Architecture et santé mentale : brève évolution
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la santé mentale comme étant « un état de complet bien-être physique, mental et social, et qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » . Cependant, la qualité de vie des individus a longtemps été délaissée dans les établissements de soins. Il nous semble donc important de rappeler les grandes étapes de l’histoire de l’architecture en milieu médical accueillant les personnes avec un handicap.
Avant-guerre
L’autisme a été considéré comme une psychose jusqu’à la fin du XXème siècle (Maleval J.-C., 2014). Le bien-être des malades mentaux (terme utilisé à l’époque) en Europe occidentale n’a pas toujours été au cœur des préoccupations sociales et médicales.
M. Foucault témoigne de cette lourde période dans Histoire de la folie à l’âge classique (1961) qu’il théorise sous le nom de « grand enfermement » caractérisant l’exclusion des « fous » jusqu’au XIXème siècle. L’isolement de ces individus a existé depuis de longues années comme l’explique le Dr en sciences de l’éducation P. Bonjour : « Dans les sociétés archaïques, l’infirmité est entraperçue comme un maléfice envoyé par les dieux, un signe qui indique que ceux-ci sont en colère à l’égard de la société » (Bonjour P., 2006). La création de l’Hôpital général à Paris en 1656 marque la période d’internement des aliénés aux côtés d’individus n’ayant parfois pas les mêmes déviances (délinquants, oisifs, etc.). Cette pratique a plutôt des fins économiques que médicales pour compenser la charge de l’internement imputée à la société (Bonjour P., 2006).
Après 1950
L’enfermement asilaire domine jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les années cinquante font découvrir les neuroleptiques qui permettent une meilleure maîtrise des symptômes favorisant le traitement ambulatoire. Cette période marque le début du rejet de l’internement pour une meilleure considération des patients « dans la communauté » comme l’explique l’historienne française de la médicalisation, I. Von BueltzinGsloeWen (2010). Le concept de l’hôpital urbain, implanté au cœur des villes, permet une réinsertion sociale des malades mentaux. Depuis les années soixante, se développe le principe de psychiatrie de secteur. Il s’agit de la répartition des structures de soins de santé mentale sur un mode ambulatoire facilitant la prise en charge « hors les murs » abandonnant ainsi le principe d’hospitalo-centrisme. Le système d’accueil familial thérapeutique, ainsi que les fermes agricoles pour une réadaptation par le travail, font naître la désinstitutionalisation. Le principe de traitement familial rétablit l’équilibre entre le patient et son environnement à travers l’accueil d’une communauté ou d’une famille. Ce modèle de traitement a notamment été utilisé à Geel, en Belgique dans les années 1986 et est expliqué par A. Leduc dans un article s’intitulant « Histoire du traitement familial à Geel » (1987).
De nos jours
À partir des années nonante, des études montrent le rôle de l’environnement sur la santé et le bien-être des patients dans le milieu hospitalier. Les travaux du professeur d’architecture et du comportement, R. Ulrich, exposent par exemple l’effet bénéfique de la vue d’un paysage naturel sur des patients ayant eu une opération. Cette prise de conscience de l’impact du milieu de vie fait naître le mouvement Healing Environment (Huisman E. et al.,2012). Dès lors, des espaces ont été créés visant à rendre le séjour des patients plus agréable permettant d’augmenter l’efficacité de la prise en charge, de réduire le séjour à l’hôpital du patient et ainsi de réduire les coûts.
Cette influence sur le comportement des individus dépend de certains éléments qualitatifs et quantitatifs composant le cadre bâti. L’étayage non exhaustif des études qui suivent rend compte de la relation entre les personnes et les éléments constituant un lieu (hospitalier ou non) comme la lumière naturelle et artificielle, la nature, la couleur ou encore le bruit.
L’intensité de luminosité d’une pièce a des effets sur le comportement des individus. L’absence de fenêtre est facteur d’angoisse, de dépression et de délire comme l’expose M. Schweitzer (2004). D’après ce même auteur, l’éclairage naturel influence l’horloge biologique des êtres humains, notamment sur le sommeil, l’humeur et le système cardio-vasculaire. Les études de J.-M. Walch (2005) montrent que le niveau de stress et la perception de la douleur diminuent dans les chambres plus lumineuses. L’éclairage artificiel atténue la détérioration cognitive et améliore l’état mental des personnes souffrant de dépression comme peuvent en témoigner les travaux de R. Riemersma Van Der Lek (2008).
Normes concernant le handicap
Comme nous l’avons vu, la situation des personnes porteuses d’un handicap a évolué à travers les siècles. Les termes pour désigner les personnes handicapées étaient au départ stigmatisants et négatifs tels que les « aliénés », les « arriérés » ou encore les « invalides ». C’est en 1969 que François Bloch-Lainé officialise le terme de « handicap » en lui donnant une définition éthique : «sont handicapées, les personnes qui, sur le plan physique, psychologique ou social, présentent des difficultés, que l’on pourrait qualifier de faiblesses, à être et à agir comme les autres. Ce sont ces faiblesses qu’il convient de compenser pour rétablir leurs chances dans la vie» (F. Bloch-Lainé, 1969).
Plus tard, la Déclaration de l’Organisation des Nations Unies promulgue la Loi d’Orientation du 30 juin 1975 qui a pour objectif d’inscrire formellement les droits des personnes handicapées facilitant leur intégration dans la société. V. Assante cite cette directive dans l’article « Évolution législative de 1975 à 2004 » (2014) comme telle « prévention, dépistage, soins, éducation, formation et orientation professionnelle, emploi, garantie d’un minimum de ressources, intégration sociale, accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte quelle que soit sa déficience » (Assante V., 2004). Cette loi change la considération que la société porte sur le milieu puisque ce n’est plus l’individu qui doit s’adapter à son environnement, mais bien l’inverse.
En 1980 est née la Classification Internationale du Handicap (CIH) qui conceptualise le handicap en proposant un diagnostic : « cette approche identifie l’altération d’un système touchant aux structures ou aux fonctions du corps humain, cette altération nommée « déficience » génère une « incapacité » d’accomplir une activité et enfin la déficience ou l’incapacité limitée, empêche la personne d’accomplir un rôle social, c’est le « désavantage » social. » (Boudaoud A., 2008). Progressivement, une série de lois est promulguée permettant une meilleure inclusion comme celle facilitant l’accessibilité à l’emploi des travailleurs handicapés (1987), celle relative à la protection des personnes contre la discrimination (1990), ou encore la loi organisant l’enseignement du français et de la langue des signes pour les personnes sourdes (1991).
Intégration de la qualité du cadre de vie des personnes en situation de handicap
En 1991, est promulguée la loi du 13 juillet sur l’accessibilité du cadre bâti. En 2001, la CIF fait évoluer la notion du handicap en intégrant la dimension environnementale, car il a été reconnu que certains éléments du milieu physique pouvaient devenir des obstacles dans la vie des personnes avec un handicap (Chapireau F., 2001).
En France, la loi du 11 février 2005 portant sur l’égalité des droits et des chances, inclue sérieusement, entre autres, « le principe d’accessibilité, quel que soit le handicap, aux espaces publics, aux systèmes de transport et au cadre bâti neuf » (Boudaoud A., 2008). Cette loi a apporté des modifications sur quinze codes y compris le Code de la construction et de l’habitation : « les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d’habitation, qu’ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique…» .
En Belgique, il faut attendre la loi du 13 décembre 2006 adoptée au siège de l’ONU qui rappelle que « toutes les personnes doivent bénéficier de tous les droits et libertés fondamentaux. les catégories de ces droits s’appliquent aux personnes avec un handicap » (Aviq.be). Elle indique également les domaines pour lesquels les adaptations seront renforcées, dont celui de l’accessibilité du cadre bâti.
Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA)
Le terme « autisme » vient du grec « auto » qui signifie « soi-même ». Il est employé en psychiatrie pour la première fois en 1911 par E. Bleuler. Il l’utilisait pour désigner la perte du contact avec la réalité extérieure rendant difficile pour le patient toute communication avec autrui. L. Kanner est le premier à décrire les caractéristiques de l’autisme et définit cette notion en 1943 comme une incapacité innée à créer le contact émotionnel avec l’autre. Suite à cela, plusieurs recherches ont été menées afin de préciser les critères de diagnostic de l’autisme (Beiger, F. et al.,2011).
Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) publié par l’American Psychiatric Association est un ouvrage important qui décrit et classifie les troubles mentaux. Notons que les deux premières versions du DSM (1955 ; 1968) n’invoquent pas encore le terme d’autisme, mais propose un diagnostic reposant sur celui de la schizophrénie infantile. Il faut attendre 1980 pour que le DSM-III rattache la notion de l’autisme aux troubles globaux du développement. Dernièrement, en 2013, le DSM-V définit l’autisme comme un « Trouble du Spectre de l’Autisme ». L’autisme est un trouble neurodéveloppemental d’origine neurobiologique défini comme un spectre signifiant que toutes les personnes identifiées comme autistes ne sont pas identiques. Contrairement à une idée répandue, l’autisme n’est pas systématiquement associé à un retard intellectuel. Le syndrome d’Asperger, par exemple, est un TSA associé à un très bon développement intellectuel. Selon le site Inserm.fr, un tiers des personnes concernées par un TSA présente une déficience intellectuelle de gravité très variable.
Les auteurs, dont L. Mottron (2016), définissent l’autisme à partir de deux catégories de signes : d’une part, les habiletés et comportements socio-communicatifs sont réduits, d’autre part, les comportements répétitifs et intérêts restreints se traduisent par des activités atypiques par leur fréquence et leur nature. P. Gillet et F. Bonnet-Brilhault (2018) utilisent également le terme de trouble de la « communication sociale » pour insister sur les difficultés des personnes autistes à interagir avec autrui. Par ailleurs, la pédopsychiatre française C. Barthélémy met en avant le handicap social que peuvent rencontrer les personnes autistes en soulignant que « cette pathologie précoce et globale conduit rapidement à une forme particulièrement déroutante de dysfonctionnement comportemental et social » (Barthélémy, C.2012).
Premières recommandations architecturales
Comme nous l’avons vu, la pratique de l’architecture est réalisée en prenant en compte les particularités des individus avec handicap. Dans Autism Spectrum Disorders (2011), A. Sánchez et d’autres scientifiques dressent un inventaire de la littérature consacrée aux premières recommandations de paramètres architecturaux adaptés aux besoins des personnes avec autisme. Il nous semble intéressant de parcourir quelques études expliquées dans cet ouvrage qui ont participé à l’émergence des premiers questionnements autour des conceptions des espaces adaptés aux personnes avec TSA.
L’une des premières publications sur cette matière a été partagée par le psychologue J. Richer et le designer S. Nicoll en 1971. Ils évoquent dix-huit lignes directrices relatives14 à l’utilisation d’une salle de jeux pour enfants. Deux objectifs principaux sont retenus : la réduction de la frustration et de l’excitation ainsi que la diminution des comportements de fuite à l’égard des interactions sociales. Parmi ces lignes directives élaborées par les chercheurs, figure la subdivision de l’espace en petites zones qui éviterait une surstimulation et un nombre excessif d’interactions sociales. La mise à disposition d’espaces de retrait et de zones calmes permettrait aux enfants avec autisme de se retirer, d’éviter ou d’atténuer le stresse qu’ils peuvent ressentir lorsqu’ils sont dans des espaces où des situations socialement exigeantes.
Les lieux à multiples activités telles que grimper, rouler ou glisser, réduiraient les angoisses. Les manifestations autistiques, comme le fait de répéter les mêmes gestes, paroles ou comportements, sont importantes pour le rééquilibre émotionnel. Les deux chercheurs ont donc conseillé de laisser à disposition des jouets permettant des mouvements répétitifs propices aux stéréotypies. La question de la sécurité est également importante et peut être assurée par des structures et des accessoires robustes et fermement ancrés. A. Sánchez et al. font part à la suite de cette intervention sur l’environnement physique, que l’application de ces directives ont permises aux enfants avec autisme de développer un nombre accru d’interactions sociales et étaient moins impliqués dans leurs stéréotypies. (Sánchez A. etal., 2011) .Plus récemment en 2009, R. Khare et A. Mullick partagent des recommandations applicables pour la conception d’espaces éducatifs. Par exemple, l’organisation de l’environnement au moyen d’indices visuels et physiques concrets (code couleurs, étiquettes, signes, etc.) est importante pour le repérage spatial.
L’accessibilité physique des bâtiments est indéniable pour les personnes avec autisme ayant un trouble de la coordination et de l’équilibre ou de l’épilepsie. Les espaces doivent relativement être large pour accueillir un encadrant aidant un élève autiste à faire certaines activités d’apprentissage dans les toilettes ou dans la salle à manger par exemple. La question du coût et de la durabilité des matériaux est soulevée. L’équipement doit tenir compte des agressions et des abus possibles de la part des élèves et leur solidité ne doit pas être négligé. D’autre part, l’environnement ne doit pas présenter d’éléments pouvant devenir des distractions visuelles, auditives ou tactiles sans pour autant priver l’intégration sensorielle. Cette dernière doit être permise en incluant des stimuli multisensoriels dans l’environnement offrant plusieurs expériences sensorielles (rouler, sauter, tourner, expérience visuelles ou auditives). Pour finir, l’espace doit être suffisamment flexible pour s’adapter à diverses compétences fonctionnelles (Sánchez A. et al., 2011).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : APPROCHE THÉORIQUE
I. Architecture et santé mentale
I.1. Architecture et santé mentale : brève évolution
I.1.1. Avant-guerre
I.1.2. Après 1950
I.2.3. De nos jours
I.2. Handicap
I.2.1. Normes concernant le handicap
I.2.1. Intégration de la qualité du cadre de vie des personnes en situation de handicap
II. Autisme et Architecture
II.1. Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA)
II.1.1. Définition du TSA et prévalence
II.1.2. Autisme, un handicap
II.1.3. Hyper et hyposensibilités
II.1.4. Particularités sensorielles fréquentes
II.1.4.1. Méthodologie de synthèse
II.1.4.2. Synthèse des particularités sensorielles fréquentes chez les autistes
II.2. Recommandations architecturales
II.2.1. Premières recommandations architecturales
II.2.2. Institutions médicales françaises et belges
II.2.3. Recommandations relatives aux paramètres architecturaux pour un cadre bâti adapté aux personnes avec autisme
II.2.3.1. Méthodologie de synthèse
II.2.3.2. Synthèse des recommandations architecturales
PARTIE 2 : ÉTUDE DE CAS
I. Méthodologie
I.1. Sélection des structures d’accueil
I.1.1. Critères de sélection et limites de recherche
I.1.2. Les structures d’accueil sélectionnées
I.2. Analyse des solutions spatiales mises en place par l’architecte
I.2.1. Outils d’analyse
I.2.2. Variables architecturales
I.2.2.1. Variables globales
I.2.2.2. Variables locales
I.2.3. Variables cliniques et subjectives : limites
I.2.4. Partage des résultats obtenus
II. Interprétation des données
II. 1. Variables globales
II.1.1. Informations générales
II.1.2. Contextes
II.1.2.1. Contexte historique
II.1.2.2. Contexte fonctionnel
II.1.2.3. Contexte spatial et milieu social
II.1.3. Organisation spatiale globale
II.1.4. Surface
II.1.5. Repères
II.1.6. Synthèse des variables globales
II.2. Variables locales
II.2.1. Dimension
II.2.2. Transition et limite
II.2.3. Perméabilité
II.2.4. Facteurs d’ambiance
II.2.4.1. Apport de lumière
II.2.4.2. Matériaux
II.2.4.3. Colorimétrie
II.2.4.4. Confort acoustique
II.2.4.5. Confort thermique
II.2.5. Synthèse des variables locales
II.3. Synthèse des interprétations
CONCLUSION
I. Constats
II. Limites et perspectives
BIBLIOGRAPHIE
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