Autobiographie sublimée par la fiction
Autour de l’écriture autobiographique de Yasmina Khadra
Remarqué en France après la publication du roman policier Morituri, Yasmina Khadra a rapidement acquis une audience internationale grâce à des romans tels que A quoi rêvent les loups, Les agneaux du seigneur, Double blanc, et L’automne des chimères dans lesquels, il met en scène le drame algérien des années 1990. Officier supérieur algérien, l’auteur a déjà publié quelques textes en Algérie, puisque sa hiérarchie lui permettait, moyennant un droit de regard, d’exercer son talent d’écrivain. Pour se défaire de cette censure trop pesante, l’auteur prend une double décision : écrire sous un pseudonyme et publier à l’étranger. L’intrusion de Yasmina Khadra dans le paysage éditorial franco-algérien a suscité, pendant plusieurs mois, débats, polémiques et rumeurs, avant que le commandant Mohamed Moulessehoul ne dévoile sa véritable identité. Après sa retraite, il décide de se consacrer à sa passion de toujours : l’écriture. D’une plume alerte, il passe sans souci de romans policiers aux romans « politiques », dans lesquels il met l’accent sur les discours « de sourds » entre L’Orient et L’Occident.
Les débuts de Yasmina Khadra dans le polar francophone remontent au début des années 1990 avec Le dingue du Bistouri. Très remarqué en Algérie, ce roman a eu des critiques élogieuses. Même Jean Déjeux a salué ce roman. En fait, Yasmina Khadra a recouru à deux pseudonymes : le premier le commissaire Llob (avec lequel il signa Le dingue du bistouri et La foire des enfoirés) les second Yasmina Khadra. Le premier procédé est emprunté à Frédéric Darc (qui signe ses policiers du nom de San Antonio). Avec Morituri, Yasmina Khadra prend l’Algérie contemporaine comme toile de fond. La critique littéraire occidentale reconnaît ce roman comme un des romans noirs les plus importants de la décennie. Dans un style virulent et acéré, du roman noir, il dévoile les coulisses d’une mafia politico-financière qui est prête à tout pour rester au pouvoir. Le style de ces premiers romans est synthétique, comportementaliste, avec une touche d’introspection, qui lui permettent de retracer une réalité des plus dures de l’Algérie. Ce que nous savons de cet auteur, c’est qu’il semble passer allègrement d’un genre à un autre avec un réel plaisir dans une sorte de défi qu’il se lance à lui-même, il a écrit des poèmes, des romans, des essais, des nouvelles, il s’est même essayé au roman « psychologique » avec Cousine K.
Cependant, Avec L’écrivain et L’imposture des mots, Yasmina Khadra va s’essayer à un genre tout à fait inhabituel : l’autobiographie. Nous employons le mot inhabituel car cet auteur a d’abord écrit des polars, et des romans. Il écrit habituellement des romans qui ont pour objet des situations et des faits relevant de l’invention. Mais, il recherche souvent un effet de réel. En choisissant le roman, Yasmina Khadra désire à travers son discours produire l’illusion référentielle. Ce sont des textes qui se veulent conformes à la réalité socio- culturelle, celle des lecteurs Algériens d’abord, puis le reste du monde. La question est de savoir si Yasmina Khadra en adoptant le genre autobiographique, garde le même style d’écriture ou s’il est contraint par le genre à changer. A-t-il suivi le genre classique de l’autobiographie ou a-t-il suivi un nouveau genre d’autobiographie mais infléchie par la dimension fictive telle que l’autofiction? Pour cela, il nous semble nécessaire d’aménager un cadre théorique qui nous permettra d’examiner l’écriture de soi de Yasmina Khadra. Il nous parait nécessaire de présenter un petit exposé sur l’état des études autobiographiques dont celles se rapportant au Maghreb. Cet exposé servira de prétexte pour introduire Yasmina Khadra sur la scène de l’écriture autobiographique.
L’autobiographie est un genre qui depuis son avènement a suscité de vives critiques sur la scène littéraire et c’est précisément cet aspect, que nous voudrions souligner. Nous remarquons d’abord, que la généricité est au coeur des polémiques et des débats des chercheurs en études littéraires. De plus, des dénégations autobiographiques s’affirment de manière éclatante en s’exhibant, sur les jaquettes même des livres, sous des formes génériques qui prêtent moins à conséquence. On écrit alors volontiers roman, nouvelle ou récit, en lieu et place d’autobiographie. L’autobiographie jusqu’au XXème siècle a été méprisée par les gens qui prônaient la littérature par exemple : « Brunetière la traitait de bavardage, et Mallarmé de reportage »1. Evidemment cette situation a changé puisqu’au cours du XXème siècle, l’autobiographie est devenue un domaine dans lequel, il y a des choses nouvelles à découvrir. Nous avons constaté également, devant l’afflux de romans dont la personne de l’auteur est le sujet, qu’écrire sur sa vie veut dire livrer ses émotions, ses émois, avec lyrisme, chanter ses petits et grands chagrins, exhiber ses petites et grandes humiliations. En effet, très peu d’auteurs y ont échappé :
Conclusion
Nous avons voulu consacrer dans cette première partie un volet réservé à l’introduction de Yasmina Khadra dans l’univers autobiographique. En effet, il s’agissait de poser un certain nombre de questions en rapport avec les concepts théoriques qui ont marqué l’évolution du genre autobiographique. Dans cet examen, nous ne prétendons pas englober l’ensemble des travaux qui été accomplis durant toutes les décennies passées, en fait nous voulions juste faire le lien entre notre corpus d’étude et les théories qui pourraient éventuellement nous servir pour examiner les livres de Yasmina Khadra. Cela dit, le premier contact que nous avons avec les livres de Khadra est jalonné d’obstacles. En effet, sur les couvertures des livres aucune indication n’est mentionnée pour orienter la lecture. L’absence générique manifeste sur les jaquettes, nous conduit à poser les questions suivantes : est-ce une volonté éditoriale ou est-ce une volonté de l’auteur de maintenir le suspense ?
Comment résoudre cette énigme ? Dans la grande demeure de l’autobiographie, nous avons constaté des ramifications insoupçonnées de genres voisins (roman autobiographique, autofiction, autobiographie postcoloniale etc.). Par conséquent, notre entreprise nous semble semée d’obstacles et pas des moindres, car il s’agit pour nous de situer l’oeuvre de Khadra par rapport à l’écriture de soi et de nous interroger sur les orientations qu’il a données à ses textes.
Nous voudrions vérifier si l’absence générique marque dans les textes de Yasmina Khadra une rupture avec le modèle de l’autobiographie canonique de Philippe Lejeune, et si l’auteur n’établit aucun pacte avec le lecteur. Sommes-nous face à un écrit où le réel et l’imaginaire se côtoient ? Nous visons les recherches dirigées autour des différentes modalités de la représentation littéraire de l’identité personnelle et des événements historiques rapportés par l’auteur. Est-ce le rapport au temps, les multitudes strates de la mémoire et des modes d’esthétisation du souvenir sont à envisager dans ses textes ? En fin de compte, sommes-nous au coeur de ses questions essentielles posées par l’autobiographie où l’auteur affronte dans son texte : la subjectivité, la mise en forme narrative et stylistique opposées au témoignage ? (Un témoignage en tant que transmission d’une expérience vécue), Nous allons nous enquérir dans cette étude pour élucider le problème de l’écriture de soi chez Yasmina Khadra. En somme, il s’agit pour nous de déterminer si la narration de Yasmina Khadra serait celle où l’on joint l’histoire individuelle à l’histoire familiale et établir le genre en montrant que l’intérêt s’est progressivement orienté non seulement vers le pacte de vérité (éminemment référentiel) mais aussi vers une forme hybride où le réel, l’imaginaire et le fantastique se mêlent. Dans ce cas, le concept d’autofiction nous semble à notre sens conserver toute sa pertinence. Nous allons procéder donc dans notre analyse pour déterminer le genre et la spécificité de cette forme scripturaire.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I : Autour de l’écriture autobiographique de Yasmina Khadra
Conclusion
Chapitre II : Organisa on mé mo r i el le de l’écri tur e de Khadr a
2.1. La généricité des textes de Khadra en ques on
2.1.1. Examen générique dans L’écrivain
2.1.2. Examen générique dans L’imposture des mots
2.2. Présenta ons des résumé s des deux textes
2.2.1. La vie singulière de Le Pe t Chos e
2.2.2. L’écrivain en discussion
2.3. Pra ques fragme nt ai res à traver s la ma t ér i al ité gr aphi que et typographi que.
2.3.1. Les fragments à l’échelle typographique dans L’écrivain
2.3.2. Les fragments typographiques dans un plaidoyer ?
2.3.3. Mohamed Moulessehoul alias Yasmina Khadra
Conclusion
Chapitre III : Autobiographie sublimée par la fic on .
3.1. Les voix en strates vers organisa on pol yphoni que des deux textes
3.1.1. Type de voix dans l’oeuvre
3.1.1.1. Je regardant je
3.1.1.2. Il- auditeur- biographique
3.1.1.3. Je en nous collec f
3.1.1.4. Je autobiographique et son double (tu).
3.1.2. Fic on et ima gi na on à t ravers l es dialogues .
3.1.2.1. Originalité du retour du personnage
3.1.2.2. Les personnages Fic fs
3.1.2.2.1. Les personnages référen el s
3.1.2.2.2. Les dialogues fic fs .
3.1.2.2.3. Dialogue argumenta f
3.1.2.2.4. Ainsi Parlait Zarathoustra
3.1.2.3. Le temps de la narra on
3.1.2.3.1. Le récit prédic f.
3.1.2.3.2. Les Prolepses
Conclusion
Chapitre IV : Ecriture fragmentaire et réminiscence à l’échelle du livre
4.1. La narra on par br i bes dans l’oeu vre de Khadr a
4.1.1.1. Le soliloque d’un écrivain
4.1.1.2. Autocita on ma t ér i au de la fragme nt a on dans l ’oeuv r e .
4.1.1.2.1. Autocita on dans L’écrivain
4.1.1.2.2. Autocita on dans L’ imp os tur e des mo t s.
Conclusion
4.1.2. Typologie des pra ques int er textuel les dans l’écri tur e de Khadr
4.1.2.1. Le répertoire d’un écrivain- lecteur.
4.1.2.2. Les intertextes dans l’oeuvre Yasmina Khadra
4.1.2.2.1. La cita on
4.1.2.2.2. La référence
4.1.2.2.3. L’allusion
4.1.2.2.4. Imita on ou Pal imp s este ?
Conclusion
4.1.3. Dimension esthé que de l’oeu vre de Khadr a
4.1.3.1. Symbolique de l’espace urbain
4.1.3.2. La symbolique religieuse
Conclusion générale
Bibliographie
Les livres de L’auteur
Autres romans (autobiographiques)
Ouvrages théoriques
Ar cl es et ouvrages en ligne.
Ar cl es de revues
Revue de presse et journaux en ligne
Thèses Magistère, Doctorat
Périodiques
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