Autoportrait du cinéaste en marcheur

Autoportrait du cinéaste en marcheur

Fictionnaliser le documentaire

La plupart du temps, quoi que nous puissions faire, quelle que soit notre volonté de faire preuve d’imagination, un film reste toujours le documentaire de son propre tournage.Autrement dit, le sujet et le style d’un film sont dictés par les conditions de tournage. Fort de cette conviction, Jean-Luc Godard dit que pour changer le cinéma, il faut d’abord changer la méthode et les conditions de tournage . En ce qui concerne mon film, il m’était primordial d’adapter mon style à un budget tout à fait insuffisant, voire inexistant. Je devais profiter de toutes les possibilités offertes par les caméras numériques et surtout de la réalité à ma portée.
Après avoir terminé la période d’écriture et de repérage, je me suis lancé dans la préparation du tournage. J’envisageais à ce moment-là un petit tournage sans prétention, entièrement en numérique, avec une petite équipe, question de garder les coûts de production au plus bas. De plus, je caressais l’idée de tourner un premier long métrage.
J’étais persuadé d’être en mesure d’accomplir ce pari à condition de me servir au maximum de ce qui existait déjà dans la réalité et de d’amasser beaucoup de matériel. Je voulais tourner un film de fiction avec les méthodes propres au documentaire. En fait, je m’étais demandé quel type de film nécessitait le moins de moyen. La réponse fut évidemment le documentaire. Le tournage d’un documentaire sous-tend une réalité préexistante au film d’où l’on tire parti de tout ce qui nous entoure, nul besoin d’acteurs professionnels, de rails de travelling, de grues, de maquilleuses, de chef-décorateur, d’accessoiristes, etc.
L’idée qu’on pouvait puiser dans nos limitations techniques et économiques de nouvelles formes esthétiques et de nouvelles modalités de récit fut pour moi un incitatif majeur à entreprendre le tournage de mon film sans trop me soucier pour le moment du résultat final. Je voulais tourner un récit de fiction directement dans des lieux authentiques avec des gens authentiques, des « ready-made » qui me garantiraient du moins une certaine aura de vérité. Mais une surprise de taille m’attendait dans le détour. Ainsi la plupart des gens avec lesquels j’avais l’habitude de travailler à l’époque n’étaient pas disponibles pour le tournage. En plus, comme quoi une déception n’arrive jamais seul, je suis tombé gravement malade presque au même moment. Mis ensemble, ces deux incidents de taille venaient passablement mettre en danger mon projet de film. C’est à ce moment, après une certaine amélioration de mon état de santé, que j’ai pris la décision de tourner le film en solo, comme un seul homme. De tout faire moi-même. J’avais déjà réalisé des courts métrages en solitaire, mais serais-je capable d’arriver à un résultat concluant avec entre les mains un projet beaucoup plus substantiel? Le tournage débuta alors sans délai et c’est équipé d’une liste de scènes embryonnaires, de deux caméras numériques, d’un micro, d’un enregistreur sonore, de deux lampes et d’un trépied que je suis parti à l’aventure avec la ferme intention de réussir mon pari initial.
La première partie du tournage eut lieu à Dolbeau-Mistassini comme prévu avec comme actrice principale ma conjointe Joanie. L’objectif de cette première phase de création était ni plus ni moins de récolter assez de matériel pour combler une bonne demi-heure dans le montage final. C’est pourquoi je tournais à l’instinct sans trop me poser de questions.
Comme j’agissais simultanément en tant que caméraman et preneur de son, tout ce qui attirait mon attention risquait d’être filmé ou d’être intégré à la scène que j’étais en train de tourner. Ce fut une expérience très libératrice que de bouger rapidement au gré de ce que le hasard mettait sur ma route, voire même une révélation; cette démarche certainement changera la façon de tourner mes prochains films. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à filmer avec deux caméras : une petite caméra bon marché utilisée n’importe où n’importe quand, comme pour prendre des notes à la manière du cinéaste français Alain Cavalier dans des films comme Le fllmeur (2005) et Irène (2009), et une caméra plus grosse, plus professionnelle, pour filmer ce qui se retrouvait sur ma liste de scènes ou ce que j’avais écrit au cours de la semaine, ou parfois le matin même. Cette façon de procéder ressemblait étrangement à la constitution d’une banque de données, d’un échantillonnage à la fois visuel et sonore, comme si je détenais déjà la certitude que le film ne se construirait véritablement qu’au montage à partir de ce que j’aurais prélevé sur le terrain.
J’avais comme inspiration visuelle une série de portraits du photographe et réalisateur américain Cam Archer (Figure 4, p. 30). Ces photos montrent des adolescents, au style vestimentaire très urbain, dans des cadres naturels comme des bords de rivière, des champs; dans des endroits abandonnés en périphérie de la ville; dans des banlieues sans nom, dans des intérieurs de bungalows et dans des rues désertes. Ces adolescents représentent clairement des outsiders qui détonnent dans un paysage qui semble les retenir, les avaler.
C’est ainsi que je concevais la première partie du tournage : Joanie devait paraître solitaire, isolée, dans un monde qu’elle connaît pourtant très bien. Un monde qu’elle regarde comme pour la dernière fois. Le fait qu’elle soit enceinte l’amène à se questionner sur son univers dans toute sa fatalité, c’est-à-dire comme un univers qui s’en va, remplacé bientôt par un nouvel ordre. Je voulais filmer Joanie dans son environnement exactement comme un documentaire le ferait, mais en y ajoutant des éléments fictivisants qui viendraient approfondir la psychologie d’un personnage sans nom et sans voix, errant comme une âme en peine.
Parce que je savais bien à ce moment-là que même si je voulais faire un portrait réaliste de Joanie, je me devrais absolument de passer par la fiction. Le simple exposé de faits communs ne suffirait pas à transmettre toute la complexité de la réalité intime d’un être humain. Il y manquerait toujours quelque chose, quelque chose qui selon moi ne peut passer que par une certaine forme de poésie. Le cinéaste doit nécessairement dissocier le monde qu’il veut filmer des représentations auxquelles ce même monde est habituellement associé. L’important n’est pas de filmer la chose mais de filmer notre relation à cette chose.
C’est en cela que le cinéma peut rejoindre la poésie, qui ne se soucie pas des choses elles mêmes, mais de notre rapport aux choses. À partir de ce moment, me revenait constamment à l’esprit cette citation de Bêla Balazs lue dans un livre de François Niney: Assurément, la connaissance de la réalité est la condition pour se libérer de toute fausse idéologie. Le besoin de connaître les faits est le souhait d’une conscience politique libre, à savoir s’orienter par soi-même. Mais la même objectivité devient une idéologie réactionnaire, elle élimine l’homme et son expérience intérieure vécue. Car l’homme fait aussi partie des faits réels avec toutes ses résonances sur son milieu. Avec ses désirs, ses fantaisies, ses rêves.
Le seul reportage des choses « tangibles » est insuffisant pour les organiser. Car il faudra parfois la sensibilité et la force des images du poète pour recréer l’atmosphère insaisissable de la réalité.

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Table des matières

RESUME 
REMERCIEMENTS 
TABLE DES MATIÈRES 
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 : PRÉPRODUCTION ET PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE 
1.1 Autoportrait du cinéaste en marcheur
1.2 La recherche du lieu acceptable
1.3 Le scénario inachevé
CHAPITRE 2 : PRODUCTION ET PROCESSUS DE CRÉATION 
2.1 Nouvelle technologie/nouvelle vision du monde
2.2 Fictionnaliser le documentaire
2.3 Documentariser la fiction
CHAPITRE 3 : POSTPRODUCTION ET THÉORIE DU CINÉMA 
3.1 La réalité démontée
3.2 Le cinéma de la conscience
3.3 L’écran intérieur
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE 
FILMOGRAPHIE

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