Auto-réhabilitation ou l’architecture sans architectes 

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Définition de l’auto-réhabilitation

La réhabilitation désigne l’acte de « remise en état d’un quartier ou d’un immeuble ancien »1, regroupant dans cette définition une série de postures variées allant de la restauration (remise en état et modernisation des lieux tout en respectant au mieux l’aspect primitif de ceux-ci) à la restitution (rétablissement de l’état premier du lieu, avant les altérations que celui-ci a pu subir). L’auto-réhabilitation, c’est donc l’acte de restaurer ou de restituer par soi-même un lieu, que l’on habite ou non, sans faire intervenir de professionnels du bâtiment et plus spécifiquement de maîtres d’œuvre formés (architectes, bureaux d’étude…). Cette définition est assez large et peut aussi bien désigner tout ce qui touche à l’acte d’habiter (entretenir sa maison, l’agrandir…) que ce qui se rapporte aux loisirs et à l’appropriation du chez-soi.
L’auto-réhabilitation peut être vue de prime abord comme un dérivé de l’auto-construction. Cette pratique, consistant à construire l’intégralité de son logement de manière autonome, est en effet dirigée par les mêmes motivations : faire des économies, construire un chez-soi plus personnel, créer un environnement adapté aux besoins particuliers du ménage et à leur vision éthique (désir d’une indépendance au regard du système marchand, désir d’agir pour le respect de l’environnement)2. Toutefois, ce qui différencie l’auto-réhabilitation de l’auto-construction, c’est l’achat au préalable d’un édifice existant en plus ou moins bon état et qui constituera la base principale du projet. Le propriétaire devra alors faire appel à des savoir-faire et des techniques de construction anciennes, par opposition à l’auto-construction où seront mis en œuvre des matériaux plus modernes et bien souvent écologiques. Ces deux pratiques peuvent néanmoins se rejoindre dans le cadre d’un chantier d’auto-réhabilitation comportant une extension : la posture du porteur de projet sera alors plus celle d’une rénovation (acte d’améliorer ce qui a été dégradé, ce qui a perdu ses qualités, ce qui a été usé ou abîmé).
L’auto-réhabilitation peut de plus être vue comme une forme de bricolage, au sens défini par Viviane Hamon : « des arrangements négociés avec le possible, les moyens disponibles, les capacités mobilisables, par opposition au projet de l’ingénieur »1. Constituant alors aussi bien un loisir qu’une nécessité, le bricolage intervient ainsi dans tous les aspects de la maison, allant de la décoration au changement de plomberie ou encore la construction de mobilier. La dimension sociale d’une telle pratique a depuis longtemps été étudiée2, révélant l’importance de ce loisir sur l’appropriation du chez-soi et sa construction personnelle. Très répandu parmi les Français (63 % ont fait des travaux manuels, de décoration ou de jardinage chez eux au cours de l’année 2013)3, le bricolage est à la fois un moyen de s’exprimer, de se faire plaisir tout en économisant. C’est aussi une façon de valoriser ses compétences artisanales acquises lors d’expériences préalables (formations, chantier chez un ami…).
Mais à l’inverse du «bricoleur du dimanche», l’auto-réhabilitateur aura, comme un constructeur professionnel, le goût de s’intéresser aux particularités constructives de son logement et à ses besoins énergétiques. Puisant ses ressources dans une quantité d’outils à sa disposition, il prendra alors le temps de concevoir un lieu qui lui correspond, autant en terme de confort que d’aspect esthétique.

Auto-réhabilitation : d’hier à aujourd’hui

L’auto-construction est pratiquée depuis fort longtemps : dès que l’Homme ressentit le besoin de se protéger de son environnement, il se mit à se construire un abri, développant dans le même temps des techniques adaptées au lieu où il s’installait. Ce concept de « l’abri originel »4 fut par la suite largement repris en tant que modèle architectural par les théoriciens du Siècle des Lumières : Marc-Antoine Laugier, jésuite et homme de lettre, fera grand cas de la cabane primitive, construite par son occupant et s’adaptant de manière juste à son environnement.
Cette cabane primitive a évolué en se nourrissant des savoir-faire et des avancées techniques inhérentes à chaque nouvelle époque, constituant ce qu’on appelle l’architecture vernaculaire, construite par et pour ses utilisateurs au moyen des connaissances transmises de génération en génération et qui, véhiculées par les traditions locales, amène une cohérence du style architectural au sein d’une même région.
Mais, dès le XVIIIème siècle et l’avènement de l’ère industrielle dans les pays européens, l’auto-construction comme pratique de construction du chez-soi est mise de côté au profit d’un mode de construction plus professionnalisé et industrialisé. En outre, les règles de construction en milieu urbain se font de plus en plus rigoureuses, laissant peu de place à ce mode de construction assez informel, qui se retrouve relégué en périphérie des villes ou en milieu rural. Il restera néanmoins largement présent dans les pays en développement : cela est vérifiable en Moldavie par exemple (l’auteure du présent mémoire y a passé plusieurs semaines), pays d’Europe de l’Est dont l’économie repose largement sur ses exploitations agricoles1. Ici l’habitat est encore en majeure partie construit par les habitants, qui utilisent leur savoir-faire et celui de leur réseau de connaissances afin de reconstruire l’habitat familial ou une toute nouvelle demeure en mêlant techniques anciennes transmises par la famille (mur en terre, chauffage au bois centralisé, puits) et modernes (murs de bétons, réseau électrique, plomberie).
En France, l’auto-construction restera malgré tout une pratique répandue et connaîtra d’ailleurs un essor important après la Seconde Guerre Mondiale avec l’avènement des Castors. Ce mouvement social coopératif repose sur un principe commun : plusieurs familles se regroupent et participent de manière collective à la construction de leurs habitats, afin d’accéder à un logement salubre tout en réalisant de fortes économies. Sur son temps libre, chaque famille doit alors fournir un « apport-travail », œuvrant à la construction de villages entiers et permettant à la fois de répondre à une crise du logement importante et de créer des liens sociaux solides et durables. Cette initiative sera par la suite soutenue par le gouvernement, qui légiférera cet apport-travail le 5 mai 1949, reconnaissant et autorisant ainsi le mouvement Castors Ouest-France – Les castors du Haut-Landreau en construction (25 novembre 1954) à construire de l’habitat bon marché1. De plus, c’est à la même période que les grandes enseignes de bricolage voient le jour : Boulanger est créé en 1954, et Castorama ou Leroy Merlin en 1966. Ces grands magasins joueront dès leur création un rôle important dans la diffusion d’une « culture du bricolage », en offrant des produits faciles d’utilisation, un service de conseil en magasin et de livraison à domicile2.
Mais à partir des années 1990, avec l’industrialisation des procédés constructifs et le lobbying puissant des grandes sociétés spécialisées dans la construction, les soutiens financiers accordés par l’état aux auto-constructeurs sont progressivement retirés. Le marché de la construction est aujourd’hui largement dominé par la production professionnalisée. Certains auteurs3 donnent des raisons supplémentaires à ce désengagement : il faut s’assurer du respect des règles de l’art et éviter les risques liés à une pratique non-professionnelle du chantier, diminuer la concurrence entre les entreprises du bâtiment et lutter contre le travail clandestin. Néanmoins, le bâti auto-construit constitue encore un modèle choisi par de nombreuses personnes : le mouvement Castors existe toujours et s’est étendu à plusieurs régions de France, attirant une population de classe moyenne désireuse de construire son habitat pour des raisons économiques et écologiques4. Conservant les principes ayant présidé à sa création, les Castors proposent ainsi aide et assistance à toute personne souhaitant se lancer dans un projet de construction ou de réhabilitation tout en conservant la maîtrise d’œuvre de son chantier : auprès des Castors, elle pourra alors trouver des services techniques, des apports financiers, une main d’œuvre bénévole ou encore des matériaux bon marché qui lui permettront de maîtriser son budget ainsi que la qualité de sa production. En parallèle à cela, on assiste à un essor des technologies modernes et notamment d’Internet, qui favorisent une diffusion rapide des connaissances : blogs, chaînes YouTube, sites d’idées tel que Pinterest1, forums ou encore sites spécialisés permettent à chaque porteur de projet d’accéder facilement à l’information et de se construire un avis précis sur n’importe-quel sujet. La possibilité d’échanger avec d’autres auto-constructeurs ou auto-réhabilitateurs donne également le moyen de profiter de l’expérience de l’autre sans avoir à se déplacer.
Enfin, depuis quelques années, le concept DIY ou Do It Yourself (faites-le vous-même en anglais) marque un regain d’intérêt pour l’auto- production : marquant un rejet de la société de consommation, ses adeptes prônent l’économie, la récupération, le recyclage et l’auto- gestion. Illustrant une volonté d’indépendance vis-à-vis des industries et des grands groupes commerciaux, le mouvement DIY2 se diffuse largement par le biais d’internet : des néophytes partagent leurs travaux en photo ou en vidéo, accompagnés de tutoriels expliquant pas à pas la marche à suivre pour reproduire le dit objet ou ouvrage de construction. L’auto-réhabilitation s’insère parfaitement dans cette mouvance et se nourrit largement de ses codes, permettant à celui qui désire se lancer dans un projet d’obtenir un maximum d’informations aisément, au risque parfois de se perdre ou d’obtenir des données erronées car non validée par un sachant.

Auto-réhabilitation hybride

Malgré sa dimension   autonome,   l’auto-réhabilitation   ne se détache pas complètement du monde professionnalisé de la construction. L’étude menée par le centre de recherche Viviane Hamon Conseil et réalisée en 2014 se penche ainsi sur l’accompagnement des projets d’auto-réhabilitation « hybrides »3 : ces projets sont caractérisés par l’intervention d’entreprises du bâtiment sur des phases spécifiques du chantier, le reste étant ensuite assuré par le propriétaire. Ces entreprises vont pouvoir jouer un rôle d’accompagnateur auprès des porteurs de projet, apportant à la fois des conseils sur la mise en œuvre du chantier et une expertise technique. L’artisan peut en outre être amené à travailler conjointement avec les auto-réhabilitateurs, adoptant auprès d’eux un rôle de formateur, en dépit des problèmes d’assurance que cela peut éventuellement causer. L’implication sur le chantier, l’aide matérielle ainsi que les conseils apportés favoriseront de plus son action commerciale, bien que ce service supplémentaire soit gratuit : en effet, un chantier qui se passe bien encouragera le client à rappeler l’artisan, ou encore à le conseiller auprès d’autres porteurs de projet.
Il est à noter qu’il est en effet assez rare que l’auto-réhabilitateur se charge de tous les aspects du chantier : certains parties plus techniques (installation du réseau électrique, réalisation d’une charpente) ou demandant des outils spécifiques (grue de levage, échafaudage) l’encourageront à faire appel à des artisans, avec qui il pourra éventuellement travailler ou échanger sur d’autres aspects de son projet1.
Avec cette nouvelle définition, de nombreux projets peuvent alors être qualifiés « d’auto-réhabilitation », tant que le propriétaire conserve la maîtrise d’œuvre ainsi que la maîtrise d’ouvrage de son projet et réalise par lui-même une portion des travaux à effectuer. Ainsi, parmi les vingt monographies étudiées par la société Viviane Hamon Conseil, certains projets étaient réalisés à près de 90% par des artisans. Cette proportion d’intervention des artisans au sein du chantier dépend d’ailleurs fortement des compétences techniques initiales du porteur de projet : plus celles-ci sont faibles et plus l’artisan sera présent.
Prenant en compte cette définition plus élargie, les chantiers étudiés pour le présent mémoire font ainsi tous appel à des artisans à un moment spécifique du projet et ce même si les compétences des propriétaires en matière de chantier sont nombreuses. Ce fut effectivement un critère de sélection, afin de pouvoir questionner la relation entre les porteurs de projet et leurs artisans, ainsi que le potentiel rôle d’acteurs de l’accompagnement de ces derniers. L’implication d’un artisan au sein d’un chantier d’auto-réhabilitation modifie en effet le rapport du porteur de projet à son chantier, qui adoptera une attitude spécifique allant de l’apprenti au maître d’ouvrage et parfois tout à la fois : ces rapports spécifiques seront étudiées plus en profondeur par la suite.
L’auto-réhabilitation en France
Le marché de l’auto-réhabilitation
La définition relativement floue de l’auto-réhabilitation rend difficile le chiffrage de ce marché : en effet, ce type de construction est caractérisé par différents types de permis de construire1 et se pratique souvent de façon informelle. Certains rapports de recherche estiment néanmoins que l’auto-construction (comprenant également l’auto- réhabilitation) concerne 5 à 7 % des maisons individuelles construites chaque année2, mais ce chiffre varie fortement d’une étude à l’autre. Néanmoins, selon un sondage IFOP3 mené en 2012 par la Fédération Française des Magasins de Bricolage (FMB), 83 % des Français ont réalisé de manière autonome des travaux dans leurs maisons, 39 % de ces travaux concernant l’isolation, la réfection des revêtements, la plomberie ou encore l’électricité. Cela démontre bien le désir des ménages à s’investir dans l’aménagement de leur habitat, de manière à se l’approprier au mieux.

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Table des matières

1. Introduction 
1.1 Présentation du sujet de recherche
1.2 Problématique et hypothèses de recherche
1.3 Méthodologie de recherche
1.3.1 Le choix de l’entretien
1.3.2 Analyse des projets d’auto-réhabilitation
1.3.3 Analyse des démarches d’accompagnement
2. Etat de l’art 
2.1 Qu’est-ce-que l’auto-réhabilitation ?
2.1.1 Définition de l’auto-réhabilitation
2.1.2 Auto-réhabilitation : d’hier à aujourd’hui
2.1.3 Auto-réhabilitation hybride
2.2 Problématique et hypothèses de recherche
2.2.1 Le marché de l’auto-réhabilitation
2.2.2 Législation et politique
2.2.3 Outils d’accompagnement existants
2.2.4 Solutions de financement pour les ménages
2.3 Patrimoine rural : ses enjeux pour demain
2.3.1 Qu’est-ce que l’espace rural ?
2.3.2 Le retour à la campagne
2.3.3 Protection du patrimoine : quel intérêt ?
2.3.4 Caractéristiques des milieux d’études
2.4 L’ARA ou Auto-Réhabilitation Accompagnée
2.4.1 Ses objectifs
2.4.2 Moyens d’accompagnements et outils d’actions
2.4.3 L’animateur technique
3. Auto-réhabilitation ou l’architecture sans architectes 
3.1 Qui est auto-réhabilitateur ?
3.1.1 Fiches habitants
3.1.2 Le profil-type de l’auto-réhabilitateur
3.1.3 Un rapport étroit au patrimoine
3.1.4 Une expérience préalable
3.2 Des motivations multiples
3.2.1 Considérations économiques
3.2.2 Considérations psychologiques et sociales
3.2.3 Un développement du projet sur le temps long
3.3 Constitution de l’expertise et approvisonnement
3.3.1 Une évolution des outils
3.3.2 L’importance de l’entourage
3.3.3 Réseaux d’approvisionnement
3.4 Les démarches d’accompagnement
3.4.1 Une méfiance vis-à-vis des entreprises
3.4.2 L’importance des associations
3.4.3 Un accompagnement désiré ?
3.5 Conclusion
4. L’accompagnement à l’auto-réhabilitation 
4.1 Objectifs d’accompagnement et phases d’intervention
4.1.1 Objectifs des acteurs de l’accompagnement
4.1.2 En amont : orienter le porteur de projet
4.1.3 Durant le chantier : conseiller et soutenir
4.1.4 Après le chantier : réception des travaux
4.2 Les formes de l’accompagnement
4.2.1 Informer
4.2.2 Former
4.2.3 Financer
4.3 Où est l’architecte
4.3.1 Les problématiques d’assurance et de sécurité
4.3.2 La figure de l’architecte-conseil
4.3.3 L’Architecte des Bâtiments de France
4.4 Perception des auto-réhabilitateurs
4.4.1 Des porteurs sensibilisés à la protection du patrimoine
4.4.2 Un public investi près à réinvestir
4.4.3 Un potentiel danger ?
4.5 Conclusion
5. Une aventure humaine : relations entre auto-réhabilitateurs et acteurs de l’accompagnement 
5.1 Les besoins des auto-réhabilitateurs
5.1.1 Analyse du bâti et lancement du projet
5.1.2 Apprentissage et maîtrise des techniques constructives
5.1.3 Communication avec les acteurs du bâtiment
5.2 Maître d’ouvrage ou maître d’oeuvre
5.2.1 Celui qui fait, celui qui fait faire et celui qui fait pour
5.2.2 Le rôle formateur des artisans
5.2.3 La transmission des connaissances
5.3 Retour critique sur les dispositifs d’accompagnement existants
5.3.1 Un réseau efficace bien que complexe
5.3.2 L’aide sur le chantier
5.3.3 Paradoxe des discours
5.4 Prospective d’évolution de l’accompagnement
5.4.1 Une meilleure organisation
5.4.2 L’assistance à la maîtrise d’ouvrage
5.4.3 Carnet numérique du logement
5.4.4 L’auto-réhabilitateur accompagnateur ?
5.5 Conclusion
6. Bibliographie 
7. Annexes 
7.1 Grilles d’entretien
7.2 Retranscriptions
7.3 Tableau des profils

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