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Cas d’étude : le Plateau des Guyanes
Un territoire à forte couverture forestière et faible déforestation historique
Cette étude porte sur une partie du Plateau des Guyanes, région couverte par un susbtrat géologique précambrien couvrant une surface de plus de 2 millions de km2,66 dont nous étudierons quatre entités territoriales : le Guyana, le Suriname, la Guyane française et l’État brésilien d’Amapá (Figure 1.1).
Cette zone (Figure 1.2) couvre une surface d’environ 600 000 km2 dont une proportion d’environ 90%, soient plus de 500 000 km2, correspond à une forêt tropicale humide.67 Par ailleurs, elle possède parmi les plus faibles taux de déforestation au monde, avec des taux annuels inférieurs à 0,1%,68 ce qui la classe parmi les pays à forte couverture forestière et faibles taux de déforestation69.
Les quatres entités concernées par cette thèse comptent parmi les plus faibles densités de population au monde, leur population totale excédant tout juste 2 millions d’habitants (moins de 4 habitants au kilomètre carré). Les infrastructures routières sont très peu développées et, à part dans le cas du Guyana, restent largement cantonnées à la bande côtière. Le transport pour les habitants de l’intérieur se fait donc exclusivement par voie fluviale et, dans une moindre mesure, aérienne.
L’accord Guyana-Norvège : un exemple de chantage environnemental ?
Les pays du Plateau des Guyanes ont fait part de leur intérêt pour le mécanisme REDD+. Bien que la Guyane française ne soit pas éligible pour un projet REDD+ du fait de son statut de région faisant partie d’un pays de l’Annexe I, la question de l’avenir de la forêt dans le cadre du développement de la région est bien sûr un enjeu majeur. En Amapá, des projets REDD+ à l’échelle locale sont en cours de construction.81 Au Suriname, la Proposition pour la Préparation à la REDD+ (RPP) a été récemment validée par la Banque Mondiale.82 Finalement, le Guyana s’est imposé dans le débat international sur REDD+ d’une façon beaucoup plus médiatique.
Le scénario « économiquement rationnel ».
En 2008, le gouvernement du Guyana a publié un rapport présen-tant une méthode visant à créer des incitations financières à la préservation des forêts du Guyana et du monde.83 Prenant acte de l’incapacité des scénarios historiques à proposer un mécanisme incitatif pour le pays, du fait de ses taux de déforestation très faibles, ce rapport prétend combler une défaillance des marchés qui valorisent les produits issus de la déforestation sans prendre en compte la valeur des services écosystémiques rendus par la forêt.
Ce travail développe les notions de « Valeur Économique pour la Nation » (EVN pour « Economic Value for the Nation ») et de « Valeur Économique pour le Monde » (EVW ou « Economic Value for the World »), utilisées afin de définir un scénario de référence « économiquement rationnel » (« economically rational » baseline). La première détermine le prix minimum à fournir au Guyana pour qu’il renonce à exploiter sa forêt. Elle correspond donc à un prix plancher. La seconde exprime ce que perdrait le monde si le Guyana coupait sa forêt, et correspondrait au prix plafond du mécanisme.
L’EVN est calculé comme le coût d’opportunité, pour l’État du Guyana, de laisser la forêt sur pied. D’après le rapport il comporte quatre composantes, trois induisant des profits évités, et une induisant des coûts évités :
la valeur du bois sur pied qui ne sera pas exploité ;
la valeur des productions agricoles ou autres84 qui seraient tirées du sol après déforestation ;
le coût de la perte de services écosystémiques, notamment en terme de consommation de produits non-ligneux, de perte de revenus liés à l’écotourisme, ou du coût des inondations dont la fréquence et l’intensité augmenteraient avec la disparition de la forêt ;
le coût de la surveillance et de la protection des forêts qui diminuerait avec leur surface.
Problématique et plan de la thèse
La problématique générale de cette thèse concerne la formulation des scénarios de référence dans la perspective du mécanisme REDD+, appliquée à une région à forte couverture forestière et faible déforestation.
Le Plateau des Guyanes constitue à ce titre une zone d’intérêt
la fois pour les aspects modélisation d’une part, et dans la mise en perspective du mécanisme REDD+ d’autre part.
Pour le mécanisme REDD+
Mettre en perspective les méthodes de formulation des scénarios de référence
Cependant, constuire un modèle de déforestation pour la région cherchant à prendre en compte les différents paramètres socio-économiques et politiques pour simuler la déforestation future n’est qu’une des méthodes possibles de formulation des scénarios de référence proposées dans le cadre de REDD+. Ce scénario focalisé sur les enjeux socio-économiques et politiques propres au Plateau des Guyanes pourrait permettre d’offrir une perspective très différente du scénario « économiquement rationnel » proposé par le Guyana, ainsi que d’éventuels scénarios issus d’autres métho-dologies de formulation des scénarios de référence qu’il conviendra également d’évaluer. Cette remise en perspective semble d’autant plus nécessaire que l’énorme différence entre les demandes initiales du Guyana et l’accord conclu avec la Norvège pose la question de l’arbitraire du choix d’un scénario de référence, poussé par des enjeux politiques. Face à cet arbitraire, les informations que des tendances futures de déforestation prédites à partir des variables socio-économiques caractérisant la déforestation dans la région peuvent nous fournir peuvent être très utiles.
Enjeux concernant les piliers de REDD+ :
additionnalité, permanence et fuites
Au dela de leur comparaison avec les autres méthodes de scéna-risation, la formulation de modèles et de scénarios prospectifs basés sur des variables socio-économiques et politiques peut être intéressante en soi, pour l’analyse de REDD+.
En effet, en fonction des relations qui peuvent être mises en évidence entre ces variables et la déforestation, on peut se poser la question de la pertinence même de la formulation des scénarios de références.
Que faire si aucune variable ne semble expliquer correctement la déforestation, ou si les variables qui l’expliquent sont par nature imprévisibles ?
Organisation générale de la thèse
Le second chapitre de cette thèse cherchera donc à mettre en place une méthode de modélisation spatialement explicite adaptée
la faible déforestation observée sur le Plateau des Guyanes, tout en intégrant pleinement au sein de ce modèle les variables socio-économiques pertinentes.
Ce modèle sera appliqué au cas de la Guyane française, pour lequel nous bénéficions d’une grande connaissance des facteurs de déforestation, associée à des jeux de données socio-économiques importants. Il repose essentiellement sur une distinction stricte entre un modèle de localisation de la déforestation, basé sur des variables géographiques spatialisées, et un modèle d’intensité de la déforestation basé sur des variables socio-économiques carac-térisant les différentes activités à l’origine de la déforestation. Ce modèle d’intensité est lui même composé de différents sous-modèles, chacun associé à un facteur de déforestation particulier, permettant une prise en compte précise de l’impact de chacun d’entre eux, à la fois dans leur étendue spatiale et temporelle.
Un facteur de déforestation très dynamique : le cas de l’orpaillage
Dans le troisième chapitre, on élargira l’analyse à l’ensemble de notre zone d’étude, en se focalisant sur l’orpaillage, principal facteur de déforestation sur le Plateau des Guyanes, alors que la composante spatiale à fine échelle de la déforestation sera laissée de côté.
Cette focalisation sur le cas de l’orpaillage nous permettra de définir plus précisément les variables socio-économiques et poli-tiques importantes pour déterminer l’ampleur de la déforestation produite par cette activité. Par ailleurs, l’élargissement de la zone d’étude permettra de mieux mettre en évidence les interactions transnationales, notamment les fuites de déforestation qui sont un des piliers du mécanisme REDD+.
La place des simulations de la déforestation future au sein des différentes méthodologies de développement des scénarios de référence REDD+
Dans un quatrième temps, nous chercherons à replacer les résultats issus de ces modèles, focalisés sur les variables socio-économiques de la déforestation, au sein du cadre plus large de l’ensemble des méthodologies de formulation des scénarios de référence.
Un modèle régional simple sera alors formulé en prenant en compte les principales activités alimentant la déforestation sur le Plateau des Guyanes, l’orpaillage, l’agriculture et l’urbanisation. Ses résultats concernant l’intensité et la localisation de la défores-tation prédite seront comparés à ceux obtenus à partir d’autres méthodes simples d’estimation des scénarios de référence publiées.
Ce travail permettra de questionner le choix d’un scénario de référence, avec l’éclairage apporté par la projection de mo-dèles prenant en compte les moteurs actuels de la déforestation l’échelle de la région. Ceci permettra d’alimenter le débat sur le fonctionnement de REDD+ dont la question des scénarios de référence constitue un des principaux défis.
Aspects méthodologiques
Le projet REDD+ pour le Plateau des Guyanes
Cette thèse s’est déroulée en partenariat avec le projet REDD+ pour le Plateau des Guyanes, dans le but de contribuer à la modélisation de la déforestation à l’échelle de la région.
Les bases de ce projet ont été formulées en 2008, suite à la COP14 de Poznan, par le Guyana, le Suriname et la France, bientôt rejoints par l’État d’Amapá.93 Ce projet ne constituait pas en soi un projet REDD+. Il visait principalement à développer la coopération régionale, notamment sur des aspects techniques, afin d’aider les pays partenaires dans la formulation éventuelle de futurs projets REDD+.
Le projet REDD+ pour le Plateau des Guyanes, mené par ONF International, a été financé par le FFEM, la Région Guyane, l’Union Européenne et le programme Interreg Caraïbes.
Choix des cartes de couverture forestière et de déforestation
Utilisation des données de Hansen
Au cours de cette thèse la variable expliquée, la déforestation, a été extraite des données publiées par Hansen et al.94 Bien qu’étant produite à l’échelle globale sans apport d’expertise locale au niveau de notre zone d’étude, ces données nous ont semblé particulièrement pertinentes du fait de leur haute résolution à la fois spatiale (données issues d’images Landsat à 30 mètres de résolution) et temporelle (cartes annuelles de déforestation), permettant d’évaluer l’impact d’activités ayant des temporalités différentes et des étendues spatiales différentes. Elles permettaient par ailleurs de baser nos études sur une donnée homogène à l’ensemble de la région, ce qui aurait été très difficile à produire dans le cadre de cette thèse, du fait de la superficie de la zone d’étude et de la persistence de la couverture nuageuse.
Une évaluation en bonne et due forme de la précision de ces cartes n’a pas été possible du fait de l’absence de carte de référence disponible au début de cette étude. Les données de l’expertise littorale fournies par l’ONF95 ne concernent que la bande côtière et constituent une carte d’utilisation du sol et non une carte forestière à proprement parler, ce qui rend difficile une comparaison en l’état. Cependant, les principales zones de déforestation que nous connaissons en Guyane française nous ont semblé particulièrement bien captées par les données de Hansen, de même que leur évolution temporelle. C’est le cas par exemple de l’ouverture de la route d’Apatou dans l’Ouest du département.
Modélisation spatialisée de la déforestation
Séparation des processus de localisation et d’intensité
Comme précédemment évoqué (1.1.3), une distinction est souvent opérée au sein des modèles spatialement explicites de déforestation entre deux processus : la localisation de la déforestation d’un côté, et son intensité de l’autre. Défendue par Veldkamp et Lambin,101 cette séparation est opérée dans la plupart des logiciels destinés la calibration de ces modèles,102 tels que Dinamica Ego,103 CLUE-S,104 GEOMOD105 ou Land Change Modeller.
Dans le cadre de cette thèse, nous avons mis en place les modèles sans utilisation de ces logiciels, mais avons adopté cette séparation des processus de localisation et d’intensité. Celle-ci est principalement justifiée par la grande différence de résolution entre des données géographiques disponibles à haute résolution (concernant la topographie ou la localisation des voies routières par exemple) et des variables socio-économiques agrégées, par nature disponibles à une résolution moins fine,107 correspondant par exemple à l’échelle des entités administratives à laquelle elles sont collectées. Combiner des variables à des résolutions si dif-férentes risque d’entraîner mécaniquement une sous-estimation de l’importance des variables disponibles à basse résolution.108 Comme exemple on peut citer le cas de la déforestation au sein d’une commune subissant une croissance démographique hypothé-tique très grande. Alors que le risque de déforestation croît très rapidement dès lors que l’on se rapproche d’une route, cette crois-sance ne peut être expliquée au sein d’un modèle par la croissance démographique qui est mesurée, elle, à l’échelle de l’ensemble de cette commune, et donc est équivalente pour l’ensemble des pixels. En mélangeant ces deux variables, un modèle aura nécessairement tendance à expliquer la déforestation plutôt par la proximité à la route que par la croissance démographique.
Choix de l’algorithme Random Forest L’objectif principal de nos modèles était d’aboutir à une intégration des principales variables socio-économiques et politiques affectant l’intensité de la déforestation. La précision de la prédiction de la localisation de la déforestation, bien qu’entrant évidemment en ligne de compte, était secondaire par rapport à cet objectif.
Il s’agissait donc essentiellement d’obtenir une prédiction réa-liste des patrons spatiaux de la déforestation, avec une attention moindre sur ses déterminants théoriques. Cette recherche de pré-cision nous a amenés a faire le choix de l’algorithme Random Forest109 pour la création des modèles de localisation de la dé-forestation. Cet algorithme est en effet connu pour sa grande précision et sa robustesse face au bruit dans les données,110 mais également pour sa capacité à prendre en compte des interactions complexes et non linéaires entre les variables explicatives intégrées au modèle.
L’algorithme Random Forest est basé sur de nombreux arbres de décision, chacun associant un pixel à une classe donnée (défores-tation ou non-déforestation dans notre cas). Un vote à la majorité au sein de cette « forêt » d’arbres de classification détermine la classe prédite associée à chaque pixel.
Echantillonnage équilibré La construction du modèle de lo-calisation a nécessité un échantillonnage des pixels déforestés et non-déforestés afin, en les associant aux variables géographiques jugées pertinentes, de mettre en évidence des relations entre la présence de pixels déforestés et les valeurs de ces variables.
Un échantillonnage aléatoire des pixels était impossible du fait de la faible déforestation, qui aurait vraisemblablement provoqué le tirage de pixels non-déforestés en très grande majorité, causant donc un problème dans l’inférence des modèles où chaque obser-vation a le même poids dans la maximisation de la vraisemblance.
Il a donc fallu mettre en place un échantillonnage stratifié de ces pixels. Le cas de la faible déforestation nous a semblé assez similaire à la prédiction spatiale de la présence d’espèces rares, pour lesquelles on dipose de quelques points de présence, ainsi que d’une infinité de points pour lesquels on peut considérer que l’espèce est absente, jusqu’à preuve du contraire. Dans ce cas et lorsque l’algorithme Random Forest est utilisé, il semble préférable d’effectuer un échantillonnage équilibré, ainsi que suggéré par Barbet-Massin et al.112 C’est donc ce choix que nous avons fait, en échantillonnant à chaque fois le même nombre de pixels déforestés et non-déforestés.
Effet de la taille de l’échantillon Un autre paramètre im-portant du modèle de localisation de la déforestation était la taille idéale de l’échantillon à obtenir, dans le but de maximiser la précision du modèle tout en minimisant les temps de calcul.
En effectuant la calibration de différents modèles sur la base d’échantillons de taille croissante, il a été imposible de définir clai-rement une taille minimale pour cet échantillon dans la gamme étudiée, dans la mesure où le taux d’erreur du modèle conti-nuait de décroître avec l’augmentation de la taille de l’échantillon (Figure 1.5). Nous avons donc par la suite effectué des choix pragmatiques détaillés dans chacun des chapitres concernés, en s’assurant par leurs faibles taux d’erreur que les modèles calibrés assuraient une représentation satisfaisante des patrons spatiaux de la déforestation.
Couplage des modèles de localisation et d’intensité, et projection de la déforestation future
Alors que le modèle de localisation fournit une carte de risque de déforestation indiquant les zones les plus susceptibles d’être déforestées (indice calculé tendant vers 1) et celles ayant peu de risque d’être déforestées (valeur des pixels tendant vers 0), il est nécessaire d’extraire des pixels, dont la quantité est déterminée par chaque sous-modèle d’intensité, afin d’obtenir une carte finale prédite. Concrètement, dans un premier temps on détermine le nombre de pixels pour chaque centile de la carte de risque de déforesta-tion. Ensuite, une fois déterminé le centile minimal contenant un nombre de pixels cumulé égal ou supérieur au nombre de pixels prédits comme déforestés par les modèles d’intensité, on extrait tous les pixels contenus jusqu’au centile précédent. Le nombre de pixels déforestés restant est ensuite échantillonné aléatoirement parmis ceux correspondants à la valeur du centile minimal défini initialement.
Logiciels utilisés
Dans un souci de rendre les résultats issus de cette thèse accessibles au plus grand nombre, l’ensemble des traitements cartographiques et de modélisation ont été effectués à partir des logiciels libres et gratuits R113 et GRASS GIS,114 bien que la publication des scripts complets n’ait pas encore pu être effectuée du fait de restrictions à la publication de certaines données spatialisées utilisées.
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Table des matières
Remerciements
1 Introduction générale
1.1 L’émergence du mécanisme REDD+ dans le contexte de la lutte contre le changement climatique
1.2 Contexte de l’étude
1.3 Problématique et plan de la thèse
1.4 Aspects méthodologiques
2 Avancer vers des modèles focalisés sur les processus socio-économiques de la déforestation
2.1 Abstract
2.2 Introduction
2.3 Material and methods
2.4 Results
2.5 Discussion
2.6 Acknowledgements
2.7 Supplementary Materials
3 La ruée vers l’or dans un El Dorado forestier : fuites de déforestation et la nécessité d’une coopération régionale
3.1 Abstract
3.2 Introduction
3.3 Material and Methods
3.4 Results
3.5 Discussion
3.6 Conclusion
3.7 Acknowledgments
3.8 Supplementary Materials
4 La pertinence des approches basées sur les émissions pour REDD+ à l’épreuve des pays à forte couverture forestière et faible déforestation
4.1 Abstract
4.2 Introduction
4.3 Materials and Methods
4.4 Results
4.5 Discussion
4.6 Conclusion
4.7 Supplementary Materials
5 Discussion générale
5.1 Des failles dans les pilliers de REDD+
5.2 Quelles perspectives pour le mécanisme REDD+
6 Annexes
Bibliographie
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