Autour de l’Analyse du discours
D’après le philosophe Gilles Lipovetsky, les sociétés modernes sont gouvernées par l’humour. En effet, partout dans le monde, l’humour occupe une place de prestige dans tous les domaines sociaux : cinéma, théâtre, publicité, télévision, journaux, littérature, au point que même le discours politique et la vulgarisation scientifique trouvent leurs part. Le rire reste et restera le propre de l’homme pour mieux supporter l’insupportable, le futile comme l’important, pour mieux inspirer, et respirer. Mais faire rire est un exercice difficile, qui peut mener à l’incompréhension, d’où la nécessité d’une complicité entre l’orateur et l’auditeur-interprétant. Les spectacles de Mohammed Fellag sont pour nous le meilleur exemple pour représenter le discours humoristique algérien, car il associe le magnétisme du mime, la force jubilatoire du caricaturiste et l’insouciance débonnaire du poète jonglant avec les mots. L’implicite et la force de la parole se mêlent avec le geste pour faire de l’humour un outil de dénonciation. Cela nous conduit à nous interroger sur le pouvoir que peut avoir la parole sur l’auditoire, l’importance du destinataire dans l’interprétation de l’implicite, des procédés et des stratégies argumentatives adoptées par l’humoriste, de la manifestation du subjectivisme et le degré d’implication de l’humoriste. Nous supposons que le discours de Fellag, au delà de sa visée humoristique, a un autre objectif. En usant de l’implicite et des marques de subjectivité, il fait de l’auditoire un complice. Nous présumons, aussi, que pour persuader son auditoire, l’humoriste adopte des procédés et des stratégies argumentatives, qui se manifestent différemment de celles des autres domaines. On soulignera ici que l’analyse présentée se fait à partir d’un texte que nous avons, nous-mêmes transcrit, sur la base d’un enregistrement vidéo d’un sketch réalisée sur la scène. Or, c’est en situation de communication orale, face à un public présent, que Mohammed Fellag exerce son art humoristique. Dans notre cas, nous nous limiterons en conséquence sur l’étude des procédés verbaux. Les procédés paraverbaux (intonation, débit, accents, etc.) et non-verbaux (mimique, gestuelle, postures, etc.) ne sont pas pris en compte, en raison du manque de temps et de moyens. Notre corpus est une séquence d’une demi heure tirée de l’un des spectacles de Fellag, à savoir Le dernier chameau, mis en scène en 2004, au théâtre des Bouffes du Nord, Paris, duquel est tiré un DVD en 2005. Bien que l’engouement pour l’humour n’ait rien de neuf, nous tenterons d’analyser l’humour qui est un mode difficile à cerner, du point de vue du degré de sa réceptivité auprès de l’auditoire. Entre autre comprendre comment l’humoriste agit sur les opinions de ses spectateurs et pourquoi ceux-ci interprètent les non-dits de l’humoriste. Après avoir cerné le domaine du discours en général et celui du discours humoristique en particulier, nous allons entrer dans le champ de l’énonciation et de la communication pour détecter les marques de subjectivité qui nous servirons dans la détermination de l’implication de l’humoriste et de l’auditoire. Ensuite, nous aborderons l’implicite sous ses deux formes ; les présupposés et les sous-entendus avec l’analyse du corpus choisi. Enfin, nous clôturons notre travail en dégageant les procédés argumentatifs ainsi que les stratégies usités par l’humoriste dans sa mécanique argumentatives.
Autour de l’Analyse du discours
Naissance de l’analyse de discours
Dans son Cours de linguistique générale, Ferdinand de Saussure circonscrit le domaine de la linguistique comme une étude de la langue, elle- même définie comme un « système de signe ». Il oppose la langue à la parole, donc la société à l’individu. Par cette opposition, la recherche en linguistique s’oriente vers l’étude du système de la langue en mettant en marge les manifestations individuelles de la parole, cela présuppose l’exclusion du discours. La remise en cause de la conception saussurienne qui réhabilite la parole apparait en 1909 chez Charles Bally, dans son traité de stylistique, il ouvre la voie d’une linguistique de la parole en orientant la recherche sur la relation entretenue par le sujet parlant, son discours et son contexte. Chez Guillaume, on trouve la notion de l’acte de discours, qui tend à apporter plus de précision sur la place du sujet parlant, mais cette théorie ne dépasse pas celle de Saussure. C’est chez les formalistes russes, par contre, que se développe à partir de 1915 une recherche sur les structures narratives de la littérature orale et écrite. En 1928, on découvre dans la morphologie du conte russe de Propp, l’ambition de dépasser le principe de l’immanence pour s’intéresser aux vastes ensembles discursifs que sont les textes, afin de rendre compte de l’organisation syntaxique et sémantique d’un texte. Benvéniste, qui effectue des recherches sur l’énonciation et la sémiologie de la langue, en partant de la philosophie analytique et en particulier de la théorie des actes de paroles d’Austin, contribue à introduire dans la linguistique française un thème nouveau, qui représente aujourd’hui ce qu’on appelle communément l’analyse de discours.
Le discours : essai de définition
Le terme « discours » est polysémique dans la langue courante : il renvoie autant à un ensemble d’énoncés solennels qu’à des paroles vaines, qui font partie du quotidien. L’instabilité de la notion de discours rend dérisoire toutes tentatives de lui donné une définition précise. Ce terme renvoie à plusieurs acceptions selon les chercheurs ; certains en ont une conception bien restreinte, d’autres en font un synonyme de texte ou d’énoncé. Dominique Maingueneau, définit le discours selon plusieurs points de vue :
► Discours 1 : équivalent de la « parole » de l’opposition saussurienne « langue »/« parole », c’est-à-dire toute occurrence verbale.
► Discours 2 : unité de dimension supérieure à la phrase, équivalent de texte.
► Discours 3 : dans une perspective énonciative ou pragmatique l’emploi de discours plutôt que d’énoncé permet d’insister sur le caractère dynamique de l’énonciation, sur la relation qu’elle établit entre les partenaires de l’échange, sur son inscription dans un contexte.
► Discours 4 : par une spatialisation de la valeur précédente, « discours » désigne la conversation, l’interaction orale, considérée comme le type d’énonciation fondamental.
► Discours 5 : une opposition entre langue et discours permet de distinguer les valeurs qu’une unité linguistique possède virtuellement, hors contexte, et c’elle qu’elle acquiert à travers son usage effectif. On dira par exemple que la néologie lexicale est un phénomène de discours qui peut se fixer dans la langue.
► Discours 6 : on utilise parfois discours pour désigner le système sous-jacent à un ensemble d’énoncés tenus à partir d’une certaine position sociale ou idéologique. Ainsi parle-t-on de « discours féministe », de « discours administratif », de « discours de l’école »,
De toutes ces définitions, on retiendra que le discours sur lequel porte notre analyse est l’équivalent de la parole, car il est produit oralement, de dimension supérieure à la phrase, puisque c’est une combinaison de plusieurs phrases, dynamique ; produit une interaction entre les partenaires de l’échange -entre l’humoriste et ses spectateurs- en s’inscrivant dans un contexte. Avec le discours le mot acquiert sa valeur effective, enfin il peut prendre une certaine position sociale et idéologique. En effet, l’énonciateur en choisissant déjà le thème de son spectacle se situe dans un territoire lié à un ensemble de conceptions politiques, morales ou sociales. Ainsi, son discours qui est dans l’apparence est destiné à faire rire prend un autre revers, puisque en réalité il fait resurgir le point de vue de son propriétaire.
les caractéristiques du discours
– Le discours mobilise des structures d’un autre ordre que celles de la phrase. Son étude ne relève pas donc de la syntaxe, mais se concentre sur les conditions de production des énoncés.
– Le discours est orienté : non seulement parce qu’il est construit en fonction d’une visée, mais aussi parce qu’il est une forme d’action sur autrui. Toute énonciation constitue un acte qui vise à modifier une situation.
– Le discours est interactif comme dans toute communication car il prend en considération un destinataire.
– Le discours est pris dans un inter-discours : il ne prend sens qu’à l’intérieur d’un univers d’autres discours à travers lequel il doit se frayer un chemin. Autrement dit, un discours ne prend sens que par rapport à un autre.
les lois du discours
– La loi de pertinence : toute énonciation implique qu’elle est pertinente, qu’elle vient à propos.
– La loi de sincérité : l’énonciateur s’engage dans l’acte du discours qu’il accomplit.
– La loi d’informativité : les énoncés doivent apporter des informations nouvelles au destinataire.
– La loi d’exhaustivité : l’énonciateur doit donner l’information maximale, en fonction de la situation.
– Les lois de modalité : l’énonciateur recherche théoriquement la clarté, la concision, etc.
Le discours humoristique
Etymologie de l’humour
Le mot humour provient de l’anglais humor, lui-même emprunté du françaishumeur, qui découle du Latin humor, qui désignait autrefois les fluides corporels dont on pensait qu’ils influaient sur le comportement. Vers 1760, les Anglais utilisent le terme humor dans le sens «tempérament», ou aptitude d’une personne à voir ou à faire le comique des choses, pour se vanter de posséder un certain état d’esprit qu’on appelle maintenant humour anglais. A la même époque, le sens du mot français humeur suit une évolution semblable. Le mot humour est attesté pour la première fois en français au XVIIIe siècle, grâce aux liens qu’entretenaient les penseurs des Lumières avec les philosophes britannique.
L’ambivalence de l’humour
L’humour, par sa nature a tendance à se confondre avec d’autres nuances du registre comique (cherche à faire rire ou sourire), pour cela, il faut définir ces nuances :
– La satire est une critique, virulente et moqueuse, d’un ridicule, d’un défaut ou d’un vice ; elle est proche de la raillerie, du sarcasme ; elle utilise la déformation par exagération, peut se rapprocher de la caricature.
– L’ironie consiste à dire par raillerie, le contraire de ce que l’on pense ou de ce que l’on veut faire penser. Elle provoque la surprise ; on la trouve souvent dans les textes polémiques et dénonciateurs. Elle se manifeste par l’utilisation d’antiphrases, de litotes, d’exagérations, etc.
– La parodie est une imitation moqueuse. On ne peut la reconnaître que si l’on connait ce qui est imité, elle se manifeste généralement dans les textes littéraires.
– L’humour est plus difficile à définir qu’à pratiquer. Il attire l’attention, avec détachement, sans méchanceté, sur les aspects plaisants ou insolites de la réalité. On peut le décrire comme une acceptation consciente de la différence entre l’idéal et le réel, différence que l’on n’hésite pas à souligner, ce qui est une façon de s’en dégager .
Caractéristiques du discours humoristique
L’humoriste découvrant les absurdités de la vie, recourt à l’humour ; outil de dédramatisation, de dénonciation, de distanciation, de réflexion, et se place du coté de la victime, souvent du nôtre –le peuple- pour prendre le dessus sur les embûches que la politique, la société de consommation, la guerre, la mort placent devant nous tous. L’humour constitue un mécanisme de défense, une façon saine de se protéger, mais également de se montrer supérieur, en dépit de notre faiblesse.
L’énonciation
Tout discours suppose communication, et toute communication suppose des circonstances de communication particulières, et chacune de ces circonstances est le produit d’un certains nombre de composantes.
Conclusion générale
Dans la présente analyse, nous avons abordé trois champs qui relèvent du domaine de l’analyse du discours, à savoir ; l’énonciation, l’implicite et l’argumentation. Notre choix s’est orienté vers l’analyse du discours humoristique qui fournit une matière très originale où se conjuguent la langue, le langage, l’humour et la société. Au cours de cette étude, nous nous sommes intéressés aux trois protagonistes de la communication ; l’émetteur, le récepteur et le message. Mais nous avons donné une très grande importance à l’auditoire car c’est à lui que revient la lourde tâche d’interpréter le message. Les marques de subjectivité relevés et la présence de l’implicite nous ont permis de confirmer que le but de l’humour n’est pas seulement de faire rire mais aussi de faire adhérer son public à son point de vue, en faisant de lui un complice. Pour y arriver, Fellag a eu recours aux procédés argumentatifs tels que l’explication, les figures de rhétoriques, les connecteurs logiques, etc. Nous avons pu constater que le discours humoristique de Fellag vise à persuader un large public, puisque il a eu recours à coté de l’implicite aux trois langues : kabyle, français et arabe. L’emploi de ces deux stratégies nous renseigne sur la volonté de l’humoriste à adapter son discours en fonction de son auditoire pour que l’entreprise de persuasion soit réussie.
|
Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Autour de l’Analyse du discours
1. Analyse du discours
2. L’énonciation
3. Le non dit ou le pouvoir de l’implicite
Chapitre II : Etude des stratégies argumentatives
1. Les procédés et les stratégies argumentatives
Conclusion générale
Télécharger le rapport complet