Aveuglement technologique et aveuglement libéral

Transition numérique, transformation numérique, Internet des objets, objets connectés, Big Data, algorithmes, Cloud computing, Open Source, réseaux sociaux, dématérialisation, digitalisation de l’économie, cyber-économie, Darknet, TOR, Ubérisation de l’économie…, ces différents objets de recherche ont constitué la substance de notre réflexion pré-doctorale courant de l’année 2012, jusqu’à la lecture de l’ouvrage « la Baleine et le réacteur » de Langdon Winner, fin de cette même année. Cet ouvrage s’est révélé comme un dévoilement relatif à l’existence de la philosophie des techniques qui décrit de nouvelles formes de vie et de nouvelles formes de pouvoir constitutives des technologies. En premier lieu, il nous a permis d’aborder les concepts et les technologies cités ci-dessus sous des angles autres que ceux véhiculés par les sources du marketing ou de la seule technique, en l’occurrence celui de la perspective critique couplée à une approche philosophique de la technologie. Mais surtout, en second lieu, nous avons pu ainsi déconstruire nos représentations et nous imposer une introspection relative à notre responsabilité d’enseignante en Systèmes d’information, notre métier depuis 1991, ayant mission de former de futurs décideurs capables de prise de recul et de sens critique en ce qui concerne la nature et les effets des technologies mises en place et à l’œuvre au sein des organisations.

Dans cette optique, les travaux de WINNER (1986) sont alors devenus le déclencheur autant que la clarification de notre thèse de doctorat, processus pour lequel ils apportaient une analyse singulière autant que significative de la dimension sociale, humaine, économique et politique des technologies. L’auteur attire l’attention « sur un nouvel acteur de notre paysage politique : la technologie». Il définit cette dernière comme « tous les dispositifs artificiels modernes qui sont les éléments ou les systèmes entiers, d’instruments matériels d’une certaine sorte». Il ajoute que la technique est devenue bien trop importante pour être confiée aux seuls techniciens. D’ailleurs, à ce sujet, sa problématisation est : « la technologie, n’a-t-elle pas secrètement confisqué tous les pouvoirs réels ?». Il propose de contribuer à tirer l’être humain de son somnambulisme en reprenant « au-delà de la maitrise du monde, la maitrise de cette maitrise ». Ainsi, il révèle les prémices de la philosophie de la technologie. Selon Winner, au cours de l’âge industriel, l’idée de « progrès » domine la pensée sociale et les nouvelles machines ou techniques ou nouveaux produits chimiques sont les seuls moyens d’améliorer véritablement la condition humaine. En outre, l’auteur précise que

« l’on exige toujours du candidat à une charge publique qu’il fasse préalablement serment de sa confiance inébranlable dans le lien positif entre le développement technologique et le bien-être humain et qu’il déclare que la prochaine vague d’innovation fera sans aucun doute notre salut ».

Nous disposons ainsi d’un début d’explication relatif au développement de la philosophie de la technologie. Pour autant, d’autres auteurs tels que Latour, Habermas, Marcuse, Stiegler, Ellul se sont exprimés sur la nature et les effets tangiblement délétères des technologies, sans être vraiment entendus. Comme le souligne WINNER (1986)  .

« on considère traditionnellement que la relation de l’homme aux objets techniques est trop simple pour mériter une réflexion sérieuse», ou « est-ce des stratégies de fuite, des stratégies pour ne pas affronter la politique de la technologie dans sa réalité ? ».

A ce propos, l’auteur nous éclaire au sujet de la théorie de la politique technologique qui

« met en évidence l’impulsion donnée par les grands systèmes socio-techniques, la réaction des sociétés modernes à certains impératifs technologiques et la manière dont les ambitions humaines sont puissamment transformées par leur adaptation aux moyens techniques ».

AKRICH (2006) suggère une compréhension des systèmes socio-techniques qui ne se limitent pas à décrire les causes et les effets des techniques mais bien, de « prendre un ensemble d’éléments sociaux, organisationnels, économiques, humains pour créer une technique ». Ainsi, pour affiner l’appréhension de ce concept, son exemple de la machine à récolter le coton et les tiges de coton est révélateur. Langdon Winner donne l’exemple de la machine à récolter des tomates. Depuis plus de 50 ans, des chercheurs de l’université de Californie améliorent une machine capable de récolter des tomates en une seule passe. En conséquence, 32000 emplois supprimés dans le secteur, la réaction des petits producteurs fut de porter plainte en accusant les producteurs possédant une machine, d’utiliser l’argent des contribuables (les chercheurs de l’université de Californie) au profit d’une poignée d’intérêts privés. Lorsque WINNER (1986) annonce que les objets techniques possèdent des propriétés politiques, il fait référence à Platon en spécifiant que l’analogie entre politique et technique est à sens unique : « si la Technê sert de modèle pour le politique, la réciproque n’est pas vraie  ». STIEGLER (1994) a longuement développé cette idée dans le Tome 1 de La technique et le temps en citant entre autres, Aristote, Heidegger, Habermas et Marcuse. L’auteur explique « qu’avec la technique moderne, il y a une inversion du sens de la puissance technique : libératrice pour l’homme dans son rapport avec la nature, elle y devient un moyen de domination politique  ». La puissance technique deviendrait, ainsi, un moyen de domination politique. Au XXe siècle, quelques «romantiques » soutenaient l’idée que le développement industriel devait être contenu, sinon commandé par les vertus républicaines. Cette idée vite balayée par les Américains qui reçurent le renfort de la conviction en « un principe d’équivalence entre abondance et liberté  ». La vision de ce principe est d’une telle force qu’elle enténèbre tout regard critique sur les différentes formes que peut prendre la technologie.

De la technique à l’aveuglement technologique

De la technique à la transformation numérique 

Clarification des concepts 

La technique 

Dans les bases de données académiques interrogées notamment, EBSCCO et CAIRN. Dans EBSCCO, en saisissant « Technique », sans autres critères, le résultat est de 346 796 items, en affinant la recherche aux « full text » et «academic journal », la somme est de 110 754, en anglais 108 550. Nous avons donc précisé « dans le titre » ainsi, le résultat est de 4 999 et 51 en français. En revanche, lorsque nous avons saisi « definition of technique », 1 seul article académique est révélé. Nous sommes dans une même cohérence de résultats avec la base de données CAIRN. C’est pourquoi, nous nous trouvons confrontée à devoir choisir quelques ouvrages d’auteurs significatifs pour définir ce qu’est la technique. Elle vient du grec Tekhnè. Aristote, cité par STIEGLER (1994), la définit de la façon suivante :

« toute tekhnè a pour caractère de faire naitre une œuvre et recherche les moyens techniques et théoriques de produire une chose appartenant à la catégorie des possibles et dont le principe réside dans la personne qui exécute et non dans l’œuvre exécutée. » (Aristote, Ethique à Nicomaque, VI, 4.) .

Ainsi la tekhnè fait référence à la création d’une chose, d’un objet dans l’expression « faire naitre une œuvre » et « recherche des moyens techniques » grâce notamment, à l’intelligence et au savoir-faire d’une personne. L’encyclopédie l’Universalis corrobore cette définition en spécifiant que « le sens central chez Homère est « fabriquer », « produire », « construire ».

Aussi, les verbes fabriquer, produire, construire peuvent, tout à fait, faire référence à « faire naitre une œuvre » d’Aristote.

En revanche, cela ne nous dit pas si Tekhné représente la Technique ou correspond à Technologie. C’est pourquoi pour clarifier ces deux concepts, nous mobilisons l’article de INGOLD (2010) qui fait référence à l’ouvrage « Mumford, Technics et Civilisation » en 1946 et à l’article de Mitcham, « Types of technologies» en 1978. Ingold identifie trois types de techniques. La première est la technique-comme-objet qui inclut l’ensemble des éléments fabriqués « dans l’intention d’un usage quel qu’il soit, y compris – dans la classification de Mumford (1946 : 11) – outils, ustensiles, utilités, appareils et machines  » et il précise par un exemple qu’il a sur son bureau, une pierre qu’il utilise comme presse-papier étant un outil et non une technique. La deuxième classification est la technique-comme processus, « incluant surtout les activités que nous désignons d’habitude par fabriquer et utiliser  », également il précise que l’élément clé est l’adresse utilisée dans la manipulation des artefacts. La troisième catégorie représente la technique en-tant-que-savoir, il explique l’ambiguïté relative entre « la distinction – si on peut en établir une – entre la compétence et l’intelligence, ou entre la technique et la technologie ». Il cite PYE (1964:55) qui considère « la compétence simplement comme une « application spécifique de la dextérité », à l’opposé de ce qu’il appelle « savoir-faire », qui fait référence à l’élément de la conception dans la fabrication ».

Pour résumer, la technique serait un ensemble d’objets fabriqués (outils, ustensiles, appareils et machines) utilisant des procédés et des savoir-faire afin de créer une œuvre. Cette notion de savoir-faire nous renvoie à la compétence, à l’habilité, à la maitrise d’un métier et/ou d’un art démontrant une expérience certaine, enfin, a priori, toute technique doit être maitrisée de la part d’un usager, conséquence d’un apprentissage, d’une tradition et d’une transmission pour réaliser la meilleure fabrication ou la meilleure création. Par exemple, la technique vocale, un swing dans les techniques de golf, les techniques sportives, les techniques culinaires, les techniques de calcul, etc.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 – DE LA TECHNIQUE A L’AVEUGLEMENT TECHNOLOGIQUE
INTRODUCTION DU CHAPITRE 1
1.1 DE LA TECHNIQUE A LA TRANSFORMATION NUMERIQUE
1.1.1 Clarification des concepts
1.1.1.1 La technique
1.1.1.2 La technologie
1.1.2 La transformation numérique
1.1.2.1 De la cybernétique à l’informatisation
1.1.2.2 Les technologies numériques de rupture
1.1.2.2.1 Les supports de communication
1.1.2.2.2 L’Internet et les objets connectés
1.1.2.2.3 Le Cloud Computing
1.1.2.2.4 De l’information au Big data et ses algorithmes
1.1.2.2.5 Le Web et sa face cachée
1.1.2.3 Conclusion de la transformation numérique
1.2 LA TRANSFORMATION NUMERIQUE FACTEUR DE TRANSFORMATION DU COMPORTEMENT DE L’INDIVIDU
1.2.1 Les usages des technologies
1.2.2 Les comportements d’usage des technologies
1.2.3 La transformation des comportements d’usage de l’individu
1.3 L’AVEUGLEMENT TECHNOLOGIQUE
1.3.1 Au niveau sociétal
1.3.1.1 Le nucléaire
1.3.1.2 L’automatisation et la robotique
1.3.2 Les technologies numériques de rupture causant l’aveuglement
1.3.2.1 Les supports de communication
1.3.2.2 Internet et les objets connectés
1.3.2.3 Le Cloud Computing
1.3.2.4 Le Big data
1.3.2.5 Le Web et sa face cachée
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
CHAPITRE 2 – DE LA LIBERTE A L’AVEUGLEMENT LIBERAL
INTRODUCTION DU CHAPITRE 2
2. 1 – LE LIBERALISME
2.1.1 De la liberté au libéralisme économique
2.1.1.1 La liberté
2.1.1.2 Le libéralisme économique
2.1.2 De la mondialisation à la financiarisation de l’économie
2.1.2.1 La mondialisation
2.1.2.1.1 Les traités multilatéraux
2.1.2.2 La financiarisation de l’économie
2.1.2.2.1 La crise des Subprimes
2.1.2.2.2 La titrisation
2.1.2.2.3 Les produits dérivés
2.1.2.2.4 Les CDS (Credit default swaps)
2.1.2.2.5 Le Shadow Banking
2.1.2.2.6 Les Paradis fiscaux
2.2 LES NOUVELLES FORMES DE POUVOIRS
2.2.1 Le pouvoir
2.2.2 Le comportement de certains acteurs du libéralisme
2.2.2.1 Les acteurs de la finance : les banques d’investissement
2.2.2.2 Les acteurs du Lobbying
2.2.2.3 Le politicien
2.2.2.5 Les acteurs du numérique
2.2.2.6 Les mathématiciens et leurs modèles mathématiques
2.3 L’AVEUGLEMENT LIBERAL
CONCLUSION DU CHAPITRE 2
CHAPITRE 3 – CLARIFICATION DE LA PROBLEMATIQUE : LES INTERACTIONS DES DEUX TYPES D’AVEUGLEMENT AU SEIN DES ORGANISATIONS
INTRODUCTION DU CHAPITRE 3
3.1 LES SINGULARITES
3.2 LES ANALOGIES
3.2.1 Analogies entre le Deep Web et le Shadow banking
3.2.2 Les analogies entre les Big data et les algorithmes du numérique et ceux du trading haute fréquence
3.3 LES INTERACTIONS AU SEIN DES ORGANISATIONS
3.3.1 Les interactions des aveuglements technologiques au sein des organisations
3.3.1.1 La méconnaissance et le manque de discernement liés aux réseaux internet et le deep web
3.3.1.2 Le manque de discernement lié aux objets connectés
3.3.1.3 Le manque de débat autour de l’automatisation et la robotisation
3.3.1.4 le manque de discernement quant au Big data et les algorithmes
3.3.1.5 La transformation du comportement d’usage des technologies des individus
3.3.2 Les interactions des aveuglements de type libéral au sein des organisations
3.3.2.1 La méconnaissance de la complexité de la mondialisation
3.3.2.2 Le manque de débats autour des traités de libre échange
3.3.2.3 Le manque de débat autour de la financiarisation de l’économie
3.3.2.4 Le manque de discernement autour de la titrisation
3.3.2.5 Le manque de contrôle du shadow banking
3.3.2.6 L’aveuglement des traders
3.3.2.7 Le pouvoir des dirigeants de banques d’investissement
3.4 L’aveuglement organisationnel
CONCLUSION DU CHAPITRE 3
CONCLUSION DE LA REVUE DE LITTERATURE
CONCLUSION GENERALE

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *