L’ÉTABLISSEMENT DE LA JUNTE DE RONCAL
Les premières traces écrites qui mentionnent la Junte de Roncal remontent au XIVe siècle. Il y a quelques documents qui mentionnent des accords entres les vallées de Barétous et de Roncal et qui rapportent des conflits entre leurs habitants. D’abord, il faut bien comprendre le type d’accord qui est commémoré par la Junte de Roncal, car ce n’est pas une collaboration unique dans les Pyrénées.
Les lies et passeries
Les lies et passeries sont des « accords inter frontaliers entre les Vallées situées de t et ’ t e e C îne P n enne ».
Christian Desplat explique que traditionnellement, « les lies et passeries [étaient des] conventions pastorales de bon voisinage ».
Ces conventions ont commencé par être des accords oraux qui ont été plus tard écrits, et qui à la fin sont « even [s]… e v it es t it s internationaux ».
Les lies et passeries étaient surtout importantes dans la chaîne pyrénéenne, où l’élevage jouait un rôle prépondérant dans l’économie des vallées.Victor Fairén Guillén explique le besoin d’avoir des accords pour pouvoir régler les conflits qui pouvaient advenir: « En todo tiempo, entre las disposiciones comprendidas en los grandes Convenios faceros, han destacado las referentes a la ganadería. Siendo ésta una de las principales fuentes de riqueza de los pueblos pirenaicos, se hacía lógico el proveer a su más cómoda y pacífica explotación, evitando litigios o previendo los medios de zanjar justamente los que surgieran. Las dificultades del terreno, la complicación del mismo, los a veces extraños linderos de cada comunidad, la diferente riqueza en ganados y pastos de los Valles vecinos, todo esto propendía a producir conflictos, y de no presidir las relaciones de los Valles y lugares un verdadero espíritu de paz, tales conflictos podían tener consecuencias muy graves. Algunos, las tuvieron. Era preciso tomar serenas precauciones para evitar su repetición. »
Les faceries peuvent comprendre les droits de pacage entre voisins soit à la frontière, soit dans des terres communes . De Arvizu explique les différents types de faceries : « Estas pueden ser de día y noche, en cuyo caso se puede dejar el ganado en el monte durante todo el tiempo de disfrute; y de sol a sol, en la que se obliga al propietario del ganado a llevarlo a los pastos no antes de la salida del sol, y a retirarlos antes de su puesta ».
La facerie établie par la Junte de Roncal est une des secondes : de soleil à soleil.
Cela veut dire que les troupeaux français peuvent pâturer dans les terres espagnoles pendant la journée, mais il faut qu’ils rentrent aux terres françaises avant le coucher du soleil. C’est un vrai accord international, car la frontière est franchise tous les jours, selon le temps indiqué.
Les tribunaux
Monsieur Fernando Hualde explique comment les habitants de la montagne trouvaient des solutions pour régler ensemble leurs problèmes. Le « tribunal » était un des moments de la journée de la Junte de Roncal. Ainsi, après avoir juré la « paix dorénavant », les jurats entendaient les plaintes des uns et des autres. Ces tribunaux avaient lieu une fois par an ; ils permettaient aux bergers présents sur la zone gérée par la lie et passerie de se rencontrer et de régler ensemble les objets de litige :
« Si recorremos todo el Pirineo, nos encontramos, con que era muy habitual que los valles, una vez al año, se reuniesen las autoridades de un valle con las de otro. Valles fronterizos, de tal manera que una vez al año, se juntaban en un punto intermedio, y a í n… e os o em s q e í n teni o, n e s so ciones q e í n ic o s s o em s, se esc c n s q ej s… Y se buscaban siempre soluciones. »
Ce type de pratique n’est pas tombé dans l’oubli ; si elle apparaisse placée dans une histoire révolue et décrite de façon très claires et cadrées dans le témoignage de notre interlocuteur, aujourd’hui ce type de comportement existe toujours mais il s’exprime sous une autre forme. Les villages continuent à avoir ce type de rencontres, par exemple la première sortie de terrain qui m’a été donnée de faire fut à l’occasion d’un de ces rendezvous. On est allé à Isaba, où on a assisté à une réunion entre l’alcalde d’Isaba, Monsieur Ángel Luis de Miguel Barace, et le maire d’Arette, Monsieur Pierre Casabonne, et d’autres représentants des deux villages. Pendant ces rencontres, ils ont discuté de leurs problèmes, qui sont souvent similaires, et ils ont essayé de trouver des solutions en commun.
Un élément très important et central dans ce type contrat c’est la valeur symbolique de la parole et plus exactement de la parole proclamée, entendue de tous. C’était la valeur de la parole qui donnait de l’authenticité à ces rencontres. Les gens venaient en confiance avec leurs problèmes, et ils se mettaient d’accord avec les solutions proposées : « E e g n v o e … [E ] e momento e eivin ic e v o e . Y emás e eso, o q e se cí , e nom en es s j nt s… os g s para vigilar que no sucediera ningún problema de esos. »
D’autres versions sur l’origine du Tribut
Avant de m’engager sur le terrain en Espagne, j’ai lu la littérature disponible en France à propos des origines de la Junte de Roncal. Dans sa thèse sur le Tribut des trois vaches, Robert Le Blant résume deux versions plus anciennes. Ces récits sont ceux d e l’historien espagnol du XVIe siècle Esteban Garibay en 1571, ainsi que celui de l’historien béarnais du XVIIe siècle Pierre de Marca en 1640, qui conteste les affirmations du premier.
En 1986, Michel Papy explique qu’il y a « deux explications traditionnelles du [T]ribut des trois vaches » : la raison économique, dont on définit la gestion du territoire, et la raison de guerre, car après tout c’est un « tribut » dû aux Espagnols. Ayant pris connaissance de ces documents, j’étais sûre de connaître toutes les versions sur l’origine du Tribut.
Néanmoins, quand je suis arrivée en Espagne, j’ai posé les mêmes questions que j’avais déjà posées aux habitants d’Arette : j’ai entendu de nouvelles versions étonnantes. Tous les Espagnols avec qui j’ai parlé ont insisté sur le fait que le Tribut n’a été seulement établi pour définir la gestion du territoire, mais que c’était sans aucun doute un tribut de guerre.
Dans la littérature espagnole, j’ai trouvé juste un récit sur l’histoire de l’invasion des Cimbrios (les Cimbres) y compris le rôle des Barétounais, que Messieurs Ángel Luis de Miguel Barace et Fernando Hualde m’ont raconté, à ma grande surprise.
Bernardo Estornés Lasa écrit que dans son livre Val-de-Roncal, l’écrivain royal Monsieur Juan Martín Hualde , attribue l’origine du Tribut des trois vaches à cette invasion, qui a eu lieu environs 125 ans avant Jésus-Christ :
« Los cimbrios, pueblos bárbaros del norte de Alemania, invadían España, unidos a los habitantes del valle de Baretons y pasaban por los puertos de Isaba. Cruzaron el valle de Norte a Sur, matando mucha gente y arrasando por medio del fuego todas sus casas y viviendas, hasta que, reuniéndose un regular número de españoles, atacaron a la bárbara expedición hasta derrotarles y hacerles volver por el mismo camino que t je on ent en Es ñ …
…Des e entonces os onc eses q e on m in ign os cont s s vecinos los baretonenses, por lo cual se acentuaron los odios y se terminó por romper implacable guerra, hasta que los franceses ofrecieron dar al valle del Roncal, para que terminase la guerra, un tributo perpetuo ».
Ce tribut est en fait plus compliqué, car au lieu des trois vaches dont on a toujours parlées, le paiement devait être deux chevaux, avec des pâtes blanches et une tache blanche sur le front . Les Roncalais ont accepté le Tribut, car ils voyaient que c’était humiliant pour les Barétounais vu qu’il était difficile de trouver des chevaux avec de telles conditions. Le tribut a donc changé de deux chevaux à trois vaches de deux ans « sans taches ni défauts ».
Ainsi, on a les deux versions. La première c’est que le Tribut ce n’est qu’un accord qui donne le droit aux bergers de la vallée de Barétous d’aller pacager en Espagne, avec la rémunération de trois vaches chaque année. La seconde est celle qui insiste sur le fait que c’était un tribut de guerre, et c’est pour cette raison qu’il faut le payer à perpétuité.
La version la plus communément acceptée c’est celle que j’ai trouvée à maintes reprises : c’était un accord pastoral, comme nombreux autres passeries, qui était simplement un paiement particulier, ce qui permet à Fairén Guillén de préciser :
LA CÉRÉMONIE AU PRÉSENT
Avant la cérémonie
Depuis que Monsieur Pierre Casabonne est devenu maire (13 ans), il fait une brève présentation historique au public qui assiste à la cérémonie . Il m’a expliqué qu’avant, les gens n’entendaient pas bien et ils ne comprenaient pas pourquoi et comment cela se passait.
En plus, la cérémonie déroule très vite ; cela ne prend qu’environ dix minutes.
Alors, pour que les gens se sentent récompensés d’être venus, il a pensé que cela serait sympathique d’avoir un petit historique avant la cérémonie. Il fait ce récit en français et en espagnol, pour que les gens des deux pays puissent comprendre. C’est aussi une façon de renforcer le fait que c’est une cérémonie transfrontalière : en représentant les langues des deux pays, on évoque également les deux pays.
Le déroulement
Les alcaldes espagnols se rassemblent dans une petite cabane qui se trouve juste derrière le lieu de la cérémonie et s’y préparent. Ils arrivent à midi pile sur le lieu de la borne 262, dit Pierre Saint Martin. Les maires et les élus français doivent déjà être là. Comme la borne démarque la frontière, les Espagnols se situent en terre espagnole, et les Français en terre française.
Le Secrétaire de la Junte (el Secretario General de la Junta del Valle de Roncal), qui c’est Monsieur Marcelino Landa depuis 1981, dirige la cérémonie. Il lit l’Acte de 1375, qui a peu changé à travers les années, et il demande aux Barétounais s’ils sont disposés à satisfaire les conditions imposées par l’Acte.
Ils répondent « oui », trois fois, et après les participants placent les mains sur la borne 262, en commençant par la main d’un Français, puis vient la main d’un Espagnol, et un Français, et comme cela, jusqu’à la fin, où l’alcalde d’Isaba place sa main au-dessus de toutes les autres. Il crie « Pax Avant » trois fois, l’ensemble des maires et alcaldes répètent, puis tous les élus et représentants signent l’acte qu’a amené le Secrétaire.
Les participants
Le vestimentaire
Il est évident que le 13 juillet, jour de la cérémonie de la Junte de Roncal, est un jour très important pour les deux vallées. Pierre Casabonne m’a bien confirmé cela en disant que « C’est n e fête n tion e e v e e to s » . Pour des fêtes nationales, ou comme dans les commémorations plus locales comme ici, en particulier car cette cérémonie qui tellement ancienne qu’elle implique une posture respectueuse face à l’instant solennel de la remémoration. Ce respect s’arbore par le vestimentaire des participants le jour de la Junte.
Le vestimentaire du côté français
Il y a bien longtemps que les élus français ne portent plus de costumes traditionnels et il n’y a pas eu, pendant très longtemps, une volonté de porter un costume qui pourrait se rattacher à la tradition béarnaise. Les élus portaient leurs costumes de ville, rehaussé de l’écharpe tricolore qui est l’insigne distinctif de l’élu du peuple. Depuis quelques années, il y a un consensus pour porter un costume noir, avec l’écharpe tricolore française.
En parlant avec Monsieur Pierre Casabonne, il m’a expliqué qu’il n’y a pas de descriptifs historiques des habits portés par les Barétounais en 1375. Cependant, les vêtements traditionnels du Béarn existent. Il m’a donné la description suivante : « …On ne c emise blanche du berger, un petit veston, une veste par-dessous, une g n e c e to e t i e…et e et, e et n is. Voi . On est habillé en habit traditionnel du Béarn ».
L’initiative prise par Monsieur Pierre Casabonne fait que l’ensemble des élus s’habille, aujourd’hui, de manière similaire, ce qui donne une certaine uniformité à la délégation française et surajoute au cérémonial qui est donné en cette journée commémorative. Avant que Monsieur Casabonne ne prenne cette décision chaque élu venait habillé de la façon qui lui plaisait, au mieux en costume de ville au moins bien en chemisette, jeans et chaussures de sport, la solennité du moment s’en trouvait entaché.
Les bergers
Pour les bergers, le jour de la Junte de Roncal est un événement de rencontre, car ils ne se voient pas forcément souvent pendant le reste de l’année.
C’est une véritable fête estivale au moment où les troupeaux sont en lactation et que les moments de loisirs sont rares. Cet événement autorise la rencontre entre bergers des deux côtés de la frontière. De plus, ce jour là, les familles « montent à la Pierre » et c’est le moment d’échanges entre ceux restés à la ferme ou ailleurs et ceux qui sont à l’estive.
Monsieur Joseph Libarle, agriculteur d’Arette, m’a expliqué que si lui et les membres de sa famille sont présents au moment de la cérémonie, ils ne participent pas au repas, car ils en profitent pour aller au restaurant à cause du fait que ce jour là est un jour spécial.
Ce que Monsieur Pierre Camou-Ambille, agriculteur d’Arette, m’a confirmé : « …[C’]est ’occ sion j e se voi ent e e ge s f nç is. Et ès q e q es bergers espagnols aussi qui viennent, mais comme ils sont de moins en moins nombre x, c’est tôt es e tions ent e e ge s, e ge s f nç is, et on, es gens de la vallée aussi qui montent ».
De plus, cette fête se place à des moments importants dans l’organisation de la tenue d’un troupeau, c’est le moment où l’ensemble des brebis se trouvent sur le plateau, c’est le moment où les pâturages du « countendè », versant espagnol, sont ouverts aux Français.
Pour la journée la cérémonie prend place quand la traite et les fromages sont terminés et que les troupeaux sont occupés à réaliser leur parcours dans la montagne, laissant aux bergers le loisir de prendre du temps avant que le travail ne recommence le soir venu.
La borne 262
La borne 262 est située juste à coté de la route qui permet le passage du col de la Pierre St. Martin ; elle a été construite en 1973 et fait le lien entre les deux villages d’Arette et d’Isaba.
Cette pierre-borne frontière, véritable « monument historique » de l’endroit, est plantée dans un espace aménagé : elle se trouve au centre d’un large cercle de dalles de schiste ce qui a pour effet de la mettre en valeur. À cause du grand nombre de touristes qui assistent à la cérémonie chaque année, il y a des barrières qui élargissent ce cercle et permettent surtout de distancer et contrôler le public.
La borne elle-même a des grands numéros sur une face et des signatures sur l’autre.
Elle n’est pas droite mais inclinée et les traces des années d’intempéries et des rudes hivers se laissent voir ; elle porte de nombreuses fissures.
Il semblerait qu’autrefois la borne était carrée, d’après le dessin qu’en donne le quotidien Le Petit Parisien de 1893. En plus, dans une gravure du Tribut qui se trouve dans l’église d’Isaba, la borne qui est montrée est bien une borne carrée.
La perpétuité de la Junte de Roncal
La Junte de Roncal a deux raisons principales pour poursuivre jusqu’à perpétuité la sentence arbitrale de 1375. La première raison c’est que c’est un des traités les plus vieux d’Europe . Sa permanence dans le temps indique que c’est un accord des plus importants pour les deux vallées concernées. La deuxième raison c’est que la Sentence Arbitrale d’Ansó détermine que cela sera un accord qui devra être perpétuel. Ainsi, le Tribut des trois vaches devra être payé pour toujours.
Avant la délimitation de la frontière entre la France et l’Espagne, ces accords se faisaient déjà et ils étaient respectés entre vallées, comme des affaires privées à elles. Quand le traité des Pyrénées a formalisé la frontière étatique, des solutions ont été cherchées pour pouvoir intégrer ces accords dans les registres de lois. Dans son étude sur la frontière francoespagnole des Pyrénées, Jean Sermet explique comment et pourquoi la Junte de Roncal a été préservée dans le Traité des Limites de 1856 : « C’est cette com sc it q e e it es imites e 1856 eten e, o êt e vec celle de Roncal- to s ’ ne es e x se es « perpétuelles » reconnues par les deux Et ts. S ns o te ’ ne et ’ t e ent-e es cette f ve f it e n’ voi j m is co s es sièc es ovoq e contest tions. A ’inve se, es Commiss i es v ient conclu que beaucoup des litiges frontaliers provenaient de faceries perpétuelles conse v es en ve t ’ cco s nciens ne co es on nt s x con itions présent ; c’est o q oi ’ tic e 13 it v it c s « abolis et de nulle valeur » te s cont ts, s f es e x mentionn s, et ’ tic e 14 n’ v it torisé de nouvelles faceries que pour une période, renouvelable, de cinq années. »
La Junte de Roncal est une de deux passeries qui ont été conservées par des raisons exceptionnelles . La seconde c’est celle de la vallée d’Aezcoa et du pays de Cize, établie en 1556 . Ces deux faceries sont toujours en vigueur actuellement et ont comme condition de renouvellement, la perpétuité.
LA CÉRÉMONIE AU PRÉSENT
Avant la cérémonie
Depuis que Monsieur Pierre Casabonne est devenu maire (13 ans), il fait une brève présentation historique au public qui assiste à la cérémonie . Il m’a expliqué qu’avant, les gens n’entendaient pas bien et ils ne comprenaient pas pourquoi et comment cela se passait.
En plus, la cérémonie déroule très vite ; cela ne prend qu’environ dix minutes.
Alors, pour que les gens se sentent récompensés d’être venus, il a pensé que cela serait sympathique d’avoir un petit historique avant la cérémonie. Il fait ce récit en français et en espagnol, pour que les gens des deux pays puissent comprendre. C’est aussi une façon de renforcer le fait que c’est une cérémonie transfrontalière : en représentant les langues des deux pays, on évoque également les deux pays.
La messe
Avant le déroulement de la cérémonie, il y a une messe, fait à côté de la borne 262.
Cet office religieux est un ajout récent mais il s’inscrit de façon naturelle dans cette célébration qui est une célébration de paix, paix renouvelée trois fois par la formule « pax avant ».
Hormis l’aspect classique de la célébration religieuse, il est intéressant de souligner que les langues de la liturgie de ce jour précis recoupent les langues de la cérémonie. Français, espagnol, basque et béarnais sont tour à tour prononcés par les trois prêtres présents.
|
Table des matières
Remerciements
Avant-propos
Introduction
Partie I : En découvrant le terrain
Partie II : Barétous et Roncal : Une histoire complexe
Partie III : Une cérémonie vivante, consacrée à perpétuité
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Télécharger le rapport complet