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Métabolisme du cuivre dans le cerveau
Importance du cuivre pour le fonctionnement du cerveau
Le cerveau possède la capacité de concentrer les métaux lourds et notamment le cuivre nécessaire à son développement car il est impliqué dans de nombreux processus physiologiques au niveau cérébral27. 7 à 10% de la quantité totale de cuivre présent dans l’organisme se trouve dans le cerveau, ce qui en fait, avec le foie, un des organes majeurs en terme de régulation28. Les rôles du cuivre pour le cerveau sont décrits dans la Figure 6.
Le cerveau est l’organe consommant le plus d’énergie dans l’organisme. Cette énergie est principalement requise pour les processus de transport ionique actif. Cette production se concentre dans la mitochondrie où 95% de l’ATP consommé par le cerveau est produit. Le dysfonctionnement de la chaine respiratoire dans la mitochondrie peut avoir lieu lors de la perturbation du fonctionnement de la COX, associé au développement de pathologies neurodégénératives. Dans le système nerveux central (SNC), le cuivre est utilisé par le métabolisme cellulaire pour le fonctionnement de la COX, ou encore dans la lutte contre les radicaux libres par le biais de la superoxyde dismutase CuZn-SOD. Le cerveau est très sensible au stress oxydant. En effet, en comparaison avec d’autres organes, le métabolisme oxydant dans le cerveau est élevé alors que peu d’enzymes antioxydantes y sont actives. Le cerveau est riche en métaux redox-actif générant du stress oxydant et source de radicaux libres23. Les variations de concentration de cuivre dans le cerveau vont perturber son fonctionnement entrainant une diminution des défenses contre le stress oxydant. Il intervient de même dans des processus plus spécifiques comme dans la production de neuropeptides et de neurotransmetteurs, notamment dans la synthèse des catécholamines29.
La dopamine-β-monooxygénase (DβM) et la peptidylglycine α-amidating monoxygenase (PAM) sont des protéines cuivre dépendantes retrouvées uniquement chez les mammifères impliqués dans la synthèse de neurotransmetteurs. La DβM catalyse l’hydroxylation de dopamine en noradrénaline impliquée dans le métabolisme des catécholamines30. La noradrénaline est le principal neurotransmetteur du système sympathique et joue un rôle important pour l’organisme tel que la régulation de la fréquence cardiaque, la pression artérielle, le maintien de l’éveil ou encore dans la contraction des muscles lisses30. La PAM est l’unique enzyme connue pour l’α-amidation de précurseurs peptidiques dans les neurones. Ces neuropeptides amidés sont impliqués dans de nombreuses fonctions cérébrales incluant la prolifération neuronale, le métabolisme énergétique ainsi que dans la neuromodulation31. Au niveau physiologique, la PAM est une enzyme vitale, en effet, un déficit en PAM chez la souris est létal au niveau embryonnaire32. Les variations de concentration de cuivre vont donc impacter la synthèse de ces deux enzymes et entrainer des défauts de synthèse des neurotransmetteurs33/34. Les neurones de l’hippocampe et les synaptosomes libèrent du cuivre en fonction de leur dépolarisation entrainant une concentration de cuivre variable dans la fente synaptique29 qui va avoir pour conséquence une modulation de l’activité neuronale35. Le cuivre va interagir de manière non-compétitive en bloquant les récepteurs NMDA (N-methyl-D-aspartate), les récepteurs kaïnate et les récepteurs AMPA (α-amino-3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazolepropionic acid) qui sont des récepteurs glutaminergiques36. Les récepteurs au GABAA et les récepteurs à la glycine vont également être bloqués par le cuivre en interagissant de manière compétitive37.
Transport et stockage du cuivre dans le cerveau
Le cuivre cérébral provient du sang périphérique, l’échange du cuivre entre le cerveau et le milieu périphérique est régulé par la barrière hémato-encéphalique (BHE) séparant l’espace interstitielle du cerveau, du sang et du liquide céphalo-rachidien (LCR) 19. Le cuivre est transporté sous forme libre à travers la BHE29. Dans le LCR, la concentration en cuivre (~ 0.25µM)38 est 100 fois plus faible que dans le plasma (~11-25µM)39. L’ATP7B est exprimé dans de nombreuses régions du cerveau et a particulièrement été observée au niveau des cellules endothéliales des capillaires du cerveau, des cellules de l’épithélium des plexus choroïdes, des cellules épendymaires qui assurent l’interface entre le cerveau et le LCR ainsi que dans les neurones de Purkinje (Neurones GABAergiques du cortex cérébelleux)40. L’expression de l’ATP7B dans les neurones de Purkinje est cohérente avec l’expression de céruloplasmine qui est également importante dans ces cellules41.
La plupart des acteurs clés impliqués dans l’homéostasie du cuivre au niveau périphérique sont également présents au niveau du cerveau. Contrairement au foie pour lequel l’unique ATPase présente est l’ATP7B, dans le cerveau est également exprimée l’ATP7A jouant un rôle crucial pour l’approvisionnement du cerveau en cuivre. La mutation de l’ATP7A observée dans la maladie de Menkes est caractérisée par une neurodégénérescence progressive avec un pronostic très limité (décès précoce dans l’enfance). La mutation de l’ATP7B dans la maladie de Wilson va engendrer des phénotypes neurologiques très variables, la contribution de l’ATP7B dans l’homéostasie du cuivre au niveau cérébral est en revanche bien moins claire que celle de l’ATP7A42.
Dans les cellules cérébrales comme dans le foie, le cuivre est internalisé via le transporteur du cuivre CTR1. La séquestration du cuivre par le GSH dans les cellules cérébrales protège les cellules des effets toxiques du cuivre libre provenant de sa capacité d’oxydation ou de la production de ROS29. Le cuivre est également stocké via les métallothionéines qui possèdent, en plus de leur rôle majeur dans l’homéostasie du cuivre et du zinc, une fonction de détoxification des métaux non-essentiel, de neuroprotection, du maintien du potentiel redox intracellulaire et de la régulation de la prolifération cellulaire43. Dans le cerveau les métallothionéines MT-1, MT-2 et MT-3 sont exprimées au niveau de la BHE, du LCR ainsi qu’au niveau des astrocytes et des neurones. L’augmentation de la concentration en cuivre dans le cerveau est associée à une augmentation de l’expression des MTs reflétant la réponse compensatoire contre la toxicité induite par le cuivre29. En parallèle du rôle du GSH et des MTs, la répartition intracellulaire du cuivre s’effectue à l’aide des mêmes molécules chaperonnes que dans le foie, à savoir CCS, Cox17 et ATOX1 qui permettent le transport du cuivre vers SOD1, Sco1/2 et vers l’ATP7A / ATP7B respectivement. L’export du cuivre des cellules cérébrales est réalisé par l’ATP7A et l’ATP7B. Lors de concentrations physiologiques de cuivre, l’ATP7A et l’ATP7B sont localisées au niveau de l’appareil de Golgi. Le cuivre est transporté du cytosol à l’appareil de golgi pour son incorporation aux enzymes cuivre dépendantes (céruloplasmine, dopamine-β-mono oxygénase, PAM). Lors de l’augmentation de la concentration cellulaire en cuivre, l’ATP7A va subir une délocalisation depuis le réseau trans-Golgien vers la membrane plasmique et/ou vers un autre compartiment cytosolique vésiculaire proche de la membrane. Lorsque les concentrations de cuivre reviennent à la normale, l’ATP7A est relocalisé vers le réseau trans-Golgien. La quantité intracellulaire de cuivre régit donc la localisation de l’ATP7A. En comparaison à l’ATP7A, la fonction au niveau cérébral de l’ATP7B est bien moins claire. Il a été suggéré que l’ATP7A jouerait un rôle homéostatique dans le maintien de la balance cuprique et de son excrétion alors que l’ATP7B aurait pour rôle de délivrer le cuivre aux enzymes cuivre-dépendantes comme la céruloplasmine41. Il a été montré qu’un effet de compensation fonctionnelle existerait entre l’ATP7B et l’ATP7A dans le cerveau41 (Figure 7).
Interaction du métabolisme du cuivre et d’autres métaux de transition
Les métaux essentiels (Cu, Zn, Fe, Mn, Co, Cd) présents sous forme d’ions, sont des oligoéléments indispensables au fonctionnement de l’organisme et le métabolisme de chacun de ces métaux ne peut être considéré de manière isolée. Des interactions semblent influencer leur absorption, leur transport, leur stockage ainsi que leur excrétion de l’organisme de manière directe ou indirecte44. Par leurs propriétés physico-chimiques analogues, ces métaux vont entrer en compétition pour leur site de liaison aux protéines nécessitant des métaux pour leur fonctionnement. En conséquence de quoi, l’augmentation de la concentration en cuivre va potentiellement entrainer un déplacement des autres métaux de leur site actif.
Interaction entre le métabolisme du fer et du cuivre
L’idée qu’une relation existe dans la régulation du métabolisme du cuivre et du fer est soutenue depuis 1928 par la première publication de Elvehjem et al. 45. Le lien le plus caractéristique est fourni par la céruloplasmine qui, comme présenté précédemment, est une ferroxidase utilisant le cuivre comme cofacteur46. Les sites d’interactions du cuivre et du fer sont décrits Figure 8. Tout d’abord le fer et le cuivre sont absorbés au niveau de la surface interne du duodénum fortement plissée en villosités où deux premiers sites d’interactions interviennent. L’héphaestine protéine du métabolisme du fer cuivre-dépendante permettant l’absorption du fer, ainsi que l’induction de l’ATP7A. Par ailleurs, l’expression de cette protéine est augmentée lors de carence en fer47. L’héphaestine est une ferroxidase transmembranaire de 134 kDa synthétisée dans le foie et située dans le réseau trans-Golgien au niveau des entérocytes de l’épithélium intestinal. Cette protéine utilise le cuivre comme co-facteur pour oxyder le fer (II) en fer (III) permettant sa fixation à la transferrine.
Perturbation du métabolisme du manganèse
L’accumulation de manganèse dans le système nerveux central des patients atteints de la maladie de Wilson a été décrite. Son apparition serait une conséquence du dysfonctionnement hépatique55. En effet, dans l’encéphalopathie hépatique, on observe une anomalie du signal IRM au niveau des noyaux gris centraux associée à une accumulation de manganèse56 et pouvant être exacerbé par une dérégulation de l’homéostasie du cuivre et du fer57.
Physiopathologie et tableau clinique
La maladie de Wilson est une atteinte génétique de transmission autosomique récessive. La mutation du gène codant pour l’ATP7B entraine un déficit fonctionnel de la protéine caractérisé par une altération de compartimentation de l’ATP7B au sein de l’hépatocyte. Cette erreur de localisation entraine un défaut de transport et d’excrétion du cuivre dans l’organisme à l’origine d’une altération d’évacuation du cuivre dans la bile et ainsi une accumulation toxique de cuivre sous forme libre ou sous forme lié à la métallothionéine. Le cuivre n’est plus incorporé à l’apocéruloplasmine à l’origine d’une diminution de la concentration de céruloplasmine sérique. Les atteintes extrahépatiques (atteinte du système nerveux central et apparition de l’anneau de Kayser-Fleisher) apparaissent secondairement suite à la libération de cuivre libre dans la circulation générale. L’accumulation de cuivre peut avoir lieu de manière lente sur plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes cliniques8. La physiopathologie de la maladie de Wilson se distingue sous :
(1) une forme pré-symptomatique, qui est généralement découverte au cours d’un examen génétique de screening familial
(2) une forme hépatique
(3) une forme mixte présentant des troubles hépatiques ainsi que des troubles extrahépatiques au premier rang desquelles se trouve la forme neurologique.
L’atteinte hépatique
Les manifestations hépatiques sont très variables et se présentent sous forme d’atteinte chronique du foie, parfois asymptomatique, pouvant prendre la forme d’une cirrhose compensée ou décompensée. En l’absence de prise en charge, la maladie hépatique peut évoluer vers une cirrhose avec hypertension portale. Les manifestations cliniques de la maladie sont très hétérogènes, ceci dans l’apparition des premiers symptômes ou dans leur présentation clinique. L’hépatopathie peut prendre la forme d’une hépatite aigue pouvant évoluer vers l’hépatite fulminante.
La plupart des biopsies hépatiques de patients atteints de la maladie de Wilson à des stades avancés montrent une stéatose modérée à sévère, un degré d’inflammation portale ou lobulaire variable ainsi qu’une fibrose évoluant vers la cirrhose. La stéatose hépatique est fréquente chez les patients atteints de la maladie de Wilson et correspond à une accumulation de gras plus ou moins importante dans les hépatocytes. Dans certains cas, la stéatose hépatique ressemble fortement à celle de patients atteints de NASH (Non Alcoholic Steatohepatitis disease). Il est également possible de voir une cytolyse hépatique, des lésions de ballonisation hépatocytaire, l’apparition de corps de Mallory ainsi qu’un phénomène de glycogénation des noyaux des hépatocytes58 (Figure 9). Ces lésions ne sont pas spécifiques de la maladie de Wilson et peuvent être confondues avec d’autres affections hépatiques comme les hépatites virales ou auto-immune, les stéatoses hépatique alcoolique, les NASH ou encore les hépatites métaboliques.
Au sein d’une même famille, certains patients vont débuter la maladie via l’apparition d’une hépatopathie aigue ou chronique alors que d’autres vont avoir des manifestations neuropsychiatriques accompagnées d’une atteinte hépatique asymptomatique. Les formes hépatiques sont les formes les plus fréquentes chez l’enfant. Chez le sujet jeune, l’apparition d’hépatites fulminantes est plus courante que chez le sujet plus âgé qui présentera une atteinte hépatique sous forme de cytolyse évoluant vers la cirrhose59.
Formes mixtes de la maladie (atteintes hépatique et neurologique)
Les formes neurologiques apparaissent progressivement avec des signes cliniques précoces tels que des anomalies du mouvement, des troubles de la déglutition, des modifications de l’écriture, une dysarthrie. Ces manifestations s’observent surtout chez l’adolescent et l’adulte jeune. Au cours de l’évolution de la maladie, on peut observer un syndrome de type parkinsonien, un syndrome ataxique associé à un tremblement postural (tremblement en battement d’aile), un syndrome dystonique généralisé et des mouvements choréo-athétosiques60. Ces troubles neurologiques sont généralement accompagnés de troubles psychiatriques (dépressions, trouble du comportement voire psychose) ce qui peut entrainer un retard de diagnostic car ces troubles sont souvent banalisés, notamment chez l’adolescent. L’importance de ces manifestations neurologiques peut engendrer une dépendance dans la vie quotidienne.
La quantité de cuivre dans le cerveau des patients atteints de la maladie de Wilson avec des symptômes neurologiques est augmentée de 10 à 15 fois par rapport à des sujets non-malades42. La lésion la plus souvent observée par imagerie est l’atteinte des noyaux gris centraux61. Cette région présente une forte activité métabolique, un flux sanguin important ce qui en fait une région plus sensible aux toxines et à l’accumulation de métaux42. Les autres lésions neurologiques vont cibler le putamen et peuvent s’élargir au pallidum, au thalamus ainsi qu’aux structures sous thalamiques. L’apparition d’une dégénérescence astrocytaire est comparable à celle observée dans les cas d’encéphalopathie hépatique42. De nombreuses études ont montré le rôle clé des astrocytes dans la régulation de l’homéostasie du cuivre pour son stockage et sa redistribution vers d’autres structures cérébrales. L’induction des métallothionéines et l’augmentation de synthèse de GSH dans les astrocytes vont permettre la protection des autres cellules cérébrales contre la toxicité cuprique. Ils ont également pour rôle de redistribuer le cuivre aux neurones et aux autres cellules voisines si besoin62.
Les mécanismes moléculaires responsables de la neurotoxicité du cuivre dans la maladie de Wilson sont partiellement élucidés à ce jour et semblent être d’une grande complexité. A l’instar des mécanismes décrits pour le foie, le stress oxydant engendré par le cuivre libre au même titre que l’apparition de processus inflammatoires font partie des mécanismes de neurotoxicité connus. Un mécanisme spécifique de l’atteinte neurologique par le cuivre concerne l’excitotoxicité, processus d’altération et de destruction neuronale lié à l’hyperactivation par l’acide glutamique et ses analogues (NMDA et acide kaïnique). Ces neurotransmetteurs activateurs vont activer en premier lieu des récepteurs NMDA qui va, par la suite, impacter les récepteurs GABAergiques et AMPAergiques42. Ce mécanisme pathologique est incriminé dans d’autres pathologies neurodégénératives comme la sclérose en plaque, la maladie d’Alzheimer, la maladie de Huntington ou encore la sclérose latérale amyotrophique. Il a également été montré que le contenu cuprique cérébral dans la maladie de Wilson n’est pas toujours corrélé à la sévérité de l’atteinte neurologique ou neuropsychiatrique. Cela soulève l’hypothèse qu’il doit exister d’autres facteurs ou mécanismes ignorés à ce jour en dehors de la toxicité cuprique contribuant au développement de l’atteinte neurologique42.
Autres manifestations cliniques
D’autres manifestations cliniques spécifiques de la maladie de Wilson peuvent avoir lieu. Le signe le plus évident est l’anneau péri-cornéen de Kayser-Fleischer (KF). Son apparition reflète une surcharge en cuivre au niveau de la membrane de Descemet. Il est présent à hauteur de 95% dans les formes neurologiques et de 52% dans le cas d’atteintes hépatiques59. Des manifestations hématologiques peuvent également avoir lieu tel que des épisodes hémolytiques aigus et l’état d’hyper hémolyse chronique. Des manifestations rénales (lithiases, tubulopathies), ostéo-articulaires (ostéomalacie, ostéoporose, arthropathie) et cardiaques (cardiomyopathie, troubles du rythme) peuvent également survenir60.
Prise en charge clinique des patients atteints de la maladie de Wilson
Diagnostic
Le diagnostic de la maladie de Wilson repose sur différents critères comprenant un examen clinique, la mise en évidence d’anomalies biochimiques associées à la dérégulation du bilan cuprique, une recherche d’anomalie cérébrale mise en évidence par IRM (Imagerie résonnance magnétique), le dosage quantitatif du cuivre à partir d’une biopsie hépatique ainsi que l’analyse génétique de mutations de l’ATP7B63.
Examen clinique
Comme décrit précédemment, l’examen clinique repose sur l’identification de formes hépatiques ou neurologiques. Les formes hépatiques peuvent prendre la forme d’une hépatite aiguë, d’une hépatite chronique, d’une cirrhose compensée ou décompensée. De manière fortuite, une hépatopathie asymptomatique peut également être découverte lors d’un examen biologique ou radiologique de routine. L’anneau péri cornéen de Kayser-Fleischer caractérisé par la formation de cercles de coloration jaune verdâtre, présent à la périphérie de l’iris, constitue un élément fondamental et spécifique du diagnostic de la maladie de Wilson. Il est mis en évidence grâce à un examen oculaire à la lampe à fente et reflète une surcharge en cuivre de la membrane de Descemet (Figure 10). En outre, la maladie de Wilson peut être mise en évidence de manière fortuite par l’apparition de manifestations hématologiques (hémolyse), rénales (lithiases et tubulopathies), ostéo-articulaires (arthropathie) et cardiaques (cardiomyopathie et troubles du rythme)1.
Examen biologique
L’examen clinique est corroboré par un examen biologique qui va valider ou invalider le diagnostic de la maladie de Wilson. Dans un premier temps, un bilan hépatique est effectué afin de rechercher de possibles anomalies hépatiques. L’examen du bilan hépatique comprend le dosage des transaminases (ASAT et ALAT) permettant la mise en évidence d’une cytolyse hépatique. Les gamma-glutamyltranspeptitade ou gamma-glutamyltransférase (γ-GT), les phosphatases alcalines ainsi que la bilirubine totale et conjuguée sont également dosés afin d’évaluer la présence de cholestase. Le dosage du facteur V et du taux de prothrombine est également effectué afin d’estimer l’insuffisance hépatocellulaire. Cependant, un bilan hépatique normal n’élimine en rien l’atteinte hépatique qui peut évoluer lentement vers une hépatite chronique chez certains patients. La variation de ces paramètres n’est pas spécifique de la maladie de Wilson et nécessite des examens complémentaires.
La céruloplasminémie est diminuée chez 90% des patients (<0.1 g/L pour une normal comprise entre 0.2 et 0.4 g/L). Une CP normale n’élimine cependant pas le diagnostic. Le dosage du cuivre est effectué dans le sang ainsi que dans les urines. Le cuivre sérique est couplé à hauteur de 92% à la CP. Longtemps, seul le dosage de la cuprémie totale, cuivre présent dans le sang, était disponible1. Aujourd’hui, le dosage du cuivre échangeable (CuEXC) dans le sang constitue un nouveau dosage du cuivre libre toxique. Le rapport CuEXC/cuivre total (ou REC : Relative Exchangeable Copper) a récemment été décrit comme un marqueur prometteur pour le diagnostic des patients atteints de la maladie de Wilson. Ce paramètre correspond au ratio du cuivre échangeable sérique sur le cuivre sérique total64. Cependant aucune valeur de référence n’est actuellement disponible.
Le dosage du cuivre urinaire, ou cuprurie, des 24 heures est un élément important du diagnostic. La cuprurie est systématiquement augmentée dans les formes neurologiques (>100µg/24h – valeur normale <50µg/24h). Cependant, la cuprurie peut être élevée dans d’autres maladies hépatiques chroniques, notamment dans les hépatites auto-immunes1. Le dosage du cuivre intrahépatique à partir d’une biopsie hépatique pourra également être envisagé lorsque le bilan cuprique ne permet pas d’affirmer le diagnostic mais que celui-ci reste suspecté.
Diagnostic génétique
Le diagnostic génétique est effectué selon deux stratégies. La première est une analyse dite de « liaison » qui est proposée à la fratrie d’un patient pour dépistage précoce de la pathologie.
Elle est réalisée uniquement si un individu au sein d’une famille nucléaire (parents, enfants) est atteint par la maladie de Wilson1. La deuxième stratégie consiste en une analyse directe qui est effectuée chez des sujets dont on suspecte une maladie de Wilson. Cette analyse consiste en la recherche de mutations sur le gène de l’ATP7B. A ce jour plus de 600 mutations de l’ATP7B ont été décrites, dont 508 sont suspectées provoquer la maladie de Wilson. Un grand nombre de variants de l’ATP7B restent méconnus. Le nombre de séquences mutées ne cessant d’augmenter, cette grande variabilité de mutations rend cette analyse difficile64. Dans certains cas, l’analyse génétique n’est pas concluante65. De plus, l’analyse génétique est un examen couteux représentant un travail fastidieux et long.
Imagerie
L’imagerie cérébrale est un élément important d’aide au diagnostic de la maladie de Wilson bien que les anomalies observées ne soient pas spécifiques de la maladie. Tous les patients ayant des formes neurologiques ainsi que certains patients asymptomatiques ou ayant une atteinte hépatique, présentent des anomalies de signal au niveau du parenchyme cérébral. Le scanner cérébral peut être utilisé en cas de contre-indication à l’IRM et montrer des anomalies au niveau des noyaux gris centraux ainsi qu’une atrophie du cortex cérébral1 (Figure 11). L’utilisation du fibroscan® est de plus en plus utilisé permettant de déterminer la dureté du foie renseignant sur la présence éventuelle d’une fibrose hépatique63. L’échographie hépatique permet d’appuyer le diagnostic en apportant des arguments en faveur d’une maladie hépatique chronique. La fibroscopie œsophagienne va également être utile afin d’apporter des signes d’hypertension portale.
Prise en charge thérapeutique
La prise en charge du patient atteint de la maladie de Wilson a pour objectif de traiter précocement les patients présymptomatiques afin de prévenir les complications liées à la maladie. La prise en charge thérapeutique est multidisciplinaire, faisant intervenir des spécialités différentes : hépatologues, neurologues, pédiatres en association avec les professions paramédicales (orthophonistes, psychologues, kinésithérapeutes). Cette prise en charge est coordonnée par un médecin hospitalier en lien avec un Centre National de Référence (CNR). Le CNR Wilson est constitué d’un site coordinateur (hôpital Lariboisière (Paris), de 3 sites constitutifs (hôpital Bicêtre (Le Kremlin-Bicêtre), hôpital Paul Brousse (Villejuif) et l’hôpital Femme-Mère-Enfant (Lyon)) et de 6 centres de compétences (Besançon, Bordeaux, Lille, Marseille, Rennes et Toulouse). Le CNR de la maladie de Wilson a mis en place un registre national anonymisé répertoriant l’ensemble des patients atteints de la maladie de Wilson (629 patients inclus dans le registre en juin 2018). Deux registres ont été mis en place par la France : un registre national (WILSON FRANCE) et un registre européen (EUROWILSON).
Traitements médicamenteux actuels
Le traitement de la maladie de Wilson repose sur l’utilisation soit de chélateurs du cuivre éliminant le cuivre dans les urines, soit du zinc qui permet une diminution de l’absorption du cuivre. Toute personne nouvellement diagnostiquée est traitée et la médication doit impérativement être suivie à vie. En association au traitement médical, un régime alimentaire carencé en cuivre est mis en place (chocolat noir, fruits secs, les abats, les coquillages et crustacés sont à éviter). La prise d’alcool et de certains médicaments sont déconseillés en raison de leur hépatotoxicité1.
Parmi les chélateurs du cuivre, la molécule de référence administrée en première intention est la D-Pénicillamine (Trovolol®) qui se lie au cuivre afin de former un complexe non toxique éliminé par voie rénale entrainant une augmentation de l’excrétion urinaire du cuivre et une diminution du cuivre sérique libre. Elle va également induire la synthèse des métallothionéines augmentant la fixation du cuivre. Les doses habituellement administrées sont de l’ordre de 1 à 2 g par jour. Des effets secondaires liés au traitement par D-Pénicillamine tels que : des effets cutanéomuqueux (élastopathie), des troubles digestifs (anorexie, nausées, diminution du goût) peuvent-être observés à court terme. Des réactions allergiques (rash cutanée, fièvre) ainsi que des troubles hématologiques (leucopénie, thrombopénie) peuvent également être observés. Ces effets vont nécessiter une réduction importante des doses voire un arrêt du traitement. À moyen terme, des glomérulopathies extramembraneuses avec dépôts de complexes immuns (syndrome néphrotique ou protéinurie) ainsi que des affections auto-immunes (lupus induit, dermato-polymosite, myasthénie, purpura thrombopénique) sont également à l’origine de l’arrêt du traitement. Environ 30% des patients l’interrompent pour intolérance1. A l’arrêt du traitement, des décompensations hépatiques très sévères, voire fulminantes ont pu être observées66.
Le chélateur du cuivre utilisé en deuxième intention est la triéthylènetétramine (Trientine®). Cette molécule administrée en cas d’échec de la D-Pénicillamine va également permettre l’élimination du cuivre dans les urines et diminuer son absorption intestinale. Son efficacité d’élimination du cuivre par voie rénale est cependant moins importante que pour la D-pénicillamine, sa sélectivité cuprique est faible du fait de la chélation d’autres métaux de transition tel que le fer et le zinc. Cette molécule est à l’origine d’effets secondaires de type toxicité médullaire et protéinurie qui peuvent entrainer l’arrêt du traitement1.
En cas d’intolérance aux chélateurs décrits précédemment ou de formes moins sévères de la maladie, le zinc peut également être administré (Wilzin®). Il a pour principal mode d’action l’induction de la néo synthèse de métallothionéines intestinales favorisant la séquestration du cuivre dans les cellules épithéliales intestinales et au final d’en accroître son excrétion fécale. Dans le foie, il induit également la synthèse des métallothionéines fixant le cuivre et empêche son passage dans le sang. Les effets secondaires sont mineurs et principalement gastro-intestinaux (nausées et douleurs intestinales) ainsi que des maux de tête. Le zinc n’est pas utilisé en première intention du fait de son efficacité moindre8.
Prise en charge des évolutions vers des formes aigues
Le tableau clinique des patients peut s’aggraver en début de traitement. L’aggravation au niveau neurologique est plus fréquente sous traitement à la D-pénicillamine (13.9%) que sous triéthylènetétramine (8%) ou sels de zinc (4.3%)67. Le mécanisme de cette aggravation n’est pas élucidé mais il a été évoqué qu’il s’agirait d’une mobilisation du cuivre hépatique vers le plasma trop rapide suivi d’une redistribution du cuivre vers le système nerveux central. Cette aggravation s’observe dans les formes évolutives précoces. Elle peut être prévenue par l’instauration progressive du traitement. La décision de changement de traitement et l’administration de doses plus faibles, ou d’association de chélateurs du cuivre avec des sels de zinc est prise au cas par cas par les spécialistes des centres de références.
Après plusieurs années de traitement, les aggravations de la maladie, que ce soit sur le plan hépatique ou neurologique, sont généralement liées à une mauvaise observance du traitement. Ces aggravations sont généralement peu répondantes à la reprise du traitement et peuvent être brutales et très graves. En cas d’hépatites aigues fulminantes ou de cirrhose décompensée ne répondant pas au traitement, on aura recours à la transplantation hépatique. Dans les cas d’atteintes neurologiques s’aggravant sous traitement, la transplantation hépatique sera également discutée par les experts des centres de référence68. Il a été récemment montré que le cuivre échangeable (CuEXC) pourrait être un marqueur reflétant la sévérité de l’atteinte extra-hépatique. Cependant, ce paramètre ne semble pas associé à l’atteinte hépatique et ne permet pas d’établir le pronostic précoce de la survenue d’atteinte extrahépatique69.
Innovation thérapeutique : développement de nouveaux chélateurs du cuivre bio inspirés
Avec l’objectif d’augmenter spécifiquement l’affinité pour le cuivre et de diminuer les effets indésirables, un nouveau candidat médicament dit « bio-inspiré » et ciblant le foie est en développement au CEA de Grenoble. Ce nouveau chélateur s’inspire de la géométrie des métallothionéines et de la haute affinité des fonctions thiols des cystéines pour le cuivre (I). Le nouveau chélateur du cuivre a été fonctionnalisé avec un sucre N-Acétylgalactosamine connu pour cibler spécifiquement un récepteur localisé à la surface des hépatocytes (ASGP-R : Asialoglycoprotein receptor) (Figure 12). Une fois la prodrogue internalisée, l’environnement réducteur du cytoplasme des cellules permet la réduction des ponts disulfures dans les cellules hépatiques, les fonctions thiols chélatant le cuivre sont donc rendues disponibles une fois le chélateur internalisé dans l’hépatocyte. Ce mécanisme permet à ce nouveau type de chélateur d’acquérir la propriété de prodrogue car il ne chélate pas le cuivre en dehors des hépatocytes. Ce traitement innovant de la maladie de Wilson a été conçu pour excréter sélectivement et efficacement l’excès de cuivre du foie70. Cette propriété est un point crucial laissant présager une diminution des effets indésirables liés au traitement.
Suivi thérapeutique des patients
La maladie de Wilson étant une maladie chronique, le suivi clinique et biologique des patients est primordial et fait intervenir l’appui d’équipes médicales multidisciplinaires des centres de références et de compétences. Ce suivi permet de contrôler la compliance au traitement des patients. Toute interruption du traitement entraine des rechutes parfois fulminantes de la maladie. Au niveau biologique, la cuprurie des 24h permet de dépister une mauvaise observance. Sous traitement par chélateurs, le cuivre est éliminé dans les urines, la cuprurie augmente alors que par traitement au zinc, le cuivre est éliminé dans les selles, la cuprurie diminue.
Limites de la prise en charge actuelle : besoins cliniques et biologiques
Du diagnostic au suivi médical et thérapeutique du patient atteint de la maladie de Wilson, certaines limites peuvent être évoquées mettant en évidence des besoins de prise en charge clinique. A l’heure actuelle , le diagnostic de la maladie de Wilson repose sur un faisceau d’arguments ne reposant sur aucun test fiable à 100% et les paramètres biologiques utilisés en clinique ne sont pas spécifiques de la maladie de Wilson1. Les tests génétiques étant fastidieux, couteux et long à réaliser, il semble indispensable de développer de nouvelles alternatives d’aide au diagnostic qui soient spécifiques de la maladie de Wilson, peu couteux et facilement utilisable en clinique. L’absence de paramètres permettant d’évaluer précocement le pronostic des patients atteints de la maladie de Wilson constitue une faille dans la prise en charge des patients Wilson. Ainsi, lors de l’aggravation de la physiopathologie vers des formes évolutives de la maladie (hépatite aigue voire fulminante ou évolution vers une maladie neurologique par exemple), les décisions thérapeutiques sont généralement prises dans l’urgence et le risque de séquelles est d’autant plus important. Actuellement, la surveillance biologique des patients permettant de déceler les aggravations du tableau clinique vers des formes aigues rapidement évolutives se base sur la cuprurie des 24 heures mais ce paramètre biologique ne permet pas le dépistage précoce.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIERES
ABRÉVIATIONS
FIGURES
TABLEAUX
ANNEXES
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I : LA MALADIE DE WILSON
CHAPITRE 1 : Homéostasie du cuivre et maladie de Wilson
1.1 Physiopathologie de la maladie de Wilson
Premières descriptions de la maladie de Wilson
Métabolisme du cuivre
Physiopathologie et tableau clinique
1.2 Prise en charge clinique des patients atteints de la maladie de Wilson
Diagnostic
Prise en charge thérapeutique
Limites de la prise en charge actuelle : besoins cliniques et biologiques
CONCLUSION
CHAPITRE 2 : Avancées scientifiques dans l’étude à grande échelle de la maladie de Wilson
2.1 Bases moléculaires de la variabilité phénotypique de la maladie de Wilson
Corrélation génotype-phénotype associée à la maladie de Wilson
Etude du transcriptome hépatique
2.2 Les technologies « omiques » pour la découverte de nouveaux outils diagnostiques et thérapeutiques pour la prise en charge clinique de la maladie de Wilson
Mise en évidence de nouvelles cibles thérapeutiques par transcriptomique
Découverte de marqueurs diagnostiques par la protéomique
CONCLUSION
CHAPITRE 3 : La protéomique clinique
3.1 La protéomique clinique pour la recherche de biomarqueurs
Choix du matériel biologique
Préfractionnement biochimique des échantillons biologiques
La spectrométrie de masse
3.2 L’analyse protéomique dans le pipeline de développement des biomarqueurs
Intérêt de la découverte de nouveaux biomarqueurs
Pipeline de développement de biomarqueurs protéiques
CONCLUSION
PARTIE II : SYNTHESE EXPERIMENTALE RESUME DE L’ETUDE
CHAPITRE 1 : Exploration du protéome plasmatique pour la découverte de nouveaux candidats biomarqueurs
1.1 Méthodologie d’exploration du protéome plasmatique
Contexte et objectifs
Préparation biochimique des échantillons plasmatiques
Analyses par spectrométrie de masse
1.2 Etude préclinique pour la recherche de candidats biomarqueurs
Contexte de l’étude et collecte des échantillons biologiques
Optimisation de la stratégie de quantification pour l’analyse de découverte
Etude exploratoire du protéome plasmatique de souris Atp7b-/- pour la découverte et l’évaluation de nouveaux candidats biomarqueurs diagnostic de la maladie de Wilson
1.3 Etude clinique exploratoire du protéome plasmatique de patients atteints de la maladie de Wilson
Design de l’étude et collecte des échantillons plasmatiques
Etude translationnelle de vérification des candidats biomarqueurs identifiés sur le modèle murin Atp7b-/-
Exploration du protéome plasmatique des patients atteints de la maladie de Wilson
CONCLUSION
CHAPITRE 2 : Exploration du protéome hépatique
2.1 Introduction
Contexte et objectifs de l’étude exploratoire du protéome hépatique
Collecte et choix des échantillons biologiques
2.2 Préparation biochimique des échantillons
Objectifs de la préparation biochimique des échantillons
Optimisation du fractionnement subcellulaire
Extraction du contenu protéique et digestion
2.3 Analyse exploratoire des lysats hépatocytaires par spectrométrie de masse
Analyse LC-MS/MS label-free
Analyse de données
Résultats et discussion de l’analyse exploratoire
CONCLUSION
PARTIE III : CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES FUTURES COMMUNICATIONS SCIENTIFIQUES
ANNEXES
REFERENCES
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