Autonomie et motivation : l’apprentissage par le désir

« Comment motiver efficacement les élèves ? » : cette question est arrivée en tête parmi toutes celles du débat national sur l’école de 2004. La motivation est indispensable à l’acte d’apprendre, c’est son moteur. Susciter la motivation chez l’apprenant c’est provoquer en lui la prise de conscience qui enclenche le mécanisme. Selon la définition du dictionnaire Larousse de l’Éducation, la motivation est un « ensemble de forces qui poussent à agir ». D’après le Petit Larousse, c’est « un processus physiologique et psychologique responsable du déclenchement, de la poursuite et de la cessation d’un comportement ». Étymologiquement, « motivation » dérive du latin motus qui signifie « bouger » : il s’agit donc d’amorcer un mouvement pour rentrer dans une action ou un comportement. André Giordan (spécialiste de la physiologie des régulations et de la didactique ainsi que de l’épistémologie des sciences) définit la motivation en termes d’état d’activation pour répondre à un besoin à satisfaire. Ainsi, dans l’espèce humaine, il existerait différentes sortes de motivation : satisfaire un besoin biologique (comme la faim), des besoins sociaux (tels que la compétition), ou encore d’autres besoins dits « cognitifs » comme peut l’être la curiosité. Et c’est ce dernier aspect de la motivation qui est soulevé à l’école.

Former des individus autonomes est l’une des finalités de l’école. L’éducation à l’autonomie, la pédagogie de l’autonomie, sont des propositions consistant à reconsidérer les règles fixées par les milieux social et naturel afin d’atteindre une forme de liberté. L’autonomie, dérivé du grec ancien autonomia, est le pouvoir de celui qui est autonomos, c’est-à-dire qui fait lui-même la loi à laquelle il obéit . L’autonomie se caractérise donc par la non-domination de tendances naturelles ou collectives. D’après les mots d’Héraclite (VIe siècle av. J.-C.) : « Il ne faut pas agir et parler comme nous l’avons appris par l’héritage de l’obéissance » — invitation à l’émancipation, à l’autonomie de l’action et de la pensée.

LA MOTIVATION

Cadre théorique

Les facteurs de la motivation
Roland Viau, chercheur et psychopédagogue québécois spécialisé dans les phénomènes psychologiques liés à l’élève en situation d’apprentissage, relève différents facteurs externes influençant la dynamique motivationnelle  . Parmi ces facteurs, certains sont relatifs à la société, d’autres à l’environnement familial, à l’établissement scolaire et, enfin, à la classe. C’est sur cette dernière catégorie de facteurs que les enseignants peuvent agir. Roland Viau propose donc d’orienter les activités pédagogiques vers leurs principaux acteurs, c’est-à-dire les élèves, en tenant compte de leurs intérêts, en leur proposant un défi à relever et en leur offrant la possibilité de faire des choix. Dans le cadre de sa quête de facteurs de motivation de l’élève, le chercheur québécois prétend que les modes d’évaluation doivent être centrés sur le processus d’apprentissage plutôt que sur les produits qui en résultent. Ainsi, un enseignant peut sanctionner un déficit d’apprentissage, mais il doit surtout aider les élèves à s’améliorer, à se corriger, à évaluer en somme ce qu’ils savent et ce qu’il leur reste à apprendre. L’enseignant doit faire en sorte que l’élève ne considère pas ses erreurs comme des fautes pénalisantes, mais comme des étapes incontournables du processus d’apprentissage, en lui offrant l’occasion d’évaluer d’une part ce qu’il ne sait pas encore en regard de ce qu’il a réussi et, d’autre part, ce qu’il doit améliorer, c’est-à-dire en l’aidant à considérer les progrès accomplis. Roland Viau soutient qu’il n’est pas cohérent de punir les élèves parce qu’ils apprennent. Un autre facteur motivationnel essentiel consiste en un bon climat de classe. Sans sentiment de sécurité, les élèves ne peuvent pas être motivés à apprendre, car apprendre c’est « risquer, tenter et explorer ». S’il ne se sent pas en sécurité, l’élève n’osera pas prendre le risque de mettre à nu son ignorance, de faire des erreurs. À charge donc, pour l’enseignant, de faire en sorte que chaque élève ait un sentiment d’appartenance à la classe ; qu’il se sente respecté et accepté par l’enseignant comme par les autres élèves.

L’enseignant doit être conscient de l’importance des comportements démotivants pour les élèves, surtout envers ceux qui sont considérés comme faibles et démotivés — c’est le constat de Roland Viau. Rabaisser les élèves, les dénigrer, les prendre en pitié, les ignorer sont autant de comportements qui suscitent la démotivation. Ces comportements ne peuvent qu’amener un élève à considérer qu’il n’a pas sa place à l’école. Ainsi, lorsque le professeur est en situation d’enseignement, il devient lui même l’un des facteurs de développement de l’élève. Il peut aussi bien être inhibiteur que positif et facilitateur. L’enseignant doit être conscient de son pouvoir de motivation, et s’efforcer d’adopter des comportements favorables à la motivation des élèves.

Jacques André (maître de conférences honoraire en Sciences de l’Éducation à l’université de Poitiers) parle d’attitudes essentielles dont doit faire preuve le pédagogue. Plus que les méthodes, ce sont les attitudes de l’éducateur qui importent. Privilégiant l’affectif, Jacques André démontre que le pédagogue doit d’abord faire confiance au potentiel humain : la capacité qu’a l’être humain à solliciter lui-même ses aptitudes pour se développer et réguler les divers actes de sa vie. L’éducateur se doit également d’accepter inconditionnellement la différence, de porter un intérêt profond pour l’autre différent en faisant preuve d’une écoute active et d’une attitude corporelle authentique. L’enfant se sent ainsi reconnu comme un être signifiant, important. Partageant cette conviction, Michel Barlow (docteur en Philosophie, ès lettres et en Sciences de l’Éducation) s’exprime dans son Journal d’un professeur débutant :

« Notre devoir de pédagogue consiste plutôt à aider chacun à réussir son développement. Il ne faut pas bousculer, détruire, mais faire jaillir à la surface toutes leurs capacités, respectant le rythme propre à chaque enfant. » .

Les perceptions de la motivation

La valeur de la tâche

La motivation est fonction de la perception de la tâche à accomplir. La tâche, l’activité, doit posséder un attrait particulier pour l’apprenant, soit dans le thème choisi, soit dans son genre. Elle doit revêtir une importance et/ou une utilité pour l’élève. La perception de la valeur de la tâche correspond à la signification et à la portée que l’élève lui accorde. La valeur de la tâche n’est pas déterminée par le fait qu’elle plaît ou non à l’élève, mais en fonction des retombées cognitives, affectives ou sociales que sa réalisation peut engendrer. Un enseignant doit donc rendre explicites à l’élève la signification et le sens des activités proposées. Plus l’élève attribue du sens à l’activité, plus il lui donnera de l’importance et plus son engagement, sa participation et sa persistance seront accrus.

Cependant, il ne suffit pas de donner sens à une tâche en en explicitant la consigne pour que tous les élèves se l’approprient et entrent en activité. Ce n’est pas parce que les élèves savent reformuler la consigne qu’ils ont compris le sens de la tâche. Selon Sylvie Cèbe (docteur en psychologie de l’enfant et de l’adolescent et maître de conférences en Sciences de l’Éducation à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand) « Enseigner de manière explicite » consiste donc « à engager les élèves dans une réflexion autour des critères de réussite ». Autrement dit, à les amener à comprendre les exigences de la tâche.

L’exigence de la tâche

La motivation est fonction du degré d’exigence de la tâche à accomplir. Si, au cours d’expériences antérieures similaires, l’élève a accumulé des commentaires peu élogieux et/ou des réactions négatives, il sera évidemment peu motivé à recommencer la même tâche. Selon l’intensité de son sentiment d’incapacité à réaliser l’activité, l’enfant peut montrer un refus, de l’indifférence, peut également ridiculiser la valeur ou l’importance du travail, voire même décourager ses camarades. A charge donc pour l’enseignant de prendre garde à proposer à l’élève un défi qui lui apparaisse raisonnable et de l’amener à envisager comment cette tâche s’inscrit dans l’ordre progressif de celles qu’il a réalisées antérieurement. C’est donc à l’enseignant de construire la confiance de l’élève. Comme l’a énoncé Simone Weil : « Éduquer quelqu’un consiste d’abord à ce qu’il se fasse confiance à lui-même». C’est à l’enseignant de placer l’élève dans des situations d’apprentissage qui ne dépassent pas ses capacités et qui requièrent l’application de stratégies et d’habiletés qu’il possède déjà, tout en lui donnant l’opportunité d’en acquérir de nouvelles. L’engagement de l’élève sera déterminé par la qualité du rapport entre le niveau de complexité de la tâche à accomplir et la valeur qu’il lui confère. Ainsi, une tâche exigeante, mais valable et intéressante engendrera nécessairement un engagement. A contrario, une tâche moins exigeante présentant peu de risques d’erreur ou d’écueil, mais qui ne revêt aucun sens valable ou qui n’intéresse pas l’apprenant, n’occasionnera pas ou peu d’engagement. Un équilibre subtil entre difficulté constructive et facilité de réalisation.

La plupart des élèves déterminent difficilement leurs points d’appui (acquis) et leurs besoins d’apprendre – équilibre fragile de leur motivation. Ils ont tendance à ne retenir que leurs manques, exprimés en termes flous et définitifs (« en difficulté », « en échec », « peut mieux faire », etc.). Il convient donc de mettre en place des dispositifs ainsi que des outils qui leur permettront de s’approprier ces informations essentielles : clarté de l’évaluation, visibilité des objectifs et des échéances, valorisation effective des progrès et des réussites, repérages précis des besoins requérant une remédiation, définition de la situation scolaire réelle de l’élève.

Albert Bandura  (docteur en Psychologie et professeur à l’université Stanford) considère que dans la présentation même des objectifs proposés à l’élève, il est possible de favoriser la motivation. En effet, moins l’élève possède d’information sur ses besoins et appuis, plus il aura besoin d’un feed-back, d’un retour clair, fréquent et régulier sur sa progression, pour se convaincre de son évolution. Ainsi, en combinant un objectif à long terme (définition de la situation scolaire réelle de l’élève) avec des objectifs à court terme (visibilité des objectifs pédagogiques, enseignement explicite, visibilité de l’échéance), l’enseignant fixe l’orientation du projet (positionnement de la tâche dans la situation scolaire réelle de l’élève) tout en fournissant des récompenses immédiates (réalisation de la tâche selon l’objectif fixé grâce à l’enseignement explicite) qui viendront alimenter le sentiment d’efficacité personnelle de l’élève.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LA MOTIVATION
1. Cadre théorique
1.1. Les facteurs de la motivation
1.2. Les perceptions de la motivation
1.2.1. La valeur de la tâche
1.2.2. L’exigence de la tâche
1.2.3. La contrôlabilité de la tâche
1.3. Constat dans les programmes
2. Expérimentation
3. Bilan
DEUXIÈME PARTIE : L’AUTONOMIE
1. Cadre théorique
1.1. L’autonomie selon Lev Vygotsky
1.2. L’autonomie selon Maria Montessori
1.3. L’autonomie selon Philippe Meirieu
1.4. L’autonomie selon Bernard Lahire
1.5. Constat dans les programmes
2. Expérimentation
2.1. Un tableau de responsabilités
2.2. Un plan de travail
2.2.1. Premier dispositif
2.2.2. Deuxième dispositif
2.2.3. Troisième dispositif
2.2.4. Quatrième dispositif
2.2.5. Cinquième dispositif
3. Bilan
TROISIÈME PARTIE : LE DÉSIR D’APPRENDRE
1. Motivation et autonomie : éléments médiateurs au désir d’apprendre ?
2. Désir, envie et intérêt… Et le sens ?
3. Et l’estime de soi ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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