Pouce, garante de leur visée communautaire
2. La communauté Rezo Pouce, promesse d’efficacité
• Une cible complexe à fédérer du fait de sa diversité
• Fédérer une communauté : une nécessité pour la SCIC
• Une nécessité érigée en promesse
• Une promesse qui fonctionne sur un mode coopératif
3. Une stratégie de communication inclusive et collaborative
• ICOM et Rezo Pouce : une confiance stratégique en la communauté
• Créer une communauté de travail efficace : le modèle des Fabs Labs
• L’identification par la concertation d’un système de freins à l’autostop
• La cible secondaire, une passerelle stratégique vers la cible primaire
II – L’application Rezo Pouce : une convergence de mythologies
1. Le recours au numérique justifié par une mythologie collective
• Une mythologie collective portée par une injonction sociétale et politique
• L’avènement d’une mobilité connectée, ou les TIC rendus incontournables
• Le rôle attribué aux TIC dans la mobilité : reflet de croyances
• La mythologie exemplifiée : la mise en place de l’application Rezo Pouce
2. Mythologie et usages : entrelacement des faits et des possibles
• L’application : un outil véhiculant une promesse de modernité
• L’application : un outil « système » efficace contre les freins émotionnels
• L’application, développée grâce à un design des usages
3. L’application Rezo Pouce : un outil lié à une mythologie efficiente
• Le consensus communautaire : condition de « l’effet magique » de l’application
• L’application : un outil marketing créateur de valeur
• L’application, indissociable d’un accompagnement pédagogique des utilisateurs
• L’application : un outil à activer et non une panacée
III – Le libre choix : condition de la démocratisation de l’autostop
1. Le digital : l’aspect démocratique en questions
• L’accès à l’application en question
• L’usage de l’application en question
• Choisir de refuser le numérique
• Illustrations de refus du numérique
2. La véritable démocratisation : un accès au choix
• L’enjeu social de la mobilité et l’importance du choix
• Offrir un choix : la condition d’une démocratisation véritable
• Le discours de Rezo Pouce sur le choix
3. Le Guide de l’autostop : un imaginaire puissant de la modernité
• Le papier : pendant symbolique de l’application numérique
• Le Guide Rezo-Pouce : un objet au carrefour des tendances
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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