Auto-organisation, systémique et complexité ; au croisement des sciences dures et des sciences sociales 

Structures dissipatives, émergence et complexité : l’évolution des systèmes auto-organisés

Dans les années 1980 des structures, dites « dissipatives », sont théorisées. Il s’agit de structures qui évoluent grâce à la succession de points de bifurcation, c’est-à-dire de points de changement structurel : « on appelle bifurcation le point critique à partir duquel un nouvel état devient possible » (Prigogine, Stengers, 1986). Ainsi la bifurcation correspond au moment où le système évolue vers un nouvel état d’équilibre qui peut modifier sa structure ou ses qualités. Ce type de structure est découvert en chimie et permet de comprendre les changements d’état de la matière. On peut dire que les systèmes auto-organisés évoluent par bifurcations successives alternant avec des phases de stabilité durant lesquelles la structure du système ne se modifie pas significativement. Le flux d’énergie constitué par les interactions entre les éléments est toujours présent. Ainsi la structure ne disparaît pas et les variations de ces interactions provoquent des bifurcations.
Les bifurcations permettent l’évolution du système et son adaptation aux changements du milieu. Le système évolue en passant d’un état d’équilibre à un état de déséquilibre qui va lui permettre de trouver un équilibre nouveau plus adéquat à la situation. Ces bifurcations sont déclenchées de manière autonome par l’évolution des interactions entre les éléments du système. Il s’agit du mode d’évolution des systèmes auto-organisés. Dans un système organisé, les changements structurels ne proviennent pas des éléments mais d’une autorité centrale qui peut être externe ou interne. Par exemple, les cellules du corps humain changent de comportement en fonction des conditions environnementales sans forcément suivre un programme génétique contenu dans leur ADN, c’est ce qui permet l’évolution. Au contraire, s’il n’y a pas de suite d’actions prédéfinie liée à une situation donnée un programme informatique ne pourra pas s’adapter à toutes les conditions environnementales nouvelles, c’est pourquoi il faut télécharger des mises à jour du programme. Il s’agit d’une évolution du système mais dont l’origine est extérieure au système : une organisation et pas une auto-organisation.
Les bifurcations permettent une évolution du système formalisée par le terme d’émergence, il s’agit de « l’apparition d’un système nouveau, qui comporte des propriétés nouvelles, voire un niveau de complexité supérieur » (Brunet, Ferras, Théry, 1993). Ce nouveau système apparait grâce à la bifurcation, c’est au moment de l’apparition d’un nouvel équilibre que nous pouvons parfois parler de nouvelle structure. Mais il existe différentes manières de conceptualiser l’émergence.
Celle-ci ne concerne pas seulement un nouveau système, elle concerne aussi les propriétés de celui-ci ; et c’est plus souvent le cas lorsqu’il est question d’auto-organisation. En effet, la relation entre les éléments et le système est formalisée par l’émergence. Les propriétés du système sont différentes de celles des éléments, pour reprendre le vieil adage : « le tout est plus que la somme des parties ». Ainsi l’émergence correspond à « des qualités et des propriétés qui apparaissent une fois que l’organisation du système vivant s’est constituée, qualités qui n’existaient évidemment pas au niveau des parties telles qu’elles se présentaient isolément » (Morin, 2005). L’important ici est de considérer que les éléments du système pris séparément ne disposent pas des mêmes qualités que le système pris dans sa globalité. Cette dernière remarque est applicable tant aux systèmes physiques qu’aux systèmes sociaux (Abdelmalek, 2004). En effet on peut considérer qu’un système social a des propriétés émergentes qui ne se manifestent qu’au niveau du système considéré dans sa globalité. L’action d’un élément, considérée seule, n’a pas les mêmes propriétés que la somme des actions de tous les éléments qui fait émerger le système.
Dans cette optique l’apport de la réflexion kantienne est encore intéressant puisqu’il permet de se positionner dans l’analyse des relations entre les éléments et le système global. Selon lui, « toute partie, tout de même qu’elle n’existe que par toutes les autres, est aussi conçue comme existant pour les autres parties et pour le tout » (Kant, 1790). Ce point de vue permet de considérer les éléments du système comme indissociables des autres parties du système dans l’analyse. Il est ainsi impossible d’envisager les éléments sans aucune relation au système ou aux autres éléments même si ce système les dépasse. Cette façon d’envisager les choses permet de concevoir que l’organisation puisse être produite par ses éléments puisqu’ils sont indissociables de celle-ci. Une telle approche rend possible la conceptualisation de l’auto-organisation.
Les systèmes que nous considérons doivent être analysés selon plusieurs niveaux : celui des éléments, de leurs interactions et celui du système émergeant. La présence de plusieurs niveaux est une caractéristique de la complexité. En effet on peut considérer les systèmes auto-organisés comme des systèmes complexes étant donné « la variété des éléments et des interactions entre ses éléments » (Rosnay, 1975). Nous reprenons ici la réflexion de l’Institut de Santa Fe en 1984 qui définit les systèmes complexes comme des systèmes dynamiques avec un très grand nombre d’interactions et de rétroactions. Les caractéristiques fondamentales d’un système complexe sont donc la variété et la redondance. Le positionnement scientifique de la complexité nous permet d’affirmer l’importance de la prise en compte de la variété des éléments et des interactions intégrées dans un système. Nous pouvons ainsi considérer qu’il existe, dans un système auto-organisé, plusieurs niveaux d’analyse reliés entre eux par l’émergence et la rétroaction. L’étude des systèmes anthropiques est liée à un fort de degré de complexité. En effet, on distingue l’apparition de nouveaux niveaux d’organisation, il s’agit de la « complexification croissante » liée à l’évolution. Mais à partir d’un certain degré de complexité on atteint la « complexification conscience » qui permet l’apparition de psychismes (Chardin, 1955).
L’auto-organisation oblige à considérer des systèmes dits « hypercomplexes ». En effet, la capacité auto-organisatrice du système est liée à la présence d’un grand nombre de sous-système autonomes réunis par une finalité commune. Ainsi le système peut s’adapter à son environnement par l’auto-organisation du fait de l’autonomie des éléments. C’est une condition de survie pour ces systèmes. Par exemple, les entreprises à monoproduction survivent moins bien que les entreprises aux activités variées. Celles qui ont des activités variées peuvent plus facilement s’adapter à la conjoncture grâce à tous les sous-systèmes spécialisés qu’elles regroupent (Donnadieu, Karsky 2002).

De la transposition de l’auto-organisation des sciences dures aux sciences sociales

En tant que théorie liée à la complexité, qui appelle des réflexions pluridisciplinaires, le concept d’auto-organisation est aussi entré dans le champ des sciences sociales. L’élément de base du système devient l’individu ou le groupe d’individus. L’analyse de l’émergence d’un système à partir des actions et interactions individuelles est très riche de possibilités. L’auto-organisation permet de formaliser des systèmes impliquant une grande variété d’éléments et d’interactions.
La transposition de ce type de réflexion à la société pose le problème de comprendre l’action individuelle. Si pour des systèmes physiques, chimiques ou biologiques l’action des éléments est soumise aux lois de la matière, l’action humaine est liée à beaucoup d’autres paramètres. Par exemple, une molécule d’eau soumise à une augmentation excessive de température va augmenter ses mouvements dans l’espace jusqu’à ce que l’eau se transforme en vapeur. Il s’agit de la seule réaction possible pour cet élément physique. Dans le cas d’un individu confronté à un même problème, les solutions sont multiples et influencées par de nombreux paramètres. L’individu pourra, entre autres, chercher un lieu plus frais ou un moyen de rafraîchir l’atmosphère ou se dévêtir ou ne rien faire. Toutes les solutions possibles sont soumises à un processus de choix qui intègre des paramètres sociaux et culturels. Se dévêtir ne fait pas partie des solutions envisagées par tous les individus confrontés à ce problème. Nous devons nous poser la question de la génération de l’action individuelle. Si le préfixe « auto » donne le choix à l’individu, cela implique l’absence d’autorité centralisatrice ou coordinatrice qui serait elle-même à l’initiative de l’action. Nous devrons considérer que les actions individuelles naissent à partir d’un ensemble de motivations personnelles : initiative individuelle, pression sociale, inconscient collectif … Mais nous devons préciser cette définition, les actions individuelles que nous étudions dans l’auto-organisation sont-elles coordonnées avec celle des autres ? La naissance de l’organisation est-elle volontaire ? Comment qualifier une action qui n’est pas centralisée ?
Afin de répondre à ces interrogations, il convient de s’intéresser à l’analyse de l’auto-organisation par les sciences sociales.

Ordre social et ordre économique auto-organisés ?

Ce que Jean Pierre Dupuy appelle « le paradoxe de l’auto-institution sociale » souligne le fait que le contrat social rousseauiste est à la fois la cause et le résultat de l’organisation sociale (Dupuy, 2004). Ainsi les individus agissent en fonction des lois de la société mais il semble aussi que leurs actions soient à l’origine de celles-ci. Pour résoudre ce paradoxe de nombreux philosophes associent dés le XVIIIème siècle la naissance du contrat social à l’auto-organisation, sans utiliser le terme. Selon Adam Ferguson, penseur politique écossais de l’époque, « l’ordre social est le résultat de l’action des hommes et non de leurs desseins » (Ferguson, 1992). Cela implique que l’action individuelle crée l’ordre social sans le vouloir. Ce paradoxe est résolu par le recours à l’auto-organisation. Les individus agissent et créent la société dont ils font partie sans en avoir conscience. Le système social est le résultat de l’action des éléments sans intervention extérieure ou centralisation. Il pose donc une auto-organisation originelle et évolutive de la société.
Fréderic A. Von Hayek et sa théorie de l’ordre spontané peuvent être reliés aux théories de l’auto-organisation mais cette fois dans le domaine économique (Bouraoui, 2009). L’ordre spontané est une « théorie de l’auto-organisation des actes économiques au niveau du marché » (Nemo, 2002). F. Hayek propose une lecture individu-centrée des processus macro-économiques. Ces derniers seraient le résultat d’actions individuelles non centralisées (Nemo, 2002). L’idée de F. Hayek, dont on a souvent critiqué l’originalité, est liée à celle d’Adam Smith dont « la main invisible » justifie le maintien de l’organisation grâce à la loi du marché uniquement, c’est-à-dire sans régulation politique de l’économie. S’il existe un pouvoir politique, il n’a pas de pouvoir de régulation de l’économie. La régulation est réalisée par le marché. L’apport de ces liens est principalement celui de l’absence de volonté commune qui centraliserait la constitution d’une organisation. Là encore, l’auto-organisation semble être une théorie qui maintient l’ordre économique. Le terme d’ « invisible » utilisé par A. Smith pose encore une fois la question de la connaissance de cet ordre, qui semble difficile à appréhender. L’auto-organisation sert à formaliser la mise en place d’une structure qui n’est pas visible ni revendiquée, mais dont on ne peut nier l’existence.
Les deux approches que nous venons d’aborder soulignent le fait que l’auto-organisation peut être transposée en sciences sociales. Il s’agit de conceptualiser que l’absence de centralisation ou de concertation de l’action collective n’implique pas l’absence d’ordre. Précisons que la centralisation peut être externe, un chef auquel on a donné un pouvoir, ou interne, une prise de décision directe par le groupe au complet. Ainsi l’auto-organisation peut apparaître comme une solution de gestion, de mise en ordre, différente de la centralisation.

L’auto-organisation : une solution de gestion ?

Il convient de différencier l’auto-organisation de l’autogestion, car l’amalgame est aisé du fait du rôle central des individus. L’autogestion est définie comme « l’organisation égalitaire de la société par les hommes eux-mêmes, selon leurs « désirs et leurs besoins » (Guillerm, Bourdet, 1975). On retrouve ici le même préfixe grec que dans l’auto-organisation. L’individu est donc l’élément de base des deux types d’organisations sociales. Dans un fonctionnement en autogestion, « toutes les décisions sont prises par la collectivité qui est, chaque fois, concernée par l’objet de ces décisions. C’est-à-dire un système où ceux qui accomplissent une activité décident collectivement ce qu’ils ont à faire et comment le faire » (Castoriadis, 1979). L’autogestion est un mode d’organisation sociale qui donne l’initiative et la prise de décisions à toutes les personnes impliquées de manière directe. L’autogestion exclu le système de représentations par l’élection lié aux assemblées démocratiques.
Marx critique, dès la Commune de Paris, le risque que l’autogestion se cantonne à des coopératives locales qui ne changent pas le système global centralisé. Les détracteurs de l’autogestion réduisent cette solution d’organisation à des micro-initiatives. Mais l’idée reste de créer « une autre organisation nationale (ou mieux encore, une fédération de nations à vocation mondiale) qui supprime le capitalisme et l’étatisme au profit d’un ensemble autogéré de coopératives égalitairement associées selon un plan élaboré par la somme des besoins » (Guillerm, Bourdet, 1975). La différence entre l’auto-organisation et l’autogestion n’est donc pas la taille de l’entité considérée.
L’autogestion implique un plan commun permettant de coordonner les individus impliqués. Il s’agit d’une « autre forme de planification, centralisée par le bas » (Guillerm, Bourdet, 1975). Cette centralisation fait la différence avec l’auto-organisation. En effet, l’auto-organisation est une solution de gestion sans centralisation. Il s’agit d’une gestion qui accepte l’initiative individuelle comme l’autogestion mais sans plan commun ni coordination.
Le rôle de l’information est aussi très important dans l’autogestion. Il s’agit de permettre aux individus impliqués de prendre la décision en disposant de toutes les informations nécessaires. L’autogestion implique une circulation de l’information et une coordination constante de tous les individus impliqués autour des décisions à prendre en fonction de la conjoncture (Castoriadis, 1979). Ainsi l’autogestion correspond à un modèle d’information complète alors que l’auto-organisation dépend d’une information incomplète et inégalement répartie entre les individus.
Nous distinguerons donc l’autogestion par la concertation et l’orientation vers un but collectif qui sont absents de l’auto-organisation. La réflexion sur l’autogestion a suivi de prés le développement des études sur l’auto-organisation en sciences sociales. La temporalité quasi-similaire de la formalisation des deux théories n’a pas facilité leur distinction. L’auto-organisation a été la perdante de cette compétition et l’autogestion est une théorie beaucoup plus présente, notamment en sciences politiques. Les deux termes sont souvent confondus. Elinor Olstom utilise le terme d’auto-organisation pour parler de systèmes de gestion des ressources naturelles mis en place au fil des siècles par de petites communautés. Elle prend l’exemple de systèmes de gestion de l’eau et des ressources halieutiques. Cependant le terme d’auto-organisation ici n’est pas employé dans le sens où nous l’entendons et il s’agit plutôt d’autogestion. En effet, les systèmes d’irrigation de huertas dans le sud de l’Espagne ou les cycles de pâture dans les montagnes suisses sont le résultat d’une gestion volontaire et commune de la ressource. La communauté choisit ses règles en commun et se les impose elle-même (Olstom, 2010). Il s’agit donc d’une centralisation et d’une organisation par la communauté. Notre définition de l’auto-organisation est différente de celle-ci. Pour nous, la concertation induit l’autogestion.
L’auto-organisation implique une absence de coordination imposée, qu’elle provienne d’une autorité centrale ou d’une assemblée à laquelle on a laissé le pouvoir d’organisation ou d’une décision prise par tous, directement et collectivement. Mais l’auto-organisation peut être appliquée à la résolution du même type de problèmes. Pour prendre un exemple simple, une communauté confrontée à un problème de gestion de l’eau pourra soit s’organiser en autogestion soit laisser les individus libres de leurs utilisation de l’eau et dans ce cas il s’agira d’auto-organisation.
L’auto-organisation apparait donc comme une solution de gestion différente de la centralisation par un Etat ou par l’autogestion. Il s’agit d’une alternative à ces modes d’organisations de la société. L’auto-organisation a la particularité de fonctionner à partir d’une information limitée alors que l’autogestion est fondée sur l’accès de tous à l’information.

Processus de choix et auto-organisation

L’absence de coordination des actions implique de considérer la logique des actions individuelles. Les systèmes envisagés par les théories de l’auto-organisation sont trop importants, trop complexes, pour que l’individu puisse disposer d’assez d’informations pour agir en fonction d’un but qui le dépasserait. Ainsi que ce soit pour l’organisation sociale ou l’organisation économique, l’individu tente de maximiser son profit dans le cadre des possibilités dont il dispose. Les processus de choix intègrent un grand nombre de paramètres. Les travaux sur la théorie des jeux, initiés par Théorie des jeux et comportement économique de J. Von Neumann et O. Morgenstern en 1944, proposent de formaliser les processus de choix individuels sous forme de jeux. Ces derniers, inspirés des jeux de société, intègrent un ensemble de règles qui conditionnent l’action des individus impliqués. Bien qu’il s’agisse de situations abstraites, la théorie des jeux pose des hypothèses importantes concernant la logique des stratégies individuelles. « L’hypothèse fondamentale de la théorie des jeux est celle qui stipule que chacun cherche à maximiser ses gains » (Guerrien, 2002). Ainsi les stratégies individuelles se construisent dans le but de maximiser l’intérêt de l’agissant.
Les informations dont il dispose concernant son environnement au sens large, c’est-à-dire incluant les autres éléments du système et leurs actions sont aussi prises en compte dans le processus de décision. Le statut de l’information est là encore fondamental. En théorie des jeux, l’information peut être considérée comme complète, mais il s’agit de situations abstraites qui ne peuvent être transposées à la réalité. Pour étudier des situations réelles, il faut considérer que l’information dont dispose les individus est incomplète mais qu’ils ont conscience des valeurs probables des variables inconnues. La construction de ces stratégies et leurs résultats sont formalisés par la théorie des jeux. Par exemple, le fameux « dilemme du prisonnier » permet de mettre en relation les différentes stratégies que peuvent employer deux joueurs et leurs résultats (Guerrien, 2002). Les deux prisonniers ont plusieurs choix : avouer, nier ou ne rien dire. Leurs peines ne seront pas les mêmes en fonction de la réponse de l’autre. Si l’un avoue et l’autre nie, le premier aura une lourde peine et l’autre une peine plus légère. A l’inverse si les deux avouent ils auront deux peines importantes et si les deux nient, leurs peines seront plus légères. Ils doivent donc prendre en compte les actions probables de l’autre prisonnier pour maximiser leurs chances d’avoir une peine légère.
Dans l’analyse d’un système auto-organisé il convient de définir quelles sont les informations à disposition des individus et comment ils les exploitent pour construire leurs stratégies. Les individus impliqués dans la constitution de l’ordre social comme ceux qui prennent part au jeu économique de Smith ne sont pas capable de mettre en place des projets pour l’ensemble du système. Leur information est limitée et c’est cette limitation qui crée l’auto-organisation. Dans le cadre d’une autogestion les individus se regroupent et augmentent volontairement leur accès à l’information concernant l’ensemble du système et de ses éléments comme de son environnement.
La particularité de l’auto-organisation en sciences sociales réside dans l’absence de centralisation des actions individuelles dans la constitution et la gestion du système. Une telle approche doit prendre en compte les représentations que les individus ont du système et les stratégies qu’ils vont mettre en place en fonction de cette information. L’action individuelle doit être considérée comme liée logiquement à l’information disponible sur l’état du système.
La somme de ces actions individuelles produit un système dont les caractéristiques dépassent la volonté et les qualités des individus qui y participent, il s’agit de l’émergence. Pour reprendre les apports des sciences dures, les interactions entre les individus que nous venons de définir font émerger un système qui évolue ensuite par bifurcations successives. Les bifurcations correspondent à une modification de comportement d’un ou plusieurs individus et les qualités du système qui émerge s’en trouvent modifiées.
Les exemples que nous venons de présenter de l’utilisation de l’auto-organisation en sciences sociales remontent au XVIIIème siècle. Ces théories ont ensuite été redéveloppées par les sciences dures. C’est de cette façon qu’elles ont fait leur entrée dans le monde scientifique sous le nom d’auto-organisation. Les sciences sociales ont ensuite commencé à exploiter ces théories au XXème siècle et de nombreux travaux se sont penchés sur la relecture des théories sur l’organisation de la société dans tous les champs depuis les Lumières. C’est grâce à la complexité que se sont ensuite développés des systèmes d’analyse plus larges. Il s’agit d’une nouvelle manière d’envisager le système monde qui permet d’intégrer tous les champs scientifiques.
Ce questionnement sur l’organisation sociale a naturellement amené une analyse de sa traduction spatiale avec la géographie théorique dans les années 1980, lorsque toutes les autres sciences sociales se sont intéressées à la systémique et à la complexité.

L’Auto-organisation d’un système spatial, quel intérêt pour la géographie ?

Premiers pas … des sciences sociales à la géographie.

On doit l’application des théories de l’auto-organisation à la géographie à Denise Pumain, Léna Sanders et Thérèse Saint Julien avec la parution en 1989 de Villes et auto-organisation. Il s’agit de l’analyse des systèmes de ville par l’auto-organisation : « Ces formes urbaines, construites « involontairement » par le jeu d’acteurs qui ajustent continuellement leur comportement en fonction des interactions qu’ils ont entre eux et des changements de conditions intervenant dans l’environnement de la ville constituent ce que l’on appelle un « phénomène d’auto-organisation ». » (Pumain, Sanders, Saint Julien, 1989).
L’auto-organisation est donc définie ici comme la construction d’une organisation de façon « involontaire », c’est-à-dire sans projet préalable. La place importante donnée à l’acteur et aux interactions entre acteurs et avec l’environnement concorde avec notre première définition de l’auto-organisation. Le caractère involontaire de la construction du système concorde également avec notre point de vue. Mais il faut préciser que notre approche se distingue de celle-ci dans le sens où les « individus », ou les éléments de base du système, sont ici des acteurs qui peuvent représenter des groupes d’individus. Le choix de cette échelle d’analyse correspond bien entendu à l’objectif de formaliser le système de villes. Notre approche sera différente et considérera comme élément de base les individus au sens littéral du terme. En effet, cette entrée nous parait correspondre mieux à l’analyse d’un système de transport en commun qui se trouve à une échelle plus fine que le système de ville analysé par D. Pumain et al. D’autre part, nous considérons l’auto-organisation comme une solution de gestion qui se développe face à un problème non résolu ou mal résolu par l’autorité centrale. Dans ce cas, l’auto-organisation ne représente pas seulement une organisation spatiale involontaire, mais une alternative de gestion d’un problème pour la communauté. Cette gestion reste involontaire et non coordonnée.
Il convient de souligner que les actions individuelles sont envisagées sous la forme de stratégies liées à la prise en compte de l’environnement et des autres acteurs. Cette prise en compte ne peut pas relever de la concertation étant donné qu’une concertation impliquerait un projet d’organisation commun. Autrement dit, il s’agirait d’autogestion et pas d’auto-organisation. Il faut noter que l’information disponible entrant dans le processus de décision ne peut pas être exhaustive du fait de la complexité du système. Nous devons comprendre quelles informations conditionnent leurs actions et comment ces actions influent sur le système dans sa globalité.
Une analyse de ce type est permise par les similitudes d’approche des systèmes entre les autres sciences et la géographie. Nous analysons le système comme ayant une trajectoire temporelle unique et irréversible, comme ouvert sur l’extérieur et structuré par les relations entre les éléments qui les composent (D. Pumain, 1998). Il s’agit de la même approche que celle qu’utilisent les biologistes dans l’analyse d’un corps par exemple. Plus généralement c’est de cette façon que sont envisagés les systèmes complexes (Morin, 2005). La systémique et la complexité ont donc permis le passage des sciences dures aux sciences sociales et à la géographie. Comme nous venons de le voir avec l’ouvrage de Denise Pumain et al. ces théories s’appliquent aux systèmes spatiaux. Il s’agit d’un champ d’abstraction commun qui permet de réunir les sciences autour de concepts qui se rejoignent. Les systèmes auto-organisés sont présents dans des sciences aussi diverses que la biologie et l’économie.

Une démarche théorique et quantitative

L’auto-organisation en géographie s’intègre dans une démarche théorique. Il s’agit d’une des théories qui permettent à la géographie de sortir de la monographie et tenter d’établir des règles plus générales. Ces processus généraux permettent de dépasser l’unicité des lieux. L’auto-organisation permet de considérer que chaque structure spatiale est le résultat d’une succession de bifurcations à partir d’une situation initiale particulière et ainsi respecter le caractère singulier du lieu tout en réfléchissant sur des processus généraux (Pumain, 2007). La théorie s’adapte aux lieux et nous sommes dans un perpétuel aller-retour entre la réalité des phénomènes et leur abstraction. La genèse de l’auto-organisation en géographie s’intègre dans la « révolution » théorique et quantitative qui se développe en France depuis les années 1970. Il s’agit d’une démarche visant la théorisation des phénomènes mais aussi leur quantification. L’idée est de permettre l’abstraction dans une science qui n’avait pas vraiment tenter cet exercice dans les deux premiers tiers du XXème siècle (Pumain, Robic, 2002).
Les modèles mathématiques qui peuvent être constitués dans une démarche théorique et quantitative ouvrent la voie à la formalisation du changement urbain grâce à l’intégration des bifurcations. L’expérimentation devient possible en modifiant les différentes variables impliquées. Il convient de préciser que l’utilisation de la modélisation a certaines limites qui viennent de la difficulté de modéliser l’émergence (Pumain, 2007). Les théories de l’auto-organisation constituent des outils intéressants pour la géographie théorique et quantitative en permettant à la fois une approche théorique tout en respectant les particularités des lieux. Elles fournissent un cadre à la formalisation mathématique des processus. La modélisation, puis la simulation des systèmes auto-organisés permet de tester leurs évolutions et de comprendre les irrégularités qui émergent (Frankhauser, 1994).

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Table des matières

Remerciements 
Insertion de la recherche dans le cadre d’un stage
Cadre de l’étude
Contexte scientifique
Introduction 
1. L’auto-organisation : entre ordre et désordre, construction d’une nouvelle approche théorique des sciences sociales
1.1 Auto-organisation, systémique et complexité ; au croisement des sciences dures et des sciences sociales
1.2 L’Auto-organisation d’un système spatial, quel intérêt pour la géographie ?
1.3 L’Auto-organisation : une solution de gestion qui fait émerger un système spatial
2. Lima : guana, combis et auto-organisation 
2.1 Un terrain propice à l’analyse des transports urbains
2.2 … associé à des infrastructures hétérogènes et des transports urbains difficilement lisibles
3 … induisent une étude de l’auto-organisation des transports urbains à Lima 
3. Une double échelle temporelle pour l’analyse de l’auto-organisation du système et de sa traduction spatiale
3.1 Echelle du temps long : une structure auto-organisée qui se fixe progressivement depuis vingt ans
3.2 Les traductions spatiales d’une telle auto-organisation structurelle
3.3 Echelle du temps court : des pratiques quotidiennes auto-organisées
3.4 Les traductions spatiales d’une telle auto-organisation des pratiques
3.5 Un système spatial auto-organisé construit selon plusieurs niveaux
Conclusion
Annexes 
Table des cartes 
Table des figures et schémas 
Table des photographies 
Bibliographie

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