Autoportrait d’une personne malentendante

La surditรฉ

ย  ย Une perte auditive rรฉcente me place en face d’une diffrcultรฉ : demander de I’aide. J’ai dรฉjร  perdu 80 dรฉcibels et me voilร  devant un rรฉcent dรฉficit de 9 dรฉcibels. La supplรฉance auditive ne suffit plus. Je rรฉalise que je me sens mal devant mes besoins de soutien. Aux fins de ma recherche, je dois bien comprendre certains concepts, tant sur le plan de la surditรฉ que sur le sens ร  donner ร  cette limitation. Quand on tente de comprendre la surditรฉ, on me pose souvent la question : << Qu’est ce que รงa reprรฉsente une perte de 40 dรฉcibels? > On a souvent l’impression qu’il s’agit d’un pourcentage d’audition. Il n’en est rien! Mรชme si j’ai une perte de 89 dรฉcibels, je n’ai pas nรฉcessairement perdu plus de 80 % de mon sens de l’ouรฏe. Comme รฉtalon, le degrรฉ de surditรฉ fait rรฉference ร  une oreille normale et sa valeur est nรฉgative. En d’autres mots,l’oreille normale a une perte de 20 dรฉcibels par rapport au seuil d’un son pur qui est audible ร  0 dรฉcibel. Celui-ci est difiicile ร  entendre par une oreille << normale >>. Je vous partage ces quelques repรจres pour vous aider ร  mesurer la gravitรฉ d’une perte de dรฉcibels. Une persolrne qui a perdu enfte 20 et 40 dรฉcibels a une surditรฉ lรฉgรจre. Au Quรฉbec, les audiologistes suggรจrent un appareil auditif quand ils constatent une perte minimale de 32 dรฉcibels. Un dรฉficit de 40 ร  70 dรฉcibels dรฉcrit une surditรฉ moyenne. Entre 70 et 90 dรฉcibels, la surditรฉ est sรฉvรจre. Et enfin, une perte de 90 dรฉcibels et plus entraรฎne une surditรฉ profonde. Si je suis privรฉe de 120 dรฉcibels, aucun son n’est audible. Je suis totalementsourde. L’association des Sourds du Canada รฉmet ce commentaire qui identifie bien la difficultรฉ ร  รฉtiqueter un individu selon sa capacitรฉ d’entendre. Elle met l’environnement comme un facteur dรฉterminant ร  l’entendement. En vis-ร -vis et avec une prothรจse auditive,si l’environnement est paisible, je n’ai aucun problรจme ร  suivre une conversation, je suis donc malentendante. Cependant, dans la circulation ou un endroit bruyant, je suis sourde de fait, car je n’ai pas de moyen de communication autre que la voix. Dans un document de l’Institut Raymond-Dewar situรฉ ร  Montrรฉal,la prรฉvalence des personnes ayant un problรจme auditif est estimรฉe, ร  ( environ 10 Yo pour l’ensemble de la population > L’auteur du document prรฉcise : 11 faut tenir compte que les donnรฉes concernant les taux de prรฉvalence de la surditรฉ varient รฉnormรฉment selon le critรจre retenu pour dรฉfinir la surditรฉ. On rencontre souvent le chiffre de 30 % (de la population รขgรฉe), ce chiffre pouvant paraรฎtre faible, mais il est obtenu en utilisant un critรจre audiomรฉtrique qui ignore la perte auditive pour les sons aigus, caractรฉristiques de la surditรฉ qui survient avec l’รขge. Considรฉrant que cette perte a un impact important pour la perception de la parole, il faudrait plutรดt parler d’un taux de prรฉvalence d’environ 50 oร‚ vers l’รขge de 70 ans et d’un taux supรฉrieur ร  80 % pour les personnes de 80 ans et plus. (Caron,2003 p.10) J’ai une surditรฉ de perception, car elle concerne l’oreille interne et met en cause le nerf auditif et la cochlรฉe; cette surditรฉ est la plus frรฉquente. J’aurais associรฉ ma surditรฉ ร  une surditรฉ de transmission, puisqu’elle est gรฉnรฉtique. Pourtant, la science l’associe davantage ร  la morphologie de l’oreille moyenne liรฉe au tympan ou aux osselets. La surditรฉ mixte, elle, est une combinaison des deux possibilitรฉs : la surditรฉ de perception et la surditรฉ de transmission.

Adaptation sociale

ย  Tout doucement, j’ai perdu ma capacitรฉ auditive. Dans un premier temps,inconsciemment, j’ai niรฉ ma situation. ร€ mon insu, j’ai dรฉveloppรฉ un sens de l’observation compensant la dรฉtรฉrioration de mon ouie. Cependant, cette habiletรฉ ne sera pas sufiisante et je suis inรฉvitablement confrontรฉe ร  la perte. Mon adaptation est intimement liรฉe ร  mon acceptation. Ce processus est ralenti parce que j’entretiens les prรฉjugรฉs de la culture entendante. J’ai eu peur que mon entourage me perรงoive diminuรฉe et confonde les mots << entendre >> et << comprendre >. Mes prรฉjugรฉs nuisent ร  mon acceptation. Je prรฉfรจre me taire sur ma limitation et faire semblant de comprendre; en fin de compte, je m’isole. Ce processus est inconscient, car il fait partie de mes capacitรฉs d’adaptation enracinรฉes dans mon bagage ontologique. En d’autres mots, je me protรจge comme j’ai appris.Dans une sociรฉtรฉ envahie par les nouvelles technologies, oรน le bruit est omniprรฉsent et plus รฉlevรฉ que jamais, pour moi, entendre devient un dรฉfi de taille. En gรฉnรฉral, la personne sans dรฉficience auditive n’a pas ร  faire d’efforts de concentration pour entendre, ce n’est pas le cas pour moi. J’ai lu, dans la revue Protรฉgez-Vous, les commentaires d’un mรฉdecin qui affirmait que le niveau sonore de I’environnement doublait tous les dix ans tant ร  la ville qu’ร  la campagne. Je vis en milieu rural, donc je me croyais protรฉgรฉe de la pollution auditive : รงa ne semble pas รชtre le cas. Souvent, le bruit de l’environnement vient enterrer ma voix, je ne m’entends plus. Plus l’environnement est bruyant, plus la communication avec mon vis-ร -vis est difficile, pour moi comme pour lui. Ainsi, je deviens rapidement รฉpuisรฉe et mon jugement peut en รชtre affectรฉ, mais pas mon intelligence. Les rรฉunions entre amis, dans les restaurants ou en grand groupe, sont devenues trop bruyantes pour moi. Le bourdonnement ambiant couvre les conversations et j’en ressors extรฉnuรฉe. Je fais comme si de rien n’รฉtait, je souris, et je suis vigilante aux signes visuels qui peuvent m’aider ร  me sortir d’une impasse. Ces rencontres ne sont souvent profitables ร  personne, ni ร  moi ni ร  mes amis.

L’identitรฉ

ย  ย Mรชme si je suis malentendante depuis l’adolescence,Ia conscience des consรฉquences de ma limitation sur ma vie, elle, est rรฉcente. Je remets en question les projets prรฉvus et j’adopte une faรงon diffรฉrente de me projeter dans I’avenir. Par exemple, il m’est impossible d’imaginer une rencontre amoureuse sans penser mettre, au centre de l’information partagรฉe, ma limitation auditive. J’introjecte le regard de l’autre sur la base du manque que je vis par rapport ร  ce que j’ai dรฉjร  connu. C’est un peu comme le vieillissement :je ne me suis pas vue changer, cette trajectoire รฉtant une transformation silencieuse. Pourtant, quand un regard masculin se pose sur moi, je ne peux m’empรชcher de m’รฉvaluer ร  mon apparence d’antan. De plus, je peux me sentir vieille et me questionner sur la pertinence d’une activitรฉ quand le regard de I’autre me classe dans le groupe des personnes รขgรฉes. La perte auditive est souvent associรฉe ร  la vieillesse qui est accompagnรฉe d’รขgisme. < Ce vieux sourd est dรฉpassรฉ, il ne comprend jamais rien. >> : voilร  un exemple de prรฉjugรฉ qui accompagne la surditรฉ et qui a une influence sur ma perception de moi-mรชme. La surditรฉ, comme le vieillissement, modifie l’identitรฉ sociale que je me suis construite. Comme personne malentendante, je me perรงois avec un dรฉficit et, sous ce regard, je m’รฉvalue en me comparant aux critรจres des personnes << normales >>. Mon statut de personne handicapรฉe enracine en moi le sentiment de ne plus < รชtre ร  la hauteur >.Marguerite Blais, dans son livre: La culture sourde (2006) offre une nomenclature qui aide ร  dรฉfinir la place et les besoins de la personne vivant une surditรฉ. Le Sourd avec une majuscule est une personne sourde de naissance et son mode de communication principal est gestuel. Le mot sourd รฉcrit avec une minuscule est associรฉ aux enfants sourds de naissances ou aux persoilres dont la surditรฉ est apparue, soit par accident ou maladie, aprรจs I’apprentissage du langage oral. Le malentendant est la personne qui a besoin d’une supplรฉance auditive, mais dont la surditรฉ n’est pas sรฉvรจre. Marguerite prรฉcise la difference avec un devenu-sourd: Les devenus-sourds, tout comme les malentendants, sont des individus qui ont grandi sans รชtre privรฉs de l’ouรฏe, ou parfois partiellement, et qui ont intรฉgrรฉ les valeurs vรฉhiculรฉes par la sociรฉtรฉ dominante entendante. Ces personnes sont devenues sourdes profondes ou sรฉvรจres ร  un moment prรฉcis de leur existence. (Blais, 2006,86-87)Dans ma situation actuelle, je ne peux m’intรฉgrer dans la culture sourde et je dois me rรฉadapter pour prendre ma place dans ma culture d’origine entenant compte de mon dรฉfrcit.Autrement dit, comme je suis la seule personne dans ma famille ร  ne pas entendre, il ne me sert ร  rien d’apprendre la langue des signes. Ce serait comme apprendre ร  parler le mandarin dans un milieu francophone; je ne suis pas nรฉcessairement en communication si personne ne me comprend. Par contre, je m’adapte en dรฉveloppant de plus en plus d’habiletรฉs en lecture labiale.Le caractรจre invisible de la surditรฉ crรฉe toutes sortes de malentendus. Puisque j’ai des racines dans la culture entendante, j’ai des habiletรฉs de communication orale. Je souhaite poursuivre mon expression dans un mode connu et pratiquรฉ par la majoritรฉ des gens : lavoix. La peffonne avec qui je communique oublie mes appareils autant que ma surditรฉ. Elle ignore que cette supplรฉance ne corrige pas l’oreille comme le font les lunettes dans un cas de myopie. Des phrases cofirme < Tes piles sont-elles mortes? > ou <( As-tu mis tes appareils? > font reposer la responsabilitรฉ de la qualitรฉ de la communication sur mes รฉpaules. J’interprรจte: << Je suis tannรฉe de rรฉpรฉter… > Pourtant, tellement d’interferences peuvent apparaรฎtre et nuire ร  la qualitรฉ du son que j’entends. Ces demandes supposent une exigence intrinsรจque – celle d’รชtre entendue sans devoir rรชpรฉter – et ne tierurent pas compte du milieu qui peut รชtre bruyant ou renvoyer de l’รฉcho; du contexte, alors que la nervositรฉ et la timiditรฉ influencent la perception; et du dรฉficit auditif, car les pertes trรจs รฉlevรฉes provoquent un taux proportionnel de distorsion du son.

L’excรฉdent excรฉdant

ย  J’ai une limitation auditive qui me confronte ร  une dรฉpendance excรฉdante dans ma vie. Je cultive mon indรฉpendance, mais mon handicap est trop important pour que je puisse me passer de l’autre sans m’isoler. Je dois accepter ma singularitรฉ et composer avec mon tissu social et familial en me respectant. Pour moi, il y a un รฉcart entre le respect de soi et la dรฉpendance ร  l’autre, une confusion entre un manque de dignitรฉ ou un excรจs d’orgueil.Je retrouve, dans mon processus d’adaptation ร  ma limitation, des relents de blessures de mon histoire de vie. Ces rรฉminiscences s’imposent ร  moi dans des moments oรน je m’y attends le moins, me laissant dรฉsemparรฉe. Elles sont de trop. Ie suis alors envahie d’un malaise d'< รŠtre >>. Je me vois alors adoptant des attitudes liรฉes davantage ร  mon histoire de vie qu’ร  mon besoin de communication.J’ai une fermeture intรฉrieure indue quand quelqu’un me fait des compliments ou que je ressens l’amour de mes proches. Soit je cherche sur quelles bases on m’offre cette gratuitรฉ de sentiment, soit je l’accueille en me dรฉprรฉciant. Je vis la lรฉgรจretรฉ et la joie comme des รฉtats de grร ce sans enracinement dans mes choix. J’ai un frltre agaรงant qui juge sรฉvรจrement et systรฉmatiquement la pertinence des risques que je peux prendre pour aller vers l’autre. Je suis consciente de mes capacitรฉs et je m’en dรฉcouvre d’autres avec surprise, mais ces apprentissages sont filtrรฉs par un mรฉcanisme qui m’empรชche de bien les assumer. Mes dรฉcouvertes ont la valeur du regard de l’autre; je suis attentive ร  cette reconnaissance alors que, paradoxalement, je n’arrive pas ร  assumer le succรจs.J’ai le sentiment parfois de brรปler la chandelle par les deux bouts. ร€ une extrรฉmitรฉ,une volontรฉ d’avancer vers l’autre avec le meilleur de moi; ร  l’autre bout, une puissance deshuctrice qui me dรฉsorganise. Dans ce contexte, la libertรฉ est difficile ร  assumer. Finalement, je m’รฉpuise ร  faire du surplace. Ceffe stagnation est excรฉdante dans ma vie. Elle tue des projets naissants comme si je n’y avais pas droit sans les avoir mรฉritรฉs par un travail harassant qui, finalement, dilue le plaisir de l’aventure. Selon moi << รชtre gรฉnรฉreux ), c’est s’enraciner dans ses limites et choisir d’offrir ร  l’autre sans attentes de rรฉciprocitรฉ. < Gratos D corlme dit Jacques Salomรฉ dans ses cours sur la mรฉthode E.S.P.รˆ.R.E/. Quand je suis gรฉnรฉreuse, je n’attends pas le retour de l’ascenseur. Ce qui est accablant, c’est le sentiment d’imposture, car je doute de mon authenticitรฉ et je perรงois ce ressenti comme un manque d’altruisme.Ultimement, comment rรฉpondre au sens que je veux donner ร  ma vie sans cette confusion identitaire dรชrangeante quand je me dis : < Qui suis-je pour vouloir renverser la vapeur dans mon รฉducation et semer de I’espoir? > Ce qui m’amรจne ร  mon hypothรจse de recherche, car cet excรฉdent s’enracine dans des ambiguรฏtรฉs que je rรฉussis difficilement ร  dรฉpasser.

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Table des matiรจres

Remerciements
Avant-propos
Rรฉsumรฉ
Abstract
Liste des tableaux
Liste des figures
Introduction
Chapitre 1 – Contexte et problรฉmatique de la recherche
CONTEXTE
Introduction
La surditรฉ
Adaptation sociale
L’identitรฉ
Cultures multiples
PROBLร‰MATIQUE DE LA RECHERCHE
Introduction
L’excรฉdent
Hypothรจse
excรฉdant
et question de recherche
Objectifs
En conclusion
Chapitre 2 – Mรฉthodologie
Introduction
Le rรฉcit autobiographique
La poiรฉsis, un premier canevas de travail
L’intention, un axe qui guide
Aisthรฉsis ou qu’est-ce que ma vie a encore ร  m’apprendre?
La catharsis
L’hermรฉneutique de la phรฉnomรฉnologie
Les enjeux de l’auto-interprรฉtation
La responsabilitรฉ dans la transmission passe par la dรฉprogrammation
Conclusion
Chapitre 3 – Posture รฉpistรฉmologique
Introduction
La mort
La libertรฉ,les limites et la responsabilitรฉ de choisir
La solitude existentielle
Le sens de la vie
Conclusion
Chapitre 4 – Cadre thรฉorique
Introduction
Identitรฉ
Attachement
Handicap et limitation
La honte
Conclusion
Chapitre 5 – Rรฉcit autobiographique
Introduction
Commenรงons par le commencement
Mes grands-parents
Ma mรจre
Inconfort personnel
La maisonnรฉe
Premier retour ร  l’รฉcole
Vie professionnelle
Convergences
Le baccalaurรฉat
Le deuil
La maรฎtrise dans tous les sens du terme
Rรฉadaptation
Chapitre 6 – Interprรฉtation
Introduction
Exercice du pouvoir
Le pouvoir du savoir
La colรจre : expression de la vulnรฉrabilitรฉ ou de la victimisation?
La sensibilitรฉ comme indicateur de mesure et de dรฉmesure
L’รฉvitement
Limite et responsabilitรฉ
Chapitre 7 – Thรฉorisation
Introduction
Contagions รฉmotionnelles
Distance
La reconnaissance passe par l’exposition
Un srand absent
Conclusion
Chapitre 8 – Synthรจse
Introduction
Construction de la responsabilitรฉ identitaire
L’ร ge de la transmissron
Gรฉnรฉrositรฉ et pouvoir
Conclusion
Bibliographie

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