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Mécanisme d’action
Dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) des spécialités à base de paracétamol, il est écrit que le mécanisme d’action est central et périphérique. Après plus de cent ans, le mécanisme d’action du paracétamol fait encore l’objet de nombreuses études. Certaines études ont toutefois permis de mettre en évidence plusieurs mécanismes centraux.
Suite à la découverte du mécanisme d’action des anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) (7), les premières recherches émettaient l’hypothèse que le paracétamol partageait le même mécanisme d’action et inhibait l’activité des prostaglandines H2 synthases (PGHS), appelées plus communément cyclo-oxygénases (COX). Cette enzyme possède deux sites d’actions, un site COX et un site peroxydase (POX) qui catalysent la transformation d’acide arachidonique en prostaglandines qui sont des médiateurs dans l’inflammation, la fièvre et la douleur (Figure 2).
En 1972, il a été démontré que l’activité antipyrétique du paracétamol provenait d’une inhibition des COX au niveau cérébral (9). Ce mécanisme a par la suite été confirmé plusieurs fois sous réserve d’une faible concentration en peroxydes au niveau du site d’action (10,11). Les concentrations de ces peroxydes varient dans le corps humain ce qui pourrait expliquer pourquoi le paracétamol est plus actif dans certains tissus.
Pour être actives, les PGHS doivent être sous forme oxydée mais le paracétamol via le site POX agirait comme un agent réducteur de cette enzyme. Ce mécanisme d’action pourrait expliquer l’absence d’activité du paracétamol au niveau du site inflammatoire où la concentration en peroxydes est élevée (12).
En 2002, un variant de la COX-1 a été découvert chez le chien. Cette COX-3, ne serait présente qu’au niveau du cerveau permettant d’expliquer les propriétés analgésique et antipyrétique du paracétamol (13). Les études ont par la suite montré que ce variant n’était que peu exprimé chez l’homme et était dépourvu d’activité COX (14).
Dans les années 1990, l’hypothèse de la mise en jeu du système sérotoninergique dans le mécanisme antalgique du paracétamol est soulevée suite aux résultats d’une étude montrant une diminution de son effet après lésion des voies sérotoninergiques bulbo-spinales (15). D’autres résultats ont permis de conforter cette hypothèse, une diminution de l’effet antalgique du paracétamol a été démontrée après inhibition de la synthèse de sérotonine et après administration intrathécale et systémique d’antagonistes des récepteurs sérotoninergiques (16). Une perte totale de l’effet du paracétamol n’a malgré tout jamais été démontrée avec ces travaux. L’activation par le paracétamol de la voie sérotoninergique descendante jouerait un rôle clé dans son activité anti-nociceptive en exerçant au niveau spinal un contrôle inhibiteur sur les voies de la douleur (17,18). Plus récemment, les équipes de Zygmunt et Bertolini ont montré par une approche différente, l’existence d’un mécanisme méconnu jusqu’alors. Les recherches de l’équipe de Zygmunt ont démarré après avoir remarqué des similarités structurelles entre le paracétamol et la N-arachidonoylphénolamine (AM404) (19). Cet acide gras appartient à la famille des N-acylamines comme l’anandamide. Lors de tests sur animaux, ces composés ont présenté des mêmes propriétés antalgique et antipyrétique comparables aux cannabinoïdes (20). L’AM404 a la propriété d’activer les récepteurs vanilloïdes de type 1 (TRPV1) et d’inhiber la recapture cellulaire d’anandamide ayant pour conséquence une augmentation de la concentration en cannabinoïdes endogènes. Ils ont également démontré que le paracétamol, après déacétylation en p-aminophénol, est conjugué avec l’acide arachidonique au niveau cérébral et spinal en AM404 (21). L’enzyme qui catalyse cette réaction est la fatty acid amide hydrolase (FAAH).
L’équipe de Bertolini est partie de l’observation que le paracétamol possédait des propriétés étonnamment similaires aux cannabinoïdes pour conduire ses recherches. Les effets analgésique et antipyrétique du paracétamol s’accompagnent chez certains patients d’un certain sentiment de bien-être et de tranquillité qui était aussi observés avec les dérivés de l’aniline comme la phénacétine. Leurs expérimentations ont montré que l’administration d’un antagoniste des récepteurs cannabinoïdes de type 1 (CB1) préalablement au paracétamol en empêchait toute activité analgésique (22).
Ces différentes découvertes pourraient permettre d’expliquer le mécanisme d’action du paracétamol et l’inhibition de la synthèse des prostaglandines au niveau cérébral. L’équipe de Zygmund a montré que l’AM404 était capable d’inhiber les COX-1 et COX-2 ainsi que la formation de prostaglandines E2 au niveau des macrophages. La formation de l’AM404 à partir du p-aminophénol réduit la production des prostaglandines par consommation de l’acide arachidonique. Toutefois les taux d’AM404 observés aux doses thérapeutiques semblent insuffisants pour expliquer l’analgésie du paracétamol. Les concentrations d’AM404 sont en effet suffisantes pour activer les TRPV1 mais pas les récepteurs CB1. L’hypothèse proposée actuellement est qu’il existerait des régions cérébrales à hautes concentrations en FAAH permettant localement une inhibition des COX (19).
D’autres mécanismes sont étudiés comme l’interaction synergique entre les voies cannabinoïdes et opioïdes, en particulier les récepteurs μ et κ spinaux (23) ou la mise en jeu de la voie du monoxyde d’azote avec inhibition du signal nociceptif par le paracétamol (24). Un autre axe de recherche a porté sur le récepteur activé de la prolifération des peroxysomes (PPAR-α). Des taux élevés d’AM404 pourraient, par compétition avec les autres substrats de la FAAH, augmenter les taux de palmitoyl-éthanolamide qui aurait alors un effet antalgique via le PPAR-α (25).
Le paracétamol, via la formation d’AM404, se trouve au carrefour de nombreuses voies de la régulation de la douleur. Les mécanismes antalgiques impliqués seraient la voie cannabinoïde, la voie sérotonergique, les récepteurs aux opioïdes et les COX.
Pharmacocinétique
Le paracétamol sous forme d’administration orale est absorbé rapidement au niveau de l’intestin grêle avec une biodisponibilité importante. Par voie rectale, la résorption du paracétamol est plus lente que sous forme orale et sa biodisponibilité est faible et très variable. Sous forme injectable, la concentration plasmatique est maximale à la fin des 15 minutes de perfusion.
Le paracétamol n’est que très peu lié aux protéines plasmatiques aux concentrations plasmatiques inférieures à 60µg/ml. Son volume de distribution est d’environ 1L/kg et il est largement diffusé dans les différents compartiments liquidiens. Le paracétamol traverse librement les barrières hémato-encéphalique et placentaire.
Le paracétamol est principalement métabolisé au niveau du foie par glucuroconjugaison et sulfoconjugaison en métabolites non-toxiques. La fraction non conjuguée est oxydée par divers systèmes enzymatiques dont le cytochrome P450 pour aboutir à la formation de N-acétyl-p-benzoquinone imine (NABQI), un métabolite intermédiaire toxique. En temps normal, ce métabolite est rapidement conjugué au glutathion puis éliminé sous forme de dérivés de la cystéine et de l’acide mercaptopurique par les reins.
En cas de déficit en glutathion, par exemple dans les cas de surdosage en paracétamol, la production de NABQI dépasse les capacités de conjugaison au glutathion conduisant à une nécrose hépatocellulaire.
Il existe plusieurs types de cytochromes P450 capables de catalyser l’oxydation du paracétamol en NABQI. L’un d’entre eux, le cytochrome 2D6 est sujet à un polymorphisme génétique pouvant conduire à la production de taux variables de NABQI. Les métaboliseurs ultra-rapides ont donc un risque plus élevé de développer une toxicité.
Le paracétamol est éliminé essentiellement par les reins. 90% de la dose administrée est excrété dans les urines en 24 heures sous forme glucuroconjuguée et sulfoconjuguée. La demi-vie plasmatique est d’environ 2 heures et en cas d’insuffisance rénale (IR) sévère, l’élimination du paracétamol est retardée.
Interactions
De nombreuses interactions existent en cas de co-administration du paracétamol avec d’autres substances.
L’absorption du paracétamol est altérée par la prise de médicaments modifiant la vidange gastrique (métoclopramide, opioïdes, etc.).
La prise concomitante de médicaments inducteurs enzymatiques modifie le métabolisme du paracétamol et peut conduire à une augmentation du risque de toxicité du paracétamol par augmentation de la production de NABQI.
L’administration de probénécide diminue la clairance du paracétamol en inhibant la glucuroconjugaison.
La consommation d’alcool modifie le métabolisme du paracétamol. En cas d’alcoolisme chronique, les réserves en glutathion sont diminuées. Le paracétamol peut alors devenir toxique même à dose thérapeutique. En cas de consommation aiguë, l’alcool a un rôle protecteur. En effet, il existe un phénomène de compétition entre l’alcool et le paracétamol au niveau de voies enzymatiques communes qui aboutit à une diminution de la production de NABQI.
Chez des patients traités par warfarine ou acénocoumarol, la prise de paracétamol potentialise l’effet anticoagulant et conduit à une augmentation du risque de saignements.
Effets indésirables et toxicités
Bien que considéré comme sans danger, le paracétamol peut en cas de surdosage provoquer d’importantes atteintes du rein, du foie voire du cerveau. Ces atteintes peuvent aussi survenir à dose thérapeutique chez des patients présentant des facteurs de risque tels qu’une déficience en glutathion, un statut de métaboliseur ultra-rapide voire une association des deux. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer les autres EI moins connus.
L’intoxication au paracétamol est la première cause d’insuffisance hépatique aiguë en Europe (26). La cause la plus fréquente est l’intoxication volontaire ou involontaire, néanmoins quelques cas d’hépatotoxicité ont aussi pu être observés à dose thérapeutique (27,28). L’intoxication est alors le plus souvent secondaire à une déficience en glutathion provoquée par une malnutrition, une induction excessive du cytochrome P450 chez les patients souffrant d’alcoolisme chronique ou l’administration concomitante d’autres médicaments.
Le paracétamol reste toutefois bien toléré chez les patients atteints d’insuffisance hépatocellulaire (IH) ou de cirrhose à dose thérapeutique.
Sur le rein, le paracétamol ne provoque le plus souvent que des EI mineurs comme des IR aiguës, des nécroses tubulaires aiguës ou des néphrites interstitielles. Ces effets sont souvent observés en cas de surdosage, de consommation abusive voire suite aux EI hépatiques du paracétamol (29). Dans de rares cas, des EI plus graves à type de nécrose tubulaire aiguë ont pu être observés (30). Des EI gastro-intestinaux apparaissent avec le paracétamol comme avec tout autre médicament : nausées, vomissements, douleurs abdominales et ballonnements. De rares cas de pancréatite aiguë ont aussi été rapportés (31).
Sur le système cardiovasculaire, le paracétamol est aussi bien à l’origine d’hypotension que d’hypertension. Chez des patients en soins intensifs, il a été démontré que le paracétamol sous forme intraveineuse était à l’origine de diminution de la pression artérielle (32). Le mécanisme proposé est une diminution du débit cardiaque et des résistances vasculaires systémiques (33). Comme les analgésiques non-opioïdes, le paracétamol est aussi à l’origine d’hypertension (34,35). Ce lien est néanmoins sujet à discussion, l’hypertension pourrait être due à la douleur plutôt qu’au médicament ou plus facilement détectée car les patients algiques consultent plus souvent (36). L’utilisation de la forme effervescente, de par sa composition riche en sodium, pourrait aussi contribuer à l’hypertension artérielle (37).
Depuis quelques années, des études ont pu associer consommation de paracétamol et asthme. Sa consommation durant la grossesse ou pendant les premières années de la vie favoriserait le développement de l’asthme (38). L’un des mécanismes évoqué est la diminution des taux de glutathion, antioxydant présent aussi au niveau des poumons (39). D’autres publications suggèrent qu’un usage fréquent du paracétamol est un facteur de risque de développer des sifflements respiratoires, des rhinites, des broncho-pneumopathies chroniques obstructives et même altérer les fonctions pulmonaires (40).
Parmi les antalgiques, le paracétamol n’est pas connu comme pouvant provoquer des somnolences et les quelques cas rapportés ne permettent souvent pas de l’imputer formellement. Mais son mécanisme d’action, bien que partiellement connu, fait intervenir les systèmes sérotoninergiques et endocannabinoïdes connus pour leurs actions sur la conscience et les fonctions cognitives. De plus, certaines études chez l’animal ont montré une altération de la mémoire en cas d’administration de fortes doses de paracétamol (41,42).
Il est rapporté dans les RCP des spécialités à base de paracétamol, des cas exceptionnels de thrombopénie, de leucopénie et de neutropénie. Des cas d’anémie hémolytique provoqués suite à l’administration de paracétamol ont aussi été rapportés dans des publications (43).
Dans une étude prospective ayant inclus plus de 64 000 patients âgés de 50 à 76 ans, les auteurs ont pu associer une forte consommation de paracétamol (≥ 4 jours par semaine pendant ≥ 4 ans) avec un risque deux fois plus important de développer des maladies hématologiques malignes (44). Ce même lien n’était pas retrouvé avec l’aspirine ou les AINS. S’appuyant sur la même cohorte, une autre étude n’a pas mis en évidence d’association entre la consommation de paracétamol et le risque de cancer autre qu’hématologique (45). A l’inverse, certaines études ont montré un rôle protecteur du paracétamol dans la survenue de certains cancers comme celui des ovaires (46) ou de la prostate (47).
Après administration intraveineuse de paracétamol comme après toute administration percutanée, il a pu être observé des douleurs au point d’injection ainsi que des sensations de brûlure. Cependant, les réactions d’hypersensibilité sont très rares (1/10 000) mais peuvent être à l’origine d’exanthème maculo-papuleux, d’urticaire voire même de choc anaphylactique (48). D’autres EI cutanés ont été rapportés parfois peu graves tel que des prurits, des œdèmes périphériques et des érythèmes et parfois plus sévères, purpura fulminans (49), pustulose exanthématique aiguë généralisée (50), nécrolyse épidermique toxique ou syndrome de Stevens-Johnson (51).
Indications et contre-indications
Les indications retenues dans l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du paracétamol sont présentes dans le RCP et dépendent principalement de la voie d’administration.
Les formes orales et rectales sont indiquées dans « le traitement symptomatique des douleurs d’intensité légère à modérée et/ou des états fébriles ».
Quant aux formes injectables, les indications sont plus précises et concernent le « traitement de courte durée des douleurs d’intensité modérée, en particulier en période post-opératoire, et dans le traitement de courte durée de la fièvre, lorsque la voie d’administration intraveineuse est cliniquement justifiée par l’urgence de traiter la douleur ou l’hyperthermie et/ou lorsque d’autres voies d’administration ne sont pas possibles ».
L’administration de paracétamol est contre-indiquée lorsque le patient est atteint d’une IH sévère ou qu’il existe une hypersensibilité connue au paracétamol ou à l’un des constituants de la spécialité.
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Table des matières
Introduction
1 Le paracétamol
1.1 Histoire
1.2 Mécanisme d’action
1.3 Pharmacocinétique
1.4 Interactions
1.5 Effets indésirables et toxicités
1.6 Indications et contre-indications
1.7 Posologie
1.7.1 Voie entérale et voie rectale
1.7.2 Voie parentérale
1.7.3 Recommandations d’experts
1.8 Précautions d’emploi
1.9 Présentations
2 Evaluation des pratiques professionnelles
2.1 Définition et concept
2.2 EPP et certification des établissements de santé
2.3 EPP et audit clinique
3 Audit sur l’usage du paracétamol au CHU de Rouen
3.1 Objectifs de l’étude
3.2 Matériels et méthodes
3.2.1 Fiche de bon usage du paracétamol
3.2.2 Informatisation des prescriptions et message d’alerte
3.2.3 Analyse et recueil des données
3.2.4 Impact du projet visant à améliorer l’usage du paracétamol
3.2.5 Impact de l’informatisation des prescriptions
3.2.6 Impact financier du projet
3.2.7 Enquête sur l’utilisation du paracétamol
3.2.8 Analyse statistique
4 Résultats
4.1 Impact du projet sur l’usage du paracétamol au CHU de Rouen
4.1.1 Evolution des consommations sur l’établissement
4.1.2 Evolution des consommations par pôle clinique
4.2 Impact de l’informatisation des prescriptions
4.3 Impact financier
4.4 Enquête sur l’utilisation du paracétamol
4.4.1 Description des professionnels de santé et unités ayant participé à l’enquête
4.4.2 Résultats de l’enquête sur l’utilisation du paracétamol (Annexe 5)
5 Discussion
5.1 Résultats
5.2 Limites de l’étude
5.3 Perspectives des démarches d’amélioration de la qualité des soins
6 Conclusion
Références bibliographiques
Annexes
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