FACTEUR TRAVAIL DU SOL
Le second facteur de travail du sol comparait deux instruments de travail du sol, soit : le chisel et la charrue à versoir. La couche de sol travaillée par le chisel était de 0 à 15 cm de profondeur, alors que la charrue travaillait la couche de sol De 0 à 20 cm. Ces travaux primaires du sol étaient effectués à chaque automne pour la céréale en continu (CC) et à l’automne de la troisième année (F2) pour la céréale en rotation (CG).
FACTEUR FERTILISATION
Le troisième facteur comprenait deux types de fertilisation, soit : l’engrais minéral et l’engrais organique (lisier de bovin). Le lisier et l’engrais minéral étaient appliqués en surface, avant le semis de l’orge. Un seul passage de herse à dents permettait ensuite d’incorporer les engrais dans le sol (jusqu’à 5 cm) et permettait ainsi de préparer le lit de semence. Les parcelles en fourrage (F1 et F2) ne subissaient pas cette incorporation, bien qu’elles aient reçu également de l’engrais minéral et organique. La fertilisation avec le traitement minéral des parcelles cultivées en orge était de 70 kg N ha-1 sous forme de nitrate d’ammonium (NH4NO3), de 40 kg ha-1 de pentoxyde de phosphate (P2O5) sous forme de superphosphate triple (CaH4P2O8) et de 74 kg ha-1 d’oxyde de potassium (K2O) sous forme de chlorure de potassium (KCl). Dans le cas des parcelles en F1 et F2, la fertilisation minérale était de 74 kg N ha-1 de NH4NO3 (variant de 65 à 80 kg total d’N ha-1), de 40 kg ha-1 de P2O5 et de 140 kg ha-1 de K2O. La seconde application de NH4NO3 après la première coupe des fourrages était en moyenne de 46 kg N ha-1 (variant de 65 à 80 kg total d’N ha-1). L’engrais organique, soit le lisier de bovin, était obtenu auprès d’une ferme laitière de la région.
Le lisier frais était épandu à un taux de 50 m3 ha-1 dans toutes les parcelles et 30 m3 ha-1 était appliqué dans les parcelles F1 et F2 après la première coupe du fourrage de 1996 à 2009 (30 m3 ha-1 était également appliqué en 2000 suite à une seconde coupe du fourrage). Dans les parcelles avec de l’orge, le lisier procurait en moyenne 103 kg N total ha-1 an-1 (variant de 73 à 153 kg N total ha-1 an-1). Alors que dans les parcelles en F1 et F2, le lisier procurait en moyenne 153 kg N total ha-1 an-1 (variant de 73 à 242 kg N total ha-1 an-1) (Lafond et al. 2017).
ÉCHANTILLONNAGES DES PARCELLES
Deux types de mesure ont été effectués afin de mesurer la minéralisation in-situ (c.-à-d. sur le site en conditions réelles) de la MO : la MBN et la DL. Pour cette étude, seulement les parcelles en phases « céréale » (CC et CG) ont été échantillonnées (n = 32) (figure 1).
MINÉRALISATION BRUTE DE L’AZOTE
La technique de dilution isotopique décrite par Davidson et al. (1991) et Hart et al. (1994) a été utilisée afin de mesurer la MBN. Quatre périodes d’échantillonnage couvrant deux années ont été réalisées soit : le 8-9 juin 2015, 14-15 juillet 2015, 16-17 juin 2016 et le 14-15 juillet 2016. L’orge, à chacune de ces périodes d’échantillonnage, était selon l’échelle Zadok (Larsen et Smith 2015) de : Z12 (tallage), Z34 (élongation de la tige), Z14 (tallage) et Z43 (gonflement), respectivement. À chacune de ces périodes, le sol a été prélevé dans des cylindres de plastiques de 5 cm de diamètre sur une profondeur de 5-15 cm à l’aide d’un marteau à coulisse. Pour chacune des parcelles échantillonnées, deux cylindres de sol ont été prélevés, pour un total de 64 cylindres par période d’échantillonnage. Ces cylindres de sol étaient ensuite tous injectés uniformément à l’aide d’une aiguille à ouverture latérale de type side-port (15 cm de long, Cadence Science®, Cranston, Rhode Island, États-Unis) 7 fois 1,4 mL par injection (9,8 mL au total) d’une solution contenant de l’N isotopique 15N (30 mg L-1 de sulfate d’ammonium [(NH4)2SO4] 99 % d’atome 15N).
Les cylindres ont été par la suite refermés à chacune de leurs extrémités à l’aide de capsule de plastique. Par la suite, la moitié des cylindres ont été incubés pendant 15 min à l’ombre alors que l’autre moitié des cylindres était incubée in situ dans le sol pendant 24 h à une profondeur de 5-15 cm (dans les trous laissés par l’échantillonnage). Après l’incubation (soit 15 min ou 24 h), chacun des cylindres a été vidé et le sol contenu à l’intérieur a été homogénéisé manuellement dans un sac de plastique. Un sous échantillon de sol (~10 g) a servi pour déterminer la teneur en eau gravimétrique du sol en utilisant la technique de Topp et al. (2008) (105 °C pendant 24 h). Un autre sous échantillon de sol (~25 g) a été ensuite ajouté à une solution de KCl 2 M (100 mL) afin d’arrêter les processus biogéochimiques s’y déroulant et afin d’en extraire l’N minéral du sol incubé. Les extraits de sol ont été mélangés pendant 30 min à 1 tour par seconde puis filtrés à l’aide d’un papier Whatman® #1. Une partie de ce filtrat a été analysée par colorimétrie à la Ferme de recherche d’AAC à Normandin, Québec, Canada pour déterminer les concentrations en ammonium (N-NH4+) (Lachat Instruments, Quickchem® méthode 12-107-06-2-A).
Dans un second temps, le filtrat a été analysé pour en connaître le ratio isotopique de l’ammonium. Pour ce faire, un disque de papier Whatman® #3 était d’abord sectionné en petits disques (6 mm de diamètre). Chacun des disques fut alors imbibés de 10 μL d’acide sulfurique (H2SO4) et scellés entre deux rubans de téflon. Ce ruban de téflon était ensuite inséré dans une bouteille Nalgene TM contenant 30 mL de filtrat. De l’oxyde de magnésium (MgO) était alors ajouté (~0,2 g) dans la bouteille pour rendre la solution basique et ainsi transformer l’ammonium en ammoniaque gazeux. Le disque acidifié présent dans le ruban de téflon recueillait alors l’ammoniaque gazeuse. C’est pourquoi la bouteille était directement refermée après l’ajout du MgO. Le contenue de la bouteille était brassé pendant 7 j (jour) puis le ruban de téflon était retiré de la bouteille puis séché à l’étuve à 50 °C pendant 1 h. Chacun des disques était ensuite emballé dans une capsule d’étain pour les analyses isotopiques. Les analyses isotopiques ont été réalisées à l’Université de la Saskatchewan. Pour résumer, le ratio (15N-NH4+ / 14N-NH4+) diminuait au fur et à mesure que les microorganismes du sol minéralisaient du 14N-organique (il y a très peu de 15N-organique naturellement dans le sol) en 14N-minéral. Les taux de MBN (en mg N-NH4+ kg-1 sol j-1) étaient calculés à l’aide de la formule proposée par Hart et al. (1994) (équation 1).
DÉCOMPOSITION DE LA LITIÈRE
La méthode des sachets de litière (« litter bag ») a été utilisée afin de mesurer la DL (Beyaert et Fox 2008). Pour résumer, cette méthode permet d’évaluer la perte de masse à la suite d’une incubation d’un échantillon de litière préalablement pesé. Pour ce faire, les échantillons de litière étaient insérés dans le sol, puis récupérés après différents intervalles de temps afin de mesurer la perte de masse (décomposition) effectuée par les organismes du sol. Les sachets de litière (11 x 11 cm) étaient confectionnés à partir d’une moustiquaire en fibre de verre dont la dimension des mailles était de 1 mm.
La litière utilisée était de la paille d’orge sèche de 5 à 10 cm de longueur. La quantité de paille insérée dans les sachets a été déterminée selon la masse moyenne de paille d’orge produite par unité de surface à Normandin de 2003 à 2015, soit de 2 253 kg ha-1. En rapportant cette quantité à la surface d’un des sachets (~100 cm2), il était possible de déterminer que ceux-ci devaient contenir 2,25 g de paille d’orge (initiale non sèche). Des étiquettes étaient reliées par un fil à chacun des sachets de litière afin de faciliter leur identification et leur récupération. Dans chacune des parcelles en CC et CG pour l’année 2015 et 2016, six sachets étaient enterrés en position horizontale à une profondeur de 5 à 10 cm. À la suite de quoi, ces sachets ont été récupérés à différentes dates (tableau 1). En 2015, la première série de sachets avait été récupérée le jour même de l’implantation afin de mesurer la perte de paille due à la manipulation des sachets (traveller bags) (tableau 1). En date du 31 août 2016, deux séries de sachets ont été récoltées de façon combinée (tableau 1). Une dernière série de sachets a été récoltée en mai 2017, mais n’a pas été mesurée en raison de l’arrivée tardive de ces données dans le cadre de la rédaction de ce mémoire (tableau 1). Il est à noter que tous les sachets ont été retirés le 25 septembre 2015 pour être ensuite réimplantés le 15 octobre 2015 afin de faciliter la réalisation du travail du sol automnal.
Les échantillons de paille recueillis étaient ensuite lavés à l’eau non distillée sur un tamis dont les mailles étaient de 0,5 mm pour en retirer les particules de sol. La paille lavée était ensuite séchée à l’étuve à 55 °C pendant 24 h. L’échantillon était ensuite pesé de nouveau pour en obtenir la masse finale sèche. Il était néanmoins nécessaire d’ajuster la valeur de la masse mesurée. Tout d’abord, il fallait ajuster à la baisse la masse (g) de paille initiale non sèche en fonction du pourcentage moyen d’humidité (déterminée par séchage à l’étuve à 55 °C pendant 24 h) de celle-ci afin d’obtenir la masse de paille sèche initiale (équation 2). Suite à quoi il fallait ajuster la masse (g) de la paille finale en fonction de l’effet du transport et de la manipulation des sachets qui fut déterminé par la différence de masse des traveller bags avant et après leur insertion dans le sol (équation 3). Avec ces deux données ajustées, la masse de paille (g) sèche décomposée était déduite (équation 4). Par ailleurs, il est possible de convertir la quantité de paille décomposée en pourcentage (équation 5) pour obtenir une proportion de la DL représentative à l’échelle du champ. Par la suite, la paille a été analysée pour en connaître les teneurs en C et en N. Pour ce faire, les échantillons étaient préalablement broyés à 1 mm et séchés à 85 °C pendant 2 h avant d’être mesurés dans un analyseur de CNS de LECO®. Il a donc été possible de calculer le pourcentage de C (équation 6) et d’N (équation 7) décomposés de la paille à chacune des dates de récupération.
ANALYSES STATISTIQUES
L’analyse de la variance (ANOVA) a été effectuée en utilisant un modèle en tiroir. Les facteurs fixes de l’étude étaient la rotation de culture (RC), le travail du sol (TS), la fertilisation (FT) et la date de récolte des échantillons (DT) alors que le facteur bloc était aléatoire. Le test a posteriori de Tukey a été utilisé pour les croisements de facteurs ayant présenté une différence significative avec l’ANOVA. Les DT ont été évalués pour l’année 2015 et 2016 de manière séparée et combinée (moyenne des deux années ensemble). Les variables à l’étude étaient la MBN (mg N-NH4+ kg-1 sol j-1), la proportion de paille décomposée (%), la proportion de C décomposé de la paille (%) et la proportion d’N décomposé de la paille (%). La normalité et l’homogénéité de la variance ont été évaluées au préalable à l’aide du test de Shapiro-Wilks et par une analyse de la distribution des données, de leur homogénéité et de leurs résidus. Les données de MBN étaient normalisées par une transformation racine cubique alors que les données de décomposition de la litière étaient normalisées par un log10(x+50). Toutes les analyses statistiques ont été effectuées à l’aide du logiciel R, version 3.3.2.
RÉSULTATS
Les résultats des tests statistiques (ANOVAs complètes) sont présentés à l’annexe A.
LA MINÉRALISATION BRUTE DE L’AZOTE
Les taux de MBN ont été supérieurs dans les parcelles en CG plutôt qu’en CC, soit une différence entre les moyennes de 5 mg N-NH4+ kg-1 sol j-1 pour l’ensemble des années (figure 2). Les travaux de sol n’ont pas présenté un taux moyen de MBN significativement différent (figure 2). La fertilisation organique présente un taux moyen de MBN supérieur de 4 mg N-NH4+ kg-1 sol j-1 par rapport au traitement minéral pour l’ensemble des années (figure 2). En 2015, les taux moyens de MBN ont été supérieurs de 8 mg N-NH4+ kg-1 sol j-1 lors du mois de juillet par rapport au mois de juin (figure 3). Pour 2016 et pour les années combinées 2015 + 2016, il n’y avait pas de différence entre les mois (figure 3). Pour l’année 2015, la combinaison de traitement CG-charrue a présenté un taux moyen de MBN significativement supérieur de 8 mg N-NH4+ kg-1 sol j-1 par rapport aux traitements CC-chisel et CC-charrue, respectivement (figure 4). Par ailleurs, le taux moyen de MBN n’a pas été significativement différent entre les traitements CC-chisel, CC-charrue et CG-chisel ainsi qu’entre les traitements CG-chisel et CG-charrue (figure 4).
LA DÉCOMPOSITION DE LA LITIÈRE
PAILLE DÉCOMPOSÉE
En 2015, la proportion moyenne de paille décomposée a été significativement supérieure de 4 % lorsque la céréale était cultivée en rotation (CG) plutôt qu’en continu (CC) (figure 5). Pour l’année 2016 et les années combinées 2015 + 2016, la rotation des cultures n’a pas affecté significativement la proportion de paille décomposée (figure 5). Les travaux de sol n’ont pas présenté une proportion moyenne de paille décomposée significativement différente, et ce, pour toutes les années à l’étude (figure 6). En 2016, la fertilisation organique présente une proportion moyenne de paille décomposée significativement plus élevée de 2 % comparativement à la fertilisation minérale (figure 5). Toutefois, pour l’année 2015 et les années combinées 2015 + 2016, la proportion moyenne de paille décomposée n’était pas significativement différente entre les fertilisations (figure 5). Pour toutes les années à l’étude, la décomposition de la paille a significativement progressé au cours du temps écoulé depuis la date d’enfouissement des sachets (figure 6). Entre le 25 septembre 2015 et le 18 mai 2016, la proportion moyenne de paille décomposée est demeurée similaire (figure 6). La décomposition de la litière n’a donc pas eu lieu (non significatif) durant les périodes automnales et hivernales. En 2015, pour la cinquième date de récupération, la proportion moyenne de paille décomposée était significativement plus élevée de 11 % en CG plutôt qu’en CC (figure 7). Toujours en 2015, en fonction de la rotation de culture, la proportion moyenne de paille décomposée n’a pas été significativement affectée aux quatre premières dates de récupération des sachets (figure 7).
CARBONE DÉCOMPOSÉ DE LA PAILLE
En 2015, la proportion moyenne de C décomposé de la paille a été significativement plus élevée de 3 % en CG plutôt qu’en CC (figure 8). En 2016 et pour les années combinées 2015 + 2016, le facteur rotation de cultures n’a pas affecté significativement la proportion moyenne de C décomposé de la paille (figure 8). Par ailleurs, la proportion moyenne de C décomposé de la paille n’était pas significativement affectée par les différents travaux de sol ou les différentes fertilisations, et ce, pour toutes les années de l’expérience (figure 8). La proportion moyenne de C décomposé de la paille a augmenté au cours du temps (figure 9). Toutefois, entre le 25 septembre 2015 et le 18 mai 2016, la proportion de C décomposé de la paille est demeurée similaire (figure 9). De même, en 2016, les deux premières dates de récupération n’avaient pas une proportion moyenne de C décomposé de la paille significativement différente entre elles (figure 9). De même, pour les années combinées 2015 + 2016, seules les deux premières dates de récupération ne présentaient pas une proportion moyenne de C décomposés de la paille significativement différente entre elles (figure 9). Pour 2015, à la cinquième date de récupération des échantillons, la proportion moyenne de C décomposée de la paille était significativement supérieure de 11 % pour le traitement CG plutôt que le traitement CC (figure 10).
AZOTE DÉCOMPOSÉ DE LA PAILLE
La proportion moyenne d’N décomposé de la paille a été significativement supérieure lorsque la céréale était cultivée en rotation (CG) par rapport à la céréale cultivée en continu (CC) soit de 3 % pour l’année 2015 et 2016. Les traitements de rotation ne présentaient toutefois pas de différences significatives pour les années combinées 2015 + 2016 (figure 11). Dans le cas des années combinées 2015 + 2016, seul les quatre premières dates de chaque année sont prises en compte. Cela exclut la cinquième date de 2015 et explique ainsi l’absence de différences significatives pour les années combinées. Le traitement charrue présente une proportion moyenne d’N décomposé supérieure de 3 % pour l’année 2016 et de 4 % pour les années combinées 2015 + 2016 par rapport au traitement chisel, mais est similaire en 2015 (figure 11). La proportion moyenne d’N décomposé de la paille n’était pas affectée par le type de fertilisation, et ce, pour toutes les années de cette étude (figure 11). En 2015, la proportion moyenne d’N décomposé a augmenté avec le temps, bien que la première et la cinquième date ne soient pas significativement différentes (figure 12). En 2016, la proportion moyenne d’N décomposé a été comparable pour toutes les dates de récupération à l’exception de la dernière où la valeur était significativement plus faible que les autres dates (figure 12). Les dates de récupération pour les années combinées 2015 + 2016 présentaient peu de différence de proportion moyenne d’N décomposé de la paille, avec seulement la troisième date qui est significativement supérieure de 4 % par rapport à la première date (figure 12). En 2015, la proportion moyenne d’N décomposé de la paille était significativement supérieure de 8 % pour la combinaison de traitement charrue-minéral par rapport à la combinaison chisel-minéral (figure 13). Ces mêmes combinaisons de traitements (charrue-minéral et chisel-minéral) n’étaient pas significativement différentes par rapport aux combinaisons chisel-organique et charrue-organique (figure 13).
Pour l’année 2015, la proportion moyenne d’N décomposé de la paille était similaire au sein de chacune des dates de récupération à l’exception de la cinquième date où le traitement CG a été significativement supérieur de 11 % au traitement CC (figure 14). Lors de l’année 2016, la proportion moyenne d’N décomposé de la paille a été significativement supérieure de 10 % pour le traitement CG par rapport à CC seulement à la deuxième date de récupération des échantillons (figure 15). Pour les années combinées 2015 + 2016, la proportion moyenne d’N décomposé de la paille supérieure de 8 % pour le traitement CG par rapport à CC seulement à la deuxième date de récolte combinée des échantillons (figure 16). En 2015, même si le test d’ANOVA a présenté une différence, le test a postériori de Tukey n’a pas détecté de différence significative d’N décomposé de la paille entre le chisel et la charrue, et ce, pour chacune des dates de récupération (Figure 17).
DISCUSSION
FACTEUR ROTATION DE CULTURE
La présente étude a démontré que la MBN et la DL, deux processus représentant l’activité des organismes du sol, ont été significativement supérieurs lorsque la céréale était cultivée en rotation avec une prairie (CG) plutôt qu’une céréale cultivée en continu (CC) (figures 2, 5, 8 et 11). La présence prolongée de plantes fourragères pérennes (mélange de dactyle et trèfle rouge) dans un système de rotation avec une céréale serait à l’origine de l’activité biologique supérieure dans le sol (Fageria 2012). Nos résultats sont en accord avec ceux de l’étude d’Attard et al. (2016) où une prairie établie depuis huit ans a présenté une MBN équivalente au double de celle mesurée avec des plantes annuelles cultivées en continu. Les bénéfices de la rotation avec une prairie apparaissent trois ans suivant l’implantation, suggérant une communauté microbienne plus active lorsque le système racinaire s’est développé pleinement en profondeur (Attard et al. 2016). Les apports en MO labiles issus de la décomposition de la prairie peuvent également expliquer les hauts taux de MBN observés dans la rotation CG.
C’est ce que démontre une étude menée en France dans un loam limoneux où le sol avait un taux de MBN supérieur lorsque de la paille fraîche était incorporée au sol stimulant ainsi l’activité des microorganismes (Recous et al. 1998). Il a d’ailleurs été mesuré (sur le dispositif expérimental de la présente étude) que la proportion de C organique augmentait de 19 % dans les 50 premiers cm du sol cultivé en CG par rapport à la CC (Maillard et al. 2016). Par conséquent, nos résultats (combinés avec la précédente étude) suggèrent l’adaptation de la communauté microbiologique du sol à accélérer les processus de DMO pour compenser l’accumulation de résidus dans le sol. Nos résultats supportent également l’idée que les augmentations de rendements observées par Lafond et al. (2017) ont été occasionnés, en grande partie, par une capacité plus grande des sols sous CG à minéraliser de l’N organique en N minéral due à des réserves d’N organique conséquentes avec la rotation CG.
La rotation en CG avec l’emploi d’une charrue a présenté une MBN significativement supérieure à la majorité des autres combinaisons de traitement (figure 4). La faible fréquence des travaux de sol (une année sur trois en CG) et l’importante remise en circulation des nutriments (avec la charrue) a pu causer cette hausse spécifique d’activité microbiologique du sol (Recous et al. 1998; Balesdent et al. 2000). Par conséquent, nos résultats sont en accord avec ceux présentés par Lafond et al. (2017) où la combinaison CG-charrue a permis l’atteinte de plus grands rendements en grain.
FACTEUR TRAVAIL DU SOL
Les traitements chisel et charrue à versoir n’ont pas présenté de différences significatives pour le taux de MBN, la DL et la proportion de C décomposé de la paille (figures 2, 5 et 8). Ces résultats sont en accord avec une étude menée avec plusieurs sols de l’Est du Canada où le chisel et la charrue à versoir n’ont pas influencé significativement l’accumulation de MO (et donc possiblement la DMO) dans les sols (Angers et al. 1997). Dans un même ordre d’idée, l’étude de Valboa et al. (2015) menée en Italie sur un loam a démontré que la proportion de C organique a été similaire dans les 40 premiers cm du sol subissant autant l’action d’une charrue que d’une herse à disques. Ces tendances peuvent s’expliquer par l’importante similitude entre les différents travaux de sol. S’il est connu que le chisel et la charrue redistribuent tous deux les résidus dans le profil de sol (avec toutefois des intensités différentes, où charrue > chisel), pour sa part l’absence de travail du sol (ex. : semis direct) ne cause pas de redistribution spatiale des nutriments et engendre souvent des taux plus bas de MBN (Morris et al. 2010) et de DL (Angers et al. 1997).
De plus, en l’absence d’un travail du sol (ex. : semis direct), la MBN s’opère de façon relativement constante dans le temps, à la différence d’un travail du sol conventionnel où les processus de MBN s’accélèrent directement après le labour qui favorise un meilleur contact entre la MO fraîche et les microorganismes qui procèdent à sa minéralisation (Francis et al. 1992; Six et al. 2004). De la même manière, la DL est souvent stimulée à la suite de la réalisation des travaux de sol (Beyaert et Voroney 2011; Van Eerd et al. 2014). Si les mesures avaient été prises peu de temps après l’application des travaux de sol, des différences auraient pu être décelées.
La présente étude porte sur les premiers 15 cm du sol et, de ce fait, n’évalue pas les processus biogéochimiques qui s’opèrent plus en profondeur. Par exemple, Angers et al. (1997) ont déjà démontré que l’utilisation de la charrue peut s’accompagner de concentrations en C et en N supérieures dans les couches sous-jacentes (>20 cm) du sol. En somme, puisque la présente étude n’évalue pas l’absence de travaux de sol (ex. : semis direct) et que le chisel et la charrue sont similaires quant à la profondeur du travail du sol (15 cm versus 20 cm), cela peut expliquer pourquoi il n’a pas été possible d’observer de différences significatives au niveau des travaux de sols pour la MBN mesurée en surface (5-15 cm). Toutefois, nos résultats indiquent que l’N de la paille s’est plus décomposée avec le traitement charrue plutôt qu’avec le chisel (figure 11). Plusieurs études soulignent que l’utilisation de travaux de sol agressifs réduit l’accumulation d’N organique dans le sol sur le long terme (Cambardella et Elliott 1993; Nyborg et al. 1995; Balesdent et al. 2000) puisque la MO dans la couche affectée par les travaux de sol est physiquement plus exposée à l’activité des microorganismes du sol par le fractionnement des agrégats (Balesdent et al. 2000; Beyaert et Voroney 2011; Van Eerd et al. 2014).
En effet, un sol à texture argileuse et un climat froid et humide peuvent ralentir considérablement la MBN et donc, permettre l’accumulation d’N organiques dans le sol (Paré et al. 2015). Par exemple, une étude menée sur 34 sites en prairie dans l’est du Québec a démontré que les sols riches en argile et en limon emmagasinaient beaucoup plus d’N et de C organiques (N et C potentiellement minéralisables) comparativement aux sols riches en sable (Sbih et al. 2003). De plus, nos résultats indiquent que la combinaison charrue avec une fertilisation minérale a présenté une proportion d’N décomposée de la paille significativement supérieure en comparaison à la combinaison chisel avec fertilisation minérale (figure 13).
Il est maintenant connu (résultats issus du même dispositif) que le sol travaillé par la charrue et amendé par l’engrais minéral peut présenter de plus faibles réserves en N organique (Maillard et al. 2016). Par conséquent, il est possible que les microorganismes compétitionnent davantage pour l’N organique du sol lorsque des combinaisons de traitements ne favorisent pas son accumulation dans le sol, d’où la décomposition conséquente de l’N issu de la paille dans les parcelles labourées et sous fertilisation minérale (figures 11 et 13). Par ailleurs, l’étude de Maillard et al. (2016) souligne que les travaux de sol n’ont pas influencé le C organique du sol, mais que la fréquence des travaux, en fonction du système de rotation des cultures, influence davantage la décomposition. L’interaction de ces deux facteurs peut donc expliquer en grande partie la dynamique des réserves en nutriments du sol.
FACTEUR FERTILISATION
De manière générale, l’application d’un engrais organique (comparativement à l’engrais minéral) a augmenté la MBN et a eu un effet légèrement positif sur la DL (figures 2 et 5). Ces résultats sont en accord avec plusieurs études portant sur la MBN (N’Dayegamiye et al. 1997; Habteselassie et al. 2006; Odlare et al. 2014) et la DL (N’Dayegamiye 2009; Angers et al. 2010). Une étude menée en Suède sur un sol argileux Eutric Cambisol (classification de la FAO), dont la concentration en MO était généralement faible, a démontré que l’application d’engrais organiques augmente significativement la minéralisation de l’N (Odlare et al. 2014). Une seconde étude, celle-ci menée en Utah aux États-Unis, a apporté des conclusions similaires où le lisier de bovin a constitué une source constante d’N minéralisable, et ce, sur le long terme (Habteselassie et al. 2006).
En effet, les apports en composés organiques (à la différence de l’engrais minéral) augmentent la proportion d’N organique labile dans le sol et stimulent les processus de décomposition s’y rattachant (Habteselassie et al. 2006). Une autre étude, celle-ci menée au Québec dans un loam limoneux, a démontré que l’apport d’engrais organiques plutôt que minéraux augmente plusieurs propriétés biologiques du sol telles que la minéralisation de l’N [ici évaluée indirectement par une mesure du nitrate (NO3-)], la respiration microbienne ainsi que la biomasse microbienne (N’Dayegamiye et al. 1997). Par ailleurs, les apports en engrais organiques augmentent significativement les teneurs en C et en N du sol sur le long terme, en comparaison à l’apport d’engrais minéraux (N’Dayegamiye et al. 1997; Maillard et al. 2016).
Les hauts taux de MBN mesurés par la présente étude ont donc été causés, en partie, par l’application de lisier de bovin dont les effets sont connus pour stimuler l’activité microbiologique du sol, surtout dans le cas où les réserves en N sont importantes comme avec l’application de lisier de bovin (Maillard et al. 2016).
Pour ce qui est de la DL, certains résultats issus de la littérature se dirigent dans le même sens que nos travaux. En effet, une étude menée au Québec sur un loam argileux de série Ste-Rosalie et sur un loam sableux de série St-Jude a démontré que l’application d’engrais organiques a pour effet de stimuler la DL puisqu’en plus d’un apport de MO facilement minéralisable, améliore la structure, l’aération et la capacité de rétention en eau du sol (N’Dayegamiye 2009). Dans une autre étude menée au Québec sur un loam limono-argileux, l’utilisation d’un fertilisant organique (lisier de porc) a stimulé la DL et la décomposition de la MO déjà présente dans le sol avant les applications (Angers et al. 2010), suggérant ainsi un effet catalyseur (« Priming Effect ») des engrais organiques sur la vieille MO (ou plus passive) du sol. Toutefois, nos résultats montrent que, comparativement à la rotation des cultures, le type de fertilisant utilisé a eu peu d’impact sur les variables relatives à la DL (figures 5, 8 et 11), corroborant ainsi, une fois de plus, les résultats issus du même dispositif montrant des effets relativement négligeables du type de fertilisation (versus la rotation) sur les rendements en grains de la culture annuelle (Lafond et al. 2017).
FACTEUR TEMPS
En 2015, la MBN a été supérieure en juillet plutôt qu’en juin, alors qu’en 2016, aucune différence n’a été observée entre les deux périodes d’échantillonnages (figure 3). Par ailleurs, les années 2015 et 2016 ont présenté une MBN généralement similaire (figure 3). Pour mieux comprendre ces tendances saisonnières, la précipitation totale et la température moyenne de la Ferme de recherche de Normandin ont été analysées pour ces périodes (figures 18 et 19 en annexe B). Les données climatiques soulignent qu’en 2015 les précipitations, tout comme la MBN, ont été supérieures durant le mois de juillet comparativement à celles de juin (figure 18 en annexe B), alors qu’en 2016, la MBN, les précipitations et la température moyenne sont relativement semblables entre juin et juillet (figures 18 et 19 en annexe B). À l’inverse des taux de MBN différent pour juin et juillet 2015, la température moyenne pour ces mois est similaire (figure 19 en annexe B). Cela suggère que les processus de MBN auraient été plus affectés par les précipitations que par la température moyenne en cette période de l’année.
Chose peu surprenante, la DL a augmenté avec la durée d’incubation (figures 6 et 9). Une étude menée sur un loam limoneux-argileux au Texas a démontré qu’une plus grande quantité de C du sol est minéralisée durant la période de floraison et de récolte à l’inverse de la période de plantation (Franzluebbers et al. 1994). Il s’agit là d’une tendance similaire à la présente étude où la DL est plus importante en période estivale (versus les périodes printanières, automnales et hivernales). Pour sa part, la proportion d’N décomposé de la paille n’a pas été constante lors de toutes les années de l’étude (figure 13). Ce résultat fut également démontré dans l’étude de Franzluebbers et al. (1994) où la minéralisation de l’N dans le sol n’a pas fluctué en fonction des conditions climatiques de la saison de croissance. Il se peut alors qu’il y ait eu une immobilisation de l’N dans le sol tout au long de la saison de culture. De manière générale, la seconde date de récupération a présenté une plus grande décomposition de l’N de la paille en CG plutôt qu’en CC (figure 15 et 16). Ces observations sont elles aussi en accord avec l’étude de Franzluebbers et al. (1994) qui souligne qu’une forte DL a lieu durant la période de floraison de la céréale.
Aucune différence significative n’a été mesurée pour la DL durant la période hivernale, soit la période entre le 25 septembre 2015 et le 18 mai 2016 (figure 6). Dans une revue de littérature rédigée par Brooks et al. (2011), il a été mentionné qu’un couvert de neige permet une activité microbiologique dans le sol. Toutefois, pour disposer d’un couvert de neige adéquat, la végétation en place et/ou un brise-vent doit permettre un ralentissement du vent (Brooks et al. 2011). Ce n’est pas le cas dans la présente étude où aucune structure n’a permis de ralentir le vent et ainsi de favoriser une accumulation de neige. Par ailleurs, à partir de la dernière date de récolte, soit le 18 mai 2016, la DL est supérieure avec le traitement CG plutôt qu’avec CC (figures 7, 10 et 14).
La présence de plantes fourragères au mois de mai avec le traitement CG peut expliquer cette tendance. En effet, les sols possédant un couvert végétal vivant et un système racinaire bien implanté permettent une décomposition plus rapide de la MO tôt au printemps (Angers et Caron 1998; Brooks et al. 2011). Toutefois, il demeure également possible que cette différence soit simplement causée par le retrait temporaire (entre le 25 septembre et le 15 octobre) des sachets implantés dans certaines parcelles avec travail du sol (nécessaire pour permettre la réalisation des travaux de sol).
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. HYPOTHÈSES
3. MÉTHODOLOGIE
3.1 DESCRIPTION DU SITE D’ÉTUDE
3.2 PLAN EXPÉRIMENTAL
3.3 FACTEUR ROTATION DE CULTURE
3.4 FACTEUR TRAVAIL DU SOL
3.5 FACTEUR FERTILISATION
3.6 ÉCHANTILLONNAGES DES PARCELLES
3.6.1 MINÉRALISATION BRUTE DE L’AZOTE
3.6.2 DÉCOMPOSITION DE LA LITIÈRE
3.7 ANALYSES STATISTIQUES
4. RÉSULTATS
4.1 LA MINÉRALISATION BRUTE DE L’AZOTE
4.2 LA DÉCOMPOSITION DE LA LITIÈRE
4.2.1 PAILLE DÉCOMPOSÉE
4.2.2 CARBONE DÉCOMPOSÉ DE LA PAILLE
4.2.3 AZOTE DÉCOMPOSÉ DE LA PAILLE
5. DISCUSSION
5.1 FACTEUR ROTATION DE CULTURE
5.2 FACTEUR TRAVAIL DU SOL
5.3 FACTEUR FERTILISATION
5.4 FACTEUR TEMPS
5.5 LES BÉNÉFICES DE LA DMO
6. CONCLUSION
RÉFÉRENCES
ANNEXE A – TABLEAUX D’ANOVA
ANNEXE B – FIGURES DE MÉTÉO À NORMANDIN