Les premières activités sous-marines utilisées à des fins militaires remontent aux Vème siècle avant Jésus-Christ. Grâce à l’essor de la plongée vers la seconde moitié du XIXème siècle, avec l’apparition des premiers appareils de plongée autonome, la Marine française a eu une volonté de former des plongeurs pour réaliser des travaux subaquatiques de première nécessité.
L’armée française comptabilise environ 2000 plongeurs militaires d’actives. Leurs missions vont de la visite de coque de navire pour les plongeurs de bord, aux opérations d’attaques offensives pour les nageurs de combats, à la neutralisation de mines pour les plongeurs démineurs, aux recherches de corps pour les plongeurs de la gendarmerie ou encore à l’aide au passage de blindés sur des fleuves pour les plongeurs du génie. Ils remplissent donc des missions variées avec des contraintes spécifiques qui ne sont pas rencontrées en plongée loisir. Le Service de Médecine Hyperbare et d’Expertise de la Plongée (SMHEP) de l’Hôpital d’Instruction des Armées Sainte-Anne a pour mission le suivi des plongeurs de l’armée française. Les barotraumatismes de la sphère ORL, constituent les accidents de plongée les plus fréquemment rencontrés. Si l’évolution est le plus souvent favorable, il existe des complications aigues ou chroniques responsables de séquelles.
Rappels sur les barotraumatismes de l’oreille moyenne et des sinus
Épidémiologie
La prévalence des BTOM et BTS et probablement sous-évaluée car les cas mineurs évoluent vers une guérison spontanée. Il existe une surreprésentation des formes graves, hyperalgiques, récidivantes. Sur 2268 accidents de plongée recensés aux États-Unis et au Canada en 2016 (2) : les barotraumatismes de l’oreille moyenne et des sinus sont les plus fréquents (39% des 2268 accidents ; n=881), les accidents de décompression arrivant en seconde position (31% des accidents ; n=694). Une étude prospective de 709 plongeurs menée par Taylor (3) suivis pendant un an, note que 52.1% avaient présenté au moins un BTOM dont 25% de récidivants (n=177), 34.6% d’au moins un BTS dont 12,8% de récidivants (n=91) et 9.2% d’un barotraumatisme dentaire. Au sein des armées, Arroyo (4), retrouve que les pathologies ORL imputables à la plongée sont responsables de 55% des inaptitudes définitives chez les plongeurs de l’École de plongée de 1982 à 1985. L’étude rétrospective sur les 595 accidents (1) de plongée dans les armées du 1er janvier 1970 au 31 décembre 2010, les barotraumatismes représentent 22% (n=120) des accidents, répartis-en 33% de BTOM (n=42) et 4% de BTS (n=5). Les ADD tous confondus représentent 37% des accidents (n=220). L’association de BTS-BTOM et BTOI-BTOM est fréquente. 20% des BTS sont associés à des BTOM (5).
Il n’existe pas à ce jour de cohorte prospective de plongeurs militaires français avec recueil des barotraumatismes de l’oreille moyenne et des sinus.
Les barotraumatismes de l’oreille moyenne
Physiopathologie
L’oreille moyenne est la partie de l’appareil auditif comprise entre l’oreille externe et l’oreille interne. Elle est composée chez le mammifère du tympan et de la chaîne des osselets comprenant le marteau, l’enclume et l’étrier .
Elle se compose de 3 entités anatomiques :
– La caisse du tympan comprenant le tympan et la chaîne des osselets qui a pour rôle la transmission du son de l’oreille externe (secteur aérien) vers l’oreille interne (secteur liquidien) à l’aide de la fenêtre ovale.
– La cavité mastoïdienne.
– La trompe d’Eustache ou trompe auditive, est un conduit reliant la caisse du tympan au le pharynx. Elle assure ainsi l’équipression de part et d’autre du tympan entre le pharynx et le conduit externe. Elle mesure en moyenne 3,7 cm de long. La trompe à une direction générale en bas et en dedans et en avant. L’isthme tubaire correspond à la jointure de deux cônes allongés unis par leurs sommets formant un angle de 160 degrés. C’est un étranglement de 2mm de hauteur sur 1mm de large.
Lors d’une variation pressionnelle au niveau du conduit auditif externe, l’équilibrage pressionnel de l’oreille moyenne se réalise par la diffusion passive de gaz par la muqueuse mastoïdienne ou par la trompe d’Eustache (6). Une dépression de 67hPa (67 cm de profondeur en eau) suffit à provoquer des modifications de la microcirculation de la muqueuse et une augmentation de la perméabilité capillaire (7). Une dépression plus importante provoque des effusions plus franches (8)(9) et peut provoquer un épanchement. Une dépression aux alentours de 533hPa peut entrainer une rupture tympanique et un gradient supérieur à 800 hPa peut provoquer une rupture de la fenêtre cochléaire (10). Le processus de diffusion mastoïdien est insuffisant lors de variations pressionnelles rapides (11). Plusieurs études se sont intéressées au rôle de la cavité mastoïdienne dans la survenue d’un BTOM. Sadé (12) a constaté que 17 patients victimes de BTOM présentent une pneumatisation de la mastoïde plus importante de façon significative (16.85 cm3 vs 12.9 cm3). Sur le plan physiopathologique, le volume de gaz serait plus grand donc la variation absolue plus importante. A l’inverse Uzun (13) trouve dans une population de plongeurs que les cavités mastoïdiennes sont plus faibles chez ceux présentant un BTOM (22,9 cm3 vs 34,1cm3). Toklu (14) quant à lui, ne retrouve pas de relation significative entre volume mastoïdien et la survenue d’un BTOM.
Le mécanisme de la trompe d’Eustache permet de répondre à une variation rapide et intense de la pression ambiante. Elle met en relation la caisse du tympan au rhinopharynx et permet l’équilibre par rapport à la pression ambiante. Tout obstacle anatomique ou pathologique au niveau de l’ostium tubaire ou de la trompe auditive compromet donc l’équilibre pressionnel. La réalisation de manœuvres d’équilibration permet l’ouverture de la trompe d’Eustache.
➤ Valsalva : Il s’agit de la manœuvre la plus utilisée. Elle consiste à se pincer le nez et à souffler progressivement bouche fermée. Cependant elle est relativement traumatisante pour les tympans, étant donné que le plongeur force l’équilibrage, mais a pour avantage d’être une des plus aisées à mettre en pratique.
➤ Frenzel : la manœuvre consiste à plaquer la langue en haut et à l’arrière du palais. Il faut, nez pincé, bouche ouverte et glotte fermée, placer la langue sur le palais en prononçant le son « KE ». Ce mouvement crée ainsi une légère surpression.
➤ Déglutition : la manœuvre consiste à déglutir pour entrainer une ouverture de la trompe d’Eustache mais présente un certain inconfort en plongée car on ingurgite de l’air au niveau de l’estomac.
➤ Toynbee : consiste, nez pincé et mâchoire fermée, à effectuer un mouvement de déglutition.
➤ Béance tubaire volontaire : cette manœuvre se traduit par une stimulation de certains muscles permettant d’ouvrir les trompes d’Eustache. Ceci est réalisé en reproduisant les mouvements provoqués par un bâillement, tout en conservant la mâchoire quasi-fermée. Cette manœuvre est la plus difficile à décrire et nécessite une certaine expérience. C’est la manœuvre avec le moins de risque traumatique.
Des analyses histologiques de l’oreille moyenne sur l’animal ont permis de découvrir des baro et chémorécepteurs responsables de la ventilation de la trompe auditive. Ces barorécepteurs se comportent comme des corpuscules de Pacini (15) dans les cavités de l’oreille moyenne ainsi qu’au niveau des bourrelets tubaires (16). Le stimulus de déséquilibre pressionnel entre les deux compartiments engendre une ouverture tubaire (17)(18). Les chémorécepteurs sont sensibles au niveau de pression partielle en oxygène. L’hyperoxie (19) et l’hypoxie (16) modifie le délai d’ouverture de la trompe d’Eustache.
Présentation clinique
Le BTOM, survient suite à une variation de pression. Il peut survenir lors d’une plongée en apnée ou avec un appareil de plongée, d’un vol, d’activités à type parachutisme ou parapente. Les signes fonctionnels peuvent être une otalgie, une hypoacousie ou une plénitude de l’oreille. Sans compensation efficace par une manœuvre d’équilibration, l’otalgie s’accentue au cours de la descente et peut même devenir syncopale avec un risque de noyade pour le plongeur. En cas de perforation tympanique, une otorragie peut être rapportée et secondairement une otorrhée en cas de surinfection.
Classification
Deux classifications sont habituellement utilisées et reposent sur l’examen otoscopique.
La classification d’Edmonds, (20) est la plus utilisée dans les articles anglo saxons :
– grade 0 : symptômes évocateurs mais tympan normal
– grade 1 : hyperhémie et rétraction tympanique
– grade 2 : grade 1 avec traces hémorragiques tympaniques
– grade 3 : ecchymoses tympaniques importantes
– grade 4 : hémotympan
– grade 5 : perforation tympanique .
Prise en charge thérapeutique
La prise en charge thérapeutique repose sur l’éviction des activités à risque de barotraumatismes, ainsi que sur la reperméabilisation de la fonction tubaire. Pour les formes mineures sans épanchement, le traitement est donc essentiellement local avec un lavage des fosses nasales au sérum physiologique, l’utilisation de vasoconstricteurs et d’aérosols soniques ou manosoniques à base de corticoïdes pendant une semaine.
En cas d’épanchement, l’utilisation d’une antibiothérapie à large spectre actif (type amoxicilline/acide clavulanique) sur les germes de la sphère ORL et une corticothérapie sur une durée de 8 à 10 jours permet de limiter le risque de surinfection. En cas de persistance de l’épanchement à un mois, une paracentèse peut être proposée et la pose d’aérateur trans-tympanique discutée. Certaines études (31)(32) montrent l’intérêt de l’utilisation d’un surfactant synthétique chez l’animal pour les otites séromuqueuses ainsi que pour les BTOM stade 3-4 avec un retour à la normale plus rapide. En cas de BTOM récidivants, il faudra chercher à éliminer une cause de dysperméabilité tubaire et la traiter. S’il est impossible de la traiter, une éviction ou bien une limitation des activités à risque pressionnel sera à prévoir. S’il existe une perforation tympanique, le risque de récidive de BTOM est absent tant que la perforation persiste. Cependant, la reprise de la plongée sera contreindiquée afin de limiter le risque de surinfection et de vertiges alternocaloriques par stimulation calorique asymétrique (vertige sous l’eau risque de désorientation donc de sur-accident voire de noyade). La cicatrisation tympanique est le plus souvent spontanée. En aéronautique, il faut limiter les vols afin d’éviter la réalisation de manœuvres de Valsalva à répétition qui risquent de retarder la cicatrisation du tympan. Il n’existe pas de donnée dans la littérature concernant la durée avant la reprise d’une activité à risque pressionnel après fermeture, et cicatrisation du tympan. Néanmoins, un délai de 2 mois semble nécessaire afin d’obtenir une cicatrisation satisfaisante. Ce même délai est à respecter de principe en cas de chirurgie de l’oreille moyenne (myringoplastie ou tympanoplastie de type 1) avant d’évaluer une reprise des activités à risque.
Les barotraumatismes des sinus
Physiopathologie
Les sinus sont des cavités semi-closes à parois osseuses recouvertes d’une muqueuse de type respiratoire. Le volume de la cavité ne peut pas varier. Si la perméabilité ostiale est compromise, les sinus sont isolés en cas de variation de pression ambiante, il existe un risque de BTS. Ils se drainent dans les fosses nasales par des ostia pour les sinus maxillaires et sphénoïdaux et par le canal nasofrontal pour les sinus frontaux. L’ostium du sinus sphénoïdal est court et mesure entre 2 et 4 mm. L’ostium du sinus maxillaire ou canal maxilo-nasal mesure entre 5 et 8 mm de long et le canal nasofrontal est plus long, de 15 à 20 mm de dimension indépendante de la taille du sinus frontal, parfois tortueux dans un ethmoïde antérieur étroit.
Il existe deux mécanismes lésionnels :
• La forme implosive à la descente (« Sinus squeeze »)
Lors de la phase de descente, les sinus se trouvent en dépression relative par rapport à la pression ambiante qui est augmentée. Les échanges gazeux entre les fosses nasales et le sinus permettent l’ajustement pressionnel par des modifications du volume de gaz dans les sinus. Le rôle des échanges gazeux intrasinusiens transmuqueux est négligeable dans ces situations. Un œdème ostial ou un obstacle méatal peut gêner l’équilibration pressionnelle aggravant ainsi la dépression relative tout au long de la descente. La dépression endosinusienne relative augmente en elle-même l’obstruction ostiale en renforçant la coaptation des berges muqueuses au méat .
L’ostium sinusien agit alors comme une valve unidirectionnelle et transforme le sinus en une cavité close en dépression relative. Il se produit alors des lésions a vacuo (accident implosif dit « sinus squeeze ») qui consistent en l’évolution de 3 stades anatomo-cliniques de gravité croissante :
– Une dépression de 100 à 150 mm Hg (0,13 à 0,2 ATA) peut provoquer un œdème et une hyperhémie exsudative de la muqueuse, par extravasation de plasma sans passage d’éléments sanguins (ultrafiltration).
– Une dépression de 150 à 300 mm Hg (0,2 à 0,4 ATA), peut provoquer un décollement intramuqueux et un épanchement séro-muqueux ou sérohématique, par passage transcapillaire des éléments figurés.
– Une dépression supérieure à 300 mm Hg (> 0,4 ATA), peut provoquer une hémorragie tout d’abord interstitielle puis sous-muqueuse, puis enfin intracavitaire lors de la déchirure de la muqueuse et constituant l’hémosinus.
• La forme explosive à l’ascension ou à la remontée (« Reverse sinus squeeze»)
À l’inverse, à la remontée après une plongée profonde, les sinus sont en surpression relative en l’absence d’équipression. L’expansion gazeuse intrasinusienne augmente contre les parois osseuses solides au fur et à mesure que la dépression s’accentue. Normalement, l’ostium joue son rôle de soupape pressionnelle et laisse fuir le volume gazeux en excès. La surpression relative endosinusienne est bien tolérée car l’ostium se laisse habituellement forcer dans ce sens. Si la valve est obstructive et empêche l’évacuation de l’air en excès. Il s’agit là de la forme explosive du BTS, encore appelé « reverse sinus squeeze ».
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Table des matières
GLOSSAIRE
INTRODUCTION :
1ère PARTIE : RAPPELS
I. Notions de physique
1. Notion de pression
2. Les lois de l’état gazeux
3. Dissolution des gaz
4. Cinétique des échanges
5. Application des lois physiques à la plongée en circuit ouvert à l’air et aux mélanges
II. Rappels sur les barotraumatismes de l’oreille moyenne et des sinus
1. Épidémiologie
2. Les barotraumatismes de l’oreille moyenne
a. Physiopathologie
b. Présentation clinique
c. Classification
d. Diagnostic positif
e. Bilan paraclinique
f. Diagnostics différentiels
g. Évolution
h. Prise en charge thérapeutique
3. Les barotraumatismes des sinus
a. Physiopathologie
b. Présentation clinique
c. Classification
d. Diagnostic positif
e. Bilan paraclinique
f. Diagnostics différentiels
g. Évolution
h. Prise en charge thérapeutique
4. Prévention des barotraumatismes de l’oreille moyenne et des sinus
III. Les spécificités du plongeur militaire
1. L’aptitude à la plongée militaire
2. Les plongeurs dans les armées
a. Les plongeurs de la Marine Nationale
b. Les plongeurs de l’Armée de l’Air
c. Les plongeurs de la Gendarmerie Nationale
d. Les plongeurs de l’Armée de Terre
2ème PARTIE : ÉTUDE
I. Résumé
II. Introduction
III. Matériel et méthodes
IV. Résultats
1. Caractéristiques de la population
2. Critère de jugement principal
3. Critères de jugement secondaire
a. Caractéristiques des barotraumatismes de l’oreille moyenne
b. Caractéristiques des barotraumatismes sinusiens
c. Impact des barotraumatismes de l’oreille moyenne
d. Impact des barotraumatismes sinusiens
e. Profils des plongées responsables des barotraumatismes
f. Profils des plongeurs victimes de barotraumatismes
V. Discussion
1. Contexte de l’étude
a. Type de l’étude
b. Caractéristiques démographiques de la population
2. Analyse des résultats
a. Critère de jugement principal
b. Critères de jugement secondaires
3. Prévention des barotraumatismes de l’oreille moyenne et des sinus
4. Limites
a. Type d’étude
b. Biais de sélection
c. Biais d’information
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
LE SERMENT D’HIPPOCRATE
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